Monsieur le président de la commission des Finances, conformément à la pratique, M. le ministre vous écrira sous peu, pour vous communiquer les décisions prises la semaine dernière. Il récapitulera l'ensemble des engagements pris à ce jour ; il fera également un point rapide sur les programmes engagés en Grèce, en Espagne et au Portugal. Vous disposerez ainsi d'une synthèse chiffrée.
Monsieur Chartier, aujourd'hui, le FESF a engagé à peu près 220 milliards d'euros sur les 440 possibles : un peu moins de 20 pour l'Irlande, 26 pour le Portugal, un peu moins de 145 pour la Grèce, et potentiellement 30 pour l'Espagne tant que le MES n'est pas entré en vigueur puisqu'il a vocation à porter la totalité du financement. À ce jour, 103 milliards d'euros ont été décaissés. Si l'on excepte les prêts bilatéraux à la Grèce, et ce qui est passé par les autres dispositifs et par le Fonds monétaire international, le FESF conserve donc une capacité d'action de 220 milliards d'euros qui serait amputée si l'aide à l'Espagne devait lui incomber.
Le FESF aurait-il pu servir à des recapitalisations directes ? En principe, oui ; mais la décision vient d'être prise de transiter par le MES qui va entrer en vigueur dans les prochaines semaines : c'est donc plutôt sur celui-ci que la réflexion a porté. D'autre part, il aurait fallu un nouveau vote de tous les Parlements qui ont ratifié le cadre juridique actuel.
Le MES sera effectivement plus réactif, puisque le traité qui le met en place prévoit que ses gouverneurs peuvent, à l'unanimité, décider de créer un nouvel instrument de financement. C'est ce qui s'est passé les 28 et 29 juin. De plus, s'il fallait agir dans l'urgence, il serait possible, à l'inverse du FESF, de déroger à la règle de l'unanimité et de prendre des décisions à une majorité qualifiée de 85 % des voix. Concrètement, des pays comme l'Allemagne ou la France disposeront d'un droit de veto, ce qui ne sera pas le cas des « petits » pays.
En principe, la recapitalisation des banques espagnoles passera par le FESF avant que les créances correspondantes soient transférées au MES. Ces prêts à l'État espagnol pourront-ils, rétroactivement, être transformés en prêt direct ou en recapitalisation directe des banques ? C'est la question que tout le monde se pose, et la réponse aujourd'hui n'est pas unanime même si cela semble le scénario le plus vraisemblable.
Le MES entrera en vigueur un peu plus tardivement que prévu – en septembre au lieu de juillet. Nous avons quelques raisons d'espérer que, le 12 septembre, la Cour constitutionnelle allemande permettra sa mise en oeuvre. En attendant, le FESF est pleinement opérationnel ; sa capacité d'action est encore, je le disais, de 220 milliards d'euros, ce qui est tout à fait significatif. De plus, le directeur général du FESF sera également celui du MES : cela facilitera la transition.
La part de la France dans l'augmentation de capital de la Banque européenne d'investissement sera de 1,6 milliard d'euros sur les 10 milliards prévus. Cette disposition vous sera présentée dans le cadre de la loi de finances rectificative, à la fin de l'année 2012. Elle aura un effet sur la dette de l'État, mais pas sur le déficit « maastrichtien », puisqu'il s'agit d'un investissement.
Les project bonds ne nécessiteront pas de vote des Parlements nationaux, car nous mobilisons des crédits aujourd'hui ouverts dans le cadre du budget communautaire : deux enveloppes de crédits non consommés de 200 et de 30 millions d'euros permettront de lancer des projets pour 4,5 milliards d'euros, en jouant sur un effet de levier grâce aux garanties accordées à des projets pilotés par des opérateurs privés ou par la BEI. C'est donc le Parlement européen qui a débattu de la mesure.
Le Fonds européen d'ajustement à la mondialisation est aujourd'hui opérationnel. La Commission européenne propose même, dans le cadre des perspectives financières actuellement en discussion pour la prochaine période sous revue, de le pérenniser et de le porter à 3 milliards d'euros, tout en le rendant plus flexible.
Quant à la taxe sur les transactions financières, la priorité devrait être de fixer son assiette et ses modalités de recouvrement avant d'en décider l'usage. Plusieurs voies sont possibles, et elles ne sont pas exclusives les unes des autres : l'alimentation du budget européen, l'aide publique au développement, la stabilité financière, l'abondement d'un fonds européen des dépôts… Toutefois, si l'on souhaite que la création de cette ressource supplémentaire soit soutenue aussi largement que possible, il serait sans doute utile de rester flexible sur ses usages, car le consensus n'est pas parfait sur ce point.
Sur la lutte contre l'évasion et la fraude fiscales, beaucoup de travaux ont été réalisés dans la période récente, notamment dans le cadre du G20. Le Forum mondial sur la transparence et l'échange de renseignements à des fins fiscales a clairement identifié des juridictions non coopératives ; elles font l'objet d'un suivi très attentif, et public. Il en va de même en matière de blanchiment, de financement du terrorisme ou en matière prudentielle. Nous pourrons vous transmettre des éléments précis ; en tout cas, ce sujet est bien identifié et fait l'objet d'actions assez importantes. Une commission d'enquête du Sénat a tout récemment examiné cette question de manière très complète.
L'intégration solidaire et ses modalités constituent à l'évidence une question éminemment politique, sur laquelle je me garderai de me prononcer. Je peux vous dire, en revanche, que lors des road shows de l'Agence France Trésor – destinés à vendre la dette française dans le monde afin que nos taux d'intérêt demeurent bas – nous entendons toujours la même chose : les investisseurs ont besoin de comprendre où nous allons ; ils veulent être rassurés sur le fait que nous souhaitons rester ensemble – et pour rester ensemble, il faut nécessairement franchir une nouvelle étape. En tout cas, les investisseurs ont besoin d'une réponse claire à leurs interrogations.
Le rapport d'Herman Van Rompuy, préparé avec les présidents de la Commission européenne, de l'Eurogroupe et de la Banque centrale européenne, va loin, au point d'ailleurs que le Conseil européen ne l'a pas formellement endossé. Il s'agit bien, comme en a parlé le Président de la République, d'intégration « solidaire » : pas d'intégration sans mécanisme de solidarité ; pas de nouvelles compétences partagées – dans le cadre du six-pack, du traité ou du two-pack – sans davantage de solidarité. Cette solidarité pourrait s'exprimer, par exemple, par des outils de mutualisation de la dette. L'Union ne peut pas, comme l'a dit Mme Bérès, se résumer à une union de sanctions.
L'été s'annonce, avec tous ses dangers. Mais, nous qui sommes tous un peu moroses, rappelons-nous le premier trimestre 2012 : au mois de janvier, les spreads étaient très élevés ; en Italie, ils l'étaient même beaucoup plus qu'aujourd'hui. Le doute sur notre capacité collective à répondre au problème était généralisé. En l'espace de trois mois, les taux d'intérêt ont pourtant massivement diminué. Quelques-uns d'entre nous étaient au mois d'avril dernier au sommet du G20 à Washington : les Chinois, les Américains, le FMI, tous les observateurs nous ont félicités d'avoir réagi. Les opérations de refinancement à plus long terme – LTRO – de la BCE, le renforcement du Fonds européen, la recapitalisation des banques européennes, l'adoption d'un mécanisme européen plus flexible : ces réponses étaient à la mesure des attentes.
Ensuite, nous avons connu la difficultueuse communication de l'Espagne ; les élections grecques ont conduit à s'interroger sur la capacité de ce pays à tenir son programme, qui est la contrepartie des 240 milliards de prêts que la communauté internationale s'est engagée à lui accorder. À partir de là, la machine à douter s'est remise en marche.