Intervention de Serge Michailof

Réunion du 20 février 2013 à 16h30
Commission des affaires étrangères

Serge Michailof :

Merci M. le Président. J'ai pris connaissance à l'instant des initiatives du Ministre, qui me paraissent aller dans le bon sens. Sur le court-terme, nous devons remettre en route les principaux services publics –eau et électricité- et sauver la campagne agricole, une partie des exploitations ayant été détruites. Il faut pour cela distribuer les semences et le petit outillage en temps utile.

Mon exposé a une ambition un peu différente. Je voudrais vous faire part de mon expérience dans un pays en situation de post-conflit : j'ai travaillé sur une douzaine de missions en Afghanistan entre 2002 et 2008 et une quinzaine en République Démocratique du Congo, et je suis avec beaucoup d'attention ces problèmes de sortie de crise, qui est un domaine dans lequel les organisations d'aide n'ont pas encore fait la preuve de leur performance.

Malgré un contexte humain et géographique différent, le nord du Sahel et l'Afghanistan partagent de nombreuses similitudes. J'ai toujours dit qu'au Mali, les choses pourraient rapidement déraper – ce qui est arrivé beaucoup plus dramatiquement que je ne l'imaginais.

Tout d'abord, le Sahel et l'Afghanistan sont deux zones dans lesquelles l'Etat est absent de longue date. La deuxième similitude est la population, qui connaît une croissance prodigieuse. L'ensemble des pays sahéliens est actuellement dans une impasse démographique. Le Niger avait 3 millions d'habitants à son indépendance, 7 à 8 millions dans les années 1980. Il en a aujourd'hui aux alentours de 15 millions et en aura, d'après les prévisions, entre 45 et 50 millions en 2050 – sachant que des crises et des drames empêcheront probablement d'atteindre ce chiffre. Enfin, comme en Afghanistan, la base de l'économie rurale - basée sur l'agriculture autour des fleuves temporaires ou de grands fleuves comme le Niger, autour de l'économie d'oasis et autour de l'élevage migrant- s'est effondrée dans le nord du Sahel. L'effondrement de cette économie implique que les jeunes n'ont aujourd'hui guère d'autre espoir que de se livrer à divers trafics, petits et grands. Voilà donc les grandes similitudes entre le nord du Sahel et l'Afghanistan. Ce sont des zones confrontées à des problèmes de fond qu'il va falloir traiter. Au-delà de l'action militaire – qui va réussir je l'espère –, et de l'action d'urgence, il faudra donc également engager une action de grande ambition sur le moyen et le long-terme.

À la suite de décisions ou de non-décisions malencontreuses lors des décennies passées, la France a sacrifié son aide bilatérale projet, sous forme de dons destinés aux pays pauvres, au profit d'aides qui transitent par les grandes institutions multilatérales ou par l'AFD, sous forme de prêts. Or l'utilisation des prêts n'est pas adaptée au type d'intervention que l'on cherche à conduire dans ce type de circonstances et de pays. L'AFD ne peut intervenir efficacement que sur des ressources en subventions. Malheureusement, ces ressources directement pilotées par la France sous forme d'aide bilatérale projet sont extrêmement maigres chaque année, tandis qu'en comparaison, les ressources que l'on confie à l'Union Européenne, à la Banque Mondiale et aux Banques régionales de développement sont conséquentes : 1,5-1,6 milliard d'euros pour l'UE, 500 à 600 millions pour la Banque mondiale et 200 millions banques régionales de développement. Nos ressources, qui ne sont pas négligeables en matière d'aide au développement, transitent donc par des acteurs qui n'ont pas fait la preuve de leurs compétences, du moins dans les pays dans lesquels j'ai travaillé.

Il y a aussi au Mali et au Niger un problème politique entre les populations du nord et du sud. Il faut que les perspectives politiques soient ouvertes aux populations du nord. Une très grande décentralisation est sans doute inévitable à défaut d'un fédéralisme dont probablement l'Algérie ne voudra pas. L'Azawad comprend trois zones, la première à dominante touareg à l'est, la seconde à dominante maure à l'ouest, enfin la boucle du Niger avec des populations plus mélangées. ; il faudra sans doute des solutions différenciées pour ces différentes zones.

L'appareil d'Etat pose un autre problème. Que ce soit l'armée, la gendarmerie, l'administration territoriale, tout est vermoulu. Il s'agit donc de reconstruire l'Etat. Cela implique bien sûr la recherche d'une légitimité et donc l'organisation d'élections, tout en gardant à l'esprit que des élections démocratiques ne garantissent pas forcément le règlement satisfaisant des problèmes des minorités.

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