J'ai accepté avec beaucoup de plaisir votre aimable invitation.
D'une part, je tiens beaucoup au dialogue permanent et amical avec la France en matière de réponse aux crises. Depuis vingt ans, l'Union européenne est devenue une source importante d'aide d'urgence dans le monde entier. Avec un budget de 1,3 milliard d'euros, la direction générale à l'aide humanitaire et à la protection civile de l'Union européenne a fourni, l'année dernière, une assistance à 150 millions de personnes. Dans ce contexte, il me paraît indispensable de travailler avec un État membre tel que la France, qui a une tradition particulièrement forte en matière d'action humanitaire. C'est pour moi un privilège de travailler avec des collègues français. Je suis très heureuse, à cet égard, que mon directeur de cabinet soit français.
D'autre part, je me suis rendue deux fois au Mali au cours des derniers mois, respectivement avant et après l'intervention française, et j'ai constaté que la situation avait évolué de manière frappante. Lors de ma première visite, en décembre dernier, le contexte était plus que sombre : le désespoir et le désarroi étaient palpables à Bamako. Surtout, l'idée que la reconquête du nord du pays par les forces des pays voisins pourrait attendre jusqu'en septembre 2013 et que les islamistes ne bougeraient pas dans l'intervalle apparaissait tout sauf crédible. Le 22 janvier dernier, lors de mon second déplacement – que j'ai d'ailleurs prolongé par une visite conjointe avec M. Pascal Canfin au Burkina Faso, notamment dans un camp de réfugiés maliens –, l'ambiance était évidemment transformée. Les défis et les menaces pour l'avenir restaient très grands, mais un espoir et des perspectives s'ouvraient. Sans l'action de la France, tel n'aurait pas été le cas. Je tenais à le dire clairement et de prime abord : la population du Mali et la communauté internationale sont reconnaissantes à la France de l'action qu'elle a engagée avec détermination le 11 janvier dernier.
Je suis très heureuse que vous m'ayez invitée pour parler du Sahel et, plus spécifiquement, du Mali. Le Sahel au sens large requiert toute notre attention et notre engagement. La région a été frappée par trois sécheresses sévères en sept ans – en 2005, 2010 et 2012 – et les populations n'ont, à chaque fois, guère eu le temps de s'en remettre. De plus, le retour des travailleurs migrants de Libye a constitué une contrainte supplémentaire pour beaucoup de pays du Sahel, au premier rang desquels le Mali. Comme vous l'avez dit, madame la présidente, nous assistons, au Mali, à la conjonction de trois crises : une crise alimentaire, une crise politique et un conflit armé.
Si nous concentrons aujourd'hui notre attention sur le Mali compte tenu de l'urgence – qu'il convient d'ailleurs de ne pas sous-estimer –, nous ne devons pas oublier pour autant le contexte plus large du Sahel. Pour la Commission européenne et sa direction générale à l'action humanitaire et à la protection civile (ECHO), le Sahel est et restera une priorité majeure.
Quelle est la situation humanitaire au Mali actuellement et que fait la Commission européenne pour y faire face ? Nous avons assisté à une montée en puissance des besoins humanitaires tout au long de l'année 2012. Pour une grande part, notre action au Mali était définie par une situation humanitaire antécédente à l'intervention française. Cela étant, cette dernière nous permet désormais de mieux répondre à certains besoins humanitaires grâce à un meilleur accès. Au Mali, plus de quatre millions de personnes n'ont pas suffisamment à manger. La situation est particulièrement préoccupante dans le nord du pays. Nous avons tendance à l'oublier : après la Somalie, c'est au Mali que la mortalité des enfants âgés de moins de cinq ans est la plus élevée. Compte tenu des effets cumulés du changement climatique et d'une croissance démographique très rapide, 200 000 à 300 000 enfants sont touchés par la malnutrition chaque année et ont besoin de notre aide.
Aujourd'hui, nous sommes confrontés à trois défis majeurs. Le premier est de faire parvenir l'assistance aux populations du nord du Mali. Nous avons continué à le faire, avec persévérance et malgré les difficultés, lorsque la région était contrôlée par les extrémistes. Mais nous devons désormais faire plus. Ainsi, l'année dernière, nous n'avons pas été en mesure de vacciner tous les enfants. En conséquence, une épidémie de rougeole sévit dans certaines zones du Nord et fait des victimes parmi les enfants. En outre, la fermeture fréquente, pour des raisons de sécurité, des routes d'accès au Mali – en particulier celle de la frontière algérienne – complique l'acheminement de l'aide humanitaire. Enfin, des engins explosifs artisanaux sont disséminés dans toute cette partie du pays. Nous le savons d'expérience : nous devons, d'une part, sensibiliser les populations locales, en particulier les enfants, au danger qu'ils représentent et, d'autre part, prendre en charge leur élimination.
Le deuxième défi est – il convient de ne pas l'oublier – la situation humanitaire dans le reste d pays au sud. Pour les populations de cette région, en particulier les enfants, la présence de 227 000 déplacés internes – arrivés en grande majorité au cours de l'année 2012, même si 14 000 d'entre eux se sont ajoutés depuis le 11 janvier 2013 – représente un lourd fardeau.
Le troisième défi est l'aide aux 167 000 réfugiés maliens, dont 22 000 sont arrivés depuis le 11 janvier 2013. La plupart des pays qui les accueillent – Burkina Faso, Niger, Mauritanie – sont eux-mêmes très pauvres. Les réfugiés que M. Canfin et moi-même avons rencontrés au Burkina Faso nous ont fait part de leur volonté de rentrer chez eux, une fois la paix revenue au Mali. Toutefois, ils sont prudents et ne sont pas pressés : ils attendent que les conditions s'améliorent et sont conscients que des règlements de compte mortels se produiront inévitablement. Certes, des réfugiés commencent à rentrer au compte-gouttes. Cependant, à ce stade, le nombre d'habitants qui quittent le nord du pays est toujours supérieur à celui des déplacés qui y reviennent – ces derniers seraient environ 6 000.
Quelle a été l'action de la direction générale à l'aide humanitaire et à la protection civile (ECHO)? Nous avons fourni une aide d'urgence aux plus vulnérables. Nous avons, depuis le début de la crise, engagé 115 millions d'euros à cette fin, dont 100 proviennent du budget de la direction générale et 15 des fonds d'aide au développement. À mesure que les crédits sont consommés, nous faisons en sorte d'en trouver de nouveaux, pour que le financement ne soit pas une contrainte. Je vous annonce que nous venons d'ailleurs de débloquer 22 millions d'euros supplémentaires.
Ces fonds nous ont permis de répondre aux besoins élémentaires des personnes déplacées dans le Sud et des 167 000 réfugiés dans les trois pays voisins. En outre, nous avons aidé les ONG à maintenir les services de base au Mali. Ainsi, dans le nord du pays, 80 % des cliniques continuent à fonctionner grâce à notre assistance. À Tombouctou, après l'éclatement de la crise, nous sommes parvenus à maintenir l'approvisionnement en eau et avons ainsi prévenu une probable épidémie de choléra et d'autres maladies. Nous avons également aidé le Comité international de la Croix-Rouge à fournir une aide alimentaire à 500 000 personnes dans le Nord et avons permis la survie de 60 000 enfants qui souffraient de malnutrition sévère.
Il est essentiel que l'Union européenne soit présente. Mon équipe travaille avec les organes des Nations unies et les ONG. Nous militons avec eux en faveur de l'accès aux civils et de leur protection.
De plus, l'action humanitaire n'est qu'un volet de la politique de l'Union européenne au Mali. En matière militaire, la France – nous l'en félicitons – a pris la direction des opérations. Pour sa part, l'Union européenne vient de lancer une mission de formation de l'armée malienne : il convient de former les soldats maliens non seulement à se battre, mais également à protéger les populations civiles. Par ailleurs, nous avons relancé l'aide au développement et la coopération : nous consacrons 250 millions d'euros à la reconstruction de l'État et venons de débloquer 20 millions d'euros supplémentaires provenant de l'instrument de stabilité pour permettre aux autorités locales de retrouver un fonctionnement normal dans le nord du pays.
Quelles sont nos priorités pour l'avenir ? Nous continuerons, bien sûr, à aider les populations les plus vulnérables. Mais nous devons également assurer une transition en douceur de l'aide d'urgence vers la réhabilitation et le développement. Nous en avons d'ailleurs déjà discuté avec les ministres européens chargés du développement – dont M. Canfin – à Dublin la semaine dernière. Il s'agit de rétablir rapidement certains services – la fourniture d'eau et d'électricité, le système éducatif – dans des régions comme Tombouctou ou Gao. Il est primordial que la société fonctionne à nouveau.
C'est également essentiel pour le retour des réfugiés. Je suis très attentive à ce problème : nous devons alléger le fardeau que constituent les réfugiés pour les pays voisins. Lorsqu'on installe des camps dans des zones pauvres, les réfugiés – qui ont accès à la nourriture, à l'eau, aux soins médicaux et à une éducation pour leurs enfants – ne sont guère incités à rentrer chez eux. C'est pourquoi nous devons rendre leurs régions d'origine aussi attractives que les camps. Nous continuerons néanmoins, bien sûr, à aider les camps de réfugiés aussi longtemps que nécessaire.
L'amélioration de la situation des droits de l'homme au Mali constitue également – vous y serez sans doute sensibles – l'une de nos priorités. Plusieurs rapports ont fait état d'actes de vengeances dans le nord du pays. Quelle que soit la gravité des exactions commises initialement, y compris à l'encontre de l'armée malienne, elle ne justifie pas de telles représailles. Les prévenir n'est pas chose aisée dans un pays qui connaît depuis longtemps des tensions entre les différents groupes ethniques – populations de couleur, Touaregs, Arabes. Le Premier ministre malien, en visite hier à Bruxelles, a rappelé qu'on ne répare pas une injustice par une autre et qu'il convient d'empêcher les atteintes aux droits de l'homme. L'Union européenne aide déjà les Nations unies à surveiller la situation de ce point de vue.
S'agissant du Sahel, vous l'avez dit, madame la présidente : la région a été soumise à des conditions climatiques très dures et à l'extrémisme des hommes, et la situation humanitaire a été encore aggravée par la crise malienne. Lorsque la sécheresse a sévi au début de l'année 2012, l'Union européenne a mobilisé une aide très importante de 337 000 millions d'euros pour empêcher – avec succès – une catastrophe humanitaire. Certes, la pluie est revenue depuis, mais la région demeure très vulnérable.
Au Sahel, nous devons avant tout renforcer la résilience des pays et des sociétés de la région, c'est-à-dire leur capacité à résister aux chocs climatiques à venir. À cet égard, au-delà de notre réponse à la situation d'urgence, nous avons lancé, en juin 2012 à Bruxelles, l'initiative AGIR-Sahel – alliance globale pour l'initiative résilience au Sahel.
Notre objectif est d'éradiquer la famine en vingt ans. À chaque fois que je me suis rendue au Niger, j'ai manifesté aux autorités nigériennes mon soutien à leur initiative « 3N » – « les Nigériens nourrissent les Nigériens ». C'est exactement ce que nous devons faire : aider les pays du Sahel à garder leur population ; promouvoir une agriculture résiliente, en particulier résistante à la sécheresse et aux inondations ; créer des filets de sécurité pour les plus vulnérables. Nous devons faire en sorte que, lorsqu'une crise frappe, ces derniers – les enfants, les femmes, les personnes âgées, les handicapés – n'en paient pas le prix fort. Dans toutes les crises que j'ai connues, 80 % des victimes provenaient des 20 % de la population les plus vulnérables. Il convient de les identifier, de les localiser et de mieux les protéger.
Nous sommes en train de recenser les actions qui sont déjà menées en matière de renforcement de la résilience – le concept n'est pas nouveau. En revanche, il y a urgence à agir. Nous sommes engagés aux côtés des gouvernements de la région et je suis convaincue que nous enregistrerons des progrès pour peu que nous les aidions pendant une période suffisamment longue.
Que pouvons-nous faire en matière de renforcement de la résilience ? Dans certaines régions du Burkina Faso, nous avons versé des subventions aux femmes enceintes et à celles qui élèvent des enfants de moins de cinq ans pour leur permettre de consulter gratuitement un médecin quand leur enfant montrait de premiers signes de malnutrition. Cela a fait baisser de 13 % la mortalité infantile.
Prenons, en outre, l'exemple des bracelets dits « MUAC » – mid-upper arm circumference – qui permettent de mesure la circonférence du bras des enfants âgés de 9 à 59 mois. Si la circonférence mesurée est supérieure à une certaine valeur, cela signifie que l'enfant est en bonne santé. À l'opposé, si elle est inférieure à une autre valeur donnée, il souffre de malnutrition sévère et risque de mourir. La « zone de résilience » est l'intervalle qui sépare ces deux valeurs. Si l'enfant se trouve dans cette zone, l'aide qu'il est nécessaire de lui apporter coûtera dix euros. S'il est en deçà, elle coûtera deux cents euros. La résilience revêt donc aussi une certaine importance du point de vue du contribuable européen.
L'initiative AGIR-Sahel doit devenir un outil de transformation de la région. Nous comptons sur la France pour qu'elle y prenne toute sa part.