Intervention de Yves Durand

Réunion du 20 février 2013 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaYves Durand, rapporteur :

Comme vous l'avez dit, monsieur le président, la présente discussion générale n'est qu'une étape dans un long cheminement, notre Commission ayant déjà consacré de nombreuses discussions, auditions et tables rondes aux points essentiels de ce projet de loi. Cela me permet de limiter ce propos liminaire à l'exposé de la raison d'être et des grands principes de ce projet de loi.

C'est la première fois depuis bien longtemps que notre école fait l'objet d'une loi à la fois d'orientation et de programmation. Et c'est cette caractéristique qui explique la présence d'un rapport annexé donnant la répartition des moyens consacrés à l'action gouvernementale en faveur de l'éducation, conformément à notre engagement d'en faire une des priorités du quinquennat.

Si ce texte vise à la « refondation » de notre système éducatif, c'est qu'une simple réforme ne suffirait pas à remédier aux dysfonctionnements actuels. Quand chaque année 150 000 jeunes restent sans qualification à l'issue de leur parcours scolaire et sont ainsi voués au chômage et aux périls qu'il entraîne, c'est le système éducatif dans son ensemble qui est en cause, et non les enseignants, qui font ce qu'ils peuvent avec ce qu'ils ont. À rebours de sa vocation, qui est de les réduire, l'école républicaine reproduit les inégalités et, pis, les aggrave : je ne détaillerai pas ici un diagnostic qui a été posé dans maintes études internationales comme dans maints rapports nationaux, tels ceux de la Cour des comptes.

Il fallait donc, non se borner à réformer l'école, mais bien la refonder en sorte qu'elle retrouve les missions, les principes fondateurs et le « souffle » de l'école républicaine. Il fallait recréer des fondations sur lesquelles bâtir ensuite un système cohérent. Cette loi ne vise donc pas à accomplir, mais à commencer la reconstruction de l'école : elle lance une dynamique, elle ne la clôt pas.

C'est la raison pour laquelle ce texte n'embrasse pas tout le champ éducatif. Certains d'entre vous s'en sont inquiétés, notant qu'il traite peu du collège et du lycée, notamment du lycée professionnel, mais c'est précisément un parti pris de ce projet de loi que de donner la priorité au premier degré, afin d'enclencher une dynamique qui s'étendra dans un deuxième temps aux autres degrés d'enseignement.

Quant aux principes, ce projet de loi comporte une nouveauté absolue : c'est la première réforme de l'éducation nationale qui aborde le système éducatif par la pédagogie, et non par les structures. Elle ne vise pas en effet à aménager telle ou telle filière, tels ou tels horaires : son objectif est une véritable transformation de la pédagogie, parce que c'est celle-ci qui est au centre de l'acte éducatif.

Cette réforme se distingue également en ce qu'elle fait de l'école maternelle et surtout de l'école primaire sa priorité. C'est en effet là que tout commence, là que les savoirs fondamentaux, tels que lire, écrire, compter, doivent être acquis. Or trop d'élèves aujourd'hui ne les maîtrisent pas à l'entrée au collège, et sont de ce fait voués à l'échec scolaire – ce qui conduit certains à remettre en cause l'existence même du collège unique, alors que le projet de loi en réaffirme la nécessité car le mal vient de plus loin. C'est aussi au niveau de l'école primaire que les inégalités se créent.

Il est plus efficace de prévenir l'échec et le décrochage scolaires que de tenter d'y remédier a posteriori. C'est donc, je le redis, parce que ces maux s'enracinent dans l'école primaire que le projet de loi vise à concentrer les efforts sur ce niveau d'enseignement, en ce qui concerne tant la pédagogie que les moyens.

L'objectif d'avoir « plus de maîtres que de classes » là où cela est nécessaire du point de vue culturel et social illustre ce double choix de concentrer les efforts sur le primaire et de réformer les méthodes d'enseignement. Comme nous le disait le nouveau directeur général de l'enseignement scolaire, M. Jean-Paul Delahaye, il ne s'agit pas d'accorder aux écoles un maître supplémentaire, mais de créer les conditions d'une véritable révolution pédagogique : de permettre le travail en petits groupes, l'éclatement des classes, voire celui des emplois du temps, la liberté pédagogique, en un mot une transformation profonde du travail des enseignants, qui favorisera la réussite des élèves grâce à la personnalisation des parcours pédagogiques.

Encore faut-il que les enseignants y soient préparés par une formation adéquate, et nous abordons là la deuxième priorité, voire le coeur même du projet de loi : la formation des maîtres. Comme chacun sait, la mise en place de la mastérisation a entraîné la suppression de fait de la formation professionnelle des maîtres, au détriment de la réussite des élèves. La priorité est de restaurer cette formation. Il ne s'agit de recréer ni les écoles normales ni les IUFM, qui ont fait leur temps et sont incapables de répondre aux besoins actuels de formation. C'est pourquoi il nous est proposé de créer des écoles supérieures du professorat et de l'éducation, les ESPE. Le choix de nommer ces établissements « écoles » n'est pas indifférent : il signifie que, même s'ils sont créés au sein des universités, ils doivent préserver leur identité propre d'écoles professionnelles. C'est la première fois à ma connaissance qu'est instituée, en plus de la formation universitaire, une formation professionnalisante des maîtres, à travers un tronc commun d'enseignements. Cette dimension sera d'ailleurs présente dès la préparation du recrutement : une sensibilisation au métier d'enseignant est prévue dès la troisième année de licence, dans l'esprit qui a déjà présidé à la création des emplois d'avenir professeur.

Deuxième caractéristique, il s'agira d'écoles du professorat « et de l'éducation » : cela signifie qu'elles seront chargées de la formation, non pas seulement des enseignants, mais de toutes les professions éducatives – éducateurs, formateurs, etc. Nous considérons en effet que l'éducation n'est pas le fait de la seule école et qu'elle constitue un métier dont relèvent des professions diverses.

Le projet de loi fait de la continuité éducative sa troisième priorité. En cela, il ne fait que tirer les conséquences de la « loi Jospin » de 1989 et de la « loi Fillon » de 2005 : il consacre le respect du rythme d'acquisition des enfants en réaffirmant la politique des cycles ; il confirme le principe selon lequel l'enseignement obligatoire doit se solder par l'acquisition d'un socle commun qu'il élargit en « socle commun de connaissances, de compétences et de culture ». L'acquisition de ce socle commun suppose une continuité éducative entre l'école élémentaire et le collège, ce que certains appellent « l'école du socle ». Ce principe se traduit dans le projet de loi par l'instauration d'un cycle commun entre le CM2 et la 6ème, par la création de structures communes au collège et à l'école élémentaire et par la mise en place d'apprentissages communs aux enseignants de ces deux degrés. Il reviendra au futur Conseil supérieur des programmes – remplaçant le Conseil national des programmes supprimé par la loi de 2005 – de revoir l'organisation des programmes dans la perspective de cette continuité. Le futur Conseil national d'évaluation du système éducatif aura, quant à lui, la charge d'évaluer ces politiques.

S'agissant enfin de l'enseignement numérique, ce projet de loi n'en fait pas la panacée, la solution de tous les problèmes de notre système éducatif. Il lui donne sa place, toute sa place, mais rien que sa place : celle d'un levier pour la transformation de la pédagogie et, dès lors, il ne saurait en aucun cas se substituer au service public de l'éducation.

Je voudrais affirmer en conclusion le caractère véritablement refondateur de ce projet de loi, même si, hormis le rapport annexé qui pose les grandes orientations, il ne semble apporter que des modifications purement techniques au code de l'éducation. En effet, ce texte vise à transformer l'acte éducatif qui est au coeur même de l'école. Mais il s'agit aussi, par là même, d'un texte dynamique qui jette les bases d'une vaste transformation de l'ensemble du système scolaire. De ce fait, il propose à la fois des réponses d'urgence et des pistes pour l'avenir.

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