Le Conseil d'État a été limpide. Le premier critère à respecter lors d'un redécoupage, vous y avez fait allusion, le critère essentiel, selon les termes de la jurisprudence, est celui de l'égalité devant le suffrage. Ce critère est constant et de plus en plus prégnant dans la jurisprudence du juge administratif et du Conseil constitutionnel, jurisprudence qui en fait, vous le savez, une interprétation de plus en plus restrictive. Ce critère est tellement constant que c'est d'ailleurs celui que le précédent gouvernement aurait dû appliquer dans le redécoupage cantonal rendu nécessaire par l'instauration du conseiller territorial.
Je m'étonne que vous oubliiez cette jurisprudence alors que le Conseil constitutionnel lui-même a eu l'occasion de vous la rappeler dans sa décision du 9 décembre 2010 sur le tableau des effectifs des conseils départementaux, qui a censuré la répartition des conseillers départementaux d'une dizaine de régions au motif que la fixation du nombre de conseillers territoriaux dans les départements concernés méconnaissait le principe d'égalité devant le suffrage.
Au vu des arguments avancés depuis le début de l'examen de ce projet de loi, il me semble que je dois rappeler les termes de l'abondante jurisprudence qui entoure le principe d'égalité, et qui devraient vous convaincre qu'il n'est plus possible que, dans certains départements, un électeur urbain pèse quarante-six fois moins qu'un électeur d'une zone rurale. Dire cela, ce n'est pas mettre en cause la représentation des territoires ruraux. C'est partir – je le dis notamment à M. Lassalle – de la réalité et constater cet écart.
Je veux être précis. Tout d'abord, sur le critère démographique, le principe d'égalité devant le suffrage, apprécié dans le périmètre du ressort de l'assemblée délibérante au sein de laquelle siègent les élus, a valeur constitutionnelle, est consacré par le Conseil constitutionnel sur le fondement de l'article 3 de la Constitution – « Le suffrage [...] est toujours universel, égal et secret » – depuis des décisions fondatrices de 1985 et de 1986. Il est également affirmé par le Conseil d'État depuis 1998.
En 1985, le Conseil constitutionnel avait ainsi affirmé que le Congrès de Nouvelle-Calédonie – nous avons d'ailleurs eu un débat à propos de la Nouvelle-Calédonie –, dont le rôle comme organe délibérant ne se limitait pas à la simple administration, devait, pour être représentatif du territoire et de ses habitants dans le respect de l'article 3 de la Constitution, être élu sur des bases essentiellement démographiques. S'il ne s'ensuivait pas que cette représentation devait être nécessairement proportionnelle à la population de chaque région, ni qu'il ne puisse être tenu compte d'autres impératifs d'intérêt général, ces considérations ne pouvaient cependant intervenir – j'y reviendrai – que dans une mesure limitée.
Dès lors, le principe d'égalité devant le suffrage doit constituer la raison d'être d'un redécoupage électoral, puisqu'il est le fondement essentiel de sa constitutionnalité. En application de ce principe, le Conseil constitutionnel et le Conseil d'État ont de façon concordante et constante réaffirmé, après la décision fondatrice de 1985, que tout découpage électoral devait reposer sur des bases essentiellement démographiques. Je suis sûr que nous pouvons nous retrouver sur ce point.