Intervention de Stéphanie Kretowicz

Séance en hémicycle du 28 février 2013 à 15h00
Débat sur le fonctionnement des juridictions prud'homales après la réforme de la carte judiciaire — Table ronde

Stéphanie Kretowicz, vice-présidente du tribunal d'instance du Xe arrondissement de Paris :

Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, en guise de préliminaire, j'indique que je suis actuellement juge départiteur à temps complet au conseil des prud'hommes de Paris et que j'ai exercé les mêmes fonctions au conseil de prud'hommes de Bobigny. Si ces deux juridictions concentrent bien évidemment tous les dysfonctionnements qui ont été relevés par les deux précédents intervenants, elles ne sont pas nécessairement représentatives de l'activité des conseils de prud'hommes sur l'ensemble du territoire national, puisqu'il existe des disparités très importantes.

La question des délais devant les conseils de prud'hommes vient d'être rappelée. Je citerai seulement les statistiques du ministère de la justice : pour l'ensemble du territoire, la durée moyenne de traitement des affaires au fond devant les conseils de prud'hommes est de 13,7 mois et elle atteint 25,7 mois en cas de départage, alors que, comme cela a déjà été rappelé à deux reprises, la loi prévoit que l'affaire doit être jugée dans le mois qui suit la décision de départage.

Aujourd'hui, devant le conseil de prud'hommes de Paris, le délai pour obtenir une date de départage est de treize mois, et ce délai est en augmentation constante d'année en année ; il y a un peu plus de 3 200 dossiers en stock pour le seul service du départage.

Je rappelle que le juge départiteur intervient lorsque les conseillers salariés et employeurs n'ont pas réussi à trouver une issue au litige qui leur était soumis, que ce soit en phase de conciliation ou en phase de jugement. Les juges départiteurs sont désignés par le premier président de la cour d'appel, parmi les juges d'instance des tribunaux d'instance du ressort. À Paris, six juges départiteurs exercent ces fonctions à temps complet.

La question des délais devant le conseil de prud'hommes est évidemment cruciale. La maîtrise de ces délais se heurte à plusieurs difficultés, à commencer par le manque de moyens, qui a déjà été relevé par les intervenants précédents. Un autre problème est l'encombrement, parfois catastrophique, des rôles d'audience, encombrement qu'on retrouve devant la chambre sociale de la cour d'appel, et notamment à Paris, où le délai de jugement est aujourd'hui d'environ deux ans à partir de l'appel de la décision.

Mais ce sur quoi je voudrais davantage me pencher, pendant les quelques minutes qui me sont accordées, c'est la question de la procédure devant le conseil de prud'hommes, que ce soit à droit constant ou dans le cadre d'une éventuelle réforme. La procédure influe nécessairement, elle aussi, sur les délais de jugement.

Je voudrais rappeler tout d'abord que, devant le conseil de prud'hommes, la procédure est orale. Il est à mon sens nécessaire de préserver cette oralité, qui répond à une double exigence, de simplicité pour le justiciable, et de proximité, puisque je rappelle que la représentation n'est pas obligatoire devant les conseils de prud'hommes. Cette question de l'oralité entraîne, pour le juge prud'homal, des difficultés de mise en oeuvre, puisqu'il est confronté en permanence à la question récurrente, et assez difficile à résoudre, de l'articulation entre procédure orale et respect du contradictoire.

Il existe déjà, et dans le code du travail et dans le code de procédure civile, des textes qui permettent de faire respecter les délais de communication de pièces et les délais de procédure, et qui permettent une mise en état de la procédure. Cependant, force est de constater aujourd'hui que ces textes ne permettent pas du tout au juge de lutter efficacement contre les pratiques dilatoires et les manoeuvres, utilisées le plus souvent par le défendeur, pour faire durer la procédure et pour retarder son issue – en sollicitant des renvois, en communiquant tardivement les pièces ou en changeant régulièrement de conseil, autant de pratiques courantes devant les conseils de prud'hommes.

Je voudrais aussi évoquer rapidement le bureau de conciliation et son rôle devant le conseil des prud'hommes. Je rappelle que le taux de conciliation au niveau national est très faible, de l'ordre de 5 %. Il est à mon sens nécessaire aujourd'hui, comme le permettent déjà les textes, de faire en sorte que le bureau de conciliation utilise les pouvoirs qui lui sont octroyés, notamment en matière de mise en état, à la fois par le code du travail et par le code de procédure civile.

Ce rôle de mise en état est, à mon sens, particulièrement important pour réduire au mieux les délais de procédure ; si des conseillers rapporteurs étaient désignés, y compris devant le conseil des prud'hommes, ils seraient à même de jouer ce rôle, sans qu'il soit forcément nécessaire de modifier les textes.

Deux éléments font aujourd'hui obstacle à une telle solution.

Tout d'abord, le manque de formation des conseillers à la procédure, et notamment à la procédure civile, rend très difficile une application utile de ces textes.

Ensuite, l'absence quasi systématique du défendeur en personne à l'audience de conciliation rend impossible la conciliation et très difficile la mise en état de la procédure.

Il est nécessaire de permettre la mise en état de l'affaire de manière plus rapide et plus fluide afin d'éviter les renvois successifs et de limiter au mieux le recours au juge départiteur.

Dans cette optique, des réformes peuvent être envisagées sous plusieurs angles. En premier lieu, il est possible de revoir le rôle du bureau de conciliation, et notamment la question de la communication des pièces devant ce bureau de conciliation. Il serait également utile d'instaurer de réelles sanctions à l'encontre des parties non-diligentes, car de telles sanctions n'existent pratiquement pas aujourd'hui, et celles qui existent sont très difficiles à faire appliquer devant les conseils des prud'hommes.

Une autre difficulté rencontrée par de nombreux conseils des prud'hommes est la question des affaires en série, qui touchent la région parisienne, mais ailleurs également, comme l'a montré l'actualité récente à Compiègne. Il s'agit de la saisine par plusieurs salariés du conseil des prud'hommes sur une question de droit identique, qui peut être la cause réelle du licenciement économique, ou l'application des dispositions d'une convention collective. Ces traitements de dossiers en série posent de réelles difficultés au Conseil, qui n'a pas les moyens humains et matériels d'y faire face. Lorsque le greffe doit convoquer les sept cents salariés de l'usine Continental de Clairoix pour leur notifier les sept cents jugements, à moyens constants, cela pose évidemment des difficultés très importantes.

D'une manière plus générale, les problèmes que rencontre la prud'homie justifient que soient engagées une réflexion approfondie et une concertation aussi large que possible sur les moyens dont on peut disposer pour redonner à cette institution la considération et l'efficacité qui lui font de plus en plus défaut.

Parmi les questions à aborder devrait figurer en bonne place celle de la formation des conseillers prud'homaux. En effet, s'il peut sembler légitime que les organisations syndicales souhaitent maîtriser la formation sur le fond du droit du travail, dont la compréhension est stratégique et pour elles et pour leurs militants, il me semble que la formation à la procédure, à l'acte de juger, à la rédaction de jugements et au fonctionnement même de la juridiction prud'homale devrait être assurée par des professionnels de la justice et devrait être commune aux deux collèges, toutes organisations syndicales confondues.

Aujourd'hui, la méconnaissance des règles de procédure par les conseillers peut être une des causes du fort taux d'appel des décisions des conseils de prud'hommes. Pour mémoire, le taux d'appel est de 58 %.

Une formation commune permettrait aussi, sans doute, une amélioration des relations entre juges départiteurs et conseillers. Aujourd'hui, il ne peut qu'être constaté l'existence, notamment en délibéré, de tensions entre les collèges salariés et les collèges employeurs, mais aussi entre les conseillers et le juge départiteur, tensions qui traduisent parfois de la défiance et qui sont sans doute liées à une méconnaissance réciproque ainsi qu'à des différences de culture – culture du droit, culture du fait. Il me semble nécessaire d'y remédier, notamment en réfléchissant à la participation des conseillers à des formations communes, que pourrait par exemple dispenser l'École nationale de la magistrature.

Enfin, parler du conseil des prud'hommes c'est parler d'une juridiction qui a ses propres règles, sa propre procédure et son propre juge. Or, aujourd'hui, c'est un juge non spécialisé qui intervient dans un contentieux qui, lui, l'est extrêmement, et de plus en plus. Si à Paris, à Bobigny et dans d'autres conseils des prud'hommes, les juges départiteurs exercent ces fonctions à temps complet, dans nombre d'autres conseils ce sont des juges qui interviennent ponctuellement dans le cadre de leurs fonctions au tribunal d'instance.

Par ailleurs, le juge prud'homal peut être amené à intervenir sur une affaire qu'une autre juridiction a déjà eu à connaître, et parfois même en concurrence avec elle. C'est notamment le cas du tribunal des affaires de sécurité sociale en ce qui concerne les maladies professionnelles, les accidents du travail, ou les liquidations de pensions ; du TGI pour les procédures collectives du travail ; du tribunal administratif, en présence de salarié protégé ou de constatation de l'avis d'inaptitude. À ce sujet, la transcription dans la loi de l'accord national interprofessionnel de janvier dernier risque encore d'ajouter de la complexité sur le rôle de ces différents juges, notamment en ce qui concerne la compétence en matière de licenciement économique. Le juge prud'homal intervient également en parallèle avec le juge du tribunal d'instance compétent pour le contentieux électoral, ou avec le tribunal de commerce qui connaît des procédures collectives, celles-ci ayant bien sûr un impact sur les litiges individuels devant le conseil de prud'hommes.

Une réflexion sur les places respectives de ces juges du travail pourrait être utilement envisagée.

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