Je vous remercie M. le président. Je me réjouis de voir tant de parlementaires réunis ici pour évoquer le thème de la pêche, et plus largement les sujets maritimes. La constitution de ce ministère répond à l'engagement pris par le Président de la République lors de plusieurs de ses déplacements dans des villes portuaires de mettre en place une politique maritime intégrée. Il est me semble-t-il vertueux que la gestion de la pêche, de la construction de navire, des énergies marines renouvelables, la protection de l'environnement marin, et de la mer ne soient plus disséminés entre plusieurs départements ministériels. Nous souhaitons ainsi promouvoir une vision intégratrice car il est une réalité trop méconnue en France : l'avenir de ce siècle passe par la mer. L'activité économique transite par les mers et nos ports. Par ailleurs, les enjeux énergétiques, nutritionnels liés à l'eau font appels non seulement à la recherche mais aussi au développement maritime. Grâce au DOM-TOM nous disposons du deuxième domaine maritime au monde. Cette réalité est trop souvent inconnue de nos concitoyens. La présidence chypriote de l'Union européenne a annoncé qu'elle souhaitait faire d'une politique maritime intégrée l'une de ses priorités. Vous le savez, en tant qu'élu de Boulogne-sur-Mer, côtoyant les élus des différentes façades maritimes, j'ai toujours eu un attachement marqué pour la mer et plus généralement pour la pêche et l'aquaculture. Ces activités sont des activités économiques importantes et structurantes pour notre littoral. La pêche a ainsi généré en 2010 plus d'un milliard d'euros de chiffre d'affaires et plus de 90 000 emplois directs et induits. L'aquaculture connaît quant à elle un chiffre d'affaires de 680 millions d'euros. En outre, ces secteurs mobilisent des activités connexes telles que la logistique et le transport. Ce sont des filières entières qui dépendent de l'activité économique maritime. Si vous ne deviez retenir qu'un chiffre de mon exposé, je voudrais que ce soit celui-là : 80 % des produits halieutiques que nous consommons aujourd'hui en France sont importés. Il est paradoxal qu'alors que nous disposons d'un tel domaine maritime, nous importions aussi massivement, d'Asie notamment.
Vous le savez la pêche française et européenne est à une période charnière de son histoire. Le 12 juin dernier a eu lieu un conseil des ministres de l'Union européenne (UE) extrêmement difficile sur l'ensemble des volets de la réforme de la politique commune de la pêche (PCP), c'est-à-dire le règlement de base, l'organisation commune des marchés (OCM) et le nouveau fonds pour les affaires maritimes et la pêche – le FEAMP.
Je souhaite tout d'abord vous faire part de ma vision sur les grandes lignes de cette réforme, et plus généralement sur la pêche. Je considère que la PCP ne doit pas opposer les dimensions économique et écologique de la pêche. La future PCP doit permettre de maintenir un taux d'emploi élevé sur le littoral et au sein de la filière pêche, tout en assurant une protection adéquate des ressources de la mer. S'agissant de la question essentielle de la durabilité, il convient de noter que, contrairement aux idées reçues, la situation des stocks de poissons dans les eaux de l'UE s'améliore. J'ai eu l'occasion de le dire lors du dernier conseil des ministres de l'UE. 27 % des stocks étaient au rendement maximum durable (RMD) – qui est le niveau maximum d'exploitation d'un stock qui garantisse son renouvellement et donc sa durabilité – il y a encore quelques années, nous en avons désormais 53 %. Des efforts restent certes à faire, mais il faut saluer la prise de conscience des professionnels et l'évolution de la réglementation. Cette évolution doit se poursuivre et c'est l'objet des discussions sur les quotas et taux admissibles de capture (TAC). D'autre part, nous devons encore améliorer notre connaissance sur certains stocks halieutiques. Les travaux des scientifiques, en partenariat avec les pêcheurs, doivent être poursuivis et renforcés.
Le conseil des ministres en charge de la pêche du 12 juin dernier constitue une étape importante dans le processus de réforme de la PCP qui se décidera selon la procédure de codécision. Nous avons passé lors de ce dernier Conseil vingt heures de négociation âpres et difficiles. Cela nous a permis d'amender et d'améliorer le texte initial de la Commission européenne. L'orientation adoptée récemment par le Conseil n'est pas définitive et j'espère que le Parlement européen pourra à son tour amender et améliorer le texte. Tant sur cette question que sur celle de la pêche en eaux profondes, je compte sur la mobilisation des parlementaires européens. Concernant la question de l'organisation commune des marchés, le compromis auquel nous avons abouti est proche des positions que j'avais défendues au nom de la France et je m'en félicite. Il devrait permettre de donner davantage poids aux organisations de producteurs et de permettre une meilleure information du consommateur. Je vous avoue avoir été surpris par la frilosité de la Commission européenne sur ces sujets, et notamment sur celui de la traçabilité. S'agissant de la question du RMD, nous avons obtenu un résultat satisfaisant, à la fois ambitieux et équilibré. Ce RMD sera atteint de manière progressive en 2015, lorsque c'est possible, et en 2020 au plus tard. Cette flexibilité permettra donc une transition en souplesse pour les pêcheurs.
Je me suis également fermement opposé à l'introduction obligatoire d'un système de concessions de pêche transférables (CPT). Ce système est incompatible avec la conception et l'organisation française en matière de gestion des pêches. Il entraînerait une privatisation des droits d'accès, alors que la ressource halieutique est un bien collectif. Il favoriserait en outre la spéculation et la concentration des possibilités de pêche, au détriment des unités artisanales les plus fragiles. C'est pourquoi nous avons obtenu que chaque État membre définisse son propre système d'attribution des droits de pêche en partenariat avec les organisations de professionnels, conformément au principe de subsidiarité. Dans ce cadre, je suis attaché à une gestion collective de la ressource, sous le contrôle de l'État, en particulier par le biais des organisations de producteurs.
Nous avons également avancé sur la mise en place d'une approche régionalisée de la PCP, afin de prendre dûment en compte les propositions des pêcheurs et des autres parties prenantes, qui connaissent les réalités du terrain. Dans le respect du droit d'initiative de la Commission européenne, les États pourront coopérer entre eux, en étroite concertation avec les conseils consultatifs régionaux, afin de proposer des mesures de gestion adaptées aux réalités des pêcheries.
Une part important des avancées obtenues de haute lutte durant ce conseil marathon concerne l'Outre-Mer. Je tiens en effet à souligner que nous sommes peu nombreux au sein du Conseil à être directement concernés par cet enjeu et la Commission comme les autres États membres ne manifestent qu'un intérêt limité à ce sujet. Nous avons toutefois obtenu la mise en place de conseils consultatifs spécifiques pour les régions ultrapériphériques (RUP), ce qui renforcera la représentativité de ces régions et leur poids dans la réforme de la PCP. Par ailleurs, nous avons obtenu que le régime spécifique de protection des eaux côtières jusqu'à 100 miles nautiques, réservé jusqu'à présent aux RUP de l'Espagne et du Portugal, soit étendu aux RUP françaises.
Le sujet le plus sensible de la proposition de la Commission concerne l'interdiction des rejets en mer. Toute réduction significative de ces rejets doit s'inscrire dans le cadre d'une démarche réaliste et pragmatique. C'est pourquoi j'ai déjà indiqué à de nombreuses reprises mes inquiétudes quant à une approche trop radicale. Pour être tout à fait clair, l'état actuel des alliances au sein de l'UE indique qu'une majorité d'États membres est favorable au principe d'interdiction des rejets. Nous devons dès lors avoir pour objectif un compromis acceptable, qui introduirait de la progressivité et de la souplesse dans l'interdiction des rejets. Les causes de ces rejets sont multiples, et parfois générées par la réglementation européenne elle-même (quotas insuffisants, respect des tailles minimales, respect des mesures techniques). Nous avons obtenu que l'interdiction soit mise en oeuvre de manière progressive d'ici 2018 ou 2019 en fonction des zones de pêche. Nous avons également obtenu d'autres flexibilités qui ne figuraient pas dans le texte initial.
Les discussions sont toujours en cours s'agissant de l'instrument financier – le FEAMP. Je considère que l'accompagnement du secteur face aux enjeux de la réforme de la PCP doit être l'une de nos priorités. Le FEAMP doit aussi soutenir la modernisation des navires, à capacité de pêche constante, car notre flotte est vieillissante - 25 ans en moyenne - et inadaptée aux défis environnementaux et économiques qui se posent à elle. Cette question est d'ailleurs très liée à celle de l'interdiction des rejets. Des aides publiques au renouvellement de la pêche existent en Bretagne et je m'intéresse beaucoup à ces exemples. En marge du dernier Conseil, nous avons souhaité, à l'initiative de la France et de la Pologne et avec six de mes homologues européens, envoyer un signal fort à la Commission européenne en cosignant une position conjointe sur le FEAMP. C'est une solide minorité de blocage qui permettra d'obtenir des inflexions dans l'approche de la Commission.
Je reviendrai plus en détails sur ces sujets ainsi que sur le débat majeur concernant la pêche en eaux profondes si vous avez, ce dont je ne doute pas, des questions à ce sujet.