Intervention de Serge Michailof

Réunion du 20 février 2013 à 16h30
Commission des affaires étrangères

Serge Michailof :

Sur le problème de l'autonomie du nord, évoqué par M. Amirshahi, je reste prudent. Il faut bien voir qu'il y a, au Mali, un problème d'irrédentisme touareg datant d'avant la colonisation et jamais résolu de manière satisfaisante. L'intervention du MUJAO et d'Ansar Eddine ont surinfecté une infection déjà vive. Il va falloir écouter les représentants touareg, ceux des populations arabes et voir quelles sont leurs demandes. Au Mali, il y a une demande politique très ancienne. Si on ne la traite pas, on aura une guerre de guérilla, ingagnable par une démocratie occidentale. Il faut offrir des perspectives et un espoir politique. Comment ? Je ne sais pas et c'est à vous, les politiques, de formuler des propositions.

M. Gaymard a évoqué la zone franc. Je maintiens mon jugement sévère mais j'estime qu'il ne faut pas y toucher aujourd'hui avec une Côte d'Ivoire et un Mali chancelants. Toutefois, je pense que ça a contribué à ruiner l'agriculture des pays sahéliens et à déresponsabiliser leurs élites politiques et économiques. Il est aberrant que la politique monétaire de ces pays soit décidée à Francfort ! Mais, je le répète : il ne faut pas y toucher maintenant.

En ce qui concerne la relance de l'économie sahélienne, il y a dans cette région, des ressources minières importantes. Certaines sont identifiées, d'autres non. Certaines sont exploitées, d'autres non. Il faudrait mettre en place des mécanismes permettant une pleine transparence pour éviter les dérives qu'on peut constater en Guinée équatoriale ou au Gabon. Sur le plan agricole, le sud du Sahel a un gros potentiel cotonnier. Contrairement aux idées reçues le coton est un moteur de développement et ne chasse pas les céréales. Par son intermédiaire, on peut développer un artisanat de services et restructurer l'organisation paysanne. Une dynamique peut se faire dans un secteur où la concurrence est rude face aux cotons européen et américain subventionnés. En tout cas, le coton permet d'aborder l'ensemble des problématiques agricoles dans le sud sahélien. Dans le nord, on a plein d'études sur la lutte contre la désertification, sur la relance de l'économie dans les oasis. Les idées ne manquent pas. Certes, il faut balayer devant notre porte et je suis le premier à ne pas comprendre le départ de l'AFD du Mali. Mais il faut savoir que les grandes agences multilatérales suivent des effets de mode. Dans les années 60, c'était les grands projets. Dans les années 70, le développement rural et les microprojets. Dans les années 8090, ce furent l'ajustement structurel. Maintenant, c'est le tout social. Ce n'est que depuis 8889 qu'on redécouvre l'agriculture. Entre-temps, les équipes agricoles ont été dissoutes. Aujourd'hui, à la Banque mondiale, il n'y a que des économistes et pas un seul n'a vu un plant de sorgho. Seule la France, présente au Sahel depuis les années 60, a conservé une expertise.

S'agissant du PNUD, j'en pense pis que pendre. Franchement, en le transformant en institution capable de produire des rapports intéressants et en lui interdisant d'agir sur le terrain, le monde s'en porterait mieux.

Que fait l'AFD ? Est-elle devenue une banque ? Oui mais à son corps défendant. J'ai été directeur des opérations de l'AFD et je désespérais de ne pas avoir d'instruments de subventions me permettant de conduire des programmes de développement dans les pays les plus pauvres. J'étais dans une situation absurde dan laquelle on me fixait un objectif global de décaissement pour l'Afrique mais comme je n'avais pas d'instruments de subventions, je n'avais que des prêts à proposer. J'en étais donc à chercher des pays à qui je pouvais prêter. J'étais dans une logique instrumentale absurde. Aujourd'hui, en dehors de 250 millions d'euros annuels, l'AFD ne verse plus de subventions. En ça, elle est devenue une banque. Elle a même envisagé un moment de fermer toutes ses agences au Sahel vu qu'elle n'avait plus de ressources pour cette zone. Cependant, je pense qu'il y a toujours une éthique à l'AFD, un souci de bien travailler. Il y a moyen de la relancer avec des ressources sur la question sahélienne. Je suis sûr que les équipes auront à coeur de se dévouer.

Dans la reconstruction des institutions d'un Etat failli, le problème clef est celui de la légitimité de l'Etat et de la qualité de son équipe dirigeante. Si on a un président de la République qui ne s'intéresse qu'aux négociations entre tribus et entre systèmes mafieux – et mon regard va, par exemple, vers l'Afghanistan –, on ne peut espérer construire un Etat crédible. Ça ne l'intéresse pas et ça le gênera. Car lorsqu'on lui demandera de remplacer un ministre corrompu par un technocrate compétent, ça gênera ses calculs politiques. De plus, il faut reconstruire les institutions sur une base moderne. On peut le faire rapidement. Il faut à la tête des institutions un homme ou une femme avec une crédibilité, un charisme et une volonté de changer les choses et lui permettre de choisir ses équipes sur une base de compétence et non sur une base ethnique. Dans ce contexte-là, l'assistance technique prend sens. Dans une structure complément verrouillée par les réseaux mafieux, l'assistance technique gênera. Si l'équipe dirigeante veut des résultats, on peut en atteindre en à peine 3 ou 4 ans. En Afghanistan, certaines institutions modernes se sont créées mais elles ont fini par gêner car on ne pouvait plus y caser les copains. On sait donc reconstruire un appareil d'État mais c'est politiquement délicat. Ça implique des remises en cause d'équilibres. Il faut du courage. Je vais vous donner un exemple lorsque j'étais directeur pour l'Afrique centrale à la Banque mondiale. On m'a demandé d'emmener le Cameroun au point d'achèvement du PPTE, ce qui impliquait d'atteindre des performances en matière d'éducation et de santé qui étaient hors de portée. Je suis allé voir le président Biya et je lui ai dit que deux de ses ministres posaient problème. Il était embêté mais, deux mois après, ils avaient été remplacés par des gens très capables. Je crois donc que dans le cadre d'un dialogue franc, on peut exiger d'avoir à la tête des nouvelles institutions maliennes, issues des élections, des hommes de qualité. Il y en a au Mali. À partir de là, on peut reconstruire très vite. Par le passé, on a dépensé 1 milliard de dollars par an sur le Mali, dans un système vermoulu. Ça ne sert à rien.

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