Intervention de Christian Noyer

Réunion du 24 juillet 2012 à 16h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Christian Noyer :

C'est vrai. Nous sommes collectivement coupables de n'avoir pas su dimensionner les investissements, surveiller ni nous dire la vérité entre partenaires. Je crois sincèrement à l'économie espagnole car la productivité industrielle est bonne. Dès lors que les réformes structurelles sont faites rapidement – et c'est le cas pour le marché du travail – il n'y a aucune raison que l'économie ne se relève pas mais cela ne se fera pas du jour au lendemain, ni sans douleur.

S'agissant du rapport de la Banque de France que vous avez cité, monsieur Cherki, la réalité est complexe. La croissance fondée sur la demande interne est influencée par deux éléments qui se combinent sans s'exclure : la dépense publique, qui soutient la demande à court terme, et la confiance des entreprises et des ménages, qui influe sur leur taux d'épargne. S'ils sont convaincus que l'État devra réduire son déficit, ils augmenteront leur épargne en prévision des impôts à venir, ce qui exercera un effet restrictif sur la dépense qui contrecarrera, voire annulera, les mesures de relance. Ces deux forces contraires expliquent que certains développements puissent, à première lecture, paraître contradictoires.

Tous les modèles économiques montrent d'une façon générale que, pour réduire un déficit public, restreindre la dépense a moins d'effets négatifs sur l'économie qu'augmenter les impôts. Mais il s'agit là d'une approche purement économique qui ignore d'autres paramètres, notamment politiques. Tout dépend également du niveau des dépenses et des recettes car, en poussant le raisonnement à l'absurde, on pourrait en conclure que sans budget on se porterait mieux !

À la question : peut-on réduire le déficit à 3 % l'an prochain ? ma réponse est oui. C'est parfaitement possible, et même indispensable. Au-delà de nos engagements, il faut se rendre compte que, si la France changeait de trajectoire, les marchés se retourneraient aussitôt et la correction qui serait alors nécessaire, pour faire face au surcoût de la dette, serait beaucoup plus coûteuse que l'effort qui nous est demandé aujourd'hui. En réalité, nous n'avons pas le choix.

Le traité qui impose un déficit structurel de 0,5 % est compatible avec la politique macroéconomique puisque l'indicateur retenu est précisément le déficit structurel et non conjoncturel. En cas de ralentissement, le déficit réel pourra être plus élevé – et inversement – de façon à stabiliser le déficit structurel. C'est une règle de bonne gestion.

Nous n'avons pas étudié l'impact de la manipulation du Libor sur les emprunts des collectivités locales. Je serais d'ailleurs étonné qu'elles aient beaucoup de prêts avec cet indice de référence même s'il sert de base d'indexation à des flux qui se mesurent en milliards de milliards de dollars. En tout état de cause, aucune autorité n'est en mesure d'évaluer l'impact éventuel de cette manipulation. Il est aujourd'hui reproché à Barclays d'avoir tenté de manipuler les taux mais personne n'a pu établir ce qu'il en a été exactement. Il faudrait déjà s'assurer que les manoeuvres engagées ont eu un effet quelconque, avant de chercher à identifier les bénéficiaires et les victimes. Ces dernières, si le taux a été fixé plus bas qu'il n'aurait dû l'être, sont d'ailleurs avant tout les banques. Pour le reste, on en est encore au stade des suppositions.

Le shadow banking fait l'objet de travaux au niveau international, en particulier au sein du Conseil de stabilité financière. Nous devrions faire des propositions concrètes au G20 en fin d'année. Le sujet est très vaste puisqu'il englobe entre autres les SICAV monétaires aussi bien que les hedge funds. Une régulation sera nécessaire, mais le problème n'est pas spécifique à la zone euro.

Monsieur de Courson, à titre personnel, j'ai toujours été convaincu que le prélèvement pour les banques systémiques devrait aller à un fonds de garantie ou de recapitalisation. Obliger l'État à intervenir créerait un aléa moral supplémentaire.

Indépendamment du fait que les banques françaises ont intégralement remboursé les aides qu'elles ont perçues et que l'État en a tiré bénéfice, deux contreparties importantes ont été obtenues. D'une part, les banques ont continué à financer l'économie, contrairement à ce qui a été observé dans certains pays ; d'autre part, les règles de capital et de liquidité ont été considérablement renforcées, ce qui se traduit par une ponction très forte sur les résultats.

Partout dans le monde, on considère que la politique de la BCE est extraordinairement accommodante, d'où d'ailleurs une baisse significative du taux de change. Les taux d'intérêt réel sont fortement négatifs, le taux de la facilité de dépôt sur lequel se cale le marché au jour le jour est à zéro. En effet, les banques espagnoles, plus que les autres, ont utilisé les fonds qu'elles se sont procurés grâce au LTRO pour acheter des obligations de l'État espagnol. Aujourd'hui elles ont atteint les limites qu'elles jugent raisonnables et les investisseurs institutionnels – compagnies d'assurance, caisses de retraite ou OPCVM – doivent prendre le relais. Dans un pays souffrant d'un déficit d'épargne important, tout est donc affaire de crédibilité, mais je n'irai pas jusqu'à dire que le LTRO s'est retourné contre la signature espagnole puisque la souscription d'obligations d'État a été synonyme de financements pour l'Espagne.

Quant au risque diffus de non-remboursement d'une fraction de la dette, la Grèce ne pouvait pas y échapper même si, au début, la BCE était très critique à l'idée de mettre à contribution les créanciers en raison d'effets secondaires dévastateurs. Le Conseil européen a réaffirmé à plusieurs reprises que la Grèce était un cas unique et il faut tout faire pour qu'elle le reste. Les Américains n'ont pas oublié Hamilton qui a réussi à convaincre ses collègues de la jeune démocratie américaine qu'il fallait faire les efforts nécessaires pour ne pas faire défaut car, sinon, les États-Unis en paieraient les conséquences pendant 200 ans. Il avait évidemment raison.

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