Audition, ouverte à la presse, de Mme Kristalina Georgieva, Commissaire européenne à la coopération internationale, à l'aide humanitaire et la réaction aux crises, sur l'action humanitaire de l'Union européenne au Sahel
La séance est ouverte à dix-sept heures.
Je vous remercie, madame la commissaire, d'avoir accepté notre invitation et de venir nous présenter l'action humanitaire de la Commission européenne, en particulier au Sahel. Le mercredi 27 février prochain, l'Assemblée débattra, en séance plénière, des perspectives de développement et de reconstruction au Mali, dans le cadre de la semaine de contrôle. Une partie importante du débat sera d'ailleurs réservée aux questions des députés, après les interventions du Gouvernement et des groupes politiques. Il nous a paru utile de vous auditionner, madame la commissaire, afin de préparer cette séance. Nous recevrons également, demain après-midi, le ministre délégué chargé du développement, M. Pascal Canfin. En revanche, M. Piebalgs, commissaire européen au développement, n'a pas pu réserver une suite favorable à notre invitation compte tenu de son agenda.
Le Sahel est confronté, depuis au moins 2011, à une nouvelle crise alimentaire, encore aggravée par le conflit au Mali. Si, grâce aux bonnes récoltes de la fin de l'année 2012, cette crise apparaît aujourd'hui moins aiguë, les difficultés de fond demeurent : d'après l'ONU, dix millions de personnes seraient actuellement en situation d'insécurité alimentaire au Sahel et quelque quatre millions d'enfants de moins de cinq ans y souffriraient de malnutrition.
Plusieurs facteurs font de cette partie de l'Afrique une région à haut risque du point de vue humanitaire. Le premier est climatique : la progression de la sécheresse et de la désertification exposent le Sahel à une insécurité alimentaire chronique ; du Sénégal au Tchad, environ 19 millions de personnes sont menacées par la famine.
D'autres raisons sont politiques : la crise au Mali a provoqué de vastes mouvements de populations du nord vers le sud du pays, d'une part, et du Mali vers les pays voisins – Mauritanie, Niger, Burkina Faso, Algérie –, d'autre part. On évalue le nombre de personnes déplacées à environ 350 000 – 200 000 au Mali et 150 000 dans les pays voisins – depuis le début de la crise. En outre, la reprise des combats a suscité de nouveaux déplacements de populations et rendu plus urgente la nécessité d'une réponse à la crise, alors même que l'intervention militaire complique l'action des organisations humanitaires.
Pouvez-vous, madame la commissaire, nous décrire la situation au Sahel et nous présenter l'action que vous avez menée depuis un an, tant au Mali que dans les pays voisins ? Les responsables nigériens, que nous avons reçus, ont été très élogieux sur l'action de l'Union européenne dans leur pays.
En outre, quels moyens mettez-vous en oeuvre ? Quelles sont vos modalités d'action ?
Enfin, quelle approche la Commission a-t-elle de la problématique du Sahel sur le long terme, une fois que la phase la plus aiguë de la crise sera passée ? Comment votre action s'articule-t-elle, à cet égard, avec celle de votre collègue chargé du développement, M. Piebalgs ?
J'ai accepté avec beaucoup de plaisir votre aimable invitation.
D'une part, je tiens beaucoup au dialogue permanent et amical avec la France en matière de réponse aux crises. Depuis vingt ans, l'Union européenne est devenue une source importante d'aide d'urgence dans le monde entier. Avec un budget de 1,3 milliard d'euros, la direction générale à l'aide humanitaire et à la protection civile de l'Union européenne a fourni, l'année dernière, une assistance à 150 millions de personnes. Dans ce contexte, il me paraît indispensable de travailler avec un État membre tel que la France, qui a une tradition particulièrement forte en matière d'action humanitaire. C'est pour moi un privilège de travailler avec des collègues français. Je suis très heureuse, à cet égard, que mon directeur de cabinet soit français.
D'autre part, je me suis rendue deux fois au Mali au cours des derniers mois, respectivement avant et après l'intervention française, et j'ai constaté que la situation avait évolué de manière frappante. Lors de ma première visite, en décembre dernier, le contexte était plus que sombre : le désespoir et le désarroi étaient palpables à Bamako. Surtout, l'idée que la reconquête du nord du pays par les forces des pays voisins pourrait attendre jusqu'en septembre 2013 et que les islamistes ne bougeraient pas dans l'intervalle apparaissait tout sauf crédible. Le 22 janvier dernier, lors de mon second déplacement – que j'ai d'ailleurs prolongé par une visite conjointe avec M. Pascal Canfin au Burkina Faso, notamment dans un camp de réfugiés maliens –, l'ambiance était évidemment transformée. Les défis et les menaces pour l'avenir restaient très grands, mais un espoir et des perspectives s'ouvraient. Sans l'action de la France, tel n'aurait pas été le cas. Je tenais à le dire clairement et de prime abord : la population du Mali et la communauté internationale sont reconnaissantes à la France de l'action qu'elle a engagée avec détermination le 11 janvier dernier.
Je suis très heureuse que vous m'ayez invitée pour parler du Sahel et, plus spécifiquement, du Mali. Le Sahel au sens large requiert toute notre attention et notre engagement. La région a été frappée par trois sécheresses sévères en sept ans – en 2005, 2010 et 2012 – et les populations n'ont, à chaque fois, guère eu le temps de s'en remettre. De plus, le retour des travailleurs migrants de Libye a constitué une contrainte supplémentaire pour beaucoup de pays du Sahel, au premier rang desquels le Mali. Comme vous l'avez dit, madame la présidente, nous assistons, au Mali, à la conjonction de trois crises : une crise alimentaire, une crise politique et un conflit armé.
Si nous concentrons aujourd'hui notre attention sur le Mali compte tenu de l'urgence – qu'il convient d'ailleurs de ne pas sous-estimer –, nous ne devons pas oublier pour autant le contexte plus large du Sahel. Pour la Commission européenne et sa direction générale à l'action humanitaire et à la protection civile (ECHO), le Sahel est et restera une priorité majeure.
Quelle est la situation humanitaire au Mali actuellement et que fait la Commission européenne pour y faire face ? Nous avons assisté à une montée en puissance des besoins humanitaires tout au long de l'année 2012. Pour une grande part, notre action au Mali était définie par une situation humanitaire antécédente à l'intervention française. Cela étant, cette dernière nous permet désormais de mieux répondre à certains besoins humanitaires grâce à un meilleur accès. Au Mali, plus de quatre millions de personnes n'ont pas suffisamment à manger. La situation est particulièrement préoccupante dans le nord du pays. Nous avons tendance à l'oublier : après la Somalie, c'est au Mali que la mortalité des enfants âgés de moins de cinq ans est la plus élevée. Compte tenu des effets cumulés du changement climatique et d'une croissance démographique très rapide, 200 000 à 300 000 enfants sont touchés par la malnutrition chaque année et ont besoin de notre aide.
Aujourd'hui, nous sommes confrontés à trois défis majeurs. Le premier est de faire parvenir l'assistance aux populations du nord du Mali. Nous avons continué à le faire, avec persévérance et malgré les difficultés, lorsque la région était contrôlée par les extrémistes. Mais nous devons désormais faire plus. Ainsi, l'année dernière, nous n'avons pas été en mesure de vacciner tous les enfants. En conséquence, une épidémie de rougeole sévit dans certaines zones du Nord et fait des victimes parmi les enfants. En outre, la fermeture fréquente, pour des raisons de sécurité, des routes d'accès au Mali – en particulier celle de la frontière algérienne – complique l'acheminement de l'aide humanitaire. Enfin, des engins explosifs artisanaux sont disséminés dans toute cette partie du pays. Nous le savons d'expérience : nous devons, d'une part, sensibiliser les populations locales, en particulier les enfants, au danger qu'ils représentent et, d'autre part, prendre en charge leur élimination.
Le deuxième défi est – il convient de ne pas l'oublier – la situation humanitaire dans le reste d pays au sud. Pour les populations de cette région, en particulier les enfants, la présence de 227 000 déplacés internes – arrivés en grande majorité au cours de l'année 2012, même si 14 000 d'entre eux se sont ajoutés depuis le 11 janvier 2013 – représente un lourd fardeau.
Le troisième défi est l'aide aux 167 000 réfugiés maliens, dont 22 000 sont arrivés depuis le 11 janvier 2013. La plupart des pays qui les accueillent – Burkina Faso, Niger, Mauritanie – sont eux-mêmes très pauvres. Les réfugiés que M. Canfin et moi-même avons rencontrés au Burkina Faso nous ont fait part de leur volonté de rentrer chez eux, une fois la paix revenue au Mali. Toutefois, ils sont prudents et ne sont pas pressés : ils attendent que les conditions s'améliorent et sont conscients que des règlements de compte mortels se produiront inévitablement. Certes, des réfugiés commencent à rentrer au compte-gouttes. Cependant, à ce stade, le nombre d'habitants qui quittent le nord du pays est toujours supérieur à celui des déplacés qui y reviennent – ces derniers seraient environ 6 000.
Quelle a été l'action de la direction générale à l'aide humanitaire et à la protection civile (ECHO)? Nous avons fourni une aide d'urgence aux plus vulnérables. Nous avons, depuis le début de la crise, engagé 115 millions d'euros à cette fin, dont 100 proviennent du budget de la direction générale et 15 des fonds d'aide au développement. À mesure que les crédits sont consommés, nous faisons en sorte d'en trouver de nouveaux, pour que le financement ne soit pas une contrainte. Je vous annonce que nous venons d'ailleurs de débloquer 22 millions d'euros supplémentaires.
Ces fonds nous ont permis de répondre aux besoins élémentaires des personnes déplacées dans le Sud et des 167 000 réfugiés dans les trois pays voisins. En outre, nous avons aidé les ONG à maintenir les services de base au Mali. Ainsi, dans le nord du pays, 80 % des cliniques continuent à fonctionner grâce à notre assistance. À Tombouctou, après l'éclatement de la crise, nous sommes parvenus à maintenir l'approvisionnement en eau et avons ainsi prévenu une probable épidémie de choléra et d'autres maladies. Nous avons également aidé le Comité international de la Croix-Rouge à fournir une aide alimentaire à 500 000 personnes dans le Nord et avons permis la survie de 60 000 enfants qui souffraient de malnutrition sévère.
Il est essentiel que l'Union européenne soit présente. Mon équipe travaille avec les organes des Nations unies et les ONG. Nous militons avec eux en faveur de l'accès aux civils et de leur protection.
De plus, l'action humanitaire n'est qu'un volet de la politique de l'Union européenne au Mali. En matière militaire, la France – nous l'en félicitons – a pris la direction des opérations. Pour sa part, l'Union européenne vient de lancer une mission de formation de l'armée malienne : il convient de former les soldats maliens non seulement à se battre, mais également à protéger les populations civiles. Par ailleurs, nous avons relancé l'aide au développement et la coopération : nous consacrons 250 millions d'euros à la reconstruction de l'État et venons de débloquer 20 millions d'euros supplémentaires provenant de l'instrument de stabilité pour permettre aux autorités locales de retrouver un fonctionnement normal dans le nord du pays.
Quelles sont nos priorités pour l'avenir ? Nous continuerons, bien sûr, à aider les populations les plus vulnérables. Mais nous devons également assurer une transition en douceur de l'aide d'urgence vers la réhabilitation et le développement. Nous en avons d'ailleurs déjà discuté avec les ministres européens chargés du développement – dont M. Canfin – à Dublin la semaine dernière. Il s'agit de rétablir rapidement certains services – la fourniture d'eau et d'électricité, le système éducatif – dans des régions comme Tombouctou ou Gao. Il est primordial que la société fonctionne à nouveau.
C'est également essentiel pour le retour des réfugiés. Je suis très attentive à ce problème : nous devons alléger le fardeau que constituent les réfugiés pour les pays voisins. Lorsqu'on installe des camps dans des zones pauvres, les réfugiés – qui ont accès à la nourriture, à l'eau, aux soins médicaux et à une éducation pour leurs enfants – ne sont guère incités à rentrer chez eux. C'est pourquoi nous devons rendre leurs régions d'origine aussi attractives que les camps. Nous continuerons néanmoins, bien sûr, à aider les camps de réfugiés aussi longtemps que nécessaire.
L'amélioration de la situation des droits de l'homme au Mali constitue également – vous y serez sans doute sensibles – l'une de nos priorités. Plusieurs rapports ont fait état d'actes de vengeances dans le nord du pays. Quelle que soit la gravité des exactions commises initialement, y compris à l'encontre de l'armée malienne, elle ne justifie pas de telles représailles. Les prévenir n'est pas chose aisée dans un pays qui connaît depuis longtemps des tensions entre les différents groupes ethniques – populations de couleur, Touaregs, Arabes. Le Premier ministre malien, en visite hier à Bruxelles, a rappelé qu'on ne répare pas une injustice par une autre et qu'il convient d'empêcher les atteintes aux droits de l'homme. L'Union européenne aide déjà les Nations unies à surveiller la situation de ce point de vue.
S'agissant du Sahel, vous l'avez dit, madame la présidente : la région a été soumise à des conditions climatiques très dures et à l'extrémisme des hommes, et la situation humanitaire a été encore aggravée par la crise malienne. Lorsque la sécheresse a sévi au début de l'année 2012, l'Union européenne a mobilisé une aide très importante de 337 000 millions d'euros pour empêcher – avec succès – une catastrophe humanitaire. Certes, la pluie est revenue depuis, mais la région demeure très vulnérable.
Au Sahel, nous devons avant tout renforcer la résilience des pays et des sociétés de la région, c'est-à-dire leur capacité à résister aux chocs climatiques à venir. À cet égard, au-delà de notre réponse à la situation d'urgence, nous avons lancé, en juin 2012 à Bruxelles, l'initiative AGIR-Sahel – alliance globale pour l'initiative résilience au Sahel.
Notre objectif est d'éradiquer la famine en vingt ans. À chaque fois que je me suis rendue au Niger, j'ai manifesté aux autorités nigériennes mon soutien à leur initiative « 3N » – « les Nigériens nourrissent les Nigériens ». C'est exactement ce que nous devons faire : aider les pays du Sahel à garder leur population ; promouvoir une agriculture résiliente, en particulier résistante à la sécheresse et aux inondations ; créer des filets de sécurité pour les plus vulnérables. Nous devons faire en sorte que, lorsqu'une crise frappe, ces derniers – les enfants, les femmes, les personnes âgées, les handicapés – n'en paient pas le prix fort. Dans toutes les crises que j'ai connues, 80 % des victimes provenaient des 20 % de la population les plus vulnérables. Il convient de les identifier, de les localiser et de mieux les protéger.
Nous sommes en train de recenser les actions qui sont déjà menées en matière de renforcement de la résilience – le concept n'est pas nouveau. En revanche, il y a urgence à agir. Nous sommes engagés aux côtés des gouvernements de la région et je suis convaincue que nous enregistrerons des progrès pour peu que nous les aidions pendant une période suffisamment longue.
Que pouvons-nous faire en matière de renforcement de la résilience ? Dans certaines régions du Burkina Faso, nous avons versé des subventions aux femmes enceintes et à celles qui élèvent des enfants de moins de cinq ans pour leur permettre de consulter gratuitement un médecin quand leur enfant montrait de premiers signes de malnutrition. Cela a fait baisser de 13 % la mortalité infantile.
Prenons, en outre, l'exemple des bracelets dits « MUAC » – mid-upper arm circumference – qui permettent de mesure la circonférence du bras des enfants âgés de 9 à 59 mois. Si la circonférence mesurée est supérieure à une certaine valeur, cela signifie que l'enfant est en bonne santé. À l'opposé, si elle est inférieure à une autre valeur donnée, il souffre de malnutrition sévère et risque de mourir. La « zone de résilience » est l'intervalle qui sépare ces deux valeurs. Si l'enfant se trouve dans cette zone, l'aide qu'il est nécessaire de lui apporter coûtera dix euros. S'il est en deçà, elle coûtera deux cents euros. La résilience revêt donc aussi une certaine importance du point de vue du contribuable européen.
L'initiative AGIR-Sahel doit devenir un outil de transformation de la région. Nous comptons sur la France pour qu'elle y prenne toute sa part.
L'initiative pour le renforcement de la résilience est, à mes yeux, très importante : nous devons donner à ces populations les moyens de s'en sortir grâce à une agriculture plus adaptée et aux actions que vous avez mentionnées. Il était question de créer un fonds fiduciaire pour la financer. Cela a-t-il été fait ou est-ce en cours ?
Vous avez rappelé, madame la commissaire, la situation de crise au Mali et au Sahel, ainsi que les mesures prises par l'Union européenne pour y répondre, en distinguant les actions urgentes des politiques à plus long terme. Nous partageons entièrement les trois objectifs que vous avez cités pour le Mali : restauration de l'intégrité territoriale ; rétablissement de la démocratie et de l'État de droit ; développement.
Néanmoins, comment s'assurer, au Mali comme au Sahel, que les fonds européens arrivent bien à destination et bénéficient à ceux qui en ont besoin ? Comment éviter leur éventuel détournement et garantir leur efficience ?
En outre, des recherches sont-elles menées pour lutter contre la sécheresse ? Des innovations techniques peuvent-elles permettre de s'en prémunir à plus long terme ?
Vous l'avez dit, madame la commissaire : notre action au Sahel s'inscrit dans le long terme. Par-delà la crise malienne, qui prendra fin un jour, les difficultés sont devant nous dans tous les pays de la région, ne serait-ce qu'en raison de taux de croissance démographique très élevés par rapport aux taux de croissance économique.
D'après ce que j'ai entendu, les fonds européens d'aide au développement ne devraient plus, à partir de 2014, être accordés aux pays à revenu intermédiaire, tels que la Chine, le Brésil ou l'Argentine. Le confirmez-vous ? Ces crédits seront-ils redéployés au profit, notamment, du Sahel ?
Dans le cadre de la nouvelle politique de renforcement de la résilience que nous avons lancée, nous avons identifié deux régions cibles : la Corne de l'Afrique avec l'initiative SHARE – Supporting Horn of Africa Resilience – et le Sahel avec l'initiative AGIR-Sahel. Cette approche permet notamment de réunir dans un même cadre de programmation des fonds humanitaires et des crédits destinés au développement.
Nous sommes plus avancés dans notre programmation pour la Corne de l'Afrique : pour les années 2013 et 2014, nous avons engagé 250 millions d'euros, qui correspondent pour moitié à des fonds reprogrammés et pour moitié à des crédits nouveaux.
Pour le Sahel, nous en sommes à l'étape précédente : nous sommes en train de recenser les activités existantes, mais n'avons pas encore déterminé les fonds supplémentaires que nous consacrerons au renforcement de la résilience. Néanmoins, nous avons déjà identifié plusieurs projets à même de servir cet objectif, moyennant quelques ajustements.
Dans le cadre de la programmation des crédits pour les années 2014 à 2020, nous prenons un engagement fort : toutes nos actions devront aider les pays concernés à relever les défis auxquels ils sont confrontés, à rendre leurs sociétés plus résilientes. Notre objectif est de dégager 500 millions d'euros pour financer AGIR-Sahel. La résilience est une problématique de long terme, mais les années 2014 à 2020 seront une période cruciale pour la montée en puissance de cette politique.
Pour répondre à M. Terrot, nous avons déjà commencé à réorienter les fonds européens de développement vers les pays les plus pauvres et allons continuer à le faire dans les années 2014 à 2020. Nous souhaitons concentrer l'aide sur les régions où les besoins sont les plus flagrants. Le Sahel en fait, à n'en pas douter, partie.
Vous avez évoqué, à juste titre, la croissance démographique. Avec des taux dépassant souvent les 3 %, les pays du Sahel – en particulier le Mali et le Niger – sont ceux où elle est la plus élevée au monde. Dans le même temps, ils sont situés dans une zone très fragile d'un point de vue écologique et déjà durement affectée par le changement climatique. Cependant, mes différentes visites au Mali, au Niger ou au Tchad m'ont redonné confiance : les dirigeants de la région sont de plus en plus conscients de ce double défi. Ainsi, une discussion animée s'est engagée entre les membres du gouvernement nigérien, lorsque j'ai soulevé, au cours d'un dîner assez formel, la question de la croissance démographique. De même, le Président tchadien a prolongé d'une heure un entretien que j'avais avec lui parce que nous avions abordé la question du changement climatique. Le moment est donc opportun pour l'Union européenne de s'engager aux côtés des pays du Sahel.
Comment nous assurer que nos crédits sont utilisés à bon escient ? Au Mali, la restauration de l'intégralité territoriale et le rétablissement de la démocratie sont des préalables. Aussi difficile cela soit-il, il est essentiel de régler les tensions entre les populations du Nord et du Sud et de résoudre la question touareg de manière pérenne. Nous ne réussirons que si les institutions étatiques sont relevées et si l'État de droit fonctionne. C'est pourquoi les fonds de développement de la Commission européenne sont accordés de manière conditionnelle dans le cadre d'un pacte pour la reconstruction de l'État – state-building compact. Si le gouvernement récipiendaire fait ce qu'il doit faire, nous débloquons les financements. Dans le cas contraire, nous ne le faisons pas.
D'une manière générale, l'Union européen a deux modus operandi pour attribuer ses fonds. Dans le domaine humanitaire, les crédits ne sont jamais versés aux gouvernements. Dans certains cas, les gouvernements sont d'ailleurs une partie du problème : il serait impensable, par exemple, que nous donnions de l'argent au gouvernement syrien. Nous travaillons donc avec des ONG humanitaires professionnelles. Nous avons, à ce titre, environ 200 partenaires et décidons de financer tel ou tel d'entre eux en fonction de ses compétences et de sa capacité à agir efficacement dans une situation donnée : « Action contre la faim » au Mali ; « ACTED » au Kirghizstan ; « Solidarités » et « Médecins sans frontières » en Syrie.
Nous prenons, en outre, deux types de mesures pour éviter les détournements de fonds. D'une part, nous déployons notre propre personnel sur les « points chauds ». La plupart des collègues de mon service sont basés non pas à Bruxelles, mais sur le terrain, à Mopti, à Bamako ou encore à Damas, où nous reviendrons bientôt. Ils sont nos yeux et nos oreilles sur le terrain. D'autre part, nous soumettons à une procédure de vérification, chaque année, un tiers de nos partenaires et un tiers de nos projets. Il est essentiel que nous nous assurions du bon usage de l'argent des contribuables européens.
Dans le domaine de la coopération et du développement, les crédits sont attribués aux gouvernements. Mais, là encore, nous envoyons de plus en plus souvent du personnel sur le terrain pour en superviser l'emploi. D'autres institutions, telles que la Banque mondiale – où j'ai passé une grande partie de ma carrière – ou la Banque africaine de développement, s'assurent de la mise en oeuvre de procédures de contrôle efficaces au cours de l'exécution des budgets nationaux. Dans le cas où nous constatons des détournements, nous ne devons pas hésiter, selon moi, à cesser tout versement. Il est souvent plus facile de le dire que de le faire, mais c'est un principe essentiel auquel nous devons nous tenir. Les parlementaires et les citoyens doivent nous aider à être fermes sur ce point.
Présidence de M. Michel Terrot, secrétaire de la Commission
Lorsque vous avez remercié la France pour son intervention au Mali, vos propos m'ont séduit, madame, mais vous m'avez davantage inquiété par la suite, car j'ai cru comprendre que vous attribuiez l'ensemble des malheurs de ce pays à la guerre que nous y menons. Il me semble pourtant qu'avant ce conflit, la situation n'était pas des plus enviables. Pourriez-vous nous préciser votre pensée sur ce point ?
Pour prolonger la question de mon collègue Michel Terrot sur l'arrêt de l'aide européenne à destination de la Chine, ne serait-il pas temps de définir des priorités, sachant que les Objectifs du millénaire ne seront pas atteints et que l'aide au développement des pays de l'Union européenne (UE) sera plus faible que prévu ? Les taux de démographie les plus élevés se constatent dans les pays les plus pauvres et les moins éduqués : c'est enfoncer une porte ouverte que de le dire, mais il est bien plus difficile de définir une politique répondant à ces enjeux. Dans ce domaine, vous restez, comme d'autres, fort silencieux.
S'agissant de l'État de droit, je rappellerai à Michel Terrot notre voyage d'études sur l'aide au développement au Vietnam. Nous y avions discuté d'un partenariat avec cet État, qui n'a pourtant rien de démocratique. Les régimes autoritaires constituent certes des interlocuteurs difficiles, mais quelques dictatures sont devenues des démocraties et plusieurs d'entre elles ont connu un réel développement, comme Saint-Domingue – notamment par rapport à Haïti –, la Corée du Sud et l'Indonésie. L'État de droit ne doit pas représenter une condition indispensable à l'attribution d'une aide à un pays – cela pourrait s'apparenter parfois à de l'ingérence.
Pourriez-vous, madame la commissaire, nous préciser les modalités de distribution des aliments ? Est-ce que seules des ONG jouent le rôle d'intermédiaire et quels sont les moyens mis en oeuvre pour vérifier que cette aide alimentaire soit bien acheminée vers les populations les plus vulnérables ? Ce contrôle est important, car ces aides ont trop souvent été réintroduites dans le circuit commercial des marchés locaux.
D'autre part, quelle est l'origine de ces produits alimentaires ? Ma question n'est pas innocente, car les pays développés envahissent les marchés africains d'aliments subventionnés qui mettent à mal l'agriculture locale et empêchent l'autosuffisance alimentaire à laquelle les Africains aspirent.
Madame la commissaire, je vous remercie, comme M. Bacquet, pour les félicitations que vous avez adressées à la France et pour la dette de gratitude contractée par l'ensemble de l'Europe que vous avez évoquée. En retour, j'aimerais savoir ce que la France peut attendre de l'Europe dans les années qui viennent. Cette opération militaire, qui n'est pas finie, coûte au moins 60 millions d'euros par mois, sans compter l'aide économique et humanitaire que le Gouvernement essaie de mobiliser dans le contexte difficile traversé par nos finances publiques.
À la tête de l'aide humanitaire à la Commission, vous venez de mobiliser une enveloppe de 115 millions d'euros pour deux ans, qui bénéficiera – si j'ai bien compris – de 20 millions d'euros supplémentaires. Une autre grosse centaine de millions d'euros devraient être débloqués pour l'aide au développement, auxquels s'ajoutent 50 millions d'euros pour la formation de l'armée malienne – montant inférieur, je le rappelle, aux dépenses militaires engagées en un mois par la France au Mali.
Dans ce contexte – et je pense traduire là les interrogations de nombreux Français –, nous sommes engagés dans une région stratégique pour la sécurité de l'Europe. La situation au Mali révèle une crise au Sahel qui ne va pas disparaître du jour au lendemain. Il s'agit en effet d'un problème qui va se poser pendant longtemps et qui concerne une région située juste en face de notre continent. Le budget européen vient d'être voté ; il ne saurait éluder la question suivante : quelle est la stratégie de l'UE dans les cinq ans qui viennent ? Combien d'argent et de personnes seront mobilisés ? L'UE va-t-elle s'engager ou va-t-elle continuer de considérer que cela ne concerne que la France ? Le Sahel connaît en effet des problèmes lourds – comme la démographie et l'implantation du fondamentalisme sur le terreau de la pauvreté et des rivalités ethniques – que nous ne découvrons pas aujourd'hui. Nous avons donc besoin de moyens humains et financiers, ainsi que d'une stratégique coordonnée à l'égard des gouvernements de la région. Avez-vous l'impression, même si l'on dépasse là largement le périmètre de vos attributions, que la Commission mène une réflexion sur ces sujets ? Qu'en pensent M. Barroso, Mme Ashton et M. Piebalgs ? Si aucune stratégie n'est développée, le contribuable français doit le savoir, puisqu'il finance 20 % de l'aide économique versée par l'UE – en plus de l'effort militaire national et de l'aide bilatérale. Telles sont les questions qui se posent à long terme et je doute que l'UE ait une réflexion sur la situation de cette région, et ce depuis longtemps.
La feuille de route de l'UE, définie par la Commission européenne, consiste à apporter secours, réhabilitation et développement au Sahel. Cette politique ne semble pas bénéficier d'un budget dédié – notamment pour les actions de redressement et de réhabilitation –, ce qui la condamne à échouer.
Dans le domaine de l'agro-écologie, des expérimentations ont fait leurs preuves au Niger, mais elles n'ont été que très peu appuyées par l'UE. Moins de 15 % des projets que l'Union finance dans ce secteur répondent en effet à des exigences écologiques et plus de la moitié utilisent beaucoup d'engrais chimiques. Autre volet de long terme, la protection sociale souffre d'un financement très faible, alors qu'elle permet aux populations de se développer et de devenir résilientes – pour reprendre votre terme. Quelle est la stratégie de l'UE en la matière et sur quel budget s'appuie-t-elle ?
Enfin, l'UE souhaite consacrer 0,56 % de son revenu national brut (RNB) à l'aide publique au développement, mais elle semble très loin d'atteindre cet objectif. Pourriez-vous nous fournir des informations sur ce sujet ?
Dans l'étude rédigée par la direction générale des politiques externes de l'Union du Parlement européen, intitulée Une stratégie cohérente de l'Union européenne pour le Sahel, il est demandé à l'UE d'établir avec l'Algérie un partenariat différencié, qui tienne compte des spécificités historiques, économiques, et sociologiques de l'Algérie, acteur majeur de la région. Membre, comme MM. Dufau et Poniatowski, d'une mission d'information sur l'Algérie, je souhaiterais savoir si ce partenariat différencié a été mis en place et, s'il l'a été, connaître les avancées qu'il a permises ?
Il faudrait que je me renseigne pour vous répondre précisément sur le partenariat différencié avec l'Algérie qui n'entre pas dans mon portefeuille. Je vous transmettrai les informations dès que je les aurai récoltées.
En tant que commissaire à l'aide humanitaire, je partage le point de vue selon lequel le Sahel doit représenter une priorité pour l'Europe et je compte le défendre au sein de l'UE. Cette région fait face à de nombreuses difficultés qui vont probablement s'accroître à l'avenir. L'UE a développé une stratégie pour le Sahel, mais elle doit s'enrichir de nouveaux programmes – voyez là le fruit de mon expérience à la Banque mondiale.
La misère de la population malienne nous a incité à faire davantage pour ce pays dans la programmation budgétaire de la période 2014-2020. L'attente de la France en matière d'augmentation des ressources investies par l'UE dans cette région est justifiée, non seulement parce que votre pays contribue à 20 % du budget de l'Union, mais également parce que le Sahel possède un caractère stratégique pour l'Europe. Nous touchons là à la sphère de nos intérêts et pas seulement à celle de l'amitié.
L'aide humanitaire attribuée à cette région démontre l'importance qu'elle revêt à nos yeux. Ainsi, nous n'avons jamais autant dépensé pour le Sahel qu'en 2012. Nous avons consacré 1,3 milliard d'euros l'année dernière pour faire face aux catastrophes, notamment climatiques, advenues dans le monde. Le Sahel a bénéficié d'une part significative de cette aide – 337 millions d'euros – afin d'éviter que ne s'y reproduise la situation de la Corne de l'Afrique. Au sein de cette enveloppe, 115 millions d'euros ont été investis au Mali. Nous souhaitons poursuivre – et même accroître – cet effort afin que cette région puisse se relever. Aux fonds mobilisés pour la formation des troupes maliennes, il convient d'ajouter 20 millions d'euros provenant, entre autres, de l'instrument de stabilité.
Comme j'ai eu l'occasion de le dire à M. Canfin, ministre délégué chargé du développement, nous allons tout faire pour aider la région sur le plan humanitaire. La difficulté principale réside dans les capacités d'absorption de cette manne par ces pays. S'agissant de l'aide alimentaire, la politique de l'UE consiste à fournir de l'argent et des bons alimentaires aux populations plutôt que des denrées, afin que les aliments soient achetés sur les marchés locaux. Notre action repose sur le soutien à l'agriculture locale et sur la lutte contre la dépendance à l'aide extérieure. Elle a été définie à la suite de notre participation à la Convention internationale sur l'aide alimentaire. Nous travaillons avec des organisations spécialisées et contrôlons l'action de nos partenaires afin de nous assurer de la distribution effective de nos aides. Nous ne procurons des vivres que dans les régions où l'agriculture locale a disparu.
Certains pays ont atteint quelques Objectifs du millénaire. Comment allons-nous poursuivre ces efforts au-delà de 2015 ? Répondre à cette question est essentiel, car la pauvreté n'est pas seulement mauvaise d'un point de vue moral, elle nourrit également l'extrémisme et le terrorisme qui mettent en péril notre sécurité.
Un consensus existe maintenant pour reconnaître que les cibles en matière de lutte contre la pauvreté ne peuvent être isolées des autres objectifs de la politique de développement. Ainsi, le changement climatique constituera le plus grand défi à l'avenir. Nous devons donc élaborer de nouveaux projets qui le prennent en compte. Notre dessein vise à éradiquer la pauvreté et la faim, dont la persistance ne devrait pas être acceptée par les hommes et les femmes du XXIe siècle. Pour ce faire, nous avons besoin de trouver de nouveaux financements qui ne proviennent pas seulement des donateurs traditionnels – les Européens, les Américains, les Australiens, les Japonais –, mais également des pays qui se sont récemment enrichis. Nous devons porter ce message à la Chine, au Brésil, à la Russie et à l'Inde – même si cette dernière doit d'abord faire face à la pauvreté de son peuple.
Il peut s'avérer parfois plus facile de travailler avec des régimes non démocratiques. Cependant, la démocratie est bien plus bénéfique à terme. Je viens d'un pays qui a été de l'autre côté du rideau de fer et suis donc particulièrement sensible au respect du droit des peuples à vivre et s'exprimer librement. Nous avons l'obligation de promouvoir un système politique dans lequel chacun peut être entendu.
Je n'hésite pas à faire état des menaces que fait peser sur le destin des populations une croissance démographique mal maîtrisée. Lors d'une conférence à Addis-Abeba, tenue à un moment où la famine frappait durement la Somalie et la Corne de l'Afrique, je n'ai pas voulu éluder la question démographique, car une telle attitude n'aurait rendu service à personne. J'ai ainsi expliqué que lorsque le Kenya est devenu indépendant, sa population était à peine supérieure à celle de mon pays, la Bulgarie : 8,1 millions d'habitants contre 7,9. Aujourd'hui, le Kenya compte 40 millions d'habitants, quand la Bulgarie n'est peuplée que de 7,5 millions de personnes – trajectoire révélant d'ailleurs un problème d'une nature différente. J'ai expliqué que je n'imaginais pas à quoi ressemblerait mon pays si 40 millions d'individus y vivaient. Ces mots m'ont valu des applaudissements de la part des représentants des pays africains qui sont même venus me remercier à la fin de la conférence. L'UE agit pour aider les pays concernés à régler ce problème, l'assistance humanitaire ne constituant qu'une partie de cette politique. À titre d'exemple, nous soutenons un programme au Tchad qui consiste à donner une chèvre – animal très important dans ce pays – à un enfant qui termine sa sixième année d'école, afin de les encourager à poursuivre leurs études. L'un des axes de notre politique est de soutenir la scolarisation des filles. Au Niger, nous appuyons un programme qui permet d'accroître le contrôle des naissances. Dans une des cliniques mettant en oeuvre cette politique, j'ai rencontré l'imam local qui m'a expliqué son soutien à cette action par un verset du Coran stipulant que les naissances devaient être espacées pour la santé de la mère et des enfants. Je suis néanmoins d'accord sur le fait que nous devons faire davantage pour accompagner ces sociétés.
Je n'ai pas répondu à la question portant sur la recherche et l'innovation sur le développement de la résistance à la sécheresse, car ce sujet relève du portefeuille de la recherche, mais je sais que l'attention et le financement accordés à ces thèmes augmentent.
En guise de conclusion, je tiens à réitérer ma gratitude envers la France pour son action au Sahel et, plus spécifiquement, au Mali. Je peux vous assurer que votre pays ne se tient pas seul dans ce combat. La Commission européenne s'engage pour transformer le destin du Mali et celui de la région tout entière. Je nourris de grands espoirs dans la réussite du programme AGIR-Sahel, centré sur le développement économique et social. L'aide au développement de l'UE doit atteindre 0,7 % de son RNB et nous avons tous un effort à fournir pour atteindre ce niveau qui nous engage.
La séance est levée à dix-huit heures vingt.