Commission des affaires étrangères

Réunion du 20 février 2013 à 16h30

Résumé de la réunion

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La réunion

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Réunion sur les nouveaux enjeux de l'aide au développement et le développement du Sahel, en présence de M. Pascal Canfin, ministre chargé du développement, et M. Serge Michailof, professeur à Sciences Politiques

La séance est ouverte à seize heures trente.

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Nous poursuivons notre réflexion sur la situation au Sahel et en particulier au Mali avec une table ronde à laquelle participent M. Pascal Canfin, ministre délégué chargé du développement, et M. Serge Michailof, professeur à Science Po.

Monsieur le ministre, vous êtes rentré ce matin du Mali où vous vous étiez hier et avant-hier pour faire le point avec les autorités maliennes à la fois sur la situation et les besoins immédiats et tracer les perspectives de plus long terme quant au développement du pays. Des initiatives se dessinent sur ce plan, et il y a quelques jours, à Dublin, vous avez annoncé avec le commissaire Piebalgs l'organisation d'une conférence internationale pour le développement du Mali, afin de lancer la mobilisation de la communauté internationale en faveur de cet objectif dont chacun sait l'urgence et la nécessité, ne serait-ce que dans une perspective de sécurisation. Pour autant, il ne faut pas oublier que ce n'est pas non plus faute d'engagement de la part de la communauté internationale que le Mali se retrouve dans la situation qui est aujourd'hui la sienne puisque je rappelle que ces dernières années il recevait en moyenne plus d'un milliard de dollars par an, tous types de financement confondus. En d'autres termes, se pose aussi, et avant tout, la question de l'utilisation de cette manne sur le terrain, du contrôle de son efficacité.

Monsieur Michailof, nous connaissons votre regard critique sur l'APD, ses insuffisances, et vous aurez sans doute des appréciations à porter sur ce qui est en train de se préparer. Votre très longue expérience du développement et votre intérêt particulier pour le Sahel vous désignaient en tout cas tout particulièrement pour être parmi nous ce soir et je vous remercie d'avoir accepté de nous rejoindre. Vous insistez notamment sur la question du développement des filières agricoles dans les pays sahéliens, non seulement pour contribuer à la sécurité alimentaire, mais aussi dans une perspective de stabilité sociale et politique.

Enfin, les Assises du développement et de la solidarité internationale se termineront le 1er mars prochain. Vous pourrez nous donner l'un et l'autre votre sentiment sur les principales problématiques qui attendent l'aide au développement pour les prochaines années, alors que l'échéance de 2015 pour les OMD approche et que l'on débat des étapes suivantes.

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Pascal Canfin, ministre délégué auprès du ministre des Affaires étrangères, chargé du développement

Si vous le voulez bien, je vais me concentrer sur le Mali et le Sahel. J'aborderai l'autre thème inscrit à l'ordre du jour de cette réunion, les nouveaux enjeux du développement, en répondant à vos questions.

Je tiens à préciser que M. Michailof est aussi membre du Conseil d'analyse des politiques du développement, qui regroupe une cinquantaine de chercheurs, dont la moitié est étranger, afin d'éclairer nos choix grâce à l'expertise du monde scientifique. Cela n'empêche pas M. Michailof d'avoir parfois une vision critique et c'est tant mieux.

J'étais à Bamako et à Mopti lundi et mardi dans le cadre de la reprise de l'action de l'Agence française de développement (AFD) au plan opérationnel. Elle n'avait jamais cessé totalement son activité, puisque le personnel malien était resté sur place, à la différence du personnel expatrié, parti pour des raisons de sécurité. Le nouveau directeur a pris ses fonctions lundi et un directeur adjoint est en cours de recrutement. L'AFD va désormais ré-analyser son portefeuille d'actions, composé d'une trentaine de projets. À titre d'exemple, je me suis rendu à Bamako sur le site d'une station de pompage qui va permettre d'approvisionner 100 000 personnes supplémentaires en eau potable. Les travaux avaient été interrompus par les événements de mars 2012, qui avaient conduit le précédent gouvernement à cesser l'aide publique au développement au Mali.

Je rappelle qu'il y a aujourd'hui trente minutes d'électricité par jour à Kidal et trois heures à Tombouctou. Quant aux succursales des banques par l'intermédiaire desquelles les fonctionnaires étaient payés, elles ont été pour la plupart pillées et la station d'électricité de Tombouctou a été en partie saccagée. Il faudra rétablir à très court terme de nombreuses infrastructures et de nombreux services publics de base.

Ce que l'on sait faire, pour le moment, c'est l'humanitaire. Or, même s'il existe un risque humanitaire dans l'extrême Nord du Mali, où les marchés sont arrêtés et la frontière avec l'Algérie coupée, ce qui pourrait conduire à une situation critique sur le plan alimentaire, il n'y a par ailleurs pas de situation humanitaire critique selon les ONG humanitaires et le programme des Nations Unies pour l'alimentation. La communauté internationale s'est mobilisée et la réponse est là. On m'a confirmé au Burkina Faso, où je me suis rendu fin janvier avec la commissaire européenne en charge de l'aide humanitaire, qu'il y avait des stocks disponibles, notamment pour les médicaments.

Ce que l'on sait faire aussi, ce sont les grands projets de développement qui auront un impact dans dix-huit mois ou deux ans. Ils sont utiles, mais ils ne contribueront pas à résoudre ce problème immédiat qu'est la stabilisation du Mali du point de vue du développement. La stabilisation passe d'abord par l'intégrité du territoire et par le dialogue politique, mais aussi par des politiques permettant de relancer l'appareil d'Etat, les collectivités locales et les services de base – éducation, santé, eau, assainissement, électricité ou encore téléphonie mobile. Il faut absolument réussir à gagner la bataille des trois ou six premiers mois sans quoi les grands projets de développement risquent de ne jamais voir le jour. Les réfugiés ne reviendront au Mali, par exemple, que s'ils s'estiment en sécurité, mais aussi s'ils sont en mesure de retrouver une activité, de faire vivre de nouveau leur cheptel ou de scolariser leurs enfants. Il y a un continuum entre le sécuritaire et le développement pur. Il faut qu'il y ait de l'eau, de l'électricité, un système bancaire en état de marche et une saison agricole qui se passe bien si les conditions climatiques le permettent. Pour cela, les agriculteurs doivent être chez eux dès avril pour travailler la terre.

Je constate qu'il est beaucoup question de l'aide budgétaire, dont les montants sont importants, puisque l'Union européenne a évoqué 250 millions d'euros, le Japon 100 millions et la Banque mondiale plusieurs dizaines de millions d'euros. Le total ne sera donc pas ridicule, mais cette aide arrivera au plus tôt en mai-juin et au plus tard en août-septembre, ce qui est un peu tard pour répondre aux enjeux que j'évoquais. Il faut assurer le fameux « R » dans URD – urgence, réhabilitation, développement.

Cela nécessite la mobilisation de tous autour de l'enjeu des trois ou six premiers mois, ce qui suppose une liste de priorités et ensuite une division du travail. La liste des priorités est bien sûr définie avec les autorités maliennes, à savoir le ministre des affaires humanitaires, celui des affaires étrangères et de la coopération internationale et celui de l'économie et des finances. Elle sera ensuite validée au niveau européen le 26 février prochain à Bruxelles. Le financement sera principalement assuré par des facilités de l'Union européenne. Comme Mme Georgieva a dû vous le dire hier, au cours de son audition, vingt millions d'euros seront dédiés à ces interventions de réhabilitation qui ne relèvent ni de l'humanitaire ni du développement. Nous sommes en train de lister et de chiffrer ces projets. La station électrique à Tombouctou nécessite, par exemple, un certain nombre de litres de fioul par jour qui devront être transportés par la route ou sur le fleuve.

Nous avons pris d'autres initiatives, notamment la remise en marche de l'AFD sur le terrain, que j'évoquais, et le dégel des 150 millions d'euros suspendus à la mise en oeuvre de la feuille de route. Leur décaissement a repris progressivement avec des conditions très claires : création de la commission de réconciliation, lancement du processus électoral, puis tenue des élections. La question a été abordée au plan européen avec les différences habituelles en matière d'aide budgétaire et de conditionnalité : les uns souhaitaient la reprise immédiate de toutes les aides, quand d'autres préféraient attendre la tenue des élections. Comme je l'avais proposé, il a finalement été décidé qu'une moitié serait accordée avant les élections et le reste après.

Qui ciblera-t-on ? Il existe un large consensus en faveur de l'aide transitant par les collectivités locales, parce que cette solution semble plus proche des populations et meilleure en matière de gouvernance, mais aussi parce qu'elle paraît aussi correspondre à la logique du dialogue entre les différentes communautés maliennes, lequel passera certainement par des formes de décentralisation effective. Le 19 mars prochain, à Lyon, nous réunirons toutes les collectivités locales françaises engagées dans des coopérations décentralisées avec le Mali afin de voir comment reprendre l'aide d'une manière coordonnée. Nous travaillerons ensuite sur la question des aides budgétaires sectorielles décentralisées, mécanisme innovant que seuls les Suisses utilisent pour le moment au Mali. Il s'agira de renforcer les capacités de l'Etat déconcentré ou décentralisé en évitant une logique de substitution dont on perçoit encore les conséquences en Haïti. Nous travaillons aussi sur des fonds fiduciaires fléchés vers les collectivités locales et les services de base dont elles assurent la gestion.

Se pose aussi la question de la transparence et du contrôle, essentiels pour garantir la légitimité de l'aide. Certaines agences par lesquelles l'aide au Mali pourrait transiter n'ont pas des standards de gouvernance permettant de leur faire confiance les yeux fermés. Les donateurs doivent donc exiger un certain nombre de réformes. Il faudrait aussi réfléchir à des formes de contrôle citoyen pour assurer la transparence des projets pour les populations sensées en bénéficier. La Banque mondiale y est tout à fait disposée et je ne vois pas d'opposition de la part des autres parties prenantes.

Parmi les grandes initiatives que nous avons prises, on peut citer l'organisation d'une conférence internationale à Bruxelles mi-mai, sous la coprésidence de la France et de l'Union européenne, afin de mobiliser l'ensemble de la communauté internationale, mais aussi la réunion des collectivités locales qui se tiendra le 19 mars à Lyon, puis la rencontre qui aura lieu avec la diaspora fin mars en Ile de France. C'est un enjeu important du fait des 120 000 maliens ou franco-maliens présents sur notre territoire et des flux financiers qui sont transférés, pour des montants supérieurs à ceux de l'aide publique au développement. Même s'ils n'ont pas forcément vocation à financer le développement, ils peuvent y contribuer s'il existe des systèmes d'incitation efficaces. Tels sont les trois principaux piliers : l'international, le local et les diasporas.

Pour conclure, je rappelle que c'est dans les trois à six mois que nous gagnerons la bataille en réussissant le « R » de Réhabilitation. Si l'on échoue, toutes les belles projections que l'on pourra faire ne serviront guère en réalité.

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Je voudrais faire trois remarques. Tout d'abord, s'agissant de l'électricité, ce que vous dites sur Tombouctou pourrait malheureusement s'étendre à d'autres parties du monde qui paraissent pourtant plus développées, comme certaines régions de l'Inde, où l'alimentation électrique ne dépasse pas quelques heures par jour. Mais, en Inde, cette défaillance du secteur est compensée par l'existence de systèmes alternatifs individuels ou collectifs. Ensuite, sur le rôle des collectivités locales et la coopération décentralisée, M. Fabius a proposé aux collectivités la mise à disposition partielle ou partagée de huit ambassadeurs régionaux qui pourraient appuyer les collectivités locales, notamment les régions, dans cette approche. Enfin, sur la transparence et le contrôle, on ne peut que partager votre prudence. Quand on connaît le fonctionnement des organisations internationales, y compris dans leur siège et dans des activités dans les pays développés, on ne peut qu'être extrêmement inquiet sur leur fonctionnement dans les pays en difficulté. Un certain nombre de grandes organisations internationales ignorent la comptabilité publique, notamment le fait qu'elle est en partie double..

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Serge Michailof

Merci M. le Président. J'ai pris connaissance à l'instant des initiatives du Ministre, qui me paraissent aller dans le bon sens. Sur le court-terme, nous devons remettre en route les principaux services publics –eau et électricité- et sauver la campagne agricole, une partie des exploitations ayant été détruites. Il faut pour cela distribuer les semences et le petit outillage en temps utile.

Mon exposé a une ambition un peu différente. Je voudrais vous faire part de mon expérience dans un pays en situation de post-conflit : j'ai travaillé sur une douzaine de missions en Afghanistan entre 2002 et 2008 et une quinzaine en République Démocratique du Congo, et je suis avec beaucoup d'attention ces problèmes de sortie de crise, qui est un domaine dans lequel les organisations d'aide n'ont pas encore fait la preuve de leur performance.

Malgré un contexte humain et géographique différent, le nord du Sahel et l'Afghanistan partagent de nombreuses similitudes. J'ai toujours dit qu'au Mali, les choses pourraient rapidement déraper – ce qui est arrivé beaucoup plus dramatiquement que je ne l'imaginais.

Tout d'abord, le Sahel et l'Afghanistan sont deux zones dans lesquelles l'Etat est absent de longue date. La deuxième similitude est la population, qui connaît une croissance prodigieuse. L'ensemble des pays sahéliens est actuellement dans une impasse démographique. Le Niger avait 3 millions d'habitants à son indépendance, 7 à 8 millions dans les années 1980. Il en a aujourd'hui aux alentours de 15 millions et en aura, d'après les prévisions, entre 45 et 50 millions en 2050 – sachant que des crises et des drames empêcheront probablement d'atteindre ce chiffre. Enfin, comme en Afghanistan, la base de l'économie rurale - basée sur l'agriculture autour des fleuves temporaires ou de grands fleuves comme le Niger, autour de l'économie d'oasis et autour de l'élevage migrant- s'est effondrée dans le nord du Sahel. L'effondrement de cette économie implique que les jeunes n'ont aujourd'hui guère d'autre espoir que de se livrer à divers trafics, petits et grands. Voilà donc les grandes similitudes entre le nord du Sahel et l'Afghanistan. Ce sont des zones confrontées à des problèmes de fond qu'il va falloir traiter. Au-delà de l'action militaire – qui va réussir je l'espère –, et de l'action d'urgence, il faudra donc également engager une action de grande ambition sur le moyen et le long-terme.

À la suite de décisions ou de non-décisions malencontreuses lors des décennies passées, la France a sacrifié son aide bilatérale projet, sous forme de dons destinés aux pays pauvres, au profit d'aides qui transitent par les grandes institutions multilatérales ou par l'AFD, sous forme de prêts. Or l'utilisation des prêts n'est pas adaptée au type d'intervention que l'on cherche à conduire dans ce type de circonstances et de pays. L'AFD ne peut intervenir efficacement que sur des ressources en subventions. Malheureusement, ces ressources directement pilotées par la France sous forme d'aide bilatérale projet sont extrêmement maigres chaque année, tandis qu'en comparaison, les ressources que l'on confie à l'Union Européenne, à la Banque Mondiale et aux Banques régionales de développement sont conséquentes : 1,5-1,6 milliard d'euros pour l'UE, 500 à 600 millions pour la Banque mondiale et 200 millions banques régionales de développement. Nos ressources, qui ne sont pas négligeables en matière d'aide au développement, transitent donc par des acteurs qui n'ont pas fait la preuve de leurs compétences, du moins dans les pays dans lesquels j'ai travaillé.

Il y a aussi au Mali et au Niger un problème politique entre les populations du nord et du sud. Il faut que les perspectives politiques soient ouvertes aux populations du nord. Une très grande décentralisation est sans doute inévitable à défaut d'un fédéralisme dont probablement l'Algérie ne voudra pas. L'Azawad comprend trois zones, la première à dominante touareg à l'est, la seconde à dominante maure à l'ouest, enfin la boucle du Niger avec des populations plus mélangées. ; il faudra sans doute des solutions différenciées pour ces différentes zones.

L'appareil d'Etat pose un autre problème. Que ce soit l'armée, la gendarmerie, l'administration territoriale, tout est vermoulu. Il s'agit donc de reconstruire l'Etat. Cela implique bien sûr la recherche d'une légitimité et donc l'organisation d'élections, tout en gardant à l'esprit que des élections démocratiques ne garantissent pas forcément le règlement satisfaisant des problèmes des minorités.

Présidence de Mme Elisabeth Guigou

Les aides gérées par des agences internationales ne permettent pas en général de reconstruire les appareils d'Etat. En effet, ces agences ont tendance à contourner le problème en mettant en place des unités de projets qui se substituent aux administrations défaillantes des Etats. Or, les principales ressources financières sont dans ces agences internationales, que la France finance. Cela pose aussi problème pour une autre raison : l'aide devra se concentrer sur le secteur agricole, sur lequel ces agences ne sont pas réellement compétentes. Dans ce domaine, l'expertise se situe plutôt dans nos organismes nationaux, l'Agence française de développement (AFD) et le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD), mais ils n'ont pas d'argent. De manière générale, le fait que l'argent transite par les agences internationales est un vrai problème. Ces organismes n'en font qu'à leur tête et refusent de se coordonner, malgré les grandes déclarations que l'on entend parfois. En effet, les besoins sont tels que ces agences sont en position de choisir de soutenir tel ou tel type d'actions. En conséquence, il y a parfois ponctuellement des surfinancements, tandis que de vastes champs où des actions devraient être menées restent complètement béants.

J'insiste sur ce point, reconstruire les institutions régaliennes – sécurité, justice, administration territoriale…– est indispensable. Il faut reconstruire la justice pour éviter que la population ne se tourne vers une justice parallèle appliquant la charia. Quant à la sécurité, c'est la première demande que l'on constate sur place ; les gens ne veulent plus être maltraités et rackettés.

Il faut être conscient que cette reconstruction de l'Etat va plus loin que l'aide technique. Cela impose parfois d'aller jusqu'à faire tomber des têtes et peut donc représenter une ingérence politique. Pour prendre un exemple, il a été dit qu'il y avait actuellement trois heures de courant par jour à Tombouctou. Ce n'est pas si mal, car à Kaboul en 2009, huit ans après l'intervention internationale, il n'y en avait que quatre heures. Cela parce que le ministère de l'énergie avait été confié à un mafieux notoire, que le président Karzaï avait désiré éloigner de son fief d'Hérat. Evidemment, dans ces conditions, personne ne voulait financer les projets énergétiques. Quand les autorités dans un domaine sont notoirement incompétentes ou corrompues, naturellement on ne développe pas de projets. Il en résulte qu'il est nécessaire d'avoir avec les pays concernés un dialogue politique subtil destiné à obtenir que les responsables administratifs soient des personnes compétentes.

En Afghanistan, interviennent environ 2000 ONG et 150 agences diverses. Nécessairement leurs actions partent dans tous les sens. Selon l'analogie développée par un diplomate, c'est comme un troupeau de chats qui s'égaient dans toutes les directions. Un risque identique existe au Mali, d'autant que le niveau technique des grandes organisations tel que le Fonds européen de développement et la Banque mondiale est faible dans les domaines stratégiques de la reconstruction institutionnelle et de l'agriculture. Paul Wolfowitz a désorganisé le département Afrique de la Banque mondiale lorsqu'il dirigeait celle-ci et il faut du temps pour remettre les choses en ordre, ce que fait pourtant le nouveau directeur de ce département. Quant à la Banque africaine de développement, il reste beaucoup à dire même s'il y a des progrès. Pour cette raison, je pense que le plus efficace pour le Mali serait de monter un ou des fonds fiduciaires, auxquels tout le monde contribuerait et où la France s'arrangerait pour jouer un rôle moteur. Il s'agit d'une approche classique qui a déjà été utilisée avec succès en Afghanistan.

Le ministre Pascal Canfin a pris le problème à bras-le-corps pour ce qui est de la gestion de l'urgence. C'est bien mais il faut préparer rapidement la phase suivante. Je pense notamment au développement agricole dans les petites communautés, où l'on peut monter à bref délai des opérations efficaces. Mais pour cela, il nous faut reprendre le contrôle des ressources en dialoguant avec les institutions internationales. J'ai le regret de le dire, mais en ayant été pendant huit ans un des directeurs de la Banque mondiale, j'ai été malmené par les administrateurs représentant plusieurs pays, mais jamais par l'administrateur français. La France aurait pourtant eu à redire sur l'action de la Banque mondiale, qui a démantelé la filière coton dans le Sahel.

Enfin, il faut faire évoluer le ministère des finances, afin qu'il mette un peu plus d'argent pour le développement.

En conclusion, le court terme est bien sûr important, mais il faut aussi agir à plus long terme. Il est possible de le faire d'une manière efficace.

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Je regrette de n'avoir pas été présente au tout début de cette réunion, étant dans l'hémicycle pour le débat sur les conclusions du Conseil européen. Je retiens de vos propos que l'on est face à un problème majeur, qui est celui de l'impuissance et de la déliquescence des Etats, comme on le voit très bien également en Libye, pays riche, avec du potentiel. Le problème n° 1, c'est la défaillance de l'Etat. On va devoir s'y intéresser au plan bilatéral pour voir ce que nous pouvons apporter pour que les administrations publiques soient solides ; accessoirement, on ne doit pas oublier les intérêts qu'il peut aussi y avoir pour nos entreprises.

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Je partage à plus de 1000 % les propos et observations de Serge Michailof. Ce ne sera pas une surprise pour les anciens de cette commission : cela fait des années que nous sommes plusieurs à défendre le positionnement du curseur entre le bilatéral et le multilatéral. La France ne peut plus jouer son rôle en Afrique francophone faute d'en avoir les moyens bilatéraux. Je partage aussi l'idée d'un fonds fiduciaire qui permettrait d'intervenir au Mali et dans la région de façon pérenne. Pour que la France puisse jouer son rôle, il faut qu'elle ait la capacité de le faire et ce n'est pas la communauté internationale qui se substituera à elle. Nous n'avons plus aujourd'hui les moyens de notre action et, encore une fois, nous avons été trop loin dans le multilatéral. Je partage donc le sentiment de M. Michailof sur la nécessité d'un retour sur le bilatéral.

Cela étant dit, qu'en est-il de la taxe sur les transactions financières ? Je suis surpris et même choqué que cette belle idée ait été détournée de sa mission initiale et que la part destinée à l'APD n'ait cessé de diminuer par rapport à ce qui était prévu à l'origine pour ne plus représenter que 10 % du produit, alors que 90 % seront consacrés au déficit. Le reliquat pour l'APD est squelettique. Je demande au ministre de reprendre les choses en mains en ce qui concerne cette taxe qu'on a présentée aux Africains dans cette optique et qui nous permettrait de réévaluer notre bilatéral, comme cela est nécessaire.

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Le ministre a répondu à beaucoup de questions et je salue à la fois sa préoccupation sur la nécessité de réussir l'amorce et la cohérence globale de son approche. On voit la volonté et le pari quant au succès de l'intervention militaire et au redressement progressif du Mali. Si l'on avait écouté ce que le président Issouffou et Serge Michailof disent depuis 10 ans sur les questions de sécurité alimentaire, de l'Etat et sur d'autres questions encore, nous n'en serions certainement pas là aujourd'hui. Beaucoup de ce qui a surgi dans le chaos était en germe depuis longtemps. Le renforcement des capacités de l'Etat est prioritaire, la question de la sécurité alimentaire, tant au Mali que sur le plan régional, également.

En ce qui concerne les capacités de l'Etat, le volet de la gouvernance locale est à mener avec les collectivités locales et, en parallèle, la relation d'Etat à Etat est aussi à réinventer. À ce propos, qu'en est–il des coopérants ? Des mises à disposition de fonctionnaires dans les ministères régaliens sont-elles envisageables ? Ce niveau est indispensable, dans la mesure où depuis Bamako des politiques publiques devront être déployées dans le pays, que des transferts de compétence devront être mis en oeuvre.

J'ai plus de doutes quant à l'autonomie du nord Mali. De quel territoire parle-t-on ? De quelle étendue ? De quelles populations aussi ? Il faut faire attention à ne pas exporter sans discernement suffisant des concepts sympathiques sans mesurer les effets sur le terrain, compte tenu des disparités importantes au Nord.

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Je remercie les intervenants pour leurs présentations et ces initiatives souhaitables dans le contexte actuel et notamment, les accents mis sur les questions agricoles et de sécurité alimentaire. Je partage l'avis de Serge Michailof quant à la Banque mondiale, même si le président Wolfensson avait essayé de relancer la question de l'agriculture. Cela étant, feriez-vous aujourd'hui les mêmes constats qu'il y a quelques années quant aux effets de la zone Franc sur les économies africaines ?

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En ce qui concerne la relance des économies sahéliennes, quelle serait l'ampleur du plan nécessaire pour répondre aux besoins ? Quel modèle économique faut-il développer pour apaiser durablement les tensions ? Vous avez évoqué la piste agricole, mais au-delà ? Quels sont le modèle d'organisation et les types de production qu'il faut privilégier pour le développement des économies régionales ?

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Qu'en est-il de l'action urgente au Mali et dans la région sahélienne ? Quel est le poids de la présence des autres nations et leur implication de long terme dans cette région ? Il ne faudrait pas que l'action de la France ne soit visible que sous l'angle militaire et se pose la question de la difficulté de voir les résultats de notre aide bilatérale sur le terrain.

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Serge Michailof a parlé du manque d'expertise de l'UE et de la Banque mondiale sur leurs projets. Je voudrais connaître son jugement sur le PNUD. Il faudrait éviter de faire des critiques faciles de l'action des autres en évitant de balayer devant notre porte. L'évolution de l'AFD est-elle positive ? Je n'en suis pas certain, c'est une banque ! Lorsque nous étions au Mali en décembre avec Pierre Lellouche, les ONG et l'ambassadeur nous ont dit qu'ils étaient consternés par le fait que les responsables de l'AFD soient partis comme des voleurs plusieurs mois auparavant. Avant d'envoyer des messages aux autres, il faudrait améliorer nos propres instances.

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J'enjoins Pascal Canfin à beaucoup de vigilance en ce qui concerne les collectivités locales. Il y aura certes beaucoup d'enthousiasme dans ce qui se débattra en mars, mais beaucoup de gadgets en sortiront aussi, j'en veux pour preuve les camions de pompiers qu'envoient certaines municipalités de mon département et qui disparaissent dans la nature. Il faut faire preuve de prudence.

Quant à l'APD bilatérale, il est frappant de constater, mandature après mandature, que l'on répète toujours la même chose sur le bilatéral et le multilatéral et que, quel que soit le gouvernement en place, rien ne change ! A l'ONU ou à l'UE, on nous dit qu'il nous faut être présents dans le multilatéral, que nos financements sont insuffisants, les pays nordiques, notamment, très présents. C'est compréhensible, compte tenu du fait qu'ils ne comprennent rien à l'Afrique ; ils nous poussent au multilatéral.

Quant à l'Afghanistan et aux seigneurs de la guerre que Serge Michailof a mentionnés, hier, la Commissaire à l'action humanitaire nous disait que, au contraire, aucune aide n'était plus donnée aux Etats mais restait gérée par ses services. Est-ce que ce que vous avez décrit est propre à l'Afghanistan ou généralisable ?

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Je partage les analyses du ministre et de Serge Michailof. Cela pose cependant des questions sur la capacité des hommes et des femmes du Mali. Je crois qu'il y a deux périodes complètement différentes au Mali. Celle des lois de décentralisation des années 94-95, où l'on a eu des élections locales, municipales, régionales, on a monté des partenariats, avec des élus, c'était une période d'enthousiasme dans la décentralisation, avec des moyens. Les élus maliens faisaient la tournée, passant par Paris, Bruxelles, pour des financements de projets. La déception est venue ensuite, avec la baisse de la décentralisation, à partir de 2002, à partir du moment où le Président de la République était plus en retrait ; on en a vu les conséquences. Malgré tout, on a de bons outils, Unicités, l'Agence de l'investissement des collectivités territoriales, et on a eu de bons échanges avec nos partenaires, avec le FED, sur ce qu'il fallait financer. Cela étant, on doit aussi se poser des questions sur l'avenir : le rural, l'eau, l'assainissement étaient dans le DCP. Il y avait eu des débats sur ces questions. Qu'en sera-t-il à l'avenir ? Je voudrais enfin dire à Serge Michailof qu'il faut effectivement un pilote dans l'avion ; l'exemple d'Haïti ne doit pas se reproduire.

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Serge Michailof

Sur le problème de l'autonomie du nord, évoqué par M. Amirshahi, je reste prudent. Il faut bien voir qu'il y a, au Mali, un problème d'irrédentisme touareg datant d'avant la colonisation et jamais résolu de manière satisfaisante. L'intervention du MUJAO et d'Ansar Eddine ont surinfecté une infection déjà vive. Il va falloir écouter les représentants touareg, ceux des populations arabes et voir quelles sont leurs demandes. Au Mali, il y a une demande politique très ancienne. Si on ne la traite pas, on aura une guerre de guérilla, ingagnable par une démocratie occidentale. Il faut offrir des perspectives et un espoir politique. Comment ? Je ne sais pas et c'est à vous, les politiques, de formuler des propositions.

M. Gaymard a évoqué la zone franc. Je maintiens mon jugement sévère mais j'estime qu'il ne faut pas y toucher aujourd'hui avec une Côte d'Ivoire et un Mali chancelants. Toutefois, je pense que ça a contribué à ruiner l'agriculture des pays sahéliens et à déresponsabiliser leurs élites politiques et économiques. Il est aberrant que la politique monétaire de ces pays soit décidée à Francfort ! Mais, je le répète : il ne faut pas y toucher maintenant.

En ce qui concerne la relance de l'économie sahélienne, il y a dans cette région, des ressources minières importantes. Certaines sont identifiées, d'autres non. Certaines sont exploitées, d'autres non. Il faudrait mettre en place des mécanismes permettant une pleine transparence pour éviter les dérives qu'on peut constater en Guinée équatoriale ou au Gabon. Sur le plan agricole, le sud du Sahel a un gros potentiel cotonnier. Contrairement aux idées reçues le coton est un moteur de développement et ne chasse pas les céréales. Par son intermédiaire, on peut développer un artisanat de services et restructurer l'organisation paysanne. Une dynamique peut se faire dans un secteur où la concurrence est rude face aux cotons européen et américain subventionnés. En tout cas, le coton permet d'aborder l'ensemble des problématiques agricoles dans le sud sahélien. Dans le nord, on a plein d'études sur la lutte contre la désertification, sur la relance de l'économie dans les oasis. Les idées ne manquent pas. Certes, il faut balayer devant notre porte et je suis le premier à ne pas comprendre le départ de l'AFD du Mali. Mais il faut savoir que les grandes agences multilatérales suivent des effets de mode. Dans les années 60, c'était les grands projets. Dans les années 70, le développement rural et les microprojets. Dans les années 8090, ce furent l'ajustement structurel. Maintenant, c'est le tout social. Ce n'est que depuis 8889 qu'on redécouvre l'agriculture. Entre-temps, les équipes agricoles ont été dissoutes. Aujourd'hui, à la Banque mondiale, il n'y a que des économistes et pas un seul n'a vu un plant de sorgho. Seule la France, présente au Sahel depuis les années 60, a conservé une expertise.

S'agissant du PNUD, j'en pense pis que pendre. Franchement, en le transformant en institution capable de produire des rapports intéressants et en lui interdisant d'agir sur le terrain, le monde s'en porterait mieux.

Que fait l'AFD ? Est-elle devenue une banque ? Oui mais à son corps défendant. J'ai été directeur des opérations de l'AFD et je désespérais de ne pas avoir d'instruments de subventions me permettant de conduire des programmes de développement dans les pays les plus pauvres. J'étais dans une situation absurde dan laquelle on me fixait un objectif global de décaissement pour l'Afrique mais comme je n'avais pas d'instruments de subventions, je n'avais que des prêts à proposer. J'en étais donc à chercher des pays à qui je pouvais prêter. J'étais dans une logique instrumentale absurde. Aujourd'hui, en dehors de 250 millions d'euros annuels, l'AFD ne verse plus de subventions. En ça, elle est devenue une banque. Elle a même envisagé un moment de fermer toutes ses agences au Sahel vu qu'elle n'avait plus de ressources pour cette zone. Cependant, je pense qu'il y a toujours une éthique à l'AFD, un souci de bien travailler. Il y a moyen de la relancer avec des ressources sur la question sahélienne. Je suis sûr que les équipes auront à coeur de se dévouer.

Dans la reconstruction des institutions d'un Etat failli, le problème clef est celui de la légitimité de l'Etat et de la qualité de son équipe dirigeante. Si on a un président de la République qui ne s'intéresse qu'aux négociations entre tribus et entre systèmes mafieux – et mon regard va, par exemple, vers l'Afghanistan –, on ne peut espérer construire un Etat crédible. Ça ne l'intéresse pas et ça le gênera. Car lorsqu'on lui demandera de remplacer un ministre corrompu par un technocrate compétent, ça gênera ses calculs politiques. De plus, il faut reconstruire les institutions sur une base moderne. On peut le faire rapidement. Il faut à la tête des institutions un homme ou une femme avec une crédibilité, un charisme et une volonté de changer les choses et lui permettre de choisir ses équipes sur une base de compétence et non sur une base ethnique. Dans ce contexte-là, l'assistance technique prend sens. Dans une structure complément verrouillée par les réseaux mafieux, l'assistance technique gênera. Si l'équipe dirigeante veut des résultats, on peut en atteindre en à peine 3 ou 4 ans. En Afghanistan, certaines institutions modernes se sont créées mais elles ont fini par gêner car on ne pouvait plus y caser les copains. On sait donc reconstruire un appareil d'État mais c'est politiquement délicat. Ça implique des remises en cause d'équilibres. Il faut du courage. Je vais vous donner un exemple lorsque j'étais directeur pour l'Afrique centrale à la Banque mondiale. On m'a demandé d'emmener le Cameroun au point d'achèvement du PPTE, ce qui impliquait d'atteindre des performances en matière d'éducation et de santé qui étaient hors de portée. Je suis allé voir le président Biya et je lui ai dit que deux de ses ministres posaient problème. Il était embêté mais, deux mois après, ils avaient été remplacés par des gens très capables. Je crois donc que dans le cadre d'un dialogue franc, on peut exiger d'avoir à la tête des nouvelles institutions maliennes, issues des élections, des hommes de qualité. Il y en a au Mali. À partir de là, on peut reconstruire très vite. Par le passé, on a dépensé 1 milliard de dollars par an sur le Mali, dans un système vermoulu. Ça ne sert à rien.

Permalien
Pascal Canfin, ministre délégué auprès du ministre des Affaires étrangères, chargé du développement

On a une liberté d'expression quand on est chercheur que l'on ne peut qu'envier ! J'aimerais néanmoins répondre sur quelques points.

Concernant la taxe sur les transactions financières, lorsque nous sommes entrés en responsabilité, 100 % de son montant devait être affecté à autre chose qu'au développement, en l'espèce à la réduction des déficits. Nous avons créé un branchement pour affecter en moyenne 10 % du montant sur le triennum au développement, pour moitié en faveur de l'environnement, pour moitié de la santé. Le projet de loi de finances pour 2013 prévoit pour cette année que la moitié de la recette affectée à l'environnement sera sur l'eau au travers de la facilité de la Banque africaine de développement, ce qui ne plaira pas à Serge Michailof, mais que la recette affectée à la santé le serait – le Président devrait en faire l'annonce le 1er mars – dans un cadre non multilatéral.

J'ajouterai par ailleurs qu'une taxe européenne sur les transactions financières va voir le jour, que la Commission a publié son étude et qu'elle rapporterait 35 milliards d'euros de recettes aux 12 Etats qui l'appliqueraient. Si l'on parvient à en affecter 10 %, soit 3,5 milliards d'euros, au développement, nous obtiendrions un quasi-doublement du fond européen de développement (FED). Une négociation déterminante va donc s'ouvrir pour qu'une partie de la taxe – 10%, 15 %, 20 % – soit affectée au développement. La France a un rôle de leadership dans ce dossier et il faut le reconnaître au-delà des considérations partisanes.

Concernant l'opposition bilatéral multilatéral, je ne serai pas aussi tranché que vous l'êtes. D'ailleurs, Serge Michailof lui-même a cité un exemple d'influence sur des nominations de ministres qui date de l'époque où il travaillait pour la Banque mondiale. C'est beaucoup plus facile de poser des conditions lorsqu'on est la Banque mondiale que lorsqu'on est la France. Le rapport de forces financier est plus réel et le rapport de forces politique est plus fort. C'est un des éléments qui plaide pour le multilatéral.

Concernant le FED, la France a fait le choix de ne pas demander la diminution de ses montants, fixés par l'accord sur le cadre financier pluriannuel 2014-2020 à 27 milliards d'euros sur la période, car la décision relative à l'arbitrage entre bi et multi ne se prend pas seul. Or, si la France demande une diminution du FED pour augmenter son aide bilatérale, elle négocie donc une baisse de sa contribution et ouvre la voie à la remise en question du financement du FED par les autres Etats sans avoir la garantie que les montants retirés au FED seront affectés au développement. Il y a donc un vrai risque politique à s'engager dans cette voie. Cela ne veut pas dire que je ne partage pas un certain nombre de critiques sur l'aide multilatérale – je suis parfois le premier à être exaspéré par certaines pratiques – mais l'alternative me semble complexe et risquée.

Concernant le modèle de développement, je partage ce qui a été dit sur l'agriculture et je compléterai le propos sur l'énergie. La dépendance à l'égard des énergies fossiles au Mali est incroyable. 25 mille litres de carburants sont nécessaires pour réapprovisionner les centrales électriques pour Tombouctou, Gao, Kidal devront être acheminées depuis d'autres pays de la région (nord si on arrive à négocier avec l'Algérie, Mauritanie ou sud). On imagine l'empreinte écologique de l'énergie produite à partir de ce schéma. Il faut donc développer des alternatives à moyen terme. Nous avons sur ce secteur un vaste chantier.

C'est pourquoi nous avons modifié le cadre sectoriel de l'AFD dont l'enjeu est un mixage AFD FED qui permet d'allier prêts et dons, prêts car l'énergie vendue par l'opérateur constitue une recette permettant de rembourser, dons car l'exploitation de l'énergie solaire est plus chère. Ce couplage répond tout à fait nos exigences en termes de bonne gouvernance et d'efficacité. Je ne vois pas pourquoi ce qu'on a réussi au Burkina Faso on ne parviendrait pas à le réussir dans la durée au Mali.

Concernant le secteur minier, c'est un enjeu et la France a été le premier Etat à soutenir l'initiative de M. Diop sur la transparence des contrats. Sur l'agriculture, le débat aura lieu avec la population civile sur le cadre sectoriel de l'AFD. La concertation a commencé en janvier pour aboutir à une nouvelle doctrine en mars en faveur du développement agricole de l'Afrique subsaharienne. Je partage beaucoup de ce qui a été dit. L'Agence nationale est un bel outil mais encore faut-il qu'on l'utilise à ce pourquoi il a été conçu ! Si c'est fléché AFD, il n'y a pas de substitution mais une conversation franche doit s'engager. Je préfère que cela passe par la Banque mondiale. Il n'y a pas d'opposition entre bilatéral et multilatéral et je ne fais que travailler sur l'harmonisation et la complémentarité entre les deux.

Voilà ce que je voulais dire. L'objectif est bel et bien de gagner la paix et cela se joue dans les trois à six mois sur le plan politique et sur le plan du développement. C'est une grande responsabilité que nous avons collectivement de réussir ce défi.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je vous remercie. Ce que vous venez de nous dire sera extrêmement précieux dans les semaines et les mois qui viennent. Nous aurons un débat en Séance le 27 février sur le Mali et l'après-conflit. Nous allons pouvoir approfondir encore nos projets. Nous souhaitons aussi bonne chance aux assises du développement et de la solidarité internationale.

La séance est levée à dix-huit heures cinq.