La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à quinze heures.)
L'ordre du jour appelle le débat sur les juridictions prud'homales après la réforme de la carte judiciaire.
La Conférence des présidents a décidé d'organiser ce débat en deux parties. Nous commencerons par une table ronde en présence de personnalités invitées, puis, à seize heures, nous procéderons, en présence du Gouvernement, à une séance de questions et de réponses, avec d'éventuelles répliques et contre-répliques.
Pour cette première phase du débat, je souhaite d'abord la bienvenue à Mme Maude Beckers, avocate en droit du travail, coprésidente de la commission sociale du Syndicat des avocats de France, à M. Michel Demoule, greffier en chef au conseil de prud'hommes de Roubaix, à Mme Stéphanie Kretowicz, vice-présidente du tribunal d'instance du Xe arrondissement de Paris et à Mme Violaine Touet-Seurat, présidente du conseil de prud'hommes de Nanterre.
Pour entamer la table ronde, je donne la parole à M. Marc Dolez.
Le groupe GDR a demandé l'organisation d'un débat sur le fonctionnement des juridictions prud'homales compte tenu de notre grande inquiétude quant au fonctionnement de ces juridictions après la réforme de la carte judiciaire de 2008, qui a abouti à la suppression de 62 conseils de prud'hommes.
De nombreuses juridictions prud'homales se trouvent dans une situation particulièrement critique, alors que, je le rappelle, le code du travail prévoit un délai d'un mois pour le traitement des dossiers. Aujourd'hui, faire valoir ses droits devant les juridictions prud'homales, c'est souvent être confronté à des délais de procédure extraordinaires.
Nos invités le diront certainement mieux que moi, se fondant sur leur expérience, sur la réalité qu'ils vivent au quotidien, mais, par exemple, à Bobigny, deux à trois années sont nécessaires à la tenue des audiences de départage. Les dysfonctionnements sont innombrables : ils touchent les conseils de prud'hommes et aussi les chambres sociales des cours d'appel.
Pour les salariés, les conséquences ne sont pas minces. Elles sont même souvent dramatiques puisque, si l'on ajoute à leur précarité, dans de tels contextes, la lenteur décourageante du procès entamé, ils subissent une véritable double peine. C'est donc la protection même des salariés par le droit du travail qui est compromise.
Je veux rappeler que la justice elle-même s'est émue de cette situation puisque, l'année dernière, le tribunal de grande instance de Paris a reconnu le préjudice causé par la lenteur inacceptable de la justice et condamné l'État, oui, condamné l'État, pour avoir « manqué à son devoir de protection juridique de l'individu et notamment du justiciable, en droit de voir statuer sur ses prétentions dans un délai raisonnable », conformément à l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.
C'est la raison pour laquelle, madame la présidente, nous avons souhaité interroger, interpeller le Gouvernement, et en particulier la garde des sceaux, sur les dispositions que le Gouvernement entend prendre pour remédier à une telle situation, que, pour notre part, nous qualifions d'inacceptable.
Évidemment, la question des moyens humains et matériels est posée. Mais, pour fonder plus solidement notre interpellation, nous avons pensé nécessaire et utile de procéder aux auditions qui vont suivre et qui vont nous permettre de mieux préciser l'état des lieux et d'entendre les propositions des intervenants pour améliorer cette situation.
La parole est à Mme Maude Beckers, avocate en droit du travail, coprésidente de la commission sociale du Syndicat des avocats de France. Je vous propose d'intervenir pour une durée de cinq à dix minutes.
Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, disposer de cinq à dix minutes seulement pour vous exposer la situation, c'est peu et, pour un avocat, je vous laisse imaginer ce que cela signifie : on est à la limite du traitement inhumain et dégradant. (Sourires.) Je vais néanmoins essayer de vous exposer la situation que rencontrent les juridictions prud'homales et, pour cela, je commencerai par citer une phrase de Lacordaire qu'en tant que députés vous connaissez tous : « Entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c'est la liberté qui opprime, c'est la loi qui affranchit. » On a moins coutume de rappeler que la loi permet à l'homme d'être libre si et uniquement si un juge est là pour la faire respecter.
Au Syndicat des avocats de France, nous oeuvrons constamment afin de plaider cette évidence : sans juge, le droit est nu. Or, aujourd'hui, en France, le code du travail est nu. Il est nu car le juge, dans de trop nombreuses situations, ne peut rappeler le droit dans des délais raisonnables.
Actuellement, à Bobigny, vous l'avez rappelé, monsieur le député, en section commerce il faut plus d'une année pour passer en bureau de jugement. Mais si le bureau de jugement se déclare en partage des voix, il faudra alors attendre plus de deux années pour plaider en départage. Il faut donc plus de trois années pour obtenir un jugement en première instance. En cas d'appel, il faudra ajouter deux ans, soit cinq années au total.
Cinq ans pour obtenir une décision définitive, cela laisse pantois quand on sait que le code du travail prévoit, pour la requalification d'un CDD en CDI, que l'affaire soit jugée en un mois, que le même code prévoit, pour un licenciement pour motif économique – et Dieu sait s'il y en a en ce moment –, un délai de sept mois pour passer devant une juridiction.
En outre, cette situation ne pose pas un problème aux seuls justiciables directement concernés par leur procès. Ces délais déraisonnables affectent l'ensemble des salariés, mais également les entreprises qui respectent le droit. Je m'explique. Le préjudice du salarié qui attend sa décision de justice est évident – attendre cinq ans est un préjudice en tant que tel. Mais ce qui est plus pernicieux, c'est que ces délais vont éteindre le souffle des revendications qui peut exister dans les entreprises : peut-on vraiment penser qu'un salarié va oser revendiquer ses droits, se syndiquer au risque de perdre son emploi quand il sait que la protection du juge arrivera cinq ans après ?
Est-ce que l'on peut décemment soutenir que le droit à l'emploi est respecté lorsqu'une entreprise qui va faire des faux CDD se fera sanctionner une fois le salarié sorti de l'entreprise ? Ce que le législateur voulait en fixant le délai de jugement à un mois, c'est que le salarié soit encore en poste au moment du jugement, alors que, cinq ans après le lancement de la procédure, évidemment, le salarié en faux CDD ne travaille plus au sein de l'entreprise, et le droit à l'emploi n'est donc pas préservé.
Est-ce que l'on peut penser, par ailleurs, que l'on aide les entreprises qui respectent le droit lorsqu'on laisse se développer pendant des années, au sein de sociétés exerçant la même activité, des pratiques anticoncurrentielles uniquement fondées sur la violation des droits sociaux ? Il est bien évident qu'une entreprise qui ne déclare pas les heures supplémentaires de ses salariés, qui pratique le travail dissimulé, peut se permettre de pratiquer des prix concurrentiels sur le marché et ainsi de capter la clientèle de celles qui respectent le droit.
Il y va donc de l'intérêt de tous, des salariés comme des entreprises qui respectent la loi, que le droit du travail soit rappelé par le juge dans un délai rapide.
Cette lenteur : à qui la faute ? Aux juges, aux avocats, aux greffiers ? L'ancien Président de la République y aurait sans doute décelé une responsabilité individuelle quelconque. Ce n'est pas ce que le tribunal de grande instance de Paris a rappelé à 71 reprises au cours de l'année 2012. À la suite d'une action menée par le Syndicat des avocats de France, 71 assignations ont été déposées à la date anniversaire de la réforme de la carte judiciaire, le 15 février 2011, par 71 salariés auxquels se sont joints le Syndicat des avocats de France, le Syndicat de la magistrature, la CGT, la CFDT, Solidaires, l'UNSA et l'Ordre des avocats.
Nous dénoncions ces délais et demandions au tribunal de juger que l'État était coupable de déni de justice, notamment sur le fondement de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme qui prévoit que « toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable ». Or, à 71 reprises, le tribunal a jugé l'État responsable. Et la motivation de ce jugement est extrêmement claire :
« Si manifestement ces délais excessifs résultent du manque de moyens de la juridiction prud'homale, il n'est pas discutable qu'il revient à l'État de mettre en oeuvre les moyens propres à assurer le service de la justice dans des délais raisonnables, faute de quoi il prive le justiciable de la protection juridictionnelle qui lui est due. »
La cause du déni de justice a ainsi été nommée : le manque de moyens. Il est en effet incontestable que ces problèmes de délais sont dus à un manque de moyens matériels et humains.
Je m'entretenais il y a encore quelques jours avec Mme Djamila Mansour, vice-présidente du conseil de prud'hommes de Bobigny – qui est tout de même la deuxième juridiction prud'homale de France, en termes de nombre d'affaires traitées. Elle me rappelait qu'il y manquait six greffiers, dont trois d'audience, pour trente postes devant être occupés. Cela signifie qu'un nombre important d'audiences ne peuvent pas se dérouler à Bobigny alors qu'on y dispose des salles et du nombre de conseillers suffisant. Mme Mansour m'a également indiqué qu'il manquait un juge départiteur pour faire face au flot de dossiers.
La présidente du conseil de prud'hommes de Paris indiquait, dans son discours de rentrée solennelle, que le conseil ne disposait que de dix codes du travail pour 832 conseillers et que les dix ordinateurs mis à leur disposition présentaient la particularité de ne pas être reliés à internet.
Mais ces problèmes de moyens sont-ils finalement si étonnants lorsque la Commission européenne pour l'efficacité de la justice nous situe, avec 0,18 % du PIB consacré à la justice, derrière la Pologne, la Roumanie, l'Ukraine, l'Arménie, l'Azerbaïdjan ?
Je terminerai par une question, une injonction et de nouveau une citation.
La question vous sera familière, puisque c'est l'actuel président de l'Assemblée, M. Bartolone qui, en sa qualité de député de la Seine-Saint-Denis, l'avait posée au précédent gouvernement. Je la reprendrai à notre compte : « Quelles mesures le Gouvernement entend prendre pour que le droit républicain d'obtenir une décision de justice dans un délai raisonnable soit effectivement garanti devant l'ensemble des conseils de prud'hommes ? »
L'injonction, certains d'entre vous la reconnaîtront puisqu'elle figurait dans un communiqué du parti socialiste sur le manque de moyens de la justice prud'homale. Je la reprendrai également à notre compte : « Nous demandons au Gouvernement d'assurer la protection de l'ensemble des salariés en donnant aux conseils des prud'hommes les moyens nécessaires pour remplir leur mission. »
Nous compléterons cette injonction en rappelant que l'État ne peut ici se défendre en arguant d'un budget contraint en période de crise. Les arbitrages du Gouvernement, si nécessaires soient-ils, ne doivent concerner que les orientations politiques. Le respect d'un droit fondamental garanti par une convention internationale n'est pas l'orientation d'un parti politique, ni la revendication d'un syndicat. Il est une exigence démocratique qui s'impose à l'État.
Pour finir, la citation promise est de Francisco de Quevedo, écrivain espagnol du XVIIe siècle : mesdames et messieurs les députés, n'oubliez pas que « c'est parce que la justice est chose précieuse qu'elle doit coûter cher ».
Merci, madame. Et merci d'avoir respecté votre temps de parole, faute de quoi nous n'aurions pas le temps d'avoir des échanges avec les députés, ce qui serait quand même un peu dommage.
La parole est à M. Michel Demoule, greffier en chef au conseil des prud'hommes de Roubaix.
Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, le thème de notre débat est le fonctionnement des juridictions prud'homales après la réforme de la carte judiciaire. Je vais donc partir de cette « réforme » – j'ai tendance à mettre des guillemets lorsque j'évoque la réforme conduite par Mme Dati. Celle-ci a touché en premier lieu les juridictions prud'homales, puisqu'elle s'est appliquée dès le renouvellement des conseillers, lors des élections prud'homales de décembre 2008.
Je commencerai par un bref rappel.
La grande réforme de la carte judiciaire des prud'hommes est celle de 1979. Elle a étendu la compétence prud'homale à l'ensemble du territoire, à l'exception des départements d'Alsace-Moselle, avec la création de cinq sections par conseil. En 1982, la réforme fut étendue aux départements d'Alsace-Moselle. En 1987, les sections agricoles, qui traitaient peu d'affaires, furent supprimées dans certains conseils. La carte prud'homale fit l'objet d'une nouvelle réforme en 1992 : entre quarante et cinquante conseils de prud'hommes étaient sur la sellette, onze furent finalement supprimés, dont certains avaient effectivement une activité très réduite.
C'est dire si le leitmotiv que nous avons entendu tout au long de la présentation de la réforme de la carte judiciaire par la ministre de l'époque, selon lequel « la carte judiciaire n'avait jamais été modifiée depuis 1958 » était aberrant, s'agissant des prud'hommes : la réforme de la carte des juridictions prud'homales datait de 1979 et elle avait été revue à plusieurs reprises, en 1982, 1987 et 1992.
Rappelons que le programme du candidat élu en 2007 et de son organisation politique préconisait, en matière de carte judiciaire, une cour d'appel par région administrative et un tribunal de grande instance par département. En réalité, il n'a pas été touché aux cours d'appel, et très peu aux tribunaux de grande instance – il en a de nouveau été question récemment, au moins partiellement, dans le cadre de la mission Daël.
Par contre, ce sont les juridictions de proximité, les tribunaux d'instance et les conseils de prud'hommes, c'est-à-dire les juridictions où la représentation par un avocat n'est pas obligatoire, qui ont été massivement supprimées, alors que cela ne figurait ni dans le programme du candidat, ni dans celui de son organisation. S'agissant des prud'hommes, soixante-deux conseils ont été supprimés – il était prévu d'en supprimer soixante-trois, mais l'un d'eux a heureusement échappé à cette suppression – et il y eut une seule création, qui a elle-même résulté de la suppression de deux autres conseils, à Avesnes-sur-Helpe. C'est la plus petite ville de France disposant d'un tribunal de grande instance. Un conseil de prud'hommes a été créé dans cette ville de 5 500 habitants et celui de Maubeuge a été supprimé, alors que la ville a un ressort de 100 000 habitants : en matière de cohérence, on voit que ce n'est pas le souci du justiciable qui a prédominé.
Quelles ont été les conséquences de la réforme de la carte judiciaire sur le fonctionnement des juridictions prud'homales ?
On déplorait, et cette critique n'était pas dénuée de fondement, le fait que, dans certains conseils, les conseillers ne siégeaient que deux ou trois fois par an, ce qui était évidemment peu. Il est vrai qu'il y a des problèmes de formation, reconnus par l'ensemble des organisations syndicales, et un manque de moyens en matière de délais de formation : les conseillers ne bénéficient que de six semaines par mandat de cinq ans, avec deux semaines au maximum par an. Mais en même temps, si les conseillers formés ne siègent que deux fois dans l'année, cette formation ne sert à rien. C'est un peu comme quand, au niveau des greffes, une formation informatique est dispensée, mais que les ordinateurs ne sont fournis que six mois plus tard : vous imaginez bien que c'est totalement inutile.
Il y avait certainement des pistes à rechercher de ce côté, comme la suppression de sections dans les petits conseils, ce qui aurait permis de réduire le nombre de conseillers en les faisant siéger plus longtemps. Cela n'a pas été le cas, et la professionnalisation des conseillers, qui avait été annoncée dans le programme Dati, n'a pas eu lieu. On nous disait qu'il fallait des conseillers mieux formés et appelés à siéger davantage, mais c'est le contraire qui s'est produit. En effet, on a ajouté dans les conseils de rattachement les effectifs de conseillers supprimés, si bien que certains conseils se sont retrouvés avec une pléthore de conseillers prud'homaux : parmi eux, certains siègent suffisamment, et d'autres siègent peu.
Si l'un des principes retenus par le ministère était de ne pas toucher au nombre de conseillers, il était en revanche prévu de toucher massivement au nombre de fonctionnaires : il y eut donc une diminution massive des effectifs de fonctionnaires dans les prud'hommes. Rappelons qu'au moment de la réforme des conseils de prud'hommes, initiée par Robert Boulin à la fin des années 1970, il avait été indiqué qu'il fallait donner des effectifs suffisants pour que les conseils fonctionnent. Depuis, ces effectifs ont fortement diminué, puisqu'on est passé de près de 1 900 fonctionnaires, tous conseils de prud'hommes confondus, au milieu des années 1980, à un tout petit peu plus de 1 200 aujourd'hui : c'est plus du tiers des effectifs qui a été supprimé et cela a naturellement des conséquences sur leur fonctionnement.
Une légende persistante disait qu'il y avait trop de fonctionnaires dans les conseils de prud'hommes ; la représentante du Syndicat des avocats de France, qui vient d'intervenir, a évoqué la situation du conseil de Bobigny : on est effectivement loin du compte dans un certain nombre d'endroits et les moyens manquent pour faire fonctionner normalement les juridictions prud'homales. Mais il est vrai que les conseils de prud'hommes sont considérés depuis longtemps par le ministère comme la dernière roue du carrosse. Comme ces juridictions n'ont pas de magistrats professionnels, on les considère comme des juridictions de seconde zone, et comme des endroits où il n'y a finalement pas vraiment de travail à faire.
Je reviens à l'exemple d'Avesnes-sur-Helpe, que j'ai évoqué tout à l'heure : on a cumulé les effectifs des conseillers de Fourmies et de Maubeuge, si bien que le conseil compte près de 90 conseillers prud'homaux, dont certains ne siègent pratiquement jamais. En revanche, il a fallu, au sein du comité technique paritaire régional, se bagarrer avec les chefs de cours, qui voulaient réduire à deux le nombre de fonctionnaires du conseil. Nous avons pu obtenir qu'il y en ait trois, mais ce conseil ne fonctionne évidemment pas dans des conditions normales.
Quel est le bilan aujourd'hui ? La réforme de la carte judiciaire, telle qu'elle s'est faite, n'a en rien amélioré le fonctionnement des juridictions prud'homales, ni en matière de professionnalisation des conseillers, ni en termes de délais de traitement des dossiers. Elle a en revanche contribué à éloigner les citoyens des juridictions et à diminuer les effectifs de fonctionnaires.
D'autres réformes ont également contribué à ce mauvais bilan, à commencer par l'instauration de la rupture conventionnelle, cette forme de licenciement déguisé qui a abouti à priver nombre de salariés de recours devant les juridictions.
Je pense aussi à l'introduction, en 2004, de la représentation obligatoire par avocat au conseil devant la Cour de cassation, ainsi qu'à la diminution des délais de prescription, dont certains sont passés de trente ans à cinq ans pour saisir le conseil de prud'hommes en contestation de licenciement ou en demande de dommages et intérêts, sans oublier l'accord national interprofessionnel du 11 janvier dernier, qui devrait être discuté très prochainement et qui prévoit de réduire encore les délais de prescription puisque, dans certains cas, la contestation du licenciement devra être faite dans l'année.
L'instauration de la taxe fiscale de 35 euros, enfin, a des répercussions sur l'activité civile en général. Certains présidents de TGI s'en sont fait l'écho lors de leur discours de rentrée, mais cela constitue un obstacle pour les salariés, dans le cadre de procédures en référé, notamment dans le cadre de demandes de remise de pièces.
Je conclus.
De même que la réforme de la carte judiciaire ne fut pas celle qu'avait annoncée le candidat élu en 2007, de même, il semble que soit prévue aujourd'hui une réforme de l'organisation judiciaire qui ne figurait pas dans le programme du candidat élu en 2012, avec le projet de création de tribunaux de première instance. Nous pourrons y revenir si vous le souhaitez.
La parole est à Mme Stéphanie Kretowicz, vice-présidente du tribunal d'instance du Xe arrondissement de Paris.
Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, en guise de préliminaire, j'indique que je suis actuellement juge départiteur à temps complet au conseil des prud'hommes de Paris et que j'ai exercé les mêmes fonctions au conseil de prud'hommes de Bobigny. Si ces deux juridictions concentrent bien évidemment tous les dysfonctionnements qui ont été relevés par les deux précédents intervenants, elles ne sont pas nécessairement représentatives de l'activité des conseils de prud'hommes sur l'ensemble du territoire national, puisqu'il existe des disparités très importantes.
La question des délais devant les conseils de prud'hommes vient d'être rappelée. Je citerai seulement les statistiques du ministère de la justice : pour l'ensemble du territoire, la durée moyenne de traitement des affaires au fond devant les conseils de prud'hommes est de 13,7 mois et elle atteint 25,7 mois en cas de départage, alors que, comme cela a déjà été rappelé à deux reprises, la loi prévoit que l'affaire doit être jugée dans le mois qui suit la décision de départage.
Aujourd'hui, devant le conseil de prud'hommes de Paris, le délai pour obtenir une date de départage est de treize mois, et ce délai est en augmentation constante d'année en année ; il y a un peu plus de 3 200 dossiers en stock pour le seul service du départage.
Je rappelle que le juge départiteur intervient lorsque les conseillers salariés et employeurs n'ont pas réussi à trouver une issue au litige qui leur était soumis, que ce soit en phase de conciliation ou en phase de jugement. Les juges départiteurs sont désignés par le premier président de la cour d'appel, parmi les juges d'instance des tribunaux d'instance du ressort. À Paris, six juges départiteurs exercent ces fonctions à temps complet.
La question des délais devant le conseil de prud'hommes est évidemment cruciale. La maîtrise de ces délais se heurte à plusieurs difficultés, à commencer par le manque de moyens, qui a déjà été relevé par les intervenants précédents. Un autre problème est l'encombrement, parfois catastrophique, des rôles d'audience, encombrement qu'on retrouve devant la chambre sociale de la cour d'appel, et notamment à Paris, où le délai de jugement est aujourd'hui d'environ deux ans à partir de l'appel de la décision.
Mais ce sur quoi je voudrais davantage me pencher, pendant les quelques minutes qui me sont accordées, c'est la question de la procédure devant le conseil de prud'hommes, que ce soit à droit constant ou dans le cadre d'une éventuelle réforme. La procédure influe nécessairement, elle aussi, sur les délais de jugement.
Je voudrais rappeler tout d'abord que, devant le conseil de prud'hommes, la procédure est orale. Il est à mon sens nécessaire de préserver cette oralité, qui répond à une double exigence, de simplicité pour le justiciable, et de proximité, puisque je rappelle que la représentation n'est pas obligatoire devant les conseils de prud'hommes. Cette question de l'oralité entraîne, pour le juge prud'homal, des difficultés de mise en oeuvre, puisqu'il est confronté en permanence à la question récurrente, et assez difficile à résoudre, de l'articulation entre procédure orale et respect du contradictoire.
Il existe déjà, et dans le code du travail et dans le code de procédure civile, des textes qui permettent de faire respecter les délais de communication de pièces et les délais de procédure, et qui permettent une mise en état de la procédure. Cependant, force est de constater aujourd'hui que ces textes ne permettent pas du tout au juge de lutter efficacement contre les pratiques dilatoires et les manoeuvres, utilisées le plus souvent par le défendeur, pour faire durer la procédure et pour retarder son issue – en sollicitant des renvois, en communiquant tardivement les pièces ou en changeant régulièrement de conseil, autant de pratiques courantes devant les conseils de prud'hommes.
Je voudrais aussi évoquer rapidement le bureau de conciliation et son rôle devant le conseil des prud'hommes. Je rappelle que le taux de conciliation au niveau national est très faible, de l'ordre de 5 %. Il est à mon sens nécessaire aujourd'hui, comme le permettent déjà les textes, de faire en sorte que le bureau de conciliation utilise les pouvoirs qui lui sont octroyés, notamment en matière de mise en état, à la fois par le code du travail et par le code de procédure civile.
Ce rôle de mise en état est, à mon sens, particulièrement important pour réduire au mieux les délais de procédure ; si des conseillers rapporteurs étaient désignés, y compris devant le conseil des prud'hommes, ils seraient à même de jouer ce rôle, sans qu'il soit forcément nécessaire de modifier les textes.
Deux éléments font aujourd'hui obstacle à une telle solution.
Tout d'abord, le manque de formation des conseillers à la procédure, et notamment à la procédure civile, rend très difficile une application utile de ces textes.
Ensuite, l'absence quasi systématique du défendeur en personne à l'audience de conciliation rend impossible la conciliation et très difficile la mise en état de la procédure.
Il est nécessaire de permettre la mise en état de l'affaire de manière plus rapide et plus fluide afin d'éviter les renvois successifs et de limiter au mieux le recours au juge départiteur.
Dans cette optique, des réformes peuvent être envisagées sous plusieurs angles. En premier lieu, il est possible de revoir le rôle du bureau de conciliation, et notamment la question de la communication des pièces devant ce bureau de conciliation. Il serait également utile d'instaurer de réelles sanctions à l'encontre des parties non-diligentes, car de telles sanctions n'existent pratiquement pas aujourd'hui, et celles qui existent sont très difficiles à faire appliquer devant les conseils des prud'hommes.
Une autre difficulté rencontrée par de nombreux conseils des prud'hommes est la question des affaires en série, qui touchent la région parisienne, mais ailleurs également, comme l'a montré l'actualité récente à Compiègne. Il s'agit de la saisine par plusieurs salariés du conseil des prud'hommes sur une question de droit identique, qui peut être la cause réelle du licenciement économique, ou l'application des dispositions d'une convention collective. Ces traitements de dossiers en série posent de réelles difficultés au Conseil, qui n'a pas les moyens humains et matériels d'y faire face. Lorsque le greffe doit convoquer les sept cents salariés de l'usine Continental de Clairoix pour leur notifier les sept cents jugements, à moyens constants, cela pose évidemment des difficultés très importantes.
D'une manière plus générale, les problèmes que rencontre la prud'homie justifient que soient engagées une réflexion approfondie et une concertation aussi large que possible sur les moyens dont on peut disposer pour redonner à cette institution la considération et l'efficacité qui lui font de plus en plus défaut.
Parmi les questions à aborder devrait figurer en bonne place celle de la formation des conseillers prud'homaux. En effet, s'il peut sembler légitime que les organisations syndicales souhaitent maîtriser la formation sur le fond du droit du travail, dont la compréhension est stratégique et pour elles et pour leurs militants, il me semble que la formation à la procédure, à l'acte de juger, à la rédaction de jugements et au fonctionnement même de la juridiction prud'homale devrait être assurée par des professionnels de la justice et devrait être commune aux deux collèges, toutes organisations syndicales confondues.
Aujourd'hui, la méconnaissance des règles de procédure par les conseillers peut être une des causes du fort taux d'appel des décisions des conseils de prud'hommes. Pour mémoire, le taux d'appel est de 58 %.
Une formation commune permettrait aussi, sans doute, une amélioration des relations entre juges départiteurs et conseillers. Aujourd'hui, il ne peut qu'être constaté l'existence, notamment en délibéré, de tensions entre les collèges salariés et les collèges employeurs, mais aussi entre les conseillers et le juge départiteur, tensions qui traduisent parfois de la défiance et qui sont sans doute liées à une méconnaissance réciproque ainsi qu'à des différences de culture – culture du droit, culture du fait. Il me semble nécessaire d'y remédier, notamment en réfléchissant à la participation des conseillers à des formations communes, que pourrait par exemple dispenser l'École nationale de la magistrature.
Enfin, parler du conseil des prud'hommes c'est parler d'une juridiction qui a ses propres règles, sa propre procédure et son propre juge. Or, aujourd'hui, c'est un juge non spécialisé qui intervient dans un contentieux qui, lui, l'est extrêmement, et de plus en plus. Si à Paris, à Bobigny et dans d'autres conseils des prud'hommes, les juges départiteurs exercent ces fonctions à temps complet, dans nombre d'autres conseils ce sont des juges qui interviennent ponctuellement dans le cadre de leurs fonctions au tribunal d'instance.
Par ailleurs, le juge prud'homal peut être amené à intervenir sur une affaire qu'une autre juridiction a déjà eu à connaître, et parfois même en concurrence avec elle. C'est notamment le cas du tribunal des affaires de sécurité sociale en ce qui concerne les maladies professionnelles, les accidents du travail, ou les liquidations de pensions ; du TGI pour les procédures collectives du travail ; du tribunal administratif, en présence de salarié protégé ou de constatation de l'avis d'inaptitude. À ce sujet, la transcription dans la loi de l'accord national interprofessionnel de janvier dernier risque encore d'ajouter de la complexité sur le rôle de ces différents juges, notamment en ce qui concerne la compétence en matière de licenciement économique. Le juge prud'homal intervient également en parallèle avec le juge du tribunal d'instance compétent pour le contentieux électoral, ou avec le tribunal de commerce qui connaît des procédures collectives, celles-ci ayant bien sûr un impact sur les litiges individuels devant le conseil de prud'hommes.
Une réflexion sur les places respectives de ces juges du travail pourrait être utilement envisagée.
La parole est à Mme Violaine Touet-Seurat, présidente du conseil de prud'hommes de Nanterre.
Je remercie l'Assemblée nationale, et plus particulièrement les députés qui nous permettent de nous exprimer ici. Je regrette néanmoins que l'exercice soit aussi périlleux et difficile, car en huit à dix minutes, il est difficile de faire le tour de la question, si tant est que cela soit notre objectif.
Je passerai rapidement sur ce qui a été évoqué dans les interventions précédentes, notamment les conséquences de la réforme de la carte judiciaire de 2008 et les soixante-deux fermetures de conseils des prud'hommes qu'elle a entraînées. De ce fait, pour certains citoyens, aller contester une violation de leurs droits est devenu vraiment difficile.
Rappelons quelles étaient les motivations de cette réforme. Elle devait permettre aux magistrats d'acquérir ou de conserver un niveau de technicité nécessaire ; garantir la continuité du service public de la justice – on peut aujourd'hui constater que ce n'est pas le cas – ; améliorer les délais de traitement des contentieux ; faciliter l'accès du justiciable à la justice par la concentration des effectifs du greffe. Sur ce dernier point, si l'on a concentré les conseillers des conseils de prud'hommes, puisque dans certains endroits seuls deux conseils demeurent là où il y en avait cinq, il semble que l'on ait oublié de concentrer le personnel du greffe. Enfin, le regroupement de conseils devait permettre de mutualiser les ressources humaines et les moyens. Si tous ces objectifs avaient été atteints, nous ne serions pas là aujourd'hui.
La juge départitrice, intervenue avant moi, a évoqué la procédure des conseils de prud'hommes. Sans entrer dans les détails, car je souhaite me faire comprendre sans utiliser un jargon trop spécialisé, cette procédure repose sur quatre principes fondamentaux. Le premier est l'unicité ; le deuxième, la comparution personnelle des parties. Ce n'est pas un choix qui est laissé aux parties : elles doivent être présentes le jour de l'audience. Un employeur peut avoir une réunion professionnelle ou un conseil d'administration ce jour-là, mais ce n'est pas pour cela qu'il peut se permettre de ne pas se rendre à la convocation des juges. La plupart du temps, le demandeur est bien là, mais en face, il n'y a personne pour répondre aux questions éventuelles des juges. Il y a l'avocat, certes, mais celui-ci n'a pas toujours les réponses en main, et cela pose des soucis.
Le troisième principe est celui de l'oralité. Nous ne sommes pas toujours d'accord sur ce point, mais ce n'est pas l'objet de notre audition aujourd'hui.
Le dernier principe est celui du contradictoire.
Je ne pense pas qu'il y ait un problème de formation pure et dure, puisque nous avons déjà évoqué que la justice prud'homale fonctionne avec des conseillers qui sont issus de la société civile, et qui ont un autre emploi dans une entreprise ou qui sont représentants du collège patronal. Lorsqu'il n'est pas possible de trouver un accord pour trancher un litige, nous sommes épaulés par des juges de métier, des magistrats.
L'application des textes pose de nombreux problèmes, ce qui ralentit les procédures. Nous sommes issus de deux collèges différents, et nous avons des points de vue différents. Issus du collège salarial, nous sommes là pour défendre le salarié, mais pas uniquement, nous avons aussi pour rôle de déterminer si telle personne a droit à telle chose, ou si telle société a bien respecté la législation.
La difficulté est là : il faut faire respecter les textes, et non pas en retenir un aspect, celui qui nous arrange, ou qui arrange le collège patronal. Il n'est pas évident, dans les conseils de prud'hommes, de faire vivre la parité, et c'est un point d'achoppement très fort.
Il est de la responsabilité de tous, et notamment de la vôtre, mesdames et messieurs les députés, de faire appliquer la loi, toute la loi, et rien que la loi. Les points de vue, notamment du patronat, ne doivent pas passer au premier plan.
Les inquiétudes sont nombreuses. Afin de ne pas excéder le temps de parole qui m'est imparti, je ne reviendrai pas sur tous les points, mais l'accord qui a été signé en début d'année soulève de fortes inquiétudes, tant pour la citoyenne que je suis que pour l'actrice de la justice. S'agissant des conseillers des prud'hommes, nous n'avons toujours pas la date des prochaines élections. La dernière date de 2008. Le mandat a été prorogé. Si l'on appliquait les textes, les élections devraient avoir lieu à la fin de l'année, mais ce ne sera pas le cas. Nous en avons repris pour deux ans, si vous me passez l'expression. En fait, on ne sait même pas quand ces élections seront organisées : on sait seulement qu'elles le seront « au plus tard » d'ici deux ans. Il faudrait faire avancer les choses sur ce point, car il s'agit d'un déséquilibre de plus : pourquoi désigner un collège d'une certaine manière, et pas l'autre ?
L'autre inquiétude est que la justice ne soit définitivement plus au service des citoyens, pour toutes les raisons qui ont été évoquées précédemment.
Le projet de loi qui mettra en oeuvre l'accord interprofessionnel du début de l'année constituera une régression sans précédent. Le Syndicat des avocats, le Syndicat de la magistrature et même certains experts du monde civil qui oeuvrent auprès des instances représentatives du personnel dans les sociétés s'interrogent très fortement. Il est de votre responsabilité de consacrer le temps nécessaire à la réflexion. Oui, elle est chronophage, mais il faut la mener, car au-delà des intérêts de tous les acteurs de la justice, il ne faut pas perdre de vue le citoyen.
Lorsque les citoyens décident d'aller au tribunal, ce n'est pas pour y toucher le jackpot. Il faut arrêter avec ça ! Quand on a devant soi des délais de cinq ans, on ne s'engage pas dans une procédure pour toucher un jackpot. Il s'agit bien de créances alimentaires, de survie. Ceux qui viennent d'être licenciés, que ce soit pour raison personnelle ou pour motif économique, et Dieu sait que l'actualité nous en donne des exemples à la pelle, ce sont bien des gens aux abois, qui ont des familles à nourrir et des charges à payer. S'il semble que l'employeur n'a pas agi dans les règles, il n'est pas normal de culpabiliser tous les citoyens.
Finalement, on parle beaucoup de compétitivité des sociétés, mais si les gens n'ont pas un minimum d'argent pour survivre ou se payer des loisirs, comment voulez-vous relancer la consommation ? Nous risquons de vivre dans un pays totalement déséquilibré : certains seront très riches et deviendront encore plus riches, tandis que la grande majorité de nos concitoyens seront très pauvres et ne pourront plus rien contester.
Mesdames, monsieur, je vous remercie. Je reconnais que l'exercice est difficile ; il va d'ailleurs se compliquer un peu, puisqu'il nous reste un quart d'heure et que quatre députés ont demandé à intervenir.
Chers collègues, puisque vous aurez largement le temps de vous exprimer lors de la deuxième partie de ce débat, je vous propose de limiter vos questions à une minute trente. Après les quatre questions des parlementaires, chacun des intervenants disposera de deux minutes pour répondre et conclure.
La parole est à M. Guy Geoffroy.
À mon tour, je remercie les intervenants : leur contribution est utile à nos échanges.
Ma question est difficile à poser, mais j'obtiendrai peut-être une réponse. J'ai entendu avec beaucoup d'intérêt le rappel des quatre grands principes fondateurs de la justice prud'homale, le quatrième principe étant le contradictoire. Dans le cadre de ce large débat et de cette large évocation des problèmes, je suis surpris que nous n'ayons pas eu l'occasion d'entendre un représentant du collège patronal. Est-il possible de savoir pourquoi ?
Il est très intéressant d'entendre un avocat, un greffier, un juge d'instance ou un président de conseil des prud'hommes, et je suis très satisfait d'avoir écouté leur contribution. Il me semble cependant qu'il manque un élément, qui ne s'oppose d'ailleurs pas obligatoirement avec leurs propos, mais qui aurait pu apporter un éclairage complémentaire dans le cadre du principe de contradictoire, je veux parler de la représentation du collège patronal, puisque la justice prud'homale a l'originalité d'émaner de la société elle-même et d'être partagée entre la représentation salariale et la représentation patronale.
Cette question ne s'adresse pas particulièrement à nos invités, que je remercie de leur présence, mais aux initiateurs et aux organisateurs de ce débat.
Il est vrai que cette forme de débat est une première dans le cadre de la semaine de contrôle. C'est par le groupe GDR, à l'initiative duquel ce débat est organisé, que les intervenants ont été choisis.
La parole est à M. Thierry Braillard.
J'ai, moi aussi, beaucoup de choses à dire. Chers collègues du groupe GDR, j'avais posé en décembre une question au Gouvernement, plus particulièrement à Christiane Taubira, sur la justice sociale, et exactement sur ce sujet.
Tout le monde est responsable. Les avocats sont responsables du non respect des contrats de procédure et du nombre astronomique de renvois dans certains conseils de prud'hommes. Les renvois pourraient souvent être évités, et il n'existe pas de procédure adaptée. Les juges aussi sont parfois responsables : une fois que l'affaire a été plaidée devant le bureau de jugement, certaines dates de mise en délibéré sont très lointaines – le délai pour rendre un jugement peut être de six mois. Puisque la loi ne dit rien et qu'il n'existe pas de règle précise, on ne peut pas imposer aux juges de rendre une décision en deux mois. Lorsque le citoyen assiste à l'audience du conseil de prud'hommes, il pense que son affaire sera bientôt terminée : il est malheureusement loin du compte. L'organisation judiciaire est responsable. Mme la juge le disait : l'article L. 1454-2 du code du travail dispose qu'en cas de partage, l'affaire est reprise dans le délai d'un mois. On ne découvre pas ce problème aujourd'hui : cela fait des années qu'en cas de partage de voix, il faut attendre plusieurs mois.
Devant cette responsabilité, des évolutions législatives sont envisageables. Pensez-vous véritablement qu'il faut modifier aujourd'hui certains points de la procédure prud'homale ?
Merci, mesdames et monsieur, de vous être déplacés pour nous expliquer votre quotidien.
Mme la vice-présidente du tribunal d'instance du Xe arrondissement de Paris a évoqué tout à l'heure la question du taux d'appel, qui s'élève à quasiment 60 %. Comment expliquez-vous ce taux d'appel élevé, mais aussi le pourcentage important de pourvois en cassation ? Pensez-vous que ces taux sont liés à la nature même des litiges prud'homaux ? Sont-ils liés à la nature de la juridiction et à la matière du droit du travail ? Sont-ils liés au fait que le justiciable, salarié ou employeur, préfère s'en remettre in fine aux soins d'un magistrat professionnel ? Quelles sont, d'après vous, les pistes pour réduire ces taux d'appel et de pourvois en cassation qui encombrent considérablement les juridictions ?
Je ferai trois observations, en essayant de ne pas dépasser mon temps de parole d'une minute trente.
Nous sommes, tout d'abord, attachés à la juridiction prud'homale. Pour reprendre les propos d'un ancien bâtonnier de Versailles, Me Tiennot Grumbach, les conseils de prud'hommes sont la plus grande université populaire du pays : grâce à eux, le droit entre dans les entreprises, chez les salariés comme chez les employeurs. Ne serait-ce que pour cette raison, il s'agit d'une institution qui mérite d'être défendue.
Deuxième observation : nous ne parlerons pas aujourd'hui de l'ANI – sinon, nous devrions y consacrer toute la séance, alors que nous avons envie de rester sur le sujet de la juridiction prud'homale.
Troisième observation : nous parlons de la juridiction prud'homale après la réforme de la carte judiciaire. Cependant, on découvre dans vos propos que les problèmes existaient avant la modification de la carte ; cette dernière n'a certainement pas amélioré les choses, mais il existe un vrai problème d'engorgement des juridictions prud'homales, indépendamment de la réforme de la carte judiciaire.
Mes questions sont donc très simples. Le taux d'appel est phénoménal : il s'élève à 58 %, contre 14 % dans les tribunaux de commerce et 12,5 % – de mémoire – dans les tribunaux de grande instance. En cas de départage, a-t-on pu mesurer le taux d'appel des décisions pour lesquelles le juge professionnel a statué ? Je n'ai pas trouvé cette donnée dans les statistiques. Dans ce cas, la rédaction de la décision est différente et il y a déjà eu une deuxième audience ; on a vu que cela entraînait un doublement du délai.
Deuxième question : peut-on envisager la notion de clôture, au sens où on l'entend devant le tribunal de grande instance, en matière prud'homale ? Cela permettrait de distinguer la clôture de la date de l'audience, et peut-être d'éviter un certain nombre de renvois.
Mesdames, monsieur, vous disposez de deux minutes pour répondre à toutes ces questions, et conclure par la même occasion.
La parole est à Mme Violaine Touet-Seurat.
Vous nous avez interrogés sur l'intérêt de faire évoluer les procédures. Il faudrait d'abord revenir à la base, et appliquer ce qui existe déjà. La première étape du procès prud'homal est le bureau de conciliation : il y a des choses à y faire, qui, aujourd'hui, ne se font pas, pour diverses raisons. Effectivement, on dit aujourd'hui communément que les bureaux de conciliation sont des chambres d'enregistrement permettant de fixer une date pour la deuxième étape, qui est le bureau de jugement. C'est dommage. Je pense qu'il faudrait vraiment changer cette situation, d'autant que cela aurait une véritable conséquence sur la mise en état de l'affaire. En effet, on ne devrait pas faire passer une affaire à la deuxième étape, celle du bureau de jugement, tant qu'elle n'est pas mise en état – l'article R. 1454-17 du code du travail énonce clairement les choses, je ne vais pas vous en faire la lecture.
S'agissant du taux d'appel élevé, celui-ci s'explique par plusieurs raisons – Mme Kretowicz est peut-être plus avertie que moi sur ce sujet. Certaines affaires sont mises en départage par principe, parce que les conseillers ont envie d'être épaulés pour obtenir des décisions véritablement bien motivées. Je souligne, à cet égard, une chose qui n'a pas encore été évoquée : le temps du conseiller prud'homal est limité. Un décret dispose clairement que tous nos faits et gestes sont limités : il n'y a qu'en audience qu'on nous laisse le temps de mener à bien nos missions. Pour le reste, nous sommes limités : c'est une heure, et pas une heure dix,…
Excusez-moi : le temps est limité ! Je m'arrête donc là.
En effet, le temps de parole est plus que limité.
La parole est à Mme Stéphanie Kretowicz.
Je ne peux évidemment pas répondre à la première question, puisque je ne figure pas parmi les organisateurs ayant choisi les intervenants de ce débat.
M. Braillard a dit que tout le monde – avocats, magistrats, greffiers – est responsable. C'est vrai, dans une certaine mesure. Les procédures dilatoires sont généralement utilisées par les avocats de la défense. On voit rarement des procédures dilatoires en demande ; on se demande d'ailleurs bien pourquoi les salariés utiliseraient des procédés dilatoires pour retarder au maximum la date de jugement de leur affaire.
Quant au temps de délibéré, il faut distinguer deux choses. D'une part, à Paris, les délibérés durent six semaines, deux mois maximum. Dans l'affaire Continental, par exemple, il a pu paraître choquant que le délibéré soit rendu le 30 août 2013. Pourtant, avec 700 dossiers pour un seul juge départiteur, on ne voit absolument pas comment il est possible de fixer une date de rendu de la décision plus proche ; d'ailleurs, cette date est même à mon sens assez raisonnable, vu la masse de travail que cela représente pour le juge, ainsi que pour le greffier, car la décision doit ensuite être notifiée.
D'autre part, il faut soulever la question – mais c'est aussi une question de procédure et de pratique des juridictions prud'homales – du rendu de la décision à l'audience. Si la décision est rendue à l'audience, elle n'est pas nécessairement motivée par le conseiller qui l'a rendue : elle est donc parfois notifiée deux, trois ou quatre mois après, voire un an après, ce qui constitue à mon sens un véritable déni de justice – à Paris.
Comment expliquer le taux d'appel élevé ? Madame Capdevielle, vous avez un peu répondu en posant la question. Je pense que cela tient à la nature du litige, mais aussi à des problèmes de motivation : une décision bien motivée est mieux comprise, et le taux d'appel peut en être réduit. Il n'existe pas de statistiques nationales sur la différence de taux d'appel entre les décisions rendues par les juges départiteurs et celles rendues par les bureaux de jugement. Je sais qu'à Paris, l'appel est moins fréquent en départage, mais je n'ai pas de chiffre à vous donner. Comme le délai d'appel est de deux ans, faire appel permet aussi parfois de provisionner, quand des condamnations sont prononcées par le bureau de jugement.
La proposition de M. Robiliard sur la clôture est une piste intéressante. Je rappelle cependant que la procédure est orale : il faudrait donc trouver un aménagement de cette oralité, mais je pense qu'il s'agit en effet d'une piste intéressante.
Le taux d'appel est d'abord lié à la nature du litige lui-même. Les litiges portent pour l'essentiel sur le licenciement : bien évidemment, selon que le conseil donne raison au salarié ou à l'employeur, la partie perdante fait appel. C'est aussi simple que cela.
Il y a quelques années, le juge départiteur de ma juridiction dénonçait le fonctionnement des prud'hommes et réclamait la mise en place de l'échevinage au motif que le taux d'appel élevé serait lié au manque de confiance des justiciables dans les jugements prud'homaux. Quand je lui ai demandé s'il connaissait le taux d'appel sur ses décisions, il m'a répondu que non. Je lui ai alors indiqué que ce taux était de 100 % : le taux d'appel était de plus de 50 % sur les décisions du conseil, mais de 100 % sur ses propres décisions. Or, pour lui, c'était justement le taux d'appel qui montrait qu'il s'agissait de mauvaises décisions ! Vous voyez tout ce que l'on peut déduire de ce genre de choses.
D'une part, le taux d'appel est donc lié au type de litige. D'autre part, plus les délais sont longs, plus il y aura des appels dilatoires pour gagner du temps. Pour diminuer le taux d'appel, il faut d'abord réduire les délais. La pratique parisienne est particulière : normalement, la quasi-totalité des conseils – en dehors de Paris et, peut-être, de Bobigny – ne prononcent une décision que lorsqu'elle est tapée, signée et prête à être envoyée le jour même ou le lendemain.
Il faudrait également cesser, je l'ai déjà dit, de supprimer les effectifs dans les conseils de prud'hommes et donner les moyens nécessaires. Car s'il manque 20 % de l'effectif comme à Bobigny, la situation est difficile. Pour siéger en commission paritaire, je constate que si quelqu'un part d'un conseil de prud'hommes, ce n'est pas compliqué ; si c'est quelqu'un qui part d'un tribunal de grande instance, il est plus difficile d'obtenir une mutation.
En réponse à la première question, je précise que, pour avoir lu des mails circuler sur l'organisation de ces débats, un président employeur a été cherché, et n'a pas été trouvé…
Concernant la responsabilité des greffiers, des juges et des avocats, lorsque le tribunal de grande instance a statué, même sur des dossiers faisant l'objet de renvois, il a indiqué que dans une démocratie qui fonctionnait normalement, les renvois devaient être à court terme. Il s'agit donc bien d'un problème de moyens, même s'il y a des renvois.
Pour éviter ces renvois, je rappelle que le problème concernant la juridiction prud'homale réside dans le fait que nous ne sommes pas à armes égales. Des salariés contestent une décision de licenciement, mais la preuve du caractère justifié du licenciement est entre les mains de l'employeur. Tant qu'on laissera les employeurs communiquer leurs pièces en second, il y aura des problèmes. S'agissant d'un licenciement pour faute grave, la charge de la preuve pèse sur l'employeur. C'est à lui de communiquer ses pièces en premier. Il faudrait donc prendre des mesures concernant le calendrier de communication des pièces. À cet égard, il serait utile qu'un groupe de travail y réfléchisse. En tout état de cause, le Syndicat des avocats de France a beaucoup d'idées en la matière.
Nous pourrions aussi imaginer que les pièces doivent être communiquées, avant le bureau de conciliation, par les deux parties, et ce afin que le bureau de conciliation serve vraiment à quelque chose, que l'on puisse parler de la conciliation à dossiers ouverts. Bref, concernant la communication de pièces, de nombreuses solutions existent pour éviter ces renvois.
S'agissant des appels, c'est souvent l'employeur qui fait appel. Pourquoi ? Pour gagner du temps, pour provisionner, et éventuellement liquider son entreprise de manière frauduleuse. Je le vois souvent. On licencie les salariés, on gagne aux prud'hommes, on liquide la société et, au bout du compte, c'est l'AGS – l'assurance de garantie des salaires – qui paie et on a un mandataire devant la cour d'appel. Le délai de deux ans permet ce genre de fraudes. Tout est lié à la question des moyens. Je suis donc désolée d'en revenir toujours au même point : tant que l'on n'accordera pas plus d'argent aux juridictions prud'homales, on sera soumis à ces difficultés. Après cela, quelques modifications de procédure peuvent être envisagées et nous sommes très volontaires pour vous aider à y réfléchir.
Mesdames, monsieur, merci infiniment pour avoir participé à nos travaux. Si vous le souhaitez, vous pouvez bien évidemment rester, en prenant place dans les tribunes du public, puisque nous allons accueillir dans quelques minutes Mme la garde des sceaux.
Table ronde
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures, est reprise à seize heures cinq.)
Madame la présidente, mesdames, messieurs les députés, vous travaillez depuis une heure sur le sujet. Il est toujours inconfortable d'entrer dans un jeu de quilles et de prendre un débat en route, mais je propose, puisque vous souhaitez avant tout avoir un échange avec le Gouvernement, de m'en tenir à un court propos liminaire.
Je remercie le groupe GDR et le félicite d'avoir pris l'initiative d'organiser un débat sur la juridiction prud'homale. C'est la juridiction de la détresse. C'est aussi celle de l'espoir, puisque les personnes qui s'y présentent espèrent bien que justice leur sera rendue. Cette juridiction n'étant pas suffisamment mise en lumière, ce débat est tout à fait bienvenu.
Les conseils de prud'hommes tels que nous les connaissons aujourd'hui sont issus de la loi de 1905, même si la toute première juridiction, lyonnaise, date de 1806. Ces juridictions ont été étendues et modifiées au fur et à mesure. Le modèle que nous connaissons aujourd'hui, modèle paritaire, date de 1905. Il a changé depuis, bien entendu, et surtout du fait de la réforme de la carte judiciaire, dont vous venez de débattre. Pour les conseils des prud'hommes, elle a été conduite de la même manière que pour les autres juridictions : une consultation insuffisante et une application par trop comptable de la révision générale des politiques publiques.
La conséquence en fut la suppression de soixante-deux conseils de prud'hommes sur deux cent soixante et onze – un conseil a néanmoins été créé –, soit une baisse de 22 % du nombre de ces juridictions. Conformément au code du travail, un conseil de prud'hommes par tribunal de grande instance a été maintenu. C'est une disposition législative.
Les conseils de prud'hommes ont constitué un bassin d'emplois : cent vingt emplois ont été transférés de ces juridictions vers d'autres juridictions. Même s'il y a des divergences d'appréciation quant aux effectifs, notamment de greffiers, et même si les délais et les stocks prouvent que le fonctionnement des CPH n'est pas satisfaisant, le transfert de cent vingt greffiers ne semble pas avoir bloqué leur fonctionnement. La fermeture des juridictions a été fondée sur une estimation de trois cents nouvelles affaires par an. Sur les soixante-deux CPH qui ont été fermés, quarante-trois traitaient un peu moins de deux cents affaires par an. Il faut retenir que, même aujourd'hui, cent quarante CPH sont composés de cinq agents ou moins. La situation est donc assez disparate sur le territoire.
S'agissant des délais, ils ne sont pas satisfaisants, d'autant qu'il s'agit d'un contentieux particulier, concernant le conflit du travail. Demander d'attendre douze à quinze mois est une vraie difficulté pour les personnes qui ont besoin d'une décision rapide, notamment sur leur licenciement. Au bout d'un certain temps, ce licenciement n'a plus tellement de sens, surtout si le contentieux est très conflictuel.
Depuis la réforme de 2008, nous observons un allongement des délais, de 2,5 mois à partir de 2009. Le délai moyen est passé de 12,8 mois à 15,5 mois. Il y a évidemment des stocks, lesquels ont augmenté de 29 % entre 2007 et 2010. Quant à leur délai de résorption, il est passé de 13 mois à 15,5 mois.
La situation s'est indiscutablement aggravée depuis la réforme de la carte judiciaire. Il y a là une évolution qui interroge. La situation s'est aggravée jusqu'en 2009. À partir de 2010, le nombre de saisines a diminué. L'explication qui m'a été fournie dans un premier temps est que l'instauration des 35 euros induit des inégalités et limite l'accès au juge. Néanmoins, les 35 euros sont applicables depuis 2011 : cela n'expliquerait donc pas exactement pourquoi, malgré la crise économique, le nombre de saisines a commencé à baisser en 2010. Il nous faut approfondir la question et regarder s'il n'y aurait pas une désaffection vis-à-vis de ces juridictions, si ce ne serait pas, éventuellement, une désespérance qui entraînerait un renoncement, une espère d'autocensure conduisant les salariés à ne pas appeler au secours les conseils de prud'hommes.
S'agissant de la taxe de 35 euros, j'avais espéré pouvoir la supprimer dans le budget 2013, et pour le triennal. Je n'y suis pas parvenue ; j'ai juste réussi à empêcher qu'elle passe à 50 euros. L'état des finances publiques était tel que dans les toutes premières semaines, le ministère du budget était à la recherche de ressources supplémentaires, ce que je peux comprendre. Cela étant, j'ai obtenu assez facilement de la part du Premier ministre un arbitrage pour rester à 35 euros, alors que mon rêve était de supprimer cette taxe, parce que je pense que, dans une période de difficultés économiques et sociales, la justice, qui est un service public, doit être encore plus attentive aux personnes vulnérables et doit organiser, avec encore plus d'efficacité, l'accès au juge et à la justice. Or, il est incontestable que la taxe de 35 euros est un frein pour l'accès au juge, de même que la taxe de 150 euros pour l'appel constitue une difficulté d'accès à la justice.
Je me suis engagée à trouver la compensation de ces 35 euros pour l'année 2014. Je suis en train de faire accélérer la réflexion du groupe de travail. Je m'y suis engagée tout en sachant que supprimer la taxe de 35 euros me contraint à trouver l'équivalent de la recette, puisque cette taxe alimente le budget de l'aide juridictionnelle à hauteur de 55 millions d'euros. Il me faut donc trouver 55 millions d'euros, ce qui ne se trouve pas sous le pas d'un cheval, et c'est bien dommage ! (Sourires .)
J'ai très tôt mis en place un groupe de travail, qui suit trois pistes différentes. Nous avons vu, ces derniers mois, surgir des résistances. Les différentes pistes consistent à introduire des taxes sur certaines catégories de contrats d'assurance, ainsi qu'une taxe additionnelle sur certains actes notariés. Considérant qu'ils produisent assez peu de contentieux, les notaires trouveraient injuste que l'on vienne taxer leurs actes. C'est une piste à laquelle je n'ai pas renoncé. Nous travaillons avec le Conseil national du notariat de façon à trouver une solution amiable.
Il nous faut trouver cette ressource en sachant que l'aide juridictionnelle est un vrai problème. Elle fait cependant partie des politiques publiques que nous devons évaluer. Dans cette évaluation, nous mobilisons toutes les forces possibles. Nous consultons des représentants des professions libérales, et au premier chef les avocats, dans la mesure où c'est à eux que l'aide juridictionnelle est versée pour la prise en charge de la défense de personnes dont le revenu mensuel est inférieur à 929 euros par personne, ce revenu étant pondéré s'il y a deux revenus dans la famille et s'il y a des enfants.
Nous travaillons également avec la mission qu'a constituée le Sénat autour de l'aide juridictionnelle – je ne sais pas si l'Assemblée nationale a mis en place un groupe de travail analogue.
Il s'agit pour nous d'évaluer cette politique publique, de réfléchir aux façons de la réformer et de la moderniser et de prendre en compte la dégradation générale de la situation économique. Le seuil de 929 euros de revenus pour l'accès à l'aide juridictionnelle se situe en effet en deçà du seuil de pauvreté, fixé à 964 euros. Parmi les 8,5 millions de personnes qui vivent en dessous de ce seuil de pauvreté, certaines ne peuvent donc pas accéder à l'aide juridictionnelle. Or, avec la dégradation de la situation économique et sociale, il est à prévoir que certaines personnes se situant encore, aujourd'hui, dans la catégorie des revenus moyens, n'auront pas les moyens d'accéder à la justice, sans pour autant pouvoir prétendre au bénéfice de l'aide juridictionnelle.
Cette question, nous devons la traiter ensemble, car elle appelle une réflexion à caractère politique, une réflexion exigeante sur ce que doit être le service public de la justice.
Les conseils de prud'hommes ont été confrontés à une difficulté constante, une difficulté ancienne, qui s'est manifestée dès les années cinquante. Il a été envisagé un temps de mettre en place l'échevinage. Cette idée provoque toujours l'énervement des juridictions qui sont spécialisées. Elle a aussi énervé les conseils de prud'hommes. Ce projet a toutefois été abandonné en 1974, sous la présidence de Valéry Giscard d'Estaing.
Je propose que nos échanges portent sur des points liés aux questions que je viens d'évoquer tout en nous permettant d'élargir la réflexion sur la viabilité des conseils de prud'hommes.
Je pense, tout d'abord, à la question de l'indemnisation des conseillers, qui a fait débat ces dernières années : faut-il une indemnisation au forfait ou une indemnisation au réel sur la base d'un régime déclaratif ?
Se pose aussi la question de la formation des conseillers prud'homaux. Le droit du travail devient complexe. Or la formation n'est pas obligatoire. On observe que seul un tiers des conseillers suivent une formation, et cette formation n'est pas longue : six semaines pour toute la durée de leur mandat, et deux semaines par an.
Nous pourrions en outre évoquer le très faible taux de conciliation. Historiquement, l'objectif premier des conseils de prud'hommes était de parvenir à la conciliation. Or le taux de conciliation est très faible. Il est passé de 60 % en 1960 à 7 %, en 2010, selon les derniers chiffres dont nous disposons. La conciliation est pourtant une phase obligatoire. Avec le Conseil supérieur de la prud'homie, qui s'est réuni hier alors qu'il n'avait pas siégé depuis dix-huit mois, nous allons réfléchir à la question. Ses membres se sont montrés tout à fait favorables à ce que la conciliation soit maintenue, mais ont émis le souhait qu'elle soit mieux préparée et que les conseillers y soient mieux formés.
Nous pourrions nous pencher sur la question de la durée du jugement, qui s'étale actuellement en moyenne sur dix-huit mois.
Le fort taux d'appel – de 65 % – suscite également des interrogations sur la confiance placée dans les jugements prononcés par le conseil de prud'hommes en première instance.
Par ailleurs, nous pourrions discuter de la présence du ministère public, parce qu'il y a quand même une politique sociale. Toute une série d'incriminations traitées par ces juridictions du travail intéressent le ministère de la justice par leur aspect social : travail dissimulé, harcèlement, protection du salarié en cas de licenciement.
Nous pourrions enfin revenir sur la situation des greffes.
Pour conclure, je vous informe que j'ai mis en place des groupes de travail. L'un d'eux, présidé par le premier président Marshall, est consacré aux juridictions du XXIe siècle. Animés par la direction des services judiciaires, ils font pendant à des études sur la mission du juge au XXIe siècle et sur les juridictions du XXIe siècle que j'ai commandées à l'Institut des hautes études sur la justice. L'IHEJ et ce groupe de travail aborderont très certainement dans leurs réflexions les questions liées aux conseils des prud'hommes. Nous verrons avec le Conseil supérieur de la prud'homie quel sort devra être réservé à leurs préconisations éventuelles.
Mesdames, messieurs les députés, je me tiens maintenant à votre disposition pour toute question, en espérant que je serai capable d'y répondre.
Nous en venons donc aux questions qui pourront porter sur les points que vous avez évoqués, madame la garde des sceaux, aussi bien que sur tous les sujets sur lesquels les députés souhaiteront échanger avec vous et vous entendre.
La parole est à M. Marc Dolez, pour le groupe GDR, que je remercie à nouveau d'avoir pris l'initiative de ce débat.
Merci, madame la présidente.
Madame la garde des sceaux, notre groupe a souhaité l'organisation de ce débat parce que nous estimons que la situation des juridictions prud'homales est extrêmement critique et inquiétante.
Vous avez abordé beaucoup de sujets. Je voudrais commencer par celui qui est à nos yeux le plus important.
L'État a manqué au respect du principe du délai raisonnable. Ce n'est pas moi qui le dis mais le tribunal de grande instance de Paris, qui, l'année dernière, a condamné l'État dans soixante et onze affaires. Permettez-moi de lire un bref extrait de sa décision : « Si manifestement, cette attente résulte du manque de moyens de la juridiction prud'homale, il n'est pas discutable qu'il revient précisément à l'État de mettre en oeuvre les moyens propres à assurer le service de la justice dans des délais raisonnables », conformément à l'article 6 de la Convention des droits de l'homme, ajouterai-je.
Madame la garde des sceaux, c'est bien la question des moyens humains et matériels qui est posée. Les estimations dont nous disposons font état d'environ 300 postes de personnels, de greffe et de secrétariat administratif, qui manquent dans les juridictions prud'homales. Dans ces conditions, comment le Gouvernement entend-il remédier à cette situation tout à fait inacceptable ? Il y a là un déni de justice pour de nombreux salariés qui subissent une double peine : à une précarité en termes d'emploi et de revenus viennent s'ajouter les conséquences d'une justice trop lente. Il convient donc que l'État assume ses responsabilités. Envisagez-vous pour cela de débloquer des moyens en urgence ?
Lors de la discussion du projet de loi de finances pour 2013, vous aviez indiqué que votre ministère prévoyait de pourvoir 142 emplois dans les tribunaux d'instance et d'améliorer la justice du quotidien, sans pour autant préciser le sort réservé aux conseils de prud'hommes. J'aimerais avoir des précisions sur ce point.
Vos propos liminaires, madame la garde des sceaux, m'incitent à beaucoup insister sur ce sujet. On ne peut pas simplement dire que les délais « ne sont pas satisfaisants ». La question des délais est cruciale si l'on veut qu'il y ait dans ce pays une justice accessible à tous qui permette d'apporter des solutions.
J'aurai encore bien des questions à vous poser, madame la garde des sceaux, mais c'est d'abord sur cette question des délais que je voudrais avoir une réponse.
La présence des députés prouve leur intérêt pour ce sujet. Quelle que soit notre sensibilité politique, nous sommes tous conscients que le conseil de prud'hommes est une juridiction particulière et qu'il est important de veiller à son efficacité. Les justiciables qui se retrouvent devant ces juridictions sont, comme je l'ai dit tout à l'heure, des personnes en détresse, qui espèrent que la justice va régler leurs problèmes.
Effectivement, la question des délais est cruciale, je suis parfaitement d'accord avec vous, monsieur Dolez.
À la suite de la réforme de la carte judiciaire, les stocks de dossiers se sont alourdis et les délais se sont allongés. La clôture d'une affaire prend dix-huit mois et même vingt-quatre mois lorsqu'il y a départage même si cette procédure ne concerne que 12 % des cas.
S'agissant des effectifs, vous avez cité des chiffres. Ils varient selon les sources. C'est FO, je crois, qui avance le chiffre de 300, la CGT évoquant celui de 250. Les services du ministère, quant à eux, indiquent qu'il n'y aurait pas de manque d'effectifs.
C'est comme pour les manifestations ! Les chiffres du ministère de l'intérieur ne sont pas les mêmes que ceux des organisateurs !
Nous connaissons la plaisanterie depuis que nous sommes étudiants, ce qui nous renvoie très loin.
Disons que nous participons à la querelle depuis que nous sommes étudiants.
Nous avons convenu avec le Conseil supérieur de la prud'homie de faire un point dans les deux mois qui suivent, grâce aux contributions de chacun, sur la comptabilisation des effectifs. Je dois dire que je ne suis pas très surprise par ces désaccords car je me rends bien compte des écarts qui existent dans tous les types de juridiction. Entre les informations remontées par les chefs de cour et celles contenues dans les fiches de la direction des services judiciaires, il y a des différences : le calcul peut se fonder sur les effectifs de magistrats ou de greffiers ; il peut être exprimé en équivalents temps plein ; parfois les arrêts de travail ne sont pas pris en compte à temps. En outre, les magistrats étant protégés par leur statut, il n'est pas possible de disposer du poste de ceux qui sont arrêtés pour affection de longue durée. De multiples biais expliquent donc les différences de chiffres.
Dans deux mois, nous devrions être capables de caler nos modes de calcul et de savoir exactement quels sont les effectifs de conseillers et de greffiers dans les conseils de prud'hommes.
Il n'y a pas que la question des effectifs. L'efficacité dépend aussi, bien entendu, d'un certain nombre de méthodes. Nous sommes ainsi en train d'étudier très sérieusement les contrats de procédure, qui permettent notamment d'éliminer certaines pratiques dilatoires. Cette méthode pourra être appliquée et aux conseils de prud'hommes et aux juridictions commerciales, qui ont en commun d'être des juridictions spécialisées, où il n'y a pas une grande maîtrise des délais.
Croyez bien, monsieur Dolez, que je suis très soucieuse d'améliorer l'efficacité de nos conseils de prud'hommes, car je sais que dans ces juridictions comme dans nos juridictions civiles, la justice rend vraiment service aux justiciables.
La liste des inscrits s'allongeant, je vais être amenée à réduire le temps de parole de chaque orateur.
La parole est à Mme Colette Capdevielle, pour trois minutes.
Ma première question, madame la garde des sceaux, concerne un aspect que vous avez déjà évoqué, je veux parler de l'accès à la justice prud'homale, sachant que ceux qui la saisissent sont à 98 % des salariés.
S'agissant du droit de timbre, nous prenons acte de ce que vous avez dit pour 2014. Cela étant, une question se pose dans le cas du référé, notamment lorsqu'il a pour objet le paiement des salaires. Il s'agit d'une créance purement alimentaire pour des salariés qui ne sont tout simplement pas payés, et doivent saisir la formation de référé pour obtenir la condamnation de leur employeur à payer leurs salaires. Ne pourrait-on envisager, dans ce cas-là, une dispense du droit de timbre ?
Vous rappeliez tout à l'heure que certaines procédures sont moins utilisées du fait de discussions conventionnelles entre employeurs et salariés s'agissant du licenciement. Or il est évident que le fait d'avoir à payer 35 euros, pour quelqu'un qui n'est pas payé – par exemple pour un saisonnier, comme on le voit dans certaines juridictions –, peut constituer un frein à la saisine de cette juridiction.
D'autre part, toujours concernant l'accès, serait-il possible de réfléchir au mode de calcul et d'attribution de l'aide juridictionnelle pour des personnes ayant perdu leur emploi, dans la mesure où le calcul de l'attribution de cette aide se fait sur la base des revenus de l'année passée ? Nous pouvons là aussi mener une réflexion en termes d'accès.
Par ailleurs, vous avez évoqué la procédure : il est évident que cette fusée à trois étages est lourde. J'ai une proposition à vous faire : ne peut-on pas, comme cela se fait devant le tribunal de grande instance, demander tant au demandeur qu'au défendeur de présenter leurs moyens de droit et de communiquer leurs pièces dès le début, c'est-à-dire au stade de la conciliation ? L'avocate que nous venons d'auditionner nous a indiqué que le salarié est souvent pénalisé parce qu'il n'a pas en sa possession les pièces du défendeur, c'est-à-dire de l'employeur. Il les découvre souvent au dernier moment, ce qui correspond à une manoeuvre dilatoire. Je pense donc que cette modification pourrait être faite rapidement : imposer aux parties de communiquer dès le début de l'instance, par l'intermédiaire du greffe ou directement au greffe, tant les pièces sur lesquelles elles fondent leurs demandes en justice que les moyens exposés. Cela permettrait probablement de gagner du temps.
Vous avez abordé plusieurs sujets.
J'ai espéré pouvoir dispenser les procédures devant les prud'hommes du timbre, à défaut de supprimer les 35 euros pour toutes les procédures – vous savez que certaines en sont déjà dispensées, de même que certaines catégories de justiciables. Mais j'en ai fait estimer le coût : il s'élève à 6 millions d'euros. Je ne les avais pas, donc je n'ai pas pu le faire.
Nous devons tout de même étudier le coût pour les seuls référés, qui s'établirait entre 1 et 2 millions d'euros. Il y a encore deux mois, je vous aurais dit que je pouvais me débrouiller pour les trouver. Mais la situation des finances publiques est ce qu'elle est. Je n'en dis pas plus, car je ne suis pas devant la commission des finances. Nous vérifierons toutefois s'il est possible de trouver ce million d'euros, nous vous tiendrons informés. Mais si nous le trouvons, je vous assure qu'ils nous trouveront une raison pour le reprendre. (Sourires.)
Concernant le mode de calcul, c'est effectivement le revenu imposable de l'année précédente qui sert de référence. Mais les situations que vous évoquez sont normalement examinées par le bureau de l'aide juridictionnelle ; ce faisant, on n'échappe pas totalement à l'arbitraire. Il faudrait étudier la possibilité de changer complètement de référence, mais notre droit repose sur des piliers, qui sont des références solides garantissant que tout justiciable est traité de la même façon. Je vais regarder ce que représente la mise en oeuvre de votre suggestion. Mais a priori, je serais plutôt portée à maintenir le dispositif actuel de la référence au revenu imposable de l'année précédente, tout en voyant avec les différents bureaux de l'aide juridictionnelle quelles difficultés peuvent éventuellement se rencontrer, pour tenter de repérer les situations où l'aide ne serait pas versée alors qu'elle serait due.
En outre, je rappelle qu'en matière d'aide juridictionnelle, la loi prévoit des exemptions qui peuvent être appréciées selon la nature du contentieux, la nature particulière de la personne ou le caractère exceptionnel de la situation.
Ainsi que je vous l'ai indiqué, nous sommes en train de procéder à l'évaluation de la politique publique relative à l'aide juridictionnelle. Tout cela sera donc passé au peigne fin. Mais vos observations et vos suggestions viendront nourrir notre analyse.
Concernant la communication des pièces, il est clair qu'il y a un problème. Nous travaillons avec le Conseil supérieur de la prud'homie pour nous assurer que, dans le cadre du contrat de procédure que j'ai évoqué tout à l'heure, la communication des pièces soit assurée dans des conditions et des délais corrects.
J'ai plusieurs questions à poser ; en trois minutes, nous avons le temps.
Je sais bien que vous me répondrez en me disant que les moyens manquent, qu'il faudra peut-être attendre 2014, et que même en 2014, ce ne sera pas simple. Mais nous ressentons tout de même un sentiment d'urgence, ne serait-ce qu'au vu des éléments que nous ont rapportés tout à l'heure les invités à la table ronde.
Examinons les chiffres concernant le départage : la durée moyenne d'une procédure devant les conseils de prud'hommes est de 13,7 mois, et elle passe à 25,7 mois en cas de départage. Cela signifie que le départage ajoute un an à lui seul, alors que le code du travail fixe prévoit un délai d'un mois. Sur cette question, qui représente 10 % des contentieux, ne pourrait-on pas trouver le nombre de magistrats nécessaire, et vérifier qu'ils pourront siéger avec des greffiers – parce que sans greffier, cela ne sert à rien –, afin que, au moins pour ces 10 %, le délai puisse être réduit de façon importante ?
Devant les chambres sociales, le délai est de deux ans. Lorsqu'elles statuent sur appel des tribunaux des affaires de sécurité sociale, le délai passe à trois ans, et ce alors qu'il peut s'agir de demandes extrêmement urgentes : des contestations portant sur des indemnités journalières, sur des fautes inexcusables, bref, toute une série de contentieux importants. Je reconnais que ce problème déborde du simple cadre de la prud'homie, mais il contribue à l'embouteillage général des chambres sociales.
Compte tenu des délais importants rencontrés dans ce segment particulier du contentieux – je pense au juge départiteur –, nous pouvons travailler afin de trouver une possibilité de résorber ces délais de manière importante et rapide.
Deuxième question : vous nous avez invités à vous interroger sur la formation. Le juge départiteur présent tout à l'heure a souhaité qu'une formation spécifique soit organisée – hors contingent syndical, ou hors formation assurée par les syndicats –, qui porterait sur l'acte de juger, la procédure, la rédaction des jugements. Elle serait assurée conjointement pour le collège employés et pour le collège employeurs. Je souhaite savoir ce que vous pensez de cette proposition et, si elle vous agrée, dans quels délais vous pourriez la mettre en oeuvre.
La troisième question porte sur les moyens non financiers permettant de résorber les délais. Parmi ces moyens figure la procédure. Sans vouloir entrer dans un débat extrêmement technique, il existe en effet des moyens procéduraux permettant de réduire les délais. Ainsi, la clôture de l'instruction, qui ne pourrait intervenir avant l'audience, constituerait peut-être un moyen d'éviter des renvois. Dans quel délai pensez-vous pouvoir réexaminer la procédure prud'homale, qui est d'ordre réglementaire, en concertation, évidemment, avec l'ensemble des partenaires sociaux et avec le Conseil supérieur de la prud'homie, afin de parvenir à des solutions qui permettraient de diminuer les délais ?
Trois grandes questions ont été posées par M. le député Robiliard.
Le problème, s'agissant du départage, est que le procès est pratiquement repris. J'entends que les délais sont longs, et nous allons tenter de les améliorer, avec des effectifs accrus si c'est nécessaire. Je ne chicanerai pas sur ce dernier point, même si cela me posera indiscutablement des problèmes, parce que les créations de postes que j'ai prévues, compte tenu de l'estimation des effectifs qui m'a été communiquée, ne concernaient pas spécifiquement ces juridictions. Mais, je le répète, je ne peux pas dire que ces juridictions sont importantes et que les délais doivent être comprimés, et ne pas faire les efforts nécessaires.
Dans deux mois, nous devrions être fixés : nous saurons exactement comment nous comptons les effectifs, et quels sont, éventuellement, ceux qui manquent.
S'agissant de la formation, vous savez que les conseils de prud'hommes sont des juridictions qui sont très pointilleuses sur leur caractère paritaire et sur la façon dont elles organisent leur fonctionnement interne, notamment en ce qui concerne la formation.
Une formation de six semaines pendant le mandat – lequel a été prolongé de deux ans comme vous le savez – ne nous paraît pas suffisante. De plus, parce que les conseillers se considèrent comme des magistrats, il est important que nous veillions à ce qu'ils soient formés aux procédures et à la rédaction des jugements. Le ministère de la justice est totalement prêt à prendre sa part mais, compte tenu de la nature de cette juridiction, c'est dans la concertation que nous pouvons convenir de l'implication du ministère. Pour le moment, les conseils de prud'hommes disposent d'organismes de formation agréés, mais il n'y en a pas dans tous les ressorts.
Nous sommes prêts à faire ce travail ensemble. C'est pourquoi j'ai tenu à remobiliser le Conseil supérieur de la prud'homie. Je rappelle que ce Conseil, qui doit se réunir tous les mois, ne s'était pas réuni depuis 18 mois !
Nous sommes en train de remettre des choses en place, et je pense que nous tomberons d'accord sur la façon dont nous pouvons encadrer la formation et faire en sorte que ces conseillers deviennent vraiment des magistrats, en tout cas en termes de formation, de connaissance du droit du travail, de maîtrise des procédures et de capacité de rédaction des jugements. C'est un chantier dans lequel nous sommes déjà engagés.
Je réponds ainsi, d'une certaine façon, à la question des moyens non financiers concernant les procédures. Et si je n'ai pas totalement répondu, vous reviendrez à la charge tout à l'heure !
En écoutant les propos des invités de notre table ronde et les échanges avec Mme la garde des sceaux, il m'est venu à l'esprit que nos collègues du groupe GDR, dont on connaît la malice – qui est l'un de leurs charmes –, ont certainement voulu faire de ce débat un procès de la réforme de la carte judiciaire telle qu'elle s'est appliquée à la prud'homie. Or tout ce que nous entendons depuis le début de la séance nous démontre que les causes de l'état actuel de la justice prud'homale dépassent largement ce point de passage dramatique qu'aurait été la réforme de la carte judiciaire.
J'en veux d'ailleurs pour preuve que, dans les rapports qui vous ont été remis, madame la ministre, que ce soit le rapport Borvo-Détraigne ou le rapport Daël, soit la justice prud'homale n'est pas beaucoup évoquée, soit elle l'est pour souligner que la réforme de la carte judiciaire ne lui a pas été trop préjudiciable, loin de là.
Cela tient à plusieurs raisons. D'abord, la forte implication des personnels de justice, il est très important de le souligner. Ensuite, le fait que cette réforme, concernant la justice prud'homale, a pu être menée de concert avec les syndicats. Ils y étaient initialement opposés, mais s'y sont progressivement ralliés, en obtenant ce qui leur semblait, à bon droit, être un minimum : le maintien des postes de conseillers.
C'est pourquoi il me semble important, au-delà de la péripétie que constitue l'intitulé de nos travaux d'aujourd'hui, de parler de l'avenir. Je suis très intéressé par tous les points que vous avez évoqués, et tout ce que les questions de nos collègues vous ont permis d'évoquer.
Je voudrais vous inviter à être encore plus précise, si vous le pouvez, sur trois points. Le premier porte sur la procédure, et en particulier sur la première étape qu'est l'audience de conciliation. Elle ne porte pas bien son nom ! Elle constitue en effet une simple étape de procédure, un passage obligé qui ne règle rien et qui fait perdre du temps.
Comment peut-on concevoir la conciliation comme une véritable étape, qui permette, éventuellement, de trouver des solutions avant d'être obligé d'aller plus loin et de s'engager dans une procédure dont on sait qu'elle finira par être très longue, pour toutes les raisons qu'on a évoquées ?
Cela m'amène à une deuxième question, qui porte sur la médiation. Celle-ci a toujours eu beaucoup de difficultés à trouver sa place dans la justice prud'homale. On comprend pourquoi, mais n'y a-t-il pas lieu de creuser cette piste ? Car la médiation fonctionne dans les autres ordres judiciaires. Je suis très attaché à connaître votre sentiment sur ce sujet.
Enfin, comment concevez-vous la répartition entre formation initiale et formation continue pour les conseillers prud'homaux, dans la mesure où l'on sait que l'évolution du droit en général, et du droit social en particulier, est très rapide, et constante ?
S'agissant de la réforme de la carte judiciaire, il s'agit réellement d'une étape : il a fallu s'organiser, se réorganiser, il y a eu des déplacements de personnel… Vous avez eu raison de saluer l'implication des personnels de justice à ce propos. C'est grâce à eux, toutes catégories confondues – magistrats du siège, magistrats du parquet, greffiers, fonctionnaires – que la justice a pu remplir son office, que le service public a continué à fonctionner.
Sans esprit polémique, on peut vraiment dire que ce fut une étape. D'une certaine façon, les personnels de justice sont encore en train de digérer cette réforme, au point que lorsque je suis arrivée à la Chancellerie, malgré toutes les contestations et protestations contre la nouvelle carte judiciaire, les délégations que j'ai reçues m'ont demandé, de façon générale sinon unanime, de ne pas en refaire une autre. Tous les personnels ont admis le principe et la nécessité de modifier la carte judiciaire, qui ne l'avait pas été depuis 1958, mais considèrent que cette réforme suffit largement, qu'il leur faut maintenant essayer de retrouver un équilibre. J'ai donc décidé de ne pas y toucher, d'examiner la situation et de procéder éventuellement aux réajustements nécessaires. C'est ce que je fais pour les juridictions de droit commun, il n'y a pas de raison de ne pas faire de même pour le conseil des prud'hommes.
Je répète que la loi maintient au moins un conseil des prud'hommes dans chaque TGI, et que 140 conseils fonctionnent avec moins de cinq agents. Néanmoins, nous avons vu que cela a servi de bassin d'emploi pour le redéploiement de certaines catégories de personnels. Il semble notamment qu'une quinzaine de postes de greffiers en chef, postes de catégorie A, soient occupés par des greffiers chefs de greffe.
Il est donc évident que la réforme de la carte judiciaire a produit un certain nombre de conséquences qu'il nous faut examiner afin de les équilibrer, les aménager, les prendre en considération. Nous ne sommes pas dans un esprit de querelle. D'ailleurs, je n'ai rien perçu de tel dans les différentes interventions. En tout cas, c'est dans cet esprit que j'ai lancé un certain nombre de chantiers sur la justice prud'homale.
Quant à l'audience de conciliation, il s'agit d'une obligation légale ! Une loi peut bien sûr changer cela mais pour l'instant, le Conseil supérieur de la prud'homie n'évoque pas cette hypothèse. Il envisage plutôt de trouver un moyen de la rendre efficace. Ce serait mieux, en particulier pour le demandeur, puisque cela permet d'éviter de se lancer dans un procès qui sera de toute façon long – même si on fait des efforts pour comprimer les délais, on ne fera pas de miracle !
Quant à la médiation, c'est un grand chantier. J'ai lancé une évaluation, car nous avons des difficultés ne serait-ce qu'à connaître les effectifs. Vous savez qu'une expérimentation de médiation est en cours en matière de contentieux familial. On assiste à une mobilisation tout à fait intéressante de la profession des avocats envers la procédure de médiation elle-même. Il y a aussi une réflexion sur le sujet dans la logique de déjudiciarisation de certains contentieux. Bref, la médiation est un sujet en soi.
Quant à la formation, je rappelle simplement que l'École nationale de la magistrature forme les juges départiteurs. Nous allons continuer à travailler sur le sujet.
Madame la présidente, vous me faites galoper !
Pardonnez-moi, mais un autre débat commence dans l'hémicycle à dix-sept heures !
Monsieur Thierry Braillard, vous avez la parole pour deux minutes et demie.
Madame la ministre, j'ai une suggestion à vous faire et deux questions à vous poser.
Je sais que rien ne vous effraie, mais il n'empêche que les murs de Bercy sont hauts. Si vous ne parveniez pas à supprimer la taxe de 35 euros, car il est vrai que cela représente une somme importante pour l'aide juridictionnelle, je vous suggère de la faire payer non pas a priori mais a posteriori et de la considérer comme des dépens. Ainsi, ce serait le perdant du procès qui aurait à la payer, et cela ne pénaliserait pas l'accès à la justice.
J'en viens à mes questions.
Je crois qu'il n'y a rien de pire pour un juge que de ne pas appliquer la loi. Pourtant, on se rend compte qu'aujourd'hui, s'agissant de procédure, la loi n'est pas appliquée. C'est le cas, on l'a dit, en matière de conciliation : par exemple, en cas de licenciement pour motif économique, il revient à l'employeur de fournir les éléments économiques qui le fondent le licenciement ; aucun employeur ne le fait, mais il n'y a aucune sanction. De même, selon l'article L. 1454-2 du code du travail, le départage doit être jugé dans le mois qui suit. Or le délai est actuellement de treize mois. Le code du travail n'est pas appliqué.
Par ailleurs, la jurisprudence prud'homale évolue. Par exemple, la prise d'acte de rupture devient de plus en plus importante, mais il n'y a aucune procédure prévue. Il y a aussi le problème des licenciements individuels pour motif économique lors d'un plan social : lorsque la lettre de licenciement est envoyée mais que le plan social est rejeté, on ne peut pas revenir sur le licenciement… Face à toutes ces évolutions, pensez-vous légiférer, ou nous laisser l'occasion de le faire ? Quelle est l'ambition de votre ministère sur ce point ?
Enfin – je vous l'ai déjà demandé par écrit – avez-vous déjà une idée de la date des prochaines élections prud'homales ?
Merci de votre concision.
Monsieur Chassaigne, je vous propose d'intervenir tout de suite, afin d'être sûr de pouvoir poser vos questions.
Madame la garde des sceaux, la taxe de 35 euros sera-t-elle abrogée en 2014 ? J'ai trouvé dans votre réponse une certaine forme de clair-obscur.
Pour ce qui est de la date des élections prud'homales, la question vient d'être posée, je n'y reviendrai pas.
En revanche, j'ai deux questions relatives à ce que j'appelle l'accord minoritaire interprofessionnel qui doit être examiné par notre assemblée sous la forme d'un projet de loi au début du mois d'avril. En matière de prescription tout d'abord, depuis la loi du 17 juin 2008, la prescription trentenaire a été ramenée à cinq ans pour les demandes indemnitaires. L'accord prévoit de ramener ce délai à vingt-quatre mois pour toute action ayant pour objet une réclamation portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail. Autrement dit, le salarié ou éventuellement l'employeur bénéficieront d'un temps moindre pour introduire leur affaire devant le conseil des prud'hommes. Est-ce pour vous un moyen de désengorger les tribunaux au détriment des salariés ?
En matière de licenciements économiques ensuite, jusqu'à présent l'employeur devait prendre en compte certains critères comme l'ancienneté du salarié, ses charges de famille ou ses caractéristiques sociales. Or, si le projet de loi est voté en l'état, on risque d'entrer dans la subjectivité. L'ancienneté et les charges de familles ne seront en effet plus des critères déterminants pour le maintien dans l'emploi et la compétence professionnelle sera privilégiée, avec de nombreuses conséquences quant à la détermination des salariés qui seront licenciés. Ne pensez-vous pas que cela va surcharger la tâche de conciliation ? Cela ne risque-t-il pas de donner des pouvoirs nouveaux aux conseillers prud'homaux ?
Madame la ministre, vous disposez de cinq à sept minutes pour répondre à ces deux orateurs.
Vous êtes bien généreuse, madame la présidente ! (Sourires.)
Monsieur Chassaigne, dois-je comprendre que vous avez quelque inquiétude s'agissant de l'étendue des pouvoirs des conseillers prud'homaux ? Mais je ne vous cherche pas ! (Sourires.)
Je vous ai trouvé tout de suite, vous avez commencé votre intervention en parlant de clair-obscur !
Monsieur Braillard, me permettez-vous de reprendre les questions par la fin ? Je vous répondrai ensuite. Ma mémoire récente est plus vive, c'est un effet de vieille dame ! (Sourires.)
Pour en revenir au clair-obscur, Monsieur Chassaigne, il n'y en a pas ! J'ai pris un engagement très ferme, publiquement et à plusieurs reprises. C'est parce que je m'adresse aujourd'hui à des députés que je prends la peine de dire quelles pistes nous avons trouvées, à quelles résistances nous sommes confrontés… C'est pour vous informer pleinement. Pour le reste, cet engagement est tellement ferme que j'ai déjà annoncé qu'au besoin, je vendrais les bijoux de la Chancellerie ! Depuis, j'ai découvert que les chandeliers ne sont même pas en or… Mais je trouverai une solution, car j'estime que cette taxe est profondément injuste. Je me suis déjà cassé la tête, je vous l'assure. Nous avons commencé à élaborer le budget pour 2013 dès le mois de juin, nous avons dû aller très vite, les arbitrages ont été très compliqués et je n'ai pas encore eu le temps de trouver une solution. Pourtant, j'espérais pouvoir supprimer dès 2013 cette taxe injuste – d'autant plus injuste en période de difficultés économiques, quand il faut assurer l'accès au juge.
M. Braillard propose que cette taxe soit perçue a posteriori. Je ne sais pas si ce serait une bonne solution d'un point de vue financier pour l'État, car les recouvrements de recettes sont parfois coûteux. Je vous rappelle que l'État a instauré cette taxe car il n'était plus en mesure d'abonder correctement l'aide juridictionnelle. Je vais faire étudier cette suggestion par mes services mais a priori, je la regarde avec prudence.
Vous m'interrogez tous les deux sur la date des prochaines élections : elle ne dépend pas du ministère de la justice, mais du ministère du travail. Les élections sont prévues pour l'année 2015, au plus tard donc en décembre. Mais c'est bien loin…
Comme je vous l'ai dit, c'est de la compétence de M. Sapin mais je vais faire vérifier auprès de lui afin de vous informer correctement.
Pour ce qui est du départage, c'est un nouveau procès.
Mes chers collègues, je vous demande de laisser Mme la garde des sceaux conclure. Dans deux minutes commence un autre débat que je préside dans l'hémicycle.
Le procès dépend des parties. On voit bien que le départage aboutit à un nouveau procès.
Peut-on faire autrement d'autorité ? J'ai évoqué la place du ministère public. La justice prud'homale préfère rester sur une base paritaire, et c'est un marqueur d'identité que je comprends et que j'admets mais pour ma part, je pense de plus en plus que, d'une façon ou d'une autre, le ministère public représente la société – pas l'État ou le Gouvernement. Nous avons un certain nombre de politiques publiques concernant les licenciements. Je veux bien que l'on interroge la Chancellerie sur la formation, sur les délais du départage ou sur les contrats de procédure… Mais si l'on doit être tenu à l'écart, la seule méthode valable que je connaisse, c'est la concertation avec le Conseil supérieur de la prud'homie. Vous me demandez de légiférer mais vous aussi, vous pouvez présenter un texte !
Sur ce sujet, nous en aurions pour une heure ! Quoi qu'il en soit, poursuivons la réflexion jusqu'au bout. Je vous propose d'organiser une séance de travail, dans deux mois peut-être, lorsque j'aurai récupéré toutes les contributions qu'il a été convenu de rassembler avec le Conseil supérieur de la prud'homie. Cela nous permettrait de faire le point sur les effectifs et sur nos points d'accord en matière de formation.
Je rappelle que l'École nationale de la magistrature y prend déjà sa part. Il faut aussi voir comment garantir l'application de la loi en matière de procédure : doit-on introduire des éléments de contrainte, monsieur Braillard ?
Posons toutes ces questions, cherchons des réponses. Sinon, dans un an, les délais n'auront pas été réduits, ou peut-être de deux ou trois semaines, c'est-à-dire rien du tout, et nous en serons encore à nous disputer sur les effectifs ! Retrouvons-nous donc dans deux mois et demi, le temps de récupérer des contributions et de commencer à les analyser, pour une séance de travail ensemble. Cela vous convient-il ?
Merci, madame la ministre. L'exercice était quelque peu contraint, mais nous n'avions pas plus de temps. Le débat est clos.
Débat
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures, est reprise à dix-sept heures cinq.)
L'ordre du jour appelle le débat sur l'avenir des projets d'infrastructure de transport.
La parole est à M. le ministre délégué chargé des transports, de la mer et de la pêche.
Merci, madame la présidente. L'Assemblée a inscrit à son ordre du jour, à la demande du groupe Union des démocrates et indépendants, ce débat sur l'avenir des projets d'infrastructure de transport. Je ne peux que m'en féliciter et m'en réjouir : nous sommes au coeur de la compétence de mon ministère et je sais combien ce sujet tient à coeur aux élus de terrain qui composent votre assemblée.
Il est vrai que les infrastructures de transport jouent un rôle fondamental, puisqu'elles permettent à nos concitoyens d'accéder à l'emploi, aux services publics, à la culture, aux loisirs. Elles sont finalement l'un des éléments constitutifs du vivre ensemble.
Il est ainsi de notre responsabilité collective de rénover, d'améliorer les infrastructures existantes, mais aussi d'en projeter de nouvelles avec l'objectif d'un aménagement du territoire au plus près des besoins de nos concitoyens.
En matière de projets d'infrastructures, où en est-on aujourd'hui ?
Le projet de schéma national des infrastructures de transport tel qu'il a été présenté en 2011 est un document fort riche, qui additionne un certain nombre de projets – peut-être même de promesses, qui n'ont pas de financement dans la colonne correspondante. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Le gouvernement précédent a en effet bâti un projet de schéma national un peu confus, désordonné, non financé et surtout non finançable, ce qu'aujourd'hui ni les uns ni les autres ne pouvons ignorer. Je ne reprendrai pas les propos ou écrits émis au moment de la publication même du SNIT, venant de tous les bords de cet hémicycle et regrettant le caractère incomplet de ce schéma.
Ce document, cette accumulation de promesses sur l'ensemble du territoire, représente un ensemble de projets de l'ordre de 245 milliards d'investissements à échéance de vingt ans.
D'un point de vue financier, vous en conviendrez avec moi, il est tout à fait illusoire de croire que la collectivité nationale pourrait dépenser 245 milliards d'ici vingt ans, dont 88 à la charge de l'État, avec un rythme d'investissement pour le budget de l'Agence de financement des infrastructures de transport qui est aujourd'hui de l'ordre de 2 milliards par an. Le problème ne se pose pas d'ailleurs que pour l'État : les collectivités territoriales seraient sollicitées à hauteur de 56 milliards d'euros.
Par ailleurs, les projets du SNIT sont à des stades de réalisation – parfois d'imagination – très différents. Un certain nombre n'existent que sur le papier, dépourvus d'études sérieuses. Il est donc nécessaire aujourd'hui de hiérarchiser les projets qui s'inscrivent dans le réel, les promesses inconsidérées ne suffisant plus à satisfaire l'attente du pays et de ses représentants.
Le Gouvernement a donc souhaité faire évoluer dans son principe même le SNIT et définir de nouvelles orientations pour la politique des transports, en dégageant une vision partagée, réaliste, cohérente des enjeux stratégiques pour notre pays à court, moyen et long termes.
J'ai ainsi souhaité mettre en place, le 17 octobre dernier, une commission parlementaire et technique présidée par votre collègue Philippe Duron, afin de remettre de l'ordre dans la planification des infrastructures de transport.
Elle est composée de six parlementaires de toutes sensibilités politiques et de quatre personnalités qualifiées, et est en train de réexaminer les projets de développement mais aussi les principales opérations de rénovation et de modernisation des réseaux existants identifiées dans le document.
Soixante-quinze projets sont ainsi concernés par cette démarche. En sont exclus les projets engagés, soit parce qu'ils ont fait l'objet d'un contrat de partenariat public-privé ou d'une convention de financement pour la réalisation des travaux – c'est le cas des quatre lignes à grande vitesse en cours de travaux – soit parce que leur réalisation est garantie par un traité international, je pense notamment à la section franco-italienne du Lyon-Turin.
Je salue la grande mobilisation et la qualité des travaux menés par cette commission. Celle-ci pourra proposer un phasage des opérations compte tenu de leur intérêt et de leur urgence, voire un réexamen partiel ou global de certaines d'entre elles en fonction de différents aspects.
Je salue donc ce travail qui est engagé avec beaucoup de sérieux. Je vois ici Mme Sas et M. Chassaigne, membres l'un et l'autre de cette commission. Je ne veux trahir ici aucun secret – je n'en connais pas, je n'ai rencontré M. Duron qu'il y a quelques jours ! Il m'a indiqué la philosophie et la méthodologie qui inspirent la commission, une méthodologie qui a d'ailleurs été présentée publiquement. Bref, je veux simplement dire aux parlementaires combien il est important que, dans la diversité des appartenances et avec le sérieux qui les caractérise, nous puissions faire preuve de pragmatisme et de cohérence. Il importe de travailler de manière à produire une méthode, peut-être même une référence, sur ce que l'investissement public, qu'il émane de l'État ou des collectivités locales, peut apporter à l'aménagement du territoire en réponse aux problématiques qui sont les nôtres.
Plusieurs aspects doivent guider la mission de cette commission. Un certain nombre de questions se posent à elle, divisées en deux grandes catégories, l'une ayant trait à la réalité de ces infrastructures et l'autre liée au développement économique et durable.
Ces questions sont simples. Quels sont les besoins réels des territoires en termes d'infrastructures et de mobilité ? Où sont les problématiques d'enclavement, alors que la fracture territoriale est un enjeu majeur pour nous tous ? Quels sont, précisément, les projets qui pourront la réduire ? Que peut-on réellement attendre de telle ou telle infrastructure, ou de tel ou tel mode de déplacement, en termes de développement économique et de développement durable ? Ces projets garantiront-ils des emplois pérennes ? Quels seront les effets sur le report modal ? Bref, toutes ces questions sont au coeur même des problématiques des transports.
La soutenabilité financière et l'intérêt socio-économique de chaque projet doivent être systématiquement examinés. Il n'y a pas d'autre méthode possible : tout le monde reconnaît aujourd'hui que cette hiérarchisation est indispensable. Les conclusions de cette commission sont attendues d'ici la fin du premier semestre. Nous en tirerons un nouveau schéma national de mobilité durable.
Quel est l'état des réflexions de la commission Mobilité 21 aujourd'hui ? Les interventions de Mme Sas et de M. Chassaigne nous éclaireront tout à l'heure à ce sujet, mais la méthodologie qu'elle suit a d'ores et déjà été présentée, le 21 février dernier. Les projets font actuellement l'objet d'une évaluation multicritères, selon quatre axes. Le premier s'attache à la contribution aux grands objectifs de la politique des transports, comme la compétitivité économique nationale, la réduction des inégalités territoriales et l'amélioration de la mobilité de proximité. Le second concerne la performance écologique, c'est-à-dire les effets en termes de réduction des gaz à effet de serre et la promotion des transports collectifs ou massifiés. Le troisième a trait à la performance sociétale, c'est-à-dire à l'aménagement du territoire, à la réduction des nuisances et à l'amélioration de la sécurité. Enfin, le dernier touche à la performance socio-économique.
À l'issue de son travail, la commission proposera de prévoir une politique des transports selon trois échelles temporelles. La première sera centrée sur les projets déjà engagés, qui constituent un effort considérable de la collectivité publique. Elle pourra s'enrichir de projets nouveaux en fonction des ressources disponibles. La deuxième rassemblera les projets à engager dans les dix années suivantes. La troisième regroupera les projets qui, au regard de leur avancement et de leur utilité, ont vocation à être engagés ultérieurement.
Enfin, la politique des transports ne peut reposer uniquement – vous en conviendrez également – sur de grands projets de long terme. La priorité doit être donnée aux transports du quotidien. Le Gouvernement s'y engage. Il est clair que les capacités financières de l'État et des collectivités territoriales ne permettront pas de réaliser l'ensemble des grands projets promis par le précédent gouvernement. Il apparaît donc d'ores et déjà inéluctable de repousser la réalisation de certains grands projets, peut-être même pour une longue durée. Il faut par ailleurs, et dans le même temps, mettre l'accent sur les petites opérations qui peuvent avoir un effet direct, apporter des solutions aux problèmes quotidiens de transports que rencontrent nos concitoyens. Je le répète, c'est la priorité du Gouvernement.
Plusieurs mesures ont déjà été prises en ce sens. Tout d'abord, en ce qui concerne les investissements routiers, j'ai demandé aux préfets de région, par courrier en date du 18 décembre dernier, d'élaborer une liste hiérarchisée des opérations de modernisation du réseau routier national dont la poursuite ou l'engagement paraissent nécessaires dans une période de cinq années, de 2015 à 2019. Les résultats sont attendus dans les semaines à venir.
Ces opérations devront répondre prioritairement à des enjeux de sécurité et de réduction de la congestion chronique dans un certain nombre d'espaces, qui ne sont pas nécessairement urbains. Elles devront également porter sur le désenclavement et l'amélioration nécessaire de la desserte des territoires, ou encore de la qualité de vie. Les montants que les collectivités territoriales pourront mobiliser en cofinancement avec l'État seront déterminants pour concrétiser rapidement certaines opérations.
Ensuite, au sujet des investissements ferroviaires, j'ai demandé le 17 octobre dernier au président de Réseau ferré de France de me remettre au printemps un projet de grand plan de modernisation du réseau ferroviaire. Ce plan concernera à la fois le renouvellement des voies et l'aménagement en gare. Il se basera sur les dernières conclusions de l'étude actualisée de l'école polytechnique fédérale de Lausanne décrivant l'état du réseau ferroviaire. Il s'agit d'améliorer la performance du réseau en concentrant les moyens sur le coeur du réseau classique, c'est-à-dire les grandes lignes, en développant des systèmes modernes comme la commande centralisée du réseau et en améliorant la gestion des situations dégradées.
Puisque nous souhaitons donner la priorité aux transports ferroviaires, nous mettrons l'accent sur la rénovation du matériel roulant afin d'offrir davantage de confort et de régularité aux usagers. J'ai annoncé ainsi l'engagement dès cette année de plus de 400 millions d'euros de crédits pour le renouvellement des trains d'équilibre du territoire. Par ailleurs, la mobilisation de financements innovants, comme les fonds d'épargnes, au service des régions, permettra aux collectivités d'être à la hauteur de ces enjeux.
Je souhaitais, en guise d'introduction à ce débat, présenter le contexte, les enjeux qui nous attendent et les orientations que le Gouvernement a d'ores et déjà fixées. Une fois encore, nous attendons avec intérêt les contributions de chacune et chacun d'entre vous à ce débat, même si cela peut paraître quelque peu prématuré car la commission Mobilité 21 ne doit présenter ses conclusions que d'ici à quelques semaines, avant la fin de ce semestre, et que le Gouvernement ne souhaite pas en présumer.
Soyez assurés que nous avons à coeur de permettre aux territoires de répondre aux préoccupations des citoyens, et de faire en sorte que la durabilité, le développement économique, le désenclavement, le souci de la qualité et de la régularité, soient traduits par des investissements utiles. Chaque euro d'argent public investi doit être efficace. Les relations de confiance qui existent désormais entre l'État et les collectivités territoriales nous permettent de mener un dialogue équilibré, de mieux hiérarchiser les enjeux, mais aussi de jouer de la complémentarité des modes de transport à court, moyen et long terme.
Bon nombre de questions seront évoquées, notamment celle des transports quotidiens en région parisienne. M. le Premier ministre annoncera les priorités du Gouvernement dans quelques jours. Je ne me prononcerai évidemment pas avant lui. Toutefois, avec notamment mes collègues Cécile Duflot et François Lamy, chargé de la politique de la ville, nous aurons à coeur d'améliorer la qualité des transports en commun, afin que nos concitoyens leur fassent à nouveau confiance.
L'ensemble des opérateurs doit se mobiliser de la manière la plus ferme qui soit. Je pense notamment à la RATP, pour ce qui est de la région parisienne, à la SNCF et à RFF ; une meilleure coordination de ces opérateurs nous permettra d'optimiser, de rendre plus efficaces les transports publics. Une co-construction des enjeux ferroviaires nous permettra de répondre aux attentes légitimes. Cela sera aussi l'enjeu de la réforme ferroviaire que je vous présenterai prochainement.
Bon nombre d'autres sujets pourraient être évoqués. Certains d'entre vous, préoccupés par les attentes de leurs concitoyens et les intérêts des acteurs économiques, ne manqueront pas de les souligner. C'est vrai des transports fluviaux. Là encore, le Gouvernement se prononcera dans quelques jours sur la réorientation d'un projet majeur : le canal Seine-Nord Europe.
Permettez-moi, monsieur Demilly, d'anticiper sans doute votre intervention. Vous avez déjà dit que le Gouvernement abandonnait des projets. Eh bien non : nous souhaitons simplement les rendre réalistes et réalisables, alors qu'ils n'étaient ni financés, ni finançables ! Il s'agit de donner une chance à ces grandes infrastructures, dans le cadre d'un financement européen. M. Savary est là : nul doute qu'il évoquera cette question, et le combat du Président de la République pour mobiliser des fonds européens en faveur de la croissance par les investissements dans les infrastructures. Ce sera l'occasion pour la France de souscrire à cette vision. Nous souhaitons que les projets retenus aient une chance d'aboutir ; il est pour cela nécessaire qu'ils soient cofinancés par l'Union européenne.
Comme vous le voyez, les thèmes sont nombreux, les préoccupations aussi. Nous souhaitons rendre réaliste ce qui est resté trop souvent au stade de projet, d'effet d'annonce. La méthode pour rendre le SNIT plus réaliste a soulevé beaucoup d'interrogations. Vous pouvez compter sur l'implication du Gouvernement à vos côtés, avec la confiance de la majorité – et même sûrement au-delà – pour que ce schéma désormais permette à la fois la croissance économique et le désenclavement des territoires, et apporte une réponse aux préoccupations quotidiennes de nos concitoyens. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, GDR et RRDP.)
(M. Denis Baupin remplace Mme Laurence Dumont au fauteuil de la présidence.)
Dans la tourmente de la crise économique, nous sommes convaincus que la force d'un pays se mesure à sa capacité à s'extraire de la conjoncture, de ce qui existe déjà, pour fixer un cap, donner une espérance nouvelle. Cela se fait notamment grâce à la définition de grands projets structurants. Si le groupe UDI a demandé à inscrire ce débat à l'ordre du jour, c'est d'une part parce que nous considérons que les projets d'infrastructures de transport font partie de ces projets structurants, et d'autre part parce que nous nous interrogeons quant à la volonté et à la capacité du Gouvernement à fixer ce cap et à incarner cette espérance.
De ces projets, en effet, dépend en partie la relance de l'économie française. Ils permettraient de créer des dizaines de milliers d'emplois, j'y reviendrai, d'adapter le pays aux grands enjeux environnementaux et de renforcer l'attractivité de notre territoire. Chaque jour, plusieurs millions de nos concitoyens utilisent les transports en commun pour se rendre au travail. Le secteur des transports et de la logistique assure, à lui seul, plus de 6 % de notre produit intérieur brut. Enfin, à l'heure où ce secteur représente plus de 30 % de la consommation totale d'énergie en France, les impératifs de lutte contre le réchauffement climatique appellent des efforts de modernisation de nos infrastructures de transport.
Mettre en oeuvre ces grands projets, c'est donc assumer le rôle et la responsabilité de l'État en tant que bâtisseur de la France de demain. Vous l'avez compris, en participant à ce débat, le groupe UDI tient à réaffirmer son attachement aux grands projets qui ont depuis toujours contribué au développement et à la grandeur de notre pays. Grâce au volontarisme du général de Gaulle, de Georges Pompidou, de Valéry Giscard d'Estaing,…
Et de François Mitterrand !
…du train à grande vitesse au viaduc de Millau, notre pays peut s'enorgueillir de réussites en matière d'infrastructures qui ont apporté croissance, développement et excellence technologique. La crise économique que nous traversons ne saurait à elle seule servir de prétexte à l'abandon de ces projets d'infrastructures de transport.
Il faut rappeler que c'est d'ailleurs justement dans un contexte de crise économique que le précédent gouvernement avait mis l'accent sur ces grands projets structurants, convaincu qu'il s'agissait là d'un excellent levier de relance.
Le Grenelle de l'environnement en est la meilleure preuve. La loi du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement a été adoptée à la quasi-unanimité. Elle prévoyait effectivement l'adoption d'un schéma national des infrastructures de transport.
Le SNIT devait fixer les orientations de l'État en matière de développement, de modernisation et d'entretien du réseau d'infrastructures pour les vingt ou trente années à venir, tout cela bien entendu en réduisant l'empreinte environnementale des infrastructures grâce au développement de la multimodalité comme alternative au tout routier et à l'aérien.
Le projet de SNIT présenté par le gouvernement précédent a représenté une véritable rupture positive du point de vue de la méthode, en s'appuyant sur le principe de la concertation.
La concertation a toujours été le prérequis à l'identification et, surtout, à l'adhésion aux projets structurants. Cette concertation publique, étalée sur deux ans, avait permis l'adaptation du SNIT au nouveau contexte économique et aux contraintes budgétaires qui en découlent. Ces investissements avaient effectivement été évalués, et vous l'avez rappelé, monsieur le ministre, à 245 milliards d'euros sur vingt-cinq ans, hors Grand Paris. Mais ces 245 milliards représentent le coût global et non le montant financier à la seule charge de l'État. !
Je le précise car, en cette période de salon de l'agriculture, les propos gouvernementaux ont parfois tendance à additionner des choux et des carottes… En affichant ou en laissant supposer que ce coût de 245 milliards est à la seule charge de l'État, vous préparez en fait les esprits à un grand renoncement dans le domaine des projets d'infrastructures.
Un exemple emblématique, que vous connaissez bien en tant qu'élu du Nord-Pas-de-Calais, est celui du canal Seine-Nord Europe – que vous avez évoqué, enfin, à la fin de votre propos. Ce projet est également cher à Arnaud Richard.
Voilà un véritable projet structurant pour la France et pour l'Europe, qui conjugue à la fois un intérêt économique et un intérêt écologique. Un projet qui fait consensus, contrairement à d'autres, monsieur le ministre, que le Gouvernement n'a pas hésité à lancer sans attendre et sur lesquels je laisse d'autres polémiquer. Un projet, vous le savez, qui est attendu par tous les élus et les acteurs économiques des territoires concernés, pourtant ravagés par de multiples plans sociaux. Dois-je citer, monsieur le ministre, pour vous en convaincre, Continental, Goodyear, TVI, Alcan, Flodor, Vannier, Mohair, Omniplast ? J'ai là la liste des plans sociaux réalisés le long du futur canal Seine-Nord Europe. C'est un désastre économique ! Il y a des plans sociaux tous les jours !
Voilà un projet qui a fait l'objet, depuis vingt ans, de multiples études démontrant sa pertinence…
Il fallait le faire !
Ce projet est déjà une réalité sur le terrain, avec plus de 300 millions d'euros déjà dépensés en acquisitions foncières, en études, en fouilles archéologiques, en travaux préparatoires ou encore en formation de demandeurs d'emploi… Il est enclenché, et pourtant vous l'avez mis dans le pot commun de la hiérarchisation ! Mon oreille a frétillé tout à l'heure, monsieur le ministre, quand vous avez dit que les projets engagés n'étaient pas dans le champ de la commission Mobilité 21. J'ai cru avoir rêvé lorsque nous avons inauguré le surbaissement de l'autoroute A29 pour accueillir justement le canal Seine-Nord, voici maintenant de nombreux mois !
Voilà un projet que l'Europe ne demande qu'à financer davantage, si tant est cependant que le gouvernement français le lui demande. La direction des transports de la Commission européenne, la DG MOUV, m'a encore rappelé l'intérêt de l'Europe pour le canal Seine-Nord Europe. Et pourtant, voilà un projet qui fait l'objet, depuis des mois, d'une véritable stratégie d'évitement de la part du Gouvernement ! Et ce n'est qu'un exemple, emblématique, parmi d'autres ?
La stratégie du Gouvernement est introuvable dans ce domaine. Vous donnez le sentiment que les projets d'infrastructures ne sont plus une priorité, ce qui nous préoccupe au plus haut point. À chacun ses priorités ! Vous avez considéré qu'il était plus urgent pour le pays de faire débattre le Parlement sur le mariage pour tous ou le cumul des mandats ! Pourtant, la montée continue du chômage, l'asphyxie fiscale des ménages et des entreprises et l'abandon de ces grands projets structurants constituent une combinaison extrêmement dangereuse qui risque de conduire notre pays vers la récession. Nous tenons à vous alerter solennellement sur ce point. C'est la raison pour laquelle nous avons souhaité engager ce débat.
La crise économique et la nécessité de réduire les déficits budgétaires ne doivent en aucun cas servir d'excuse au renoncement politique. Ne soyez pas le ministre du renoncement improductif dans le domaine des infrastructures de transport ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI et UMP.) La commission Mobilité 21, mise en place à l'automne dernier, doit prochainement rendre ses conclusions. J'ai maintes fois demandé à être reçu, j'attends toujours une réponse. Rappelons-nous Clemenceau : quand on veut enterrer un dossier, on crée une commission… Quoi qu'il en soit, nul besoin d'attendre le mois d'avril pour en connaître les grandes lignes : nous avons le sentiment que tout est déjà arbitré, que la prétendue hiérarchisation des projets est déjà réalisée. Même si vous avez convié notre excellent collègue Bertrand Pancher, qui nous a régulièrement tenus informés, nous aurions souhaité que cette commission soit beaucoup plus ouverte et accessible, notamment aux élus locaux concernés par les grands projets que vous êtes sur le point d'enterrer. Elle pourrait être rebaptisée commission « Immobilité 21 » !
Vous souhaitez mettre uniquement l'accent sur les transports quotidiens et sur la rénovation de l'existant. Bien sûr, l'amélioration de l'existant est nécessaire, mais il est indispensable d'adopter une vision, de ne pas sombrer dans le renoncement. Bien sûr, il y a des contraintes budgétaires : budget de l'Agence de financement des infrastructures fixé à 2,3 milliards d'euros, déficit abyssal de Réseau ferré de France, perspectives de croissance quasi nulles pour 2013…
Quel bilan !
Mais, d'une part, comme je l'ai dit, l'État n'est pas seul à financer ces projets – et à cet égard il faut se garder de diaboliser les partenariats public-privé comme certains le font dans votre majorité – et, d'autre part, il faut aussi faire preuve de volontarisme politique pour s'assurer de financements nouveaux. Je pense à la taxe transport, qui doit être fléchée vers l'AFITF à hauteur de 800 millions d'euros par an, et je pense aussi à l'Europe. L'Europe est prête à s'impliquer davantage dans le financement des grands projets d'infrastructures structurants, au premier rang desquels le canal Seine-Nord Europe. Encore faut-il qu'on le lui demande officiellement.
Et vous ne l'avez pas fait !
Monsieur le ministre, le groupe UDI écoutera très attentivement vos réponses sur ces différents points. Je crains, malheureusement, que vous ne soyez pas en mesure de nous rassurer et que la partition que s'apprête à jouer le Gouvernement ne soit finalement qu'un requiem des projets d'infrastructures et de l'aménagement du territoire de notre pays ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI et UMP.)
La France s'est engagée, dans le cadre de l'adoption du paquet énergie-climat européen de décembre 2008, à réduire de 14 % ses émissions de gaz à effet de serre entre 2005 et 2020. Pour respecter ces engagements internationaux, la loi Grenelle 1 énonçait que « la politique des transports contribue au développement durable et au respect des engagements internationaux de la France en matière d'émission de gaz à effet de serre et d'autres polluants ». En effet, il faut rappeler que le secteur des transports représente 26,3 % des émissions de gaz à effet de serre et est le premier secteur contribuant aux émissions. C'est pourquoi la France s'est fixé comme objectif de réduire les émissions de gaz à effet de serre dans le domaine des transports, pour les ramener d'ici à 2020 à leur niveau de 1990. Or, nous n'en prenons pas le chemin. En effet, les émissions de gaz à effet de serre dans le secteur des transports ont augmenté de 13 % entre 1990 et 2010 et la courbe ne semble pas s'infléchir. Il est donc grand temps d'agir avec courage, ambition et détermination. Notre majorité ne peut se fixer des objectifs inférieurs à ceux affichés par le Grenelle de l'environnement.
La politique des infrastructures de transport doit donc répondre à cette ambition de lutte contre le dérèglement climatique, mais aussi s'inscrire dans un souci constant et aigu d'efficacité de la dépense publique, dans le contexte actuel de tension budgétaire. Pour servir ces deux objectifs, trois priorités doivent être, à notre sens, au coeur de cette politique : la priorité au ferroviaire sur la route, la priorité à la mobilité du quotidien et la priorité au renouvellement et à la modernisation des réseaux existants
La priorité au ferroviaire sur la route a été clairement inscrite dans la loi Grenelle pour diminuer l'utilisation des hydrocarbures, réduire les émissions de gaz à effet de serre, les pollutions atmosphériques et autres nuisances et accroître l'efficacité énergétique en organisant un système de transports intégré et multimodal privilégiant les transports ferroviaires, maritimes et fluviaux… Hélas, peu de choses ont été mises en oeuvre. Pour prendre l'exemple du transport de marchandises, la part du trafic routier a continué à progresser, passant de 76,5 % en 1990 à 89 % en 2010. Certes, on aura constaté un léger fléchissement, à 88 %, en 2011, mais il est clair que notre pays n'a pas encore enclenché la dynamique qui lui permettrait d'atteindre ces objectifs. Pire encore, nous voyons refleurir çà et là des projets de contournement autoroutier, voire même de nouvelles autoroutes, comme l'A45 entre Lyon et Saint-Étienne, ou l'A51. Or, toute nouvelle infrastructure routière créera du trafic supplémentaire.
Monsieur le ministre, la France a-t-elle abandonné son ambition de report modal du routier vers le ferroviaire, ou la maintient-elle ? Et si tel est le cas, pensez-vous que ces projets d'infrastructures routières soient compatibles avec cette ambition ?
Le deuxième axe de notre politique d'infrastructures de transport doit être la priorité à la mobilité du quotidien. Cette priorité a été réaffirmée à plusieurs reprises par le Président de la République, comme vous l'avez vous-même fait tout à l'heure. Mais nous savons que certains investissements indispensables pour la qualité des déplacements quotidiens de nos concitoyens, comme la rénovation du réseau RER en Île-de-France, ne sont aujourd'hui pas financés. Il manque 800 millions d'euros pour financer les schémas directeurs des RER B, C et D et 3 à 5 milliards pour l'ensemble des transports en Île-de-France, et ce alors même que le Gouvernement vient de s'engager sur de grands projets incroyablement coûteux, comme Notre-Dame-des-Landes ou le Lyon-Turin dont la Cour des comptes a pointé récemment le coût, qui devrait dépasser les 26 milliards. Ce projet, à lui seul, obérerait toutes les capacités de financement de l'État pour les infrastructures de transport sur plusieurs années. Nous vous demandons, monsieur le ministre, de clarifier la position du Gouvernement sur ce point. La priorité est-elle réellement à la mobilité du quotidien ? Si oui, ne convient-il pas de réorienter les financements vers ces modes de transport essentiels à la qualité de vie des Français ?
Enfin, la troisième priorité sur laquelle je voudrais insister est celle à donner au renouvellement et à la modernisation de l'existant par rapport aux nouveaux projets. Les conclusions des Assises du ferroviaire mettaient en évidence la vétusté des réseaux et la nécessité absolue de réinvestir dans la régénération de l'existant. Cela est aussi vrai pour d'autres modes de transport.
De surcroît, pour de nombreux grands projets, notamment les lignes à grande vitesse, nous pouvons atteindre quasiment le même niveau de service en modernisant les lignes existantes, et ce pour un coût cinq à dix fois inférieur et un impact environnemental beaucoup plus faible. L'argent public est rare et la dépense doit donc être optimisée. La modernisation des lignes existantes est souvent l'alternative la plus viable et il faut donc clairement la privilégier.
Monsieur le ministre, pour résumer, et à la différence de Stéphane Demilly, j'aimerais savoir si vous partagez les trois priorités que j'ai énoncées : priorité au ferroviaire sur la route, priorité à la mobilité du quotidien sur les grands projets, et priorité à la modernisation des réseaux existants. Les mettrez-vous en oeuvre dans les choix de financement de projets que vous allez faire prochainement ? (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.)
Nous sommes aujourd'hui invités à débattre de l'avenir des projets d'infrastructures de transport. Ce sujet est important, car c'est une préoccupation majeure pour nos concitoyens. Il vous donne aussi l'occasion, monsieur le ministre, de faire un point d'étape approfondi sur les réflexions ministérielles actuellement menées.
Ce débat nous permet également, à nous, parlementaires, d'affirmer nos priorités. Ma priorité monsieur le ministre, partagée avec un grand nombre de mes collègues radicaux, républicains, démocrates et progressistes, c'est le transport ferroviaire. Mon intervention ne portera que sur cette question, à travers une réflexion européenne et nationale mais aussi avec des exemples locaux.
S'il est un sujet qui fait consensus dans notre pays, c'est bien la mise à disposition d'un service ferroviaire de qualité et à des prix abordables pour nos concitoyens. En revanche, des désaccords persistent quant à l'équilibre entre d'un côté le développement de nouvelles lignes, notamment à grande vitesse, et de l'autre la maintenance et le renouvellement du matériel sur les lignes existantes. Contrairement à ce qui a pu être fait dans le passé, il n'est pas tolérable de continuer à développer le réseau sans s'assurer de son financement et sans veiller à ce que le développement ne se fait pas au détriment de l'existant.
Selon la Cour des comptes, le coût total du schéma national des infrastructures de transport serait estimé à 260 milliards d'euros, dont plus de 60 % pour de nouvelles infrastructures. Permettez-moi de dire qu'on a beau jeu de crier aujourd'hui à l'abandon de nouvelles lignes dont la construction n'a pas débuté alors que ces projets ont été annoncés sans être financés !
Si la compétitivité de notre pays dépend aussi de ses infrastructures et de projets structurants, le bien-être de nos concitoyens dépend, lui, de la qualité des services ferroviaires qu'ils empruntent quotidiennement. L'augmentation de 5 % de la subvention attribuée à RFF en 2013 est un des signes du soutien direct de l'État à l'entretien des lignes. Vous affirmez ainsi votre priorité : l'amélioration du réseau existant. Ce n'est pas du renoncement, ça, c'est du volontarisme politique !
Je voudrais faire part ici des préoccupations de Dominique Orliac, députée du Lot, quant à la ligne ferroviaire Paris-Orléans-Limoges-Toulouse. Cet axe est d'une importance majeure pour le développement local. Il dessert 32 départements et plus de 5 millions d'habitants. Or, le 23 janvier dernier, le directeur général des infrastructures, des transports et de la mer a proposé aux élus membres du comité des financeurs des études du barreau Poitiers-Limoges de réduire de dix à quatre le nombre d'allers-retours quotidiens sur cette ligne, dans le seul but d'accroître la rentabilité du projet de la LGV Poitiers-Limoges. Il n'est pas tolérable que de telles décisions puissent être prises sans concertation. Comme d'autres, Dominique Orliac souhaite qu'un schéma directeur national de la ligne Paris-Orléans-Limoges-Toulouse soit établi dans le but de structurer la modernisation de la ligne.
C'est un premier exemple de la nécessité de porter une plus grande attention au réseau existant.
J'en prendrai un autre dans ma région, dans le département de l'Aisne. En tant que député mais aussi élu local, j'ai pu constater les conséquences de la construction d'une ligne à grande vitesse, la LGV Est européenne. Il ne s'agit pas de remettre en cause son utilité, puisqu'elle ne fait que traverser notre territoire sans s'arrêter, mais elle a entraîné une dégradation des services sur d'autres lignes, principalement pour la desserte Reims-Château-Thierry dans les deux sens.
En dépit des efforts d'une part de la région Picardie, pénalisée par de faibles moyens financiers, surtout depuis la suppression de la taxe professionnelle, et d'autre part de la SNCF, je suis très régulièrement interpellé à propos du manque d'entretien et de régénération du matériel sur certaines lignes de ma circonscription, desservant en particulier Château-Thierry et Villers-Cotterêts. Ces problèmes sont souvent particulièrement saillants en période de grand froid, mais pas nécessairement. Pas plus tard que ce mois-ci, la moitié des locomotives en service sont tombées en panne. Ce matin encore, le comité des usagers me signalait qu'il manquait des rames de train, ce qui oblige les usagers à se serrer dans les rames restantes. Des retards sont également constatés.
Il n'y a rien de plus exaspérant que de perdre du temps en raison d'un incident technique qui pourrait être évité si le réseau était correctement entretenu, il n'y a rien de plus exaspérant que de manquer d'informations en cas de retard ou d'annulation de train – tout cela sans oublier le coût du transport ! En dépit des efforts de la région Picardie, qui prend à sa charge près de 40 % des frais de transport, il faut compter 193 euros d'abonnement pour le pass TER Picardie en seconde classe et 350 euros pour ceux qui voyagent en première classe au départ de Château-Thierry. Les salaires, eux, n'augmentent pas.
Payer pour un service public de transport de qualité, c'est naturel. Mais payer toujours plus pour un service qui se dégrade, qui provoque des perturbations professionnelles et familiales, ce n'est plus acceptable.
Telle est la réalité, monsieur le ministre. Je sais que vous la connaissez, et je vous remercie de la prendre en compte. Je sais aussi que ce formidable chantier auquel vous vous attelez prendra du temps. Les efforts devront cependant s'intensifier tant que la qualité du service ne sera pas au rendez-vous.
Par ailleurs, la maintenance du réseau crée des emplois. Elle contribue à l'émergence de nouvelles techniques et donc de nouveaux métiers. Les formations dans les métiers des travaux ferroviaires se multiplient. Je souhaite donc que vous puissiez nous accompagner pour l'inauguration d'une école de ce type sur ma circonscription à Mézy-Moulins.
Je vous invite également à venir visiter l'entreprise Vossloh Cogifer à Fère-en-Tardenois, que vous connaissez – vous êtes déjà intervenu pour la remise en état de la ligne Reims-Fère-en-Tardenois-La Ferté-Milon-Paris. Cette entreprise innovante est positionnée sur le marché des infrastructures ferroviaires. Elle investit dans une machine ultraperformante et sollicite par l'intermédiaire d'OSEO le soutien des pouvoirs publics pour se développer sur un marché international porteur mais aussi très concurrentiel. Nous avons encore besoin de vous sur ce dossier.
Je l'ai dit, la hiérarchisation des priorités demeure une bonne approche car, même si la priorité des priorités est la maintenance et le renouvellement du matériel, nous n'oublions pas le développement des lignes les plus utiles. Les lignes dont la construction a débuté doivent être poursuivies. Vous avez mis en place une commission pour évaluer et hiérarchiser les projets contenus dans le SNIT. Il me semble qu'en l'état, il faut attendre ses conclusions. Cela ne doit pas nous empêcher d'identifier d'autres leviers d'actions pour à la fois étendre et améliorer la qualité du réseau ferroviaire de notre pays. La gouvernance du réseau et de son entretien constitue l'un de ces leviers.
L'organisation et les interactions entre SNCF et RFF peuvent encore être amplement améliorées. On ne peut que regretter, par exemple, qu'il n'y ait pas d'outil commun pour piloter la maintenance du réseau. C'est pourquoi les députés du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste vous invitent à persévérer dans cette direction.
La coordination européenne est elle aussi indispensable. Comme le souligne mon collègue radical Joël Giraud, la reconnaissance du transport transfrontalier doit aussi devenir l'une des priorités de l'action gouvernementale. Sans raccordements transfrontaliers collectifs efficaces, la saturation des infrastructures routières aux frontières s'aggravera encore. Parfois même, des territoires français ne sont accessibles facilement qu'en passant par leurs voisins. La situation la plus préoccupante est celle de Briançon, dans les Hautes-Alpes, l'une des principales régions touristiques françaises, dont l'accessibilité au réseau TGV dépend exclusivement de la création d'une ligne ferroviaire vers une gare italienne située à vingt kilomètres. C'est donc avec cette vision de la continuité par-delà nos frontières que nous devons penser nos réseaux et investissements ferroviaires.
Ainsi, monsieur le ministre, vous pouvez compter sur le soutien des députés du groupe RRDP pour l'approche que vous avez retenue : mettre la priorité sur le transport du quotidien et la maintenance du réseau existant, et hiérarchiser les projets de développement selon les performances écologiques et socio-économiques, et ce dans un cadre profondément européen.
Rappelons-nous Jean de la Fontaine et sa fable La grenouille qui veut se faire aussi grosse que le boeuf. Il ne faut pas avoir les yeux plus gros que le ventre ! Par ces temps de crise, s'il faut faire des investissements dans de nouvelles infrastructures, il ne s'agit pas que d'image, mais d'abord et avant tout la vie quotidienne de nos habitants. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)
Je n'ai pas voulu faire ce soir une intervention déclarative – j'aurai d'autres occasions. Je ne suis pas venu avec un caddie, comme dans un supermarché, pour tendre le bras en essayant d'agripper quelques investissements pour les infrastructures de transport d'Auvergne – et il y en a beaucoup. Je me limiterai plutôt à quelques observations.
Tout d'abord, comme pourraient le dire, je pense, les six parlementaires de sensibilités diverses qui y siègent, la volonté de la commission Mobilité 21 est d'étudier les projets des grandes infrastructures de transport avec objectivité. Nous voulons vraiment tenir compte de critères objectifs, auxquels nous avons réfléchi pendant plusieurs semaines et qui ont été rapidement rappelés par le ministre, afin d'établir une hiérarchisation qui ne s'appuie pas sur le clientélisme ou l'implication territoriale de chaque membre de la commission. Nous menons une analyse que je qualifie souvent d'éthique. J'insiste vraiment sur cette dimension, en pensant aux réactions que suscitera le travail que nous rendrons.
Cela étant dit, monsieur le ministre, si l'on veut vraiment que le travail que vous nous avez confié soit conduit en toute objectivité, il ne faut pas nous sortir du chapeau au dernier moment de nouveaux éléments. Permettez-moi de glisser ce message. Ainsi, on nous assure que, grâce à l'ERTMS, le nouveau projet de signalisation, les rames pourront accélérer et qu'on en aura quinze ou seize par heure au lieu de douze ou treize, ce qui permet de repousser, de façon assez artificielle, la saturation de certains sillons. Ou encore, on nous annonce qu'il y aura une évolution technique, qu'on pourra ajouter un wagon…
Pour que nous puissions travailler avec une approche que je qualifierai d'éthique, il faut une totale transparence, une totale objectivité. On ne doit pas nous sortir au dernier moment de nouvelles hypothèses du chapeau. Qui veut noyer son chien l'accuse de la rage ! Ainsi, le coût d'un projet fait tout à coup un bond terrible et l'on nous dit qu'il est trop cher, qu'il ne peut être retenu… Il est important que nous puissions examiner dans la transparence et l'objectivité les différents projets qui nous sont soumis.
Il est bien évident qu'il y aura ensuite des choix politiques à faire, qui relèveront du Gouvernement, en particulier des choix de financement. Resterons-nous enfermés dans le carcan de l'austérité du pacte de stabilité européen, qui nous empêche de financer le transport dans notre pays ? Instaurera-t-on suffisamment de taxes – je pense en particulier à la taxe transport ? À quel niveau ? Combien vont-elles rapporter, à quoi ces sommes seront-elles consacrées ? Pourra-t-on s'attaquer aux surprofits réalisés par les sociétés d'autoroute, à quel niveau, que fera-t-on de l'argent ? Pourra-t-on étendre le versement transport afin, notamment, que les régions ayant des charges de transport ferroviaire aient des moyens supplémentaires ? Au niveau européen, va-t-on se limiter aux projets de la Commission, bien insuffisants pour se donner les moyens de développer un réseau qui irrigue le territoire européen ?
J'en profite d'ailleurs pour dire à nos collègues de droite que la majorité précédente n'a pas fait inscrire de projets d'importance. Nous sommes allés le vérifier à Bruxelles : nous avons découvert que certains projets considérés comme ayant un très grand intérêt n'apparaissaient pas sur la carte européenne, tout simplement parce que la demande n'avait pas été faite.
Il y aura donc de grandes décisions à prendre en termes de financement.
Par ailleurs, il est indispensable de ne pas déconnecter la question des transports de l'acte III de la décentralisation. En effet, si d'un côté, l'on nous dit qu'il est impossible de réaliser des lignes à grande vitesse qui avaient été prévues, et si d'un autre côté l'acte III, en définissant des trains d'équilibre du territoire, limite considérablement le nombre de ceux qui sont de la responsabilité de l'État et en transfère aux régions, nous aurons un vrai problème. Dans la nouvelle définition, un train d'équilibre du territoire assure un service entre des villes de plus de 100 000 habitants situées dans deux régions différentes non contiguës. Cela voudrait dire clairement que l'on supprimerait environ 230 trains par jour – que l'on en maintiendrait 100 sur 330 ! Une telle définition aurait de graves conséquences, monsieur le ministre.
Un autre point que je souhaitais aborder, c'est votre volonté de mettre en place un véritable service public des transports. Les réformes que vous engagez, en particulier dans le domaine ferroviaire, permettront-elles d'avancer vers un service public national, mutualisé, solidaire pour les différents transports ? Car il faut s'intéresser aux autres modes de transport, ce qui implique, lorsque nous parlons de schéma de mobilité durable, de tout prendre en compte, comme, par exemple, les conséquences du transport routier sur les émissions de gaz à effet de serre et le réchauffement climatique ; si l'on veut comparer ce qui est comparable, il faut intégrer dans le coût du transport routier des externalités négatives, qui sont ignorées aujourd'hui. Non seulement on fait supporter au ferroviaire des charges importantes, mais on justifie le développement du transport routier en occultant complètement ses conséquences sur l'avenir de la planète, en termes de réchauffement climatique en particulier.
Voilà, monsieur le ministre, les quelques questions que je souhaitais vous poser. Je suis persuadé que vous nous apporterez des réponses claires et précises. Et je répète le message : pour que la commission Mobilité 21 puisse travailler dans l'objectivité, il ne faut pas que des missi dominici de votre ministère sortent au dernier moment de leur chapeau des considérations qui n'ont jamais été exprimées dans les débats publics, qui n'ont jamais été portées par les collectivités territoriales et qui paraissent en complet décalage avec la connaissance que nous pouvons avoir des dossiers.
Ne disposant que de cinq minutes, je tâcherai d'être le plus concis possible.
Stéphane Demilly a fait beaucoup de références au passé, à des époques glorieuses où soufflaient de grands vents – le gaullisme, Mitterrand, Giscard d'Estaing… Des époques où l'on pouvait même se permettre d'échouer sur de superbes grands projets, comme le plan Calcul ou le Concorde. Mais ces époques sont révolues et nous sommes aujourd'hui dans une situation toute différente.
L'état des transports, duquel nous partons, c'est un système ferroviaire financièrement sinistré : 13 milliards de subventions publiques par an, 33 milliards de dettes qui s'accroissent de 1,5 milliard chaque année, sans que la moindre réponse ait été apportée par le précédent gouvernement.
Ce sont 3 000 kilomètres du réseau classique qui sont aujourd'hui ralentis parce que le réseau est obsolète. C'est certaines lignes d'Île-de-France qui sont transformées en bétaillères, indignes d'une capitale comme Paris. Voilà la situation, et je ne parlerai pas de l'aérien ni d'autres domaines.
Dans ce panorama, vous avez, chers collègues de l'opposition, présenté aux Français, alors que vous étiez dans la majorité, un schéma national d'infrastructures de transport d'une extravagante prodigalité eu égard, de l'aveu même de M. Fillon, à l'état des caisses de l'État : 260 milliards d'euros de projets d'investissements en euros d'aujourd'hui, et ce en plus du Grand Paris, qui est déjà en soi tout à fait considérable, et en plus des transports collectifs urbains auxquelles sont attachées l'ensemble des collectivités locales.
Au sujet de ces 260 milliards d'euros, vous vous êtes bien gardés, sans doute au nom d'un grand souffle visionnaire méprisant toute considération financière, de prévoir une programmation et de mettre l'argent en face… C'est ce que disent l'ensemble des experts les plus indépendants sur ce schéma, qu'il s'agisse de l'association TDIE, qui a expliqué qu'il n'y avait ni programmation ni financement, du Conseil économique et social ou même de M. Mariton, à qui je rends hommage pour son honnêteté, qui a dans un rapport connu très vite alerté le gouvernement de l'époque sur le fait que le schéma n'était pas soutenable. Voilà le point de départ.
Pourquoi n'avez-vous pris aucune décision ? La réponse est très simple : posture, affichage, campagne électorale...
Mais les Français qui nous écoutent, monsieur Demilly, savent que l'on ne dépensera pas plus d'argent qu'il n'y en a dans les caisses. Il incombe donc aujourd'hui au Gouvernement de faire les choix qui n'ont pas été faits hier. Nous sommes tous attachés aux promesses mirobolantes qui nous ont été faites dans nos régions ; chacun ici pourrait dresser un inventaire à la Prévert, tellement ces promesses sont pour la plupart excessives.
En tout état de cause, vous avez dit que l'État n'était pas le seul à financer le schéma. Mais si ce n'est l'État, c'est donc son frère : l'État finance 40 % de ces 260 milliards, RFF 41 %, alors que vous connaissez son état financier – à la différence de DB Net, RFF ne fait pas de profits – et les collectivités locales 23 %.
Vous avez donc mis en place, monsieur le ministre, une commission d'évaluation des projets, et je loue votre courage. Cela appellera un autre débat ici.
Monsieur Saddier, Mme Kosciusko-Morizet a eu du courage, le 15 décembre 2010, quand elle a déclaré que seuls quatre projets ferroviaires étaient soutenables, qui porteraient à eux seuls à 61 milliards d'euros l'endettement du système ferroviaire en 2025. Elle a été priée dans les semaines qui ont suivi de se dédire, de lancer des contre-campagnes de presse pour expliquer que tous les projets étaient prioritaires.
Je tiens ses propos à votre disposition. Elle est de votre parti politique et je loue son courage et son honnêteté. Mais les élections, malheureusement, n'étaient pas loin.
Je formulerai, monsieur le ministre, quatre voeux. Tout d'abord, il faut admettre l'évidence que le SNIT est excessivement prodigue mais aussi incomplet, et qu'il doit à la fois abandonner des projets inutiles et en intégrer de nouveaux, plus urgents et d'un plus grand intérêt public. À défaut, les finances de l'État seraient rattrapées par des évidences oubliées dans ce document.
En second lieu, il faut accorder la priorité aux usagers et au principe d'égalité territoriale, de façon à privilégier les projets qui touchent le plus grand nombre – la régénération des réseaux, en particulier celui d'Île-de-France – sans oublier les territoires enclavés. Il ne faut pas pérenniser la fracture territoriale. Je pense que la notion d'aménagement du territoire a du sens en matière de transports.
En troisième lieu, il m'apparaît important que ce dossier soit également abordé par le biais des budgets et non simplement par celui des projets, afin de le confronter à l'épreuve de vérité de son financement. Beaucoup de nos collègues ont reçu les promesses, gratuitement, sans avoir toujours les moyens de participer au financement, qui ne leur a pas encore été demandé. Il conviendra de clarifier la capacité contributive des collectivités locales.
En quatrième lieu, nous devons ajuster ce SNIT, beaucoup mieux que par le passé, aux priorités de programmation de l'Europe. Comme vous l'avez dit, le Gouvernement a obtenu une substantielle augmentation du budget ; il serait heureux que les priorités convergent pour tirer le meilleur parti des financements européens.
Enfin, en ce qui concerne les projets qu'il vous paraîtra opportun de différer ou de renvoyer à la glorieuse incertitude de l'avenir, je formule le souhait que nous ne nous interdisions pas, dans l'intervalle, d'en étudier d'éventuelles variantes moins coûteuses, qui pourraient permettre leur réalisation plus rapide. Avec le SNIT, on nous a imposé des projets d'en haut, avec telle technologie ou telle vitesse, sans qu'il soit possible à aucun moment de les étudier, de les contester ou de considérer des variantes permettant une réalisation plus rapide. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
L'élaboration du schéma national des infrastructures de transport était un processus en plein déroulement. J'assume pleinement d'avoir dit, en son temps, que la liste des projets cités antérieurement ne correspondait pas, et de très loin, aux possibilités financières. Pour autant, ce processus était à poursuivre. Par exemple, nous avions auditionné, monsieur le ministre, votre prédécesseur à la commission des finances, et nous l'avions entre autres interrogé sur les critères de sélection qui permettraient, à partir de l'avant-projet et du projet de SNIT, de converger vers un schéma plus affiné.
On peut émettre des critiques sur les étapes accomplies dans une période précédente, mais jamais personne n'a prétendu que le SNIT était là dans sa version définitive.
C'était un travail par approches successives, par confrontation entre projets et financement, et d'évidence cette synthèse n'était pas terminée. Personne n'avait prétendu le contraire.
Il est permis de montrer le décalage entre l'ambition que nous pouvons porter collectivement et nos moyens financiers, et c'est même important de le faire. On pouvait, au fond, critiquer le projet de schéma de ne pas suffisamment souligner l'écart entre le champ des possibles, techniquement, en termes de volonté d'aménagement du territoire, et les moyens financiers, mais il ne convient pas de caricaturer la démarche, tout simplement parce qu'elle n'était pas encore parvenue à son aboutissement.
Je regrette également, monsieur le ministre, qu'aucun représentant du principal groupe de l'opposition au sein de cette assemblée ne siège dans la commission que vous avez créée.
Nous avons besoin, et nous y reviendrons au cours des semaines et des mois à venir, de critères transparents, d'une démarche partagée, dans un exercice qui n'est pas facile – vous avez fait le choix politique de ne pas le simplifier. Le sénateur Louis Nègre siège dans cette commission ; il nous aurait paru judicieux qu'un député de l'UMP y siège également.
La préparation d'un schéma d'infrastructures suppose de remplir un certain nombre de conditions, au regard desquelles je suis aujourd'hui particulièrement inquiet. Tout d'abord, les infrastructures en projet, que les moyens permettront ou non de réaliser, supposent aussi des acteurs efficaces. Je suis inquiet quant à l'évolution du système ferroviaire. J'ai été pendant dix ans rapporteur spécial du budget des transports, et Martial Saddier a également conduit des travaux dans d'autres commissions : si la représentation nationale a pu regarder d'un peu près, et utilement, ce qui se passe dans le système ferroviaire, faire des propositions et intervenir, avec le Gouvernement, pour améliorer l'efficacité du système, on le doit beaucoup à la pluralité des acteurs, à leur confrontation utile. Il ne faut pas que cette confrontation soit stérile. L'idée d'un système unifié, unique, me paraît extrêmement périlleuse, si elle devait conduire à mettre sous la table certaines contradictions et difficultés. Vous porteriez, à faire marche arrière, une lourde responsabilité quant à l'évolution d'un système qui est loin d'être à son optimum d'efficacité, qui est en particulier loin d'être prêt à l'ouverture à la concurrence.
Par ailleurs, votre schéma, il faudra le financer. Le projet antérieur connaissait déjà des difficultés de financement ; manifestement, la situation dans laquelle vous vous mettez n'arrange rien. D'une part, les critiques systématiques à l'encontre des partenariats public-privé, cela a été dit, sont particulièrement navrantes.
D'autre part, j'exprime ma plus vive inquiétude quant aux conditions de mise en place de la taxe poids lourds, au sujet de laquelle vous vous êtes encore aujourd'hui exprimé dans la presse. Ainsi, vous dites que l'idée de l'expérimentation en Alsace n'est pas possible. Ce n'est pas une idée, monsieur le ministre, c'est la loi ! On peut comprendre que soient apparues des difficultés opérationnelles, que les calendriers se télescopent, mais pour une fois qu'une loi proposait une expérimentation, il est dommage que celle-ci ne puisse pas vivre !
Par ailleurs, il y a dans le projet de loi, qui est actuellement devant le Parlement, sur la réforme de la taxe poids lourds cette idée extravagante qui conduira à répercuter sur les chargeurs non la taxe poids lourds, quand elle est acquittée, mais un forfait, quel que soit l'itinéraire suivi par la marchandise.
C'est là une expression extraordinaire du génie français.
L'idée consistait à ce que les transporteurs puissent répercuter sur le chargeur le montant de la taxe poids lourds. Or la transformation que vous imposez à ce système fera que le chargeur subira une répercussion, que la taxe poids lourds soit ou non payée.
Si je ne suis pas certain de la solidité constitutionnelle de cette décision, je sais qu'elle abîme gravement la stabilité du financement par la taxe poids lourds, ainsi que le financement de l'AFITF et surtout toute idée de fiscalité écologique, puisque ce n'est plus l'externalité, la taxe payée que l'on répercute, mais que l'on impose un forfait dans des conditions extravagantes qui fragilisent toutes les ambitions infrastructurelles que l'on pourrait avoir. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Alors que la commission Mobilité 21 mise en place en octobre dernier rendra prochainement ses conclusions, le groupe UDI a demandé que la représentation nationale puisse débattre et vous rappeler, monsieur le ministre, la nécessité de mettre en oeuvre une véritable ambition pour l'aménagement du territoire dans notre pays.
Le schéma national des infrastructures de transport, issu de la loi du 3 août 2009 et qui doit fixer les orientations de l'État pour les vingt ou trente prochaines années, en matière de développement, de modernisation et d'entretien des réseaux d'infrastructure, mais aussi en réduire les impacts sur l'environnement, est l'outil idéal pour y parvenir.
Dans son excellente intervention, mon collègue Stéphane Demilly a réaffirmé notre attachement à ces grands projets qui ont contribué à la grandeur de la France. Vous savez, monsieur le ministre, combien ces opérations sont nécessaires pour l'attractivité de notre pays et pour la compétitivité de notre économie.
Malheureusement, avant même de disposer des conclusions de la commission, nous savons que le Gouvernement renoncera à plusieurs grands projets en raison des contraintes budgétaires, mais peut-être aussi par manque d'ambition.
C'est pourquoi je souhaite, en tant qu'élu d'un territoire rural, vous interpeller plus particulièrement sur une constante qui ne saurait être sacrifiée, parce qu'elle est fondamentale pour l'équilibre de notre pays : l'amélioration des performances du système de transport dans la desserte du territoire – j'entends de tous les territoires, au profit de tous les Français.
C'est bien de l'avenir de notre société qu'il est question, car le mode de déplacement permet de garantir l'accès à la vie sociale, à l'école, à l'université, à l'hôpital et, bien évidemment, à l'emploi.
Le maintien d'une desserte de qualité est un enjeu prioritaire pour les territoires ruraux, compte tenu de ses multiples répercussions sur leur vitalité et sur leur dynamisme.
L'enjeu porte d'abord sur leur desserte grâce à des liaisons ferroviaires de qualité ainsi que sur l'amélioration de certaines liaisons routières, dans un objectif notamment de désenclavement et de développement. En effet, les transports collectifs n'offrent pas toujours des dessertes, des horaires ou des trajets adaptés à la diversité des modes de vie et de travail en zone rurale. Or, je le répète, l'offre de transports est déterminante pour l'attractivité de ces zones ; mais elle doit aussi tenir compte des nouvelles priorités de respect de l'environnement et d'économie des ressources énergétiques.
Tel est le constat que je fais quotidiennement dans un département que vous connaissez bien, celui de la Mayenne.
Certes, celui-ci est desservi par le TGV jusqu'à Laval et il le sera à l'horizon 2017 par la LGV, mais la question des infrastructures routières se pose pour le reste du département. Même si le Conseil général de la Mayenne fait de grands efforts dans ce domaine, pour les routes dont il a la charge, l'État a lui aussi un rôle fondamental à jouer dans l'amélioration et la modernisation de son réseau routier, plus particulièrement pour la RN 162 et la RN 12 qui traversent mon département et ma circonscription, du nord au sud et de l'est à l'ouest.
Un lien fort existe entre infrastructures, dessertes de transports – autoroutes, trains ou routes – et attractivité économique car le développement économique tient autant aux infrastructures de transport qu'aux ressources naturelles, à la qualité de la main-d'oeuvre et à l'intelligence des habitants.
Nous pourrons toujours faire les plus grands efforts pour lutter contre la désertification médicale, pour soutenir nos artisans, nos commerçants, nos PME ou nos agriculteurs ; nous pourrons mener toutes les batailles que nous voulons pour maintenir nos services de proximité ; nous pourrons dépenser tout l'argent possible pour contribuer à l'aménagement numérique de nos territoires ; tout cela sera un gigantesque coup d'épée dans l'eau si, dans nos territoires ruraux, nous ne disposons pas d'un réseau routier amélioré, modernisé et sécurisé.
C'est pourquoi vous connaissez mon attachement quasi viscéral, monsieur le ministre, à l'amélioration du tronçon de la RN 12 qui relie Alençon à Fougères et qui fait actuellement l'objet de la part de l'État d'une étude de modernisation et de sécurisation.
Je m'étais étonné, lors de la précédente législature, que la RN 12 ne figure pas dans le schéma national des infrastructures de transport et je l'avais fait savoir à votre prédécesseur, qui s'était engagé en faveur d'une mise à 2x2 voies à terme et de la réalisation, en priorité, des contournements de Saint-Denis-sur-Sarthon, dans l'Orne, et d'Ernée, en Mayenne, avec leur inscription au prochain PDMI 2015-2020.
Avec le député de Fougères, Thierry Benoit, nous avons déjà eu l'occasion de vous interpeller à ce sujet. Nous avions d'ailleurs apprécié votre réponse à la question que je vous avais posée, à l'occasion de la séance des questions orales sans débat, le 29 janvier dernier, tout en restant extrêmement vigilants vis-à-vis de l'évolution de ce projet et de vos décisions finales.
Cela étant, vous comprendrez que je souhaite mettre ce débat à profit pour insister sur ce dossier qui me tient à coeur, comme à l'ensemble des acteurs locaux du Nord-Mayenne.
Ce sujet est de fait révélateur de l'impérieuse nécessité qui existe et de votre responsabilité de ne pas laisser pour compte les territoires ruraux, afin que ces derniers ne deviennent pas le maillon faible de votre politique d'amélioration et de sécurisation de nos infrastructures, en particulier routières. Nous devons tout faire pour éviter de provoquer une véritable fracture territoriale !
Dans un souci d'équité, vous devez veiller à garantir l'égal accès à la mobilité, en menant une politique volontariste d'aménagement équilibré, pour assurer le désenclavement et le maillage du territoire national dans son ensemble.
Aujourd'hui, malheureusement, monsieur le ministre, mon inquiétude est vive, car comme soeur Anne, je ne vois toujours rien venir. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI.)
Il existe différentes manières d'aborder un débat sur l'avenir des infrastructures de transport : nous devons faire des choix pertinents et à la bonne échelle.
Dans ce domaine, en effet, chacun veut défendre ses projets, sans tenir compte de l'échelle européenne : aussi cette démarche au coup par coup est-elle encore, bien trop souvent, celle des gouvernements nationaux.
Certes, les arbitrages sont difficiles, car l'intérêt général, en terme de développement durable, ne coïncide pas toujours avec les réflexes traditionnels des partenaires concernés.
Nous devons replacer la réflexion sur les transports européens dans le contexte climatique actuel des « 3 fois 20 ». L'Union européenne souhaite financer des voies de chemin de fer, mais les politiques locaux, sous la pression des lobbies habituels, préfèrent parfois, voire souvent, multiplier les autoroutes.
Cette difficulté à mener une réflexion stratégique efficace est aussi liée à la question des financements. Aussi la Commission européenne, dans son livre blanc sur les transports, estime-t-elle qu'il nous faudrait, pour répondre aux besoins, dégager au niveau européen plus de 1 500 milliards d'euros sur vingt ans. En l'état actuel des finances publiques européennes, nationales et locales, on mesure d'autant plus la nécessité de faire des choix.
L'exemple de certains pays d'Europe du sud l'illustre : la création d'un réseau d'autoroutes ou d'une LGV n'est une condition ni nécessaire ni suffisante à un développement économique de long terme, qui doit d'abord reposer sur la recherche d'activités locales à forte valeur ajoutée et intégrer pleinement la transition écologique.
De ce point de vue, je voudrais souligner ici l'avis en référé de la Cour des comptes du 1er août 2012, relatif au projet Lyon-Turin : « Les investissements ferroviaires n'ont de sens que s'ils sont accompagnés d'une politique déterminée de report modal de la route vers le rail. Ces mesures doivent être mises en oeuvre dans un cadre européen plus large. L'expérience de la Suisse met en lumière que la politique d'offre ferroviaire et les mesures de taxation des poids lourds d'ores et déjà appliquées dans ce pays, et envisagées en France, ne devraient pas suffire pour atteindre les objectifs de report modal, et que de nouveaux outils sont indispensables pour maîtriser la croissance du trafic routier. » Nous devrions nous inspirer de ces observations très pertinentes !
De ce point de vue, je ne peux que regretter que la mise en oeuvre de l'écotaxe poids lourds soit une fois de plus retardée.
Nous devons viser en priorité un développement économique durable, qui renforcerait le dynamisme de l'Union européenne et de la France, tout en préservant la qualité de l'air et les ressources naturelles, en économisant les ressources non renouvelables et en favorisant les emplois non délocalisables.
Si la politique des transports ne devait pas changer, la part des transports dans les émissions de gaz à effet de serre continuerait d'augmenter pour atteindre, d'ici à 2050, près de 50 % du total des émissions ; les produits pétroliers couvriraient encore 89 % des besoins du secteur en 2050 ; et le trafic routier, avec ses encombrements, demeurerait un immense fardeau économique, environnemental et de santé publique.
N'oublions pas qu'en Europe, 350 000 décès prématurés par an sont dus à la pollution de l'air. L'OMS a estimé, via une étude réalisée en Suisse, en Autriche et en France, que le trafic automobile était responsable de la moitié des décès dus à cette pollution. Les chiffres sont éloquents : ils doivent nous inciter à agir, comme la ministre de l'écologie a commencé à le faire, pour que les plus fragiles ne voient pas leur espérance de vie raccourcie en raison des gaz toxiques et des particules fines qui se dispersent dans notre atmosphère, et pas seulement en ville.
L'action du Gouvernement met aujourd'hui en évidence une autre dimension : la délocalisation de notre industrie, rendue possible par l'effondrement du coût du fret maritime. De même, au niveau européen, l'effondrement du prix des transports routiers, reposant sur un dumping social masqué, a favorisé une industrie qui fonctionne de manière éclatée, en faisant venir les composants dont elle a besoin des quatre coins de l'Europe, voire du monde.
La politique d'infrastructures que nous devons mener ne peut être qu'un élément d'une stratégie globale des transports qui ne saurait se résumer au dogme du tout libéral.
Il est nécessaire de dégager des priorités pour le transport des marchandises, comme le ferroutage – chantier sur lequel nous avons perdu tant d'années –, plutôt que de vouloir financer des portions d'autoroute via les project bonds qui seraient ainsi bien mal utilisés.
Il faut également étudier le potentiel du secteur maritime et fluvial et développer des systèmes intelligents de transport.
En outre, le maintien en état, la rénovation et la modernisation des infrastructures existantes – même si nous ne coupons pas des rubans tous les jours – demeurent essentiels.
Par ailleurs, une nouvelle phase de décentralisation doit gérer l'articulation entre les échelles européenne et régionale.
Les politiques de transport sont indissociables d'un aménagement du territoire à même de préparer l'avenir : elles doivent résolument se tourner vers des solutions soutenables, socialement et écologiquement.
S'il est une question sur laquelle la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire de notre assemblée, que j'ai l'honneur de présider, s'est investie depuis sa création en juillet 2009, c'est bien l'avenir des infrastructures de transport.
Nous n'avons eu de cesse, depuis bientôt quatre ans, de répéter que le projet de schéma national des infrastructures de transport qui nous était présenté n'était pas finançable et qu'il s'apparentait davantage à un collationnement de souhaits qu'à un choix politique : c'est sans doute pour cette raison que le précédent gouvernement a toujours refusé d'organiser un débat sur ce sujet dans notre hémicycle.
C'est pourquoi je souhaite remercier le groupe UDI qui a proposé cet ordre du jour et vous remercier également, monsieur le ministre, de présenter aujourd'hui les réflexions du Gouvernement dans ce domaine.
On m'objectera que la commission Mobilité 21 est précisément en charge de la révision du SNIT et que nous aurions dû attendre ses conclusions. Mais rien ne nous empêche de poser, avant la fin de ses travaux, quelques principes relatifs à l'avenir des infrastructures de transport et de dessiner les contours, voire les limites, des révisions auxquelles nous serons conduits. Les contraintes financières globales sont telles, en effet, qu'il faudra s'imposer des choix rigoureux et reconsidérer bien des décisions.
Deux principes paraissent devoir guider nos réflexions ou nos remises en question : la cohérence et la symbolique.
S'agissant de la cohérence, je serai bref tant elle est évidente. Certains tronçons routiers ou ferroviaires doivent être achevés car c'est le dernier kilomètre qui assure à tout projet sa cohérence d'ensemble. Un dernier point non résolu, une ultime mise à quatre voies sur quelques kilomètres, un dernier barreau manquant sur une LGV ou un axe non réhabilité, et voilà l'ensemble du projet qui perd de sa force et de son utilité.
Quant à la symbolique, il suffira d'un exemple tiré du transport fluvial : celui d'un nouveau canal à grand gabarit unissant le réseau francilien à celui du nord de la France, donc de l'Europe.
Je laisserai aux spécialistes, nombreux à la commission du développement durable, le soin de rappeler l'historique d'un projet qui remonte à plus de trente ans et je regretterai avec eux ce qu'on pourrait appeler les stop and go des analyses et des évaluations.
J'appellerai simplement l'attention de notre assemblée sur quelques réflexions qui me semblent fondamentales.
Bien loin d'être dépassé et un signe archaïque de l'effort gigantesque que la France a mené à l'époque de la révolution industrielle, le réseau fluvial, nous le savons, apportera une contribution décisive à la durabilité de nos transports et à la réduction de leur empreinte carbone. Le transfert modal de la route vers le fer a échoué malgré tous les efforts accomplis : a-t-on réellement tenté le report modal de la route vers le fluvial ? A-t-on véritablement étudié l'impact positif qu'aurait un tel projet sur les politiques de lutte contre le réchauffement climatique ?
Un canal tel que Seine-Nord-Europe n'est pas une infrastructure que nous rentabiliserons en trente ans comme des calculs financiers voudraient nous le faire croire. Ce serait faire rire Freycinet, concepteur d'un schéma qui perdure malgré les ans. Une telle infrastructure a un avenir séculaire et, avec elle, nous travaillerons pour les générations futures. Le canal Seine-Nord-Europe constitue à l'évidence le seul projet d'envergure de notre pays dans le domaine fluvial. Y renoncer maintenant, ce serait renoncer définitivement à toute ambition dans ce domaine et considérer que la voie d'eau n'est pas une infrastructure d'avenir, ce serait aussi nier tous les efforts déjà accomplis, les études réalisées, les engagements financiers des collectivités locales et de l'Europe – même si tout n'est pas parfait, vous l'avez rappelé à plusieurs reprises, monsieur le ministre, et j'en suis moi aussi bien convaincu. Y renoncer maintenant, ce serait se priver d'un projet certes coûteux mais capable de générer pendant une très longue période des milliers d'emplois : 10 000 emplois par an pendant cinq ans pour sa construction et 3 000 emplois permanents liés à sa mise en exploitation, auxquels il faut ajouter le considérable potentiel de développement local que représentent ses quatre plates-formes multimodales et la revitalisation de nos propres ports maritimes et fluviaux par rapport à ceux du Benelux.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au travers des deux principes que je viens d'évoquer, celui de cohérence et celui de la symbolique, je souhaitais éclairer différemment le débat de ce jour sur l'avenir de nos infrastructures de transport, donc l'inévitable révision de leur schéma national. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Monsieur le ministre, dans le cadre du débat sur l'avenir des projets d'infrastructures de transport, j'ai bien noté votre démarche en vue de l'élaboration d'un nouveau schéma national de mobilité durable. J'ai bien compris qu'il est indispensable d'attendre les conclusions de la commission Mobilité 21 qui seront présentées avant la fin de ce premier semestre, conclusions qui devraient permettre de mieux évaluer le sort à réserver à tel ou tel projet.
Je m'interroge cependant sur la classification des projets en trois types, en fonction de leur degré de priorité et d'urgence. Je voudrais aborder la troisième catégorie, celle des projets dont la réalisation est envisagée à plus ou moins long terme : il ne faudrait pas qu'elle soit une catégorie fourre-tout qui abriterait tous les projets non retenus à brève échéance. Il est important en effet que nous ayons le courage de ne retenir que les projets dont nous portons réellement l'ambition de les réaliser. Il serait préjudiciable pour les territoires concernés que des projets restent d'actualité alors qu'ils n'auraient pas de perspective réaliste de concrétisation car ces territoires subiraient alors une hypothèque sur les différentes hypothèses de tracé – je pense en particulier au projet de branche sud de la LGV Rhin-Rhône. Il importe pour les territoires concernés d'être fixés puisque toutes les possibilités d'aménagement et de développement des communes et des intercommunalités sont aujourd'hui freinées en raison de leur incertitude.
Je tiens par ailleurs à revenir sur un autre point que vous avez évoqué : les projets d'évolution d'infrastructures déjà existantes. Je ne remets pas en cause, bien au contraire, l'intérêt d'optimiser celles-ci, mais je veux vous alerter sur les conséquences environnementales et sociales qui pourraient découler de la nouvelle utilisation d'une infrastructure existante. Je ne suis pas sûr que les procédures aujourd'hui prévues par notre droit en termes de débat public, d'enquête publique et d'étude d'impact soient bien adaptées car elles ont été conçues pour la création de nouvelles infrastructures. Ne devrions-nous pas nous interroger sur l'opportunité de leur adaptation, voire de leur extension, aux infrastructures existantes, notamment ferroviaires, telle la ligne de La Bresse, appelées à accueillir un trafic fret qui sera en nette augmentation ?
Voilà, monsieur le ministre, les deux points que je souhaitais soulever à l'occasion de ce débat et sur lesquels j'attends avec impatience vos précisions.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c'est parce que les questions de mobilité sont au coeur des préoccupations quotidiennes de nos concitoyens que le groupe UDI a souhaité mettre à l'ordre du jour de cette séance un débat sur l'avenir des infrastructures de transport.
C'est avec une certaine humilité que nous devons aborder ce sujet et tout ce qui a trait aux différents moyens utilisés par les Français en matière de mobilité car ce qui est vérité un jour ne l'est pas le lendemain.
Ainsi, il y a quelques décennies, le train régional était jugé ringard, se promener en vélo était totalement dépassé, les avions turbopropulseurs étaient vus comme des vestiges du passé. Et puis aujourd'hui on s'aperçoit qu'au titre des déplacements doux, le vélo a droit de cité en ville, que les trains express régionaux sont très importants pour assurer la mobilité dans nos régions, que le succès de l'ATR montre l'importance des avions turbopropulseurs, de surcroît moins gourmands en kérosène. Une vision écologiste trop intégriste des problématiques de transport doit donc nous interpeller.
Je ne relèverai pas certains propos entendus à cette tribune, mais montrer du doigt et énoncer des généralités par rapport aux problématiques de l'autoroute et du transport routier est dangereux pour plusieurs raisons. D'abord, parce qu'il s'agit du moyen de transport quotidien de la majorité des Français. Ensuite, parce que, dans bien des territoires, il n'y a pas d'alternative à la route en matière de déplacement, faute d'infrastructures collectives de transport, notamment dans les territoires ruraux et de montagne. Enfin, parce qu'il faut tenir compte de l'évolution de l'impact écologique des modes de transport : une voiture consomme beaucoup moins d'essence qu'il y a quelques années et l'on voit se développer des véhicules propres – hybrides, électriques et autres.
Dire qu'on ne doit pas investir dans les infrastructures de transport routier va à l'encontre des logiques d'aménagement du territoire. On ne peut en effet pas considérer que notre pays est en la matière dans une situation homogène. Monsieur le ministre, votre ami politique Martin Malvy, président de la région Midi-Pyrénées, parle souvent de « l'exception midi-pyrénéenne » : cette région est grande comme la Belgique, mais très en retard dans ce domaine, notamment pour les infrastructures de transport routières ou autoroutières. J'ai bien entendu vos propos et j'espère que parmi les projets déjà engagés depuis longtemps, l'A68, qui doit relier Toulouse à Lyon en contournant Albi, fera partie des projets prioritaires que vous souhaitez mettre en oeuvre prochainement.
Par ailleurs, vous comprendrez que je vous parle de l'autoroute Castres-Toulouse, projet vital pour ce bassin d'emploi. L'agglomération Castres-Mazamet est la seule agglomération de 100 000 habitants en France à ne disposer ni de gare TGV, ni d'aéroport international, ni d'autoroute. Cette exception mérite d'être corrigée. Il en va de l'avenir d'un bassin d'emploi qui souffre, qui est dans une situation économique particulièrement dramatique. Nous avons besoin de l'autoroute Castres-Toulouse pour lui donner une perspective.
Vos services ont estimé le coût du projet à un peu plus de 400 millions d'euros, avec une subvention d'équilibre de quelque 140 millions. Par conséquent, ce qui va être demandé à l'État, soit 50 % de cette subvention d'équilibre, représente 70 millions d'euros. Je rappelle que vous avez indiqué que 88 milliards d'euros sont à la charge de l'État au titre des infrastructures de transport : ce projet autoroutier représenterait ainsi 0,1 % du total des besoins de financement de l'État.
Pour ce bassin d'emploi, il est vital, fondamental, de pouvoir être relié aux grands axes européens de communication. Par conséquent, au-delà des propositions de la commission de réévaluation du Schéma national des infrastructures de transport, la décision prise in fine sera une décision politique de vous-même, du Gouvernement. Dès lors j'espère très fortement, monsieur le ministre, que vous saurez entendre le cri de l'ensemble des acteurs de ce bassin d'emploi. En effet, toutes les forces vives du sud du Tarn, qu'il s'agisse des chambres consulaires, des centrales syndicales ou de quasiment tous les élus, vont dans le même sens, tout simplement parce que c'est un projet vital.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'importance du débat de ce soir est inversement proportionnelle au nombre de députés présents – c'est dire…
Mon temps étant compté, je limiterai mon propos à deux questions d'actualité qui touchent très directement les investissements futurs en matière d'infrastructures de transport.
Ma première interrogation est née de la lecture, ce matin même, de votre entretien publié dans le journal Les Échos, monsieur le ministre. On y apprend que la fiabilité du dispositif technique d'émetteurs destiné à la collecte de l'écotaxe poids lourds doit encore être sécurisée. Vous en avez tiré immédiatement les conséquences, d'une part en abandonnant l'expérimentation préalable en Alsace, prévue initialement en avril, d'autre part, en renvoyant la mise en oeuvre de l'écotaxe au 1er octobre prochain.
Il s'agit là, hélas, d'un nouvel épisode d'une histoire qui s'écrit à coup d'atermoiements, d'ajournements successifs et de délais supplémentaires ! Je rappelle qu'aux termes de l'article 11 de la loi de 2009, dite Grenelle I, l'écotaxe devait être prélevée sur les poids lourds à compter de 2011. Nous parlons désormais d'octobre 2013, soit un retard de près de trois années.
Ce nouveau retard, qui ne vous est évidemment pas imputable, est une mauvaise nouvelle pour celles et ceux qui, plaidant pour une fiscalité écologique, attendent de cette taxe un report modal et la décongestion des axes routiers.
Ce retard sera aussi un préjudice pour le financement des infrastructures de transport. En effet, chacun le sait ici, cette taxe a également pour objet le financement de l'AFITF. Lors du débat budgétaire de l'automne, je m'étais félicité de son entrée en vigueur qui autorisait un financement pérenne de l'Agence et ouvrait la voie à la mise en oeuvre d'un SNIT dont vous avez souhaité réorganiser les priorités, tant celui-ci n'était jusqu'ici qu'une simple addition de promesses. Vous évaluez le préjudice à 80 millions d'euros par mois, estimation qui semble être la fourchette basse pour une taxe qui devait rapporter 1,2 milliard en année pleine.
Vous dites par ailleurs dans cet entretien que vous appliquerez les dispositions contractuelles prévues avec le prestataire en cas de retard dans la livraison finale. Très bien, mais personne n'imagine que ces pénalités pourront compenser en quoi que ce soit le préjudice subi. La question du financement de l'AFITF est donc posée pour 2013.
Par conséquent, pour le dernier trimestre 2013, quelle part de l'écotaxe prévoyez-vous de transférer à l'Agence de financement des infrastructures de transport de France et quelle part rétrocéderez-vous aux collectivités territoriales ? Comment envisagez-vous de compenser les pertes de recettes pour l'AFITF ? Je rappelle que depuis 2008, l'État accorde chaque année une subvention d'équilibre à l'Agence – en 2012, elle était de 1 123 millions d'euros. Qu'anticipez-vous au titre de 2013 ?
Comment envisagez-vous de compenser les pertes de recettes pour l'Agence de financement des infrastructures de transport en France ? Depuis 2008, l'État accorde chaque année à l'Agence une subvention d'équilibre qui atteignait 1,123 milliard d'euros en 2012. Quel montant anticipez-vous au titre de l'année 2013 ?
Ma seconde interrogation porte sur la situation très particulière des réseaux de transports franciliens qui est bien un sujet d'intérêt national et non pas local, comme le savent tous ceux qui s'y sont intéressés.
Dans quelques jours, le Gouvernement rendra ses arbitrages, notamment sur le projet de métro automatique qui attire, à juste titre, l'attention de tous. Mais il n'y a pas que le Grand Paris Express dans la vie, il y a aussi une vie après la première couronne. Dans cette vie-là, il y a des femmes et des hommes dont la durée de transport ne décroît pas mais augmente. Dans l'état actuel du réseau, rien ou presque n'est possible pour ces populations.
Pour répondre à ces urgences, la région Île-de-France et ses partenaires ont lancé en 2008 un plan de mobilisation d'un montant de plus de 18 milliards d'euros afin de moderniser l'ensemble du réseau de transports francilien et de répondre, d'ici à 2020, aux besoins présents et futurs des Franciliens.
Le problème des plans ou des schémas, c'est qu'ils ne relèvent que des bonnes intentions, celles dont on pave l'enfer tant que leur financement n'est pas entièrement assuré.
Je connais, monsieur le ministre, votre inclination personnelle pour que la priorité soit donnée aux transports du quotidien, et je souhaite donc réaffirmer devant vous, ce soir, la nécessité de donner la priorité à ce plan de mobilisation, c'est-à-dire d'assurer son plein financement sans en retarder l'échéance. Nos concitoyens ne comprendraient pas que l'on déshabille Paul pour habiller Pierre ou, pour être encore plus clair, qu'un métro automatique dépasse des RER.
S'agissant des LGV, chacun sait ce qu'elles peuvent apporter aux métropoles et aux régions desservies. Mais chacun peut aussi comprendre qu'un minimum de phasage est nécessaire et qu'il importe, dans l'intérêt de tous, de veiller préalablement à la « désaturation » de la région capitale.
De ce strict point de vue, il me semble indispensable, s'agissant de la grande vitesse, de prioriser les projets de contournement de la capitale, ce qui me permet de plaider une fois encore pour la réalisation du projet d'interconnexion sud. Ce dernier est tout à la fois de nature à décongestionner les sillons utilisés par les RER, à faire gagner du temps aux usagers et à être un levier pour le développement économique du sud francilien, raison pour laquelle la région Île-de-France s'est d'ores et déjà déclarée disposée à le cofinancer.
Voilà un projet qui correspond à ce que vous avez, dans votre discours liminaire, qualifié de petites opérations qui peuvent avoir de grands effets. Vos réponses sont d'autant plus attendues au-delà de cet hémicycle par tous nos concitoyens que vous êtes le ministre du quotidien, comme vous avez pris plaisir à le rappeler tout à l'heure. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Monsieur le président, monsieur le ministre, réfléchir à l'avenir des infrastructures de transports, c'est avant tout réfléchir aux transports de l'avenir tant en milieu urbain que pour les liaisons pôle à pôle, région à région, c'est réfléchir aux exigences en termes de déplacements.
Réfléchir aux transports de l'avenir, c'est poser les options qui minimisent les rejets polluants de gaz à effet de serre et micropolluants, les consommations d'énergie fossile et la consommation d'espace agricole et naturel.
Réfléchir aux transports d'avenir, c'est imaginer un maillage territorial le plus large possible, organisant des continuités intermodales et multimodales.
Réfléchir aux transports de demain, c'est rechercher sécurité, accessibilité et confort, et développer des réseaux offrant la plus grande résilience et la plus grande robustesse.
Réfléchir aux transports de demain, c'est optimiser avec les mêmes infrastructures une réponse aux déplacements de travail, de loisirs et de tourisme.
Réfléchir aux transports de demain, c'est aussi ouvrir un débat : faut-il donner la priorité à la recherche de la vitesse et du temps de parcours minimum ou bien à la capacité de respecter réellement les temps de parcours et les horaires, quitte à être moins ambitieux ?
Réfléchir aux transports de demain, c'est réinventer le transport du fret et organiser d'une manière différente le dernier kilomètre pour l'approvisionnement des activités de centre ville.
Réfléchir aux transports de demain, c'est se poser la question de son financement, du partage de ce financement, et repenser les autorités organisatrices des transports. Dans ce domaine, tout reste à faire.
Nous aurions été très heureux d'apporter ces réflexions si nous avions été associés aux travaux du Schéma national des infrastructures de transport. Il est inacceptable que tel n'ait pas été le cas.
Réfléchir aux infrastructures de transport d'avenir, c'est aussi apporter des réponses les meilleures possibles aux besoins actuels de nos compatriotes. Les « pendulaires » de la région Île-de-France veulent bien entendre que l'on inaugurera en 2020 ou 2025 des lignes du Grand Paris ou du projet EOLE, ils veulent avant tout des résultats aujourd'hui.
Alors si le SNIT doit bien prendre en compte toutes ces infrastructures de transport coûteuses et aux procédures longues et incertaines, il doit aussi prendre en compte ce qui, à moindre coût tant en investissement qu'en maintenance et en entretien ultérieur, peut répondre à court terme comme à long terme à la plupart des préalables exposés précédemment : le développement de l'offre de bus et de celui d'une réelle politique cyclable
L'offre de bus saura rapidement adapter ses matériels roulants aux exigences de sobriété énergétique, de rejets polluants et d'accessibilité. Elle utilise des infrastructures routières existantes à aménager quelque fois en site propre mais pouvant la plupart du temps s'accommoder d'aménagements ponctuels et peu coûteux.
Le transport par bus est flexible par définition et adapté aux maillages les plus fins du territoire depuis les lignes pôles à pôles jusqu'aux lignes d'intérêt local. Il est un élément de déplacement multimodal qui peut inviter à laisser sa voiture loin des agglomérations dans des aires relais pour pénétrer de manière facilitée et privilégiée ces agglomérations jusqu'aux pôles d'emploi et aux gares. Il faut pour cela adopter un plan bus qui encourage les lignes pôle à pôle et qui programme l'ensemble des aménagements nécessaires allant des parcs relais en amont des agglomérations aux aménagements de voies réservées sur autoroutes et voies rapides dans les sections et horaires de congestion du trafic.
Je prends acte, monsieur le ministre, que vous vous êtes montré favorable à cette évolution par des études et expérimentations mais il faut les traduire dans une politique volontariste et programmée sur la durée du SNIT. Le financement des concessionnaires d'autoroutes doit être recherché. Il semble que, de leur coté, des propositions sont susceptibles d'être rapidement élaborées.
La politique cyclable est, quant à elle, une éternelle incomprise au niveau institutionnel et elle continue à attirer sarcasmes et sourires, y compris sur ces bancs. Malgré cela, les aménagements cyclables urbains locaux avancent, pris en charge par les collectivités locales.
En revanche, il importe de s'interroger sur la progression de la mise en oeuvre du schéma national véloroutes et voies vertes adopté par un comité interministériel pour l'aménagement du territoire en 1998 et révisé en 2010. Ce schéma repose sur l'ambition de créer près de 20 000 kilomètres de voies vertes dont 38 % sont déjà réalisées. Adopté par un CIAT, il doit au minimum être pris en compte par le SNIT.
Ce schéma propose un maillage national décrit et cartographié. Des itinéraires emblématiques comme la Loire à vélo…
…ou la Vélodyssée de Roscoff à Hendaye permettent déjà d'en évaluer les impacts bénéfiques. Il est hautement souhaitable d'inscrire ce schéma national véloroutes et voies vertes dans le SNIT car il est en adéquation avec les directives formulées par le Gouvernement.
Il est en adéquation avec les principes de mobilité durable sobre en investissements publics – recommandation du Gouvernement à la commission 21 –, avec la feuille de route sur la transition énergétique, avec le plan d'urgence sur la qualité de l'air. Il est ainsi temps, monsieur le ministre, que vous rendiez le SNIT cohérent avec vos propres instructions.
Je plaiderai donc ici pour que vélos et bus soient reconnus comme des réponses pertinentes aux questions du quotidien mais aussi comme une composante à part entière des transports d'avenir. Mais pour les accueillir, il n'y a rien de tel qu'un réseau routier développé et sécurisé. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, ainsi les députés du groupe UDI et leur président, l'ancien ministre d'État Jean-Louis Borloo, ont souhaité rouvrir le débat sur le schéma national des infrastructures de transport. Il est vrai que, de 2008 à 2009, les discussions sur le Grenelle de l'environnement furent animées sur tous les bancs de notre assemblée.
De fait, la création de l'AFIFT en 2004 puis le volet « infrastructures de transport » du projet de loi Grenelle ont suscité bien des espoirs et des passions.
Aujourd'hui, nos collègues de l'UDI et de l'UMP semblent pointer un manque de volonté du Gouvernement en ce qui concerne ce schéma.
C'est vrai que là comme ailleurs, plus généralement dans la vie publique, il y a souvent loin de la coupe aux lèvres.
À ceci près que dans les décisions prises par les équipes gouvernementales précédentes depuis dix ans, il s'est produit un sérieux couac, si je puis m'exprimer ainsi : la privatisation, décidée à marche forcée et au plus mauvais moment, des sociétés d'économie mixte concessionnaires d'autoroutes par le gouvernement Villepin.
Eh oui !
Cet épisode est à marquer d'une pierre noire dans la politique nationale de nos infrastructures. Au sein même de la majorité de l'époque, des voix autorisées s'étaient élevées contre l'opération, notamment Pierre Méhaignerie, ancien ministre de l'équipement et parlementaire expérimenté. Le président Sarkozy lui-même, après coup il est vrai, avait jugé très sévèrement cette cession massive au secteur privé.
N'oublions pas non plus les déclarations de notre collègue Gilles Carrez, alors rapporteur général du budget, qui considérait que l'opération aurait pu rapporter 8 milliards d'euros de plus si elle avait été conduite dans d'autres conditions. Relisons d'ailleurs cet article du journal Le Monde, paru en août 2005 : « S'il y a autant de candidats pour cette opération de cession, c'est que les investisseurs sont prêts à payer aujourd'hui jusqu'à 14 milliards d'euros pour en recevoir très rapidement demain 40. Les financiers internationaux ont toujours considéré les autoroutes françaises comme de merveilleuses vaches à lait. »
Le réseau hexagonal était en voie d'achèvement, les besoins d'investissement en réduction et les péages généraient d'impressionnants flux de trésorerie. C'est ainsi que les fonds de pension anglo-saxons ont flairé la bonne affaire et qu'une partie de nos péages, sur le réseau national, financent les retraites des professeurs australiens, pour ne citer qu'un exemple.
On nous objectera que l'AFIFT a reçu 4 milliards d'euros à l'occasion de cette privatisation et qu'elle est alimentée par la redevance domaniale et par la taxe d'aménagement du territoire. Oui, mais cela est relativement faible par rapport au produit des péages qui aurait permis de lancer beaucoup plus facilement les grands chantiers d'infrastructures dont notre pays a impérativement besoin.
La compétitivité d'une économie, répétons-le, ne repose pas uniquement sur les seules comparaisons des coûts de main-d'oeuvre. La qualité, la diversité et le nombre des infrastructures sont des déterminants majeurs pour favoriser les implantations nouvelles et la croissance endogène des entreprises déjà présentes sur des sites devenus mieux équipés et donc plus attractifs.
Le Président de la République, dans la formation du Gouvernement, n'a-t-il pas mis l'égalité des territoires au rang de priorité ? Si de nombreux projets réalisés ou à venir concernent ce que les géographes et les historiens appellent la Lotharingie, cet immense espace qui s'étend des Flandres à la Méditerranée et concentre un grand nombre de métropoles et la majorité des sites à fort potentiel économique, d'autres projets sont attendus dans le grand quart sud-ouest de notre pays, longtemps tenu à l'écart de réalisations importantes.
Ainsi en est-il de la ligne ferroviaire Sud Europe Atlantique qui par son axe central Tours-Bordeaux, actuellement en chantier, permettra de brancher trois lignes à grande vitesse : Poitiers-Limoges, Bordeaux-Toulouse et Bordeaux-Espagne. Ces projets figurent en bonne place dans le listing de la loi Grenelle. Ils ont fait l'objet d'un travail considérable, de centaines de réunions de concertation, des réunions techniques approfondies menées par les élus et par les remarquables ingénieurs et techniciens de Réseau ferré de France.
Tout cela s'est déroulé sous le regard vigilant d'un garant de la concertation qui a exigé, dans toute cette procédure, un haut degré de qualité et d'expertise.
Comment boucler le financement de ces projets bien avancés ? En ce qui concerne l'axe Poitiers-Limoges, que je connais le mieux, les collectivités locales sont prêtes à prendre leur part de l'effort, ce qui n'a pas été le cas pour les collectivités locales traversées par les premières lignes de TGV. Mais notre devoir est aussi de répondre présent face à un si grand enjeu.
Je ne veux pas en appeler aux mânes de Franklin Roosevelt en janvier 1934 dans une Amérique désespérée par l'étendue d'une crise financière – déjà ! – ni même aux Saint-Simoniens, aux frères Pereire et à leur crédit immobilier, ainsi qu'aux grands visionnaires tels Paulin Talabot et Michel Chevallier qui, à la fin du XIXe siècle, créaient chaque année des milliers de kilomètres de voies ferrées.
Évidemment, l'énorme stock de dettes du pays se dresse devant nous, tel un mur infranchissable. À ceci près qu'en trois ans, de 2008 à 2011, notre système bancaire et financier s'est mis en drapeau. Sans être exhaustif, pensons simplement à ce que représente l'affaire Dexia pour les finances publiques françaises mais aussi belges et luxembourgeoises : entre 16 et 17 milliards d'euros !
Écoutons aussi les nouveaux dirigeants de Crédit Agricole SA qui, avec courage, reconnaissent que ce qu'on appelait pudiquement de fortes dépréciations d'actifs sur les opérations de la banque aux États-Unis et en Grèce sont en réalité des pertes sèches qui peuvent atteindre 10 milliards d'euros. Pensons aux épargnants français qui se sont laissés abuser par l'émission des titres Natixis et qui ont perdu 95 % de leur petite épargne.
Il y a le mauvais endettement qui consiste à rembourser une dette antérieure en contractant une dette nouvelle. Mais il y a aussi l'endettement qui finance l'avenir et l'accroissement du patrimoine de la nation dont les infrastructures publiques font partie. Valoriser les territoires, créer de la vraie valeur et de la richesse concrète, c'est dans cet esprit que nous souhaitons voir la commission Duron mener ses travaux.
Je veux dire à nos collègues du groupe UDI qu'ils ont eu raison d'ouvrir ce débat, mais qu'un peu plus d'objectivité de leur part aurait permis de l'aborder avec plus de réalisme et de bon sens. Il aurait ainsi été plus porteur pour l'avenir et plus fécond.
Je veux à mon tour saluer l'initiative du groupe UDI qui a souhaité ouvrir ce débat sur l'avenir des infrastructures de transport. Il est, en effet, important que le parlement puisse poursuivre sa réflexion parallèlement aux travaux de la commission Duron.
D'après la feuille de route fixée par le ministère de l'écologie et du développement durable, cette commission devrait rendre ses conclusions d'ici deux mois. Sa mission consiste à réduire le niveau de participation de l'État, en la ramenant de 90 à 50 milliards d'euros en 25 ans, soit une moyenne de deux milliards par an, afin de contribuer au retour à l'équilibre des finances publiques. Mais il me paraît tout aussi nécessaire de prendre en considération l'impact positif de ces investissements sur la croissance et sur l'emploi : je ne reprends pas les termes de mon collègue Rodet qui vient d'en faire l'apologie.
Il serait ainsi incompréhensible que des projets aussi avancés que la deuxième phase de la ligne à grande vitesse Rhin-Rhône soient écartés de la liste des projets éligibles. Je veux aussi, dans le droit fil des propos du président Chanteguet, apporter mon soutien au projet de canal Seine-Nord Europe.
Ma première question est donc la suivante : selon quels critères seront choisis les projets ?
Ma deuxième question porte sur le transport routier et le report modal. En tant que parlementaires nous sommes tous fortement sollicités par les acteurs économiques au sujet de la mise en oeuvre de la taxe poids lourds. Vous vous êtes exprimé dans la presse aujourd'hui même, monsieur le ministre.
Programmée de longue date, et d'une certaine façon inscrite dans le sens de l'histoire, l'application de cette taxe a été reculée à plusieurs reprises, à la suite des difficultés techniques rencontrées dans le choix des technologies de contrôle et des modalités de perception.
En matière de développement de réseau routier, une autre approche est possible, celle des infrastructures concédées. Cette formule présente l'avantage de permettre de mener à bien des projets indispensables sans peser sur le budget de l'État. C'est dans cet esprit qu'était conçu, par exemple, le projet de contournement de Strasbourg. Nous connaissons la suite : vous n'avez rien fait pour assurer la réalisation de cette infrastructure. Ma troisième question est simple : renoncez-vous à mobiliser les financements privés dans le cadre du futur schéma de mobilité durable ?
Enfin, pour ma dernière question, j'en reviens à la feuille de route de la commission Duron qui devra : « réfléchir aux évolutions des services, en donnant la priorité aux transports du quotidien, à la rénovation des réseaux existants et à l'amélioration à court terme du service rendu aux voyageurs. » En lisant ce passage, je ne peux m'empêcher de penser à un exemple régional et plus précisément au projet de rénovation de la ligne ferroviaire entre les villes de Haguenau et de Niederbronn. Il s'agit effectivement d'un projet de rénovation d'un réseau existant, prioritairement dédié aux transports du quotidien, qui apporterait, en outre, une amélioration immédiate du service puisqu'à l'heure actuelle, son exploitation n'est possible qu'en vertu d'une dérogation délivrée par votre ministère, tant son état est dégradé.
Vous le savez, cette ligne dessert également l'usine Alstom où sont construits les trains Régiolis, qui font l'objet d'une commande des régions françaises et, demain peut-être aussi, de l'État pour renouveler les trains d'équilibre du territoire. Elle entre donc parfaitement dans l'épure que vous avez définie. Pourtant, l'État hésite à honorer ses engagements alors même que ce projet est inscrit dans le contrat de projet Etat-Région.
Soyons précis. Il ne s'agit pas de milliards, ni même de centaines de millions. Il suffit que l'État confirme sans délai sa participation au tour de table, qu'il engage peut-être un ou deux millions sur le budget 2013 pour débloquer la situation et pour permettre à Réseau ferré de France de passer les commandes de matériel pour un début des travaux en 2014.
Si la décision n'est pas prise aujourd'hui, l'ensemble de la programmation sera remis en cause, les frais d'étude et d'ingénierie seront gaspillés, le risque d'accident ou d'interruption du service sera permanent. Avec mes collègues Frédéric Reiss et Claude Sturni, je veux donc vous alerter une dernière fois.
À travers cet exemple, nous nous interrogeons sur la gouvernance des projets d'infrastructure de transport. Comment croire qu'en cherchant à faire des économies de bouts de chandelle, vous preniez des risques inconsidérés pour la sécurité des usagers, pour l'économie nationale et pour les emplois ?
Plus grave peut-être, quel crédit le Parlement peut-il accorder à la parole et aux écrits du Gouvernement lorsque ses actes en constituent un démenti flagrant ? Il vous appartient, monsieur le ministre, de démontrer que je me trompe.
Députée d'une circonscription à la fois rurale et périurbaine et membre de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire, je souhaite souligner le rôle fondamental que le transport ferroviaire joue en faveur tant de la réduction de la fracture territoriale que de la transition écologique.
En effet, une réflexion sur l'avenir des infrastructures de transport doit être l'occasion de s'interroger sur l'aménagement territorial de notre réseau ferroviaire. Il est de notre devoir de répondre aux besoins urgents des usagers, en particulier d'améliorer leur transport au quotidien, précisément pour les déplacements entre le domicile et le travail.
Je pense notamment aux trains d'équilibre du territoire, véritables outils d'aménagement du territoire, qui souffrent aujourd'hui d'un déficit d'exploitation. Entre vétusté du matériel et diminution des recettes, ces trains ont besoin de véritables investissements et pas seulement d'accompagnement. Il semble en outre nécessaire de poursuivre la réflexion autour de leur rôle dans le réseau par rapport aux TGV et aux TER. Nous devons nous interroger sur la manière d'articuler l'offre de services de ces trois types de liaisons ferroviaires. Le président de la SNCF, Guillaume Pepy, a affirmé que les trains du quotidien seraient l'une de ses priorités.
Réfléchir à l'aménagement territorial par le prisme des infrastructures ferroviaires pose aussi la question de la place des collectivités territoriales et de l'État. Le futur projet de loi relatif à la décentralisation sera une étape importante et devra déterminer les échelons les plus pertinents pour définir notre politique ferroviaire, en précisant qui fait quoi et avec quels moyens.
La transition écologique, véritable priorité d'avenir, prendra tout son sens lorsque l'ensemble des leviers visant à sa réussite seront actionnés. En effet, les habitants des zones périurbaines privilégient bien souvent l'utilisation de leur véhicule personnel plutôt que les transports collectifs pour se rendre au travail ou accéder à des services publics. Aussi, je crois important de leur proposer des alternatives viables en termes de temps de trajet et de prix, afin de réduire l'utilisation de la voiture et, par voie de conséquence, les émissions de gaz à effet de serre.
Je salue la création de la commission Mobilité 21 et la méthodologie retenue. Cette commission a fixé différents critères pour hiérarchiser et programmer les futurs projets d'infrastructures, parmi lesquels la réduction de la fracture territoriale, l'optimisation de la mobilité de proximité et la contribution à la transition énergétique.
Le Gouvernement a mis l'accent sur le développement du transport multimodal auquel je suis très attachée. Il permet notamment de faciliter la mobilité entre les territoires périurbains et urbains. De nombreux acteurs publics ont, à ce titre, lancé de nouveaux systèmes de transports en commun, comme le tram-train : il s'agit de connecter un réseau existant de chemin de fer régional à celui d'un tramway pour offrir aux passagers des liaisons directes de transport entre le centre-ville et la périphérie. Ce système a été réalisé avec succès dans la région des Pays de la Loire avec la mise en service, en juin 2011, de la ligne Nantes-Clisson, qui apporte une réponse aux besoins des citoyens vivant dans les zones périurbaines de Nantes, voire rurales, et connaît un très vif succès.
L'aménagement d'une gare intercommunale est une bonne illustration du rôle structurant des gares pour un territoire. Cet aménagement a pour but de moderniser les infrastructures existantes et de faciliter le passage de la voiture au train, notamment par l'installation de parkings ou d'aires de covoiturage mais aussi de services pour les usagers. Ainsi, une structure multi-accueil pour les jeunes enfants va être aménagée par l'intercommunalité, le département et la région pour permettre aux parents utilisateurs du train de réduire leurs déplacements quotidiens. En vous faisant part de cette initiative locale, je souhaite convaincre de la nécessité de multiplier de tels investissements.
Le développement des transports de marchandises doit également être repensé avec pertinence, notamment au travers de la valorisation du ferroutage. La question se pose de l'évolution ou de la généralisation de ce moyen de transport dit « combiné accompagné », dont l'origine coïncide avec l'émergence des alternatives environnementales pour lutter contre les rejets massifs de gaz à effet de serre par les transports routiers de marchandises. Compte tenu des exigences environnementales actuelles et des problématiques d'infrastructure et de compétitivité, je m'interroge sur la place qu'occuperont les transports combinés dans les années à venir.
L'avenir des infrastructures de transport ferroviaire dépendra en partie des conclusions de la commission Mobilité 21. Je sais que son travail est complexe au vu des enjeux et du bilan laissé par l'ancienne majorité : un schéma national des infrastructures de transport sans priorités définies pour les projets et sans les financements nécessaires. Mais cela a déjà été rappelé et nous devons maintenant regarder devant nous.
Je souhaite que la commission prenne pleinement en compte les problématiques que j'ai évoquées : réduction de la fracture territoriale, transition écologique et promotion de l'intermodalité. C'est de cette manière que nous pourrons envisager concrètement un nouveau système de transport plus durable et plus utile à nos concitoyens.
Je veux, pour terminer, évoquer une autre question d'envergure pour le transport ferroviaire : l'ouverture à la concurrence en 2019. Je tiens à souligner l'une des inquiétudes qu'elle suscite, qui porte sur la sécurité des voyageurs. Je souhaite donc dire mon attachement à l'instauration de règles de sécurité intangibles, afin que la protection des usagers soit une priorité, comme c'est le cas aujourd'hui dans notre pays, qui offre un service ferroviaire d'une grande sécurité.
Monsieur le ministre vous avez commencé votre intervention ainsi : « les infrastructures de transport jouent un rôle fondamental pour la France ». Permettez-moi de dire, sans faire de reproche à quiconque, que ce débat aurait mérité mieux qu'une inscription à l'ordre du jour un jeudi soir, veille d'une suspension des travaux parlementaires de dix jours.
Nous espérons néanmoins avec mes collègues du groupe UMP que vous pourrez nous rassurer et nous apporter des précisions quant aux intentions du Gouvernement et aux arbitrages qui seront rendus prochainement, tant l'impression de flou entourant le devenir de nombreux projets est grande.
Vous le savez, le temps est une donnée importante pour les infrastructures de transport, entre la décision et la mise en en service. Je fais le parallèle avec le débat que nous avons eu cette semaine sur le logement : depuis votre arrivée au pouvoir il y a presque un an, aucune orientation précise ne nous a été présentée et les démarches que notre majorité avait entreprises sont aujourd'hui bloquées dans l'attente d'éventuels arbitrages, voire menacées d'une remise en cause totale.
Et que dire de décisions qui semblent déjà prises ? Je pense à l'augmentation significative de la fiscalité sur les carburants qui interviendrait après la diminution du prix des carburants décidée dès votre arrivée. Je regrette aussi vos positions idéologiques, par exemple sur le partenariat public-privé.
Voilà donc déjà une année perdue alors qu'en matière de pollution de l'air, nous sommes sous le coup d'une injonction de la Cour européenne de justice.
Notre majorité avait pourtant lancé d'importantes actions. Tout d'abord, nous avons élaboré le schéma national d'infrastructures de transport. Cet engagement phare du Grenelle de l'environnement fixe les orientations de l'État à vingt ou trente ans en matière de développement, de modernisation et d'entretien des réseaux d'infrastructures. Y figurent notamment 28 projets de développement ferroviaire représentant au moins 4 000 kilomètres de trajet dont la ligne à grande vitesse Provence-Alpes-Côte d'Azur et son prolongement vers l'Italie, la ligne Lyon-Turin. Monsieur le ministre, pour crédibiliser mon propos, je veux vous remercier pour votre engagement ainsi que celui du Président de la République.
Comme le précédent Président de la République, Nicolas Sarkozy, vous avez réaffirmé très fortement, le 3 décembre dernier que sa réalisation était prioritaire. Je le dis sans animosité : j'invite mes collègues à visiter les vallées alpines et pyrénéennes, notamment celle du tunnel du Fréjus et celle du tunnel du Mont-Blanc, dont j'ai l'honneur d'être le député depuis dix années, qui ont enduré tout ce qu'elles ont enduré, tout ce fret, au nom de l'Europe. Cette infrastructure est donc extrêmement importante.
Outre des projets de développement du fret ferroviaire, le SNIT comporte d'autres projets : onze projets portuaires, dix-huit projets d'infrastructures routières, l'optimisation du transport aérien et l'amélioration de raccordements ferroviaires d'aéroports. Ce schéma ambitieux, tant dans le fond que dans la forme, fruit d'une démarche largement concertée et progressive, risque aujourd'hui d'être totalement remanié, nous l'avons bien compris, par votre majorité.
En effet, vous avez annoncé au mois d'octobre dernier, votre intention de proposer un nouveau schéma. Permettez-moi, monsieur le ministre, de réaffirmer encore une fois ici – j'ai déjà dû le faire dix fois, notamment en commission du développement durable – l'incompréhension des députés du groupe UMP, dont aucun ne siège au sein de la commission Mobilité 21. Bien que nous saluions la présence de Louis Nègre, sénateur UMP, et celle de notre collègue UDI Bertrand Pancher, nous ne pouvons, au regard de vos grandes déclarations sur la transparence, sur la collégialité, sur l'impartialité des décisions de cette future commission, que nous interroger sur l'absence de députés du principal groupe de l'opposition à l'Assemblée nationale.
De plus, les récentes déclarations de Philippe Duron, son président, ont suscité de vives inquiétudes, notamment chez les élus des territoires ruraux et de montagne. Il a ainsi dit : « C'est difficile pour une région qui vit dans une médiocrité ferroviaire, mais si ce n'est pas dans quinze ans, ce sera pour dans vingt ou trente ans… Rien n'est perdu. » Cette affirmation, ajoutée aux critères de sélection retenus et au classement qui sera opéré entre projets engagés, projets à engager dans les dix ans et projets à engager ultérieurement, montre une réelle absence de lisibilité et nous fait craindre qu'un certain nombre de projets essentiels pour nos territoires, inscrits dans le SNIT, ne voient jamais le jour.
Je vous le rappelle, mes chers collègues, je le rappelle amicalement au président Chanteguet, le SNIT a été débattu...
J'y viens ! Le SNIT a été débattu au Sénat ; c'était au mois de février 2011. Je vous rappelle que, en vertu de la Constitution, le Sénat est l'assemblée des territoires. C'est pourquoi la majorité de l'époque avait demandé que le SNIT y fût débattu en premier lieu. Le calendrier et les élections ne nous ont pas permis de l'inscrire à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale,…
…mais je vous rappelle que la plus grande part du SNIT est issue du Grenelle de l'environnement.
Comme le président Chanteguet est attaché, comme moi, au débat, je pense qu'il ne manquera pas de retenir la demande que je lui fais officiellement ce soir : je demande que le président Philippe Duron soit auditionné par la commission du développement durable.
Vous le voyez, président Chanteguet : nous sommes souvent d'accord !
Dans le domaine du ferroviaire, notre majorité a inscrit dans le Grenelle de l'environnement la création de 2 000 kilomètres de lignes à grande vitesse d'ici à l'année 2020.
Il a été dit à plusieurs reprises, par des députés de la majorité, que rien n'aurait été fait, ce n'est pas normal. Au mois de décembre 2011, la ligne TGV Rhin-Rhône, dont l'avenir des branches Ouest et Sud semble aujourd'hui incertain ou, du moins, suscite des interrogations, a été mise en service. Nous avons lancé la construction de quatre nouvelles lignes à grande vitesse : la LGV Sud-Europe-Atlantique, la LGV Bretagne-Pays de la Loire, le contournement de Nîmes et Montpellier et la seconde phase de la LGV Est européenne. Parallèlement, afin d'améliorer la desserte des territoires ruraux, nous avons investi dans la pérennisation de quarante lignes de train d'équilibre du territoire, et nous avons également fortement mis l'accent sur la modernisation des lignes TER.
Dans le même temps, notre majorité a voulu donner une nouvelle impulsion au transport de marchandises. Lancé en 2009, l'engagement national pour le fret ferroviaire, programme de grande ampleur en faveur d'un transport écologique de marchandises, vise à transférer une part importante du transit routier vers le fret ferroviaire. Les autoroutes ferroviaires ont ainsi été développées et le transport combiné a été largement aidé, entre autres, par la création d'un quatrième aller-retour quotidien entre Perpignan et le Luxembourg, la pérennisation de l'autoroute ferroviaire alpine, malgré des travaux complexes en raison de la géologie, et l'ouverture de ce réseau au gabarit GB1, le lancement du projet d'autoroute atlantique et la modernisation des plates-formes multimodales, notamment dans les grands ports maritimes. Par la suite, et même si nous sommes d'accord pour reconnaître qu'il reste encore beaucoup à faire, notre majorité a annoncé en 2011 de nouvelles mesures en faveur du développement du fret ferroviaire, destinées à accompagner la croissance du transport combiné, à faciliter l'accès au réseau et à améliorer la compétitivité du transport ferroviaire au moyen de trains plus longs et plus rapides dès le 1er janvier 2012. Enfin, nous avons terminé la législature avec les assises du ferroviaire,…
Il était temps !
…qui se sont tenues à l'automne 2011 et ont permis, je crois, un large débat. Vous avez donc un certain nombre de propositions ambitieuses et innovantes entre les mains, monsieur le ministre ; que comptez-vous en faire ?
L'un des grands projets qu'a voulu porter notre majorité en matière d'infrastructures de transport concerne la région Île-de-France. Le Grand Paris Express, né de la loi du 3 juin 2010 relative au Grand Paris, prévoit la création de 205 kilomètres de lignes de métro au total et améliorera tant les connexions du réseau francilien que le développement économique et urbain de ce territoire. Cependant, et sans vouloir vous faire de procès sur le résultat des arbitrages, les signaux qui nous ont été envoyés par votre Gouvernement laissent planer un doute certain sur le devenir de cette réalisation.
Principale mesure du Grenelle de l'environnement, les projets de transports collectifs en site propre ont rencontré un vif succès. Le premier appel à projets a permis la construction de 424 kilomètres de nouvelles lignes de transports collectifs, dont 205 kilomètres de tramway, pour un investissement total de 6 milliards d'euros, y compris – cela a été rappelé par l'un de nos collègues – sur des projets transfrontaliers très importants ; je pense au CEVA, pour Cornavin-Eaux-Vives-Annemasse, qui relie la France et Genève. À la suite de cet engouement, nous avons rapidement lancé un deuxième appel, qui a permis de sélectionner 78 projets représentant 622 kilomètres de voies, dont 456 consacrées aux bus à haut niveau de service ; je crois, encore une fois, que ces projets transcendent les clivages politiques.
Il nous faut aussi continuer d'encourager et de soutenir le développement des modes de transport doux, respectueux de l'environnement, et les initiatives telles que les pistes cyclables, l'offre de covoiturage, le transport à la demande ou encore le transport par câble. Avec François Brottes, je me suis battu au cours des deux dernières législatures pour que le transport par câble soit reconnu comme un mode de transport doux. Annoncé à de nombreuses reprises depuis votre arrivée au pouvoir, le troisième appel à projets de transports collectifs en site propre n'a, à ce jour, toujours pas été lancé. Où en est-on ?
Je ne répéterai pas, en ce qui concerne le transport fluvial, tout ce qui a été dit sur le canal Seine-Nord Europe, si ce n'est pour rappeler que 300 millions d'euros ont déjà été investis…
…et que l'inquiétude est forte. Ce projet rassemble tous les élus locaux, de tous bords. Nous attendons donc, bien évidemment, un soutien sans ambiguïté.
Au-delà, je le dis solennellement à la représentation nationale, l'abandon éventuel de ce projet serait tout simplement, après celui du canal Rhin-Rhône il y a quinze ans, la mort du transport fluvial. Nous n'avons pas le droit de faire cela, je le dis au nom d'Alain Gest, président de VNF, retenu, ce soir même, par un conseil d'administration de cet organisme.
Nous examinerons ici dans quelques semaines le projet de loi portant diverses dispositions en matière d'infrastructures de transport. Les membres du groupe UMP veilleront particulièrement, lors de nos travaux, à ce que le dispositif de l'écotaxe poids lourds ne soit pas entièrement dénaturé et que le nouveau système de répercussion, tel que vous souhaitez le mettre en oeuvre, ne pénalise pas fortement l'ensemble du secteur routier de transport de marchandises ou certaines catégories de véhicules.
Vous l'aurez compris, monsieur le ministre, le groupe UMP est particulièrement sceptique quant aux arbitrages que vous rendrez prochainement dans le domaine des infrastructures de transport. Les hésitations de votre gouvernement et l'impression donnée de vouloir remettre en cause systématiquement les choix opérés par notre majorité nous ont déjà fait perdre une année et prendre un sérieux retard pour l'aménagement et le développement de nos territoires. Au groupe UMP, nous sommes convaincus qu'investir dans les infrastructures de transports, c'est investir dans l'avenir de nos territoires et nous souhaitons, monsieur le ministre, que vous reteniez une telle approche pour vous guider dans vos choix futurs en matière d'aménagement et de développement de nos territoires.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dix ans d'abandon et de défaut d'entretien du réseau d'infrastructures de transport, dans le rail en particulier, ont abouti à des dysfonctionnements et des retards insupportables à nos concitoyens. Chose surprenante, les temps de parcours de certaines liaisons ferroviaires sont plus longs aujourd'hui que par le passé.
En tant qu'élue de Poitou-Charentes, je donnerai un exemple local de ce qu'il ne faut pas faire. La ligne Nantes-Bordeaux est tombée en désuétude faute d'entretien. Les trains Intercités sont obligés d'y rouler à vitesse réduite sur certains tronçons. RFF, qui est surtout riche de ses dettes, on le sait, a proposé un entretien a minima qui n'améliore pas la vitesse. Devant le refus des deux régions Poitou-Charentes et Pays de la Loire, RFF a proposé le passage à une voie unique rénovée. Beau progrès ! C'est évidemment inacceptable pour les régions, puisque ce passage à une voie unique serait irréversible, à l'heure où le trafic progresse tellement sur la ligne ferroviaire La Rochelle-Rochefort que la région Poitou-Charentes étudie l'ouverture de deux lignes, La Rochelle-Surgères et La Rochelle-Marans !
On sait ce qu'apportent à nos territoires les transports de proximité.
Dix années d'inaction ont donc eu le résultat que l'on connaît : de nombreuses routes à rénover, une place relative décevante des ports français, qui est en partie due à leur mauvaise desserte, si on les compare avec leurs rivaux européens, et ce malgré leurs atouts et leur position géographique.
Six mois avant l'élection présidentielle, la précédente majorité nous a présenté le schéma national des infrastructures de transport. Un schéma pharaonique, avec 245 milliards d'euros d'investissements prévus sur vingt-cinq ans, hors Paris express, dont 90 milliards à la charge de l'État, soit deux fois plus que le rythme annuel antérieur de ses investissements. Sont attendus 56 milliards d'euros des collectivités déjà exsangues, alors que le précédent gouvernement n'a eu de cesse qu'elles ne soient privées de ressources. Je pense notamment à la suppression sans compensation de la taxe professionnelle. Au final, ce schéma national des infrastructures de transports est un catalogue de 75 projets d'infrastructures rassemblant l'ensemble des demandes des différents acteurs sans aucune hiérarchisation ni programmation, sans non plus le moindre début de financement.
Un réseau de transport dégradé, des promesses qui n'engagent que ceux qui y croient : face à cette situation, il était nécessaire de définir une méthode de travail. Le gouvernement de Jean-Marc Ayrault s'est engagé dans l'élaboration d'une vision soutenable des transports en mettant en place d'une commission chargée de prioriser, hiérarchiser et de mettre en perspective les projets.
La commission Mobilité 21, présidée par notre collègue Philippe Duron, qui rendra ses conclusions à la mi-2013, a présenté sa méthode le 21 février dernier. Il est prévu de classer les projets en tenant compte de leur contribution aux grands objectifs de la politique de transport, de leurs performances écologiques et socio-économiques, ainsi que de leur impact sur l'aménagement du territoire. En parallèle, la commission recherche de nouvelles orientations pour la définition d'un schéma de mobilité durable reposant sur l'optimisation des réseaux existants, l'équilibre entre l'entretien et la rénovation de l'existant, de nouvelles réalisations ambitieuses et une philosophie fondée sur la prise en compte des besoins des usagers au quotidien.
Cette hiérarchisation est d'autant plus nécessaire que le contexte financier est, nous le savons tous, très contraint. Cette contrainte ne doit cependant pas nous faire oublier que certains investissements non seulement améliorent le quotidien de nos concitoyens mais également préparent l'avenir. Ils devront faire partie des priorités. N'oublions pas non plus que ces projets ont aussi un impact en termes d'activité économique et d'emploi.
Cette politique nécessite néanmoins des sources de financement pérennes.
Les partenariats public-privé ne nous semblent pas, dans la grande majorité des cas, une solution adaptée.
Ils apparaissent comme un montage coûteux, très critiqué, qui revient à différer la dette, une sorte d'emprunt qui ne dit pas son nom, et à assurer une rente au concessionnaire. Un véritable emprunt sera, dans cette hypothèse, bien moins onéreux et plus transparent, d'autant que, s'agissant de financer des investissements d'avenir, il se justifie.
À la suite de notre collègue, rappelons la privatisation des autoroutes, qui engendre une perte très importante pour le budget de l'État donc pour celui des transports. L'écotaxe poids lourds sera intéressante, puisqu'elle aura le mérite d'inciter à un report modal. Nul doute que les collectivités et l'État devront faire preuve d'imagination afin d'abonder ces financements.
L'État doit retrouver en la matière son rôle de stratège.
Ce n'était qu'une incitation, non une volonté de vous censurer, mais je vous remercie, madame Tallard.
Je tâcherai de me montrer à la fois précis et concis dans mes réponses à vos multiples questions, qu'elles soient d'ordre local – et elles ne manquent pas pour autant d'intérêt – ou d'ordre plus général, plus politique. On mesure à ces questions à quel point vous aviez envie de parler des projets d'infrastructures de transport, combien un vrai débat vous manquait.
Pendant des mois et des années vous l'avez fui, ce débat. Vous l'avez inscrit à l'ordre du jour en pensant mettre le Gouvernement et la majorité en difficulté.
Au moins ce premier débat, car il y en aura d'autres, permettra de clarifier les choses, de vous montrer à quel point nous sommes à l'aise pour assumer la politique que nous menons, malgré l'héritage avec lequel nous devons nous débrouiller et que nous allons devoir surmonter. Car cela ne manque pas de piquant de vous voir, les uns après les autres, vous couler en aussi peu de temps dans le moule de parfaits opposants, oubliant que vous avez exercé les responsabilités pendant tant d'années, oubliant votre bilan qui devrait vous amener sinon à l'humilité du moins à plus de modestie et à assumer certaines réalités plutôt que d'en faire grief à l'actuel gouvernement, engagé, lui, dans une vraie politique de transport, de mobilité, d'investissements.
Nous pouvons prendre de nombreux exemples dans les discours de l'opposition qui frisent la caricature. Voulez-vous que je vous rappelle votre bilan ? Gilles Savary a relevé la dette abyssale du secteur ferroviaire, de RFF, que vous avez portée à 32 milliards d'euros.
Ce secteur est à bout de souffle alors que vous nous invitez à poursuivre votre politique.
Voulez-vous que j'évoque les conclusions du fameux rapport de l'école de Lausanne selon lequel les infrastructures de transport sont dégradées au point que plus de 2 milliards d'euros annuels seront nécessaires pour y remédier ?
Voulez-vous que nous revenions sur le SNIT ? Vous avez tenté une pirouette intellectuelle, monsieur Mariton : je vous entends parler d'abandon alors que, dans la même phrase, vous avez dit que le SNIT n'était pas un document opposable : il faudrait savoir ! Vous avez eu la dent très dure contre le SNIT et aujourd'hui vous venez nous dire qu'il ne s'agissait pas d'une démarche achevée. Si elle n'était pas achevée, comment pouvez-vous suspecter le Gouvernement d'abandonner certains projets, comment pouvez-vous nous demander de respecter le SNIT ? Pour éviter d'assumer le fait de n'avoir pas tenu vos engagements passés, vous prenez l'excuse de l'inachèvement du SNIT.
Voulez-vous que je vous parle de l'écotaxe poids lourds ? Là encore, M. Mariton a tenté de s'en faire l'avocat.
Voulez-vous que je vous parle de l'état dans lequel vous avez laissé les secteurs routier, autoroutier ? Si vous n'aviez pas bradé le patrimoine autoroutier, Alain Rodet l'a rappelé avec précision, nous n'aurions aujourd'hui aucune difficulté de financement. Je pense aux 2 milliards d'euros de recettes produites chaque année au profit des groupes qui ont été les heureux bénéficiaires d'une privatisation hâtive et complaisante, critiquée sur tous les bancs de l'Assemblée. Ces 2 milliards d'euros seraient bien utiles pour pérenniser, sanctuariser même, le financement des infrastructures. Cet héritage est bien le vôtre. Comment pouvez-vous dès lors faire preuve de si peu de retenue dans le procès que vous intentez au Gouvernement ?
J'en reviens à l'écotaxe poids lourds créée par un décret du 4 mai 2012 – on croit rêver : vous sembliez bien empressés de terminer une mission que vous n'aviez pas achevée, de laisser en héritage, et peut-être comme un gage de confiance, un cadeau de bienvenue au nouveau gouvernement. Or toute la profession savait combien ce décret, que vous vous targuez avec une telle fierté d'avoir pris, était inapplicable, constituait une usine à gaz ne permettant aucune effectivité du dispositif. Vous avez fait preuve de manque de réalisme à un moment où les transporteurs avaient plus besoin de soutien que de ce genre de mesure.
Voulez-vous que l'on revienne sur les conclusions des assises du ferroviaire ? Vous en avez organisé des Grenelle, des assises, des rencontres… Les assises du ferroviaire ont été un peu tardives – elles ont eu lieu en décembre 2011. Mieux vaut tard que jamais, certes. Ainsi, après tant de temps passé au pouvoir, vous avez eu une révélation, une forme de vision selon laquelle il faudrait une grande ambition ferroviaire pour la nation, une politique de transport ambitieuse à l'image de la grandeur du pays, qu'il s'agisse de développer le transport modal ou d'investir dans de nouveaux types de transport. Voilà bien des intentions, des volontés, des engagements, mais dont le moins que l'on puisse dire est qu'ils se sont révélés un peu tardifs.
Je reviendrai sur quelques réalités. Alors que vous lui faites le procès de l'abandon, le Gouvernement assume ses responsabilités en matière d'infrastructures en faveur des territoires et au profit de la croissance. Il n'y a ni renoncement ni abandon mais la volonté de réaliser, de donner un cap, de confirmer les bons projets, d'examiner ceux qui paraissent plutôt douteux, de revenir sur ceux qui semblent irréalistes donc irréalisables.
Vous devriez souligner que les quatre grands projets de LGV ont été confirmés, que la création de la rocade L 2, à Marseille, a été engagée sous le présent gouvernement en quelques mois. Vous devriez rappeler le déplacement de l'A9 à Montpellier, le contournement Nîmes-Montpellier. Autant de chantiers qui devaient être engagés et qui l'ont été.
Précisément, vous évoquez Strasbourg,…
…pensant que, par idéologie, dogmatisme peut-être, nous nous détournerions de projets publics-privés.
Vous avez fait le procès de la supposée vision dogmatique du Gouvernement qui l'empêcherait de promouvoir de tels projets.
Mieux vaut dire la vérité : le contournement de Strasbourg a été un projet entièrement lancé par le précédent gouvernement. Le président de la région Alsace n'a pas eu de mots assez durs pour condamner l'abandon, disait-il lui aussi – c'est une maladie –, du contournement de Strasbourg. Seulement, ce qui est vrai pour ce projet l'est aussi pour d'autres. Les partenariats public-privé ont peut-être été pour vous un mode de financement idéal mais la réalité est tout autre. Lorsque les partenaires privés ne sont pas présents au financement, lorsqu'ils ne donnent pas de réponse malgré deux prorogations des délais, lorsqu'il n'y a pas de possibilité de poursuivre sur le plan juridique, la procédure s'effondre et le projet s'arrête !
Cette responsabilité est la vôtre et n'essayez pas d'en faire endosser les conséquences au Gouvernement. Non. Car le Gouvernement a une méthode, qu'il s'agisse de l'Île-de-France, cher Olivier Faure, ou non : assurer un équilibre entre le rural et l'urbain, promouvoir la complémentarité des modes de transport, lancer la construction de grandes infrastructures là où elles sont nécessaires et rénover la plupart de celles qui existent déjà.
La réalité, mesdames et messieurs les députés de l'opposition, vous la connaissez mieux que nous puisque c'est en partie en raison de votre politique que les finances publiques se trouvent dans une situation aussi dégradée. Les collectivités vont être amenées à jouer de la solidarité financière et faire en sorte que nous puissions additionner les énergies, les volontés, les financements. Il s'agit de répondre aux demandes des citoyens, aux acteurs économiques, d'être à la hauteur des grands enjeux d'aménagement.
Je vais tenter de rassurer M. Demilly et surtout répondre positivement à Jean-Paul Chanteguet sur l'enjeu du secteur fluvial, en particulier en ce qui concerne le canal Seine-Nord Europe. Vous n'avez pas participé à l'assemblée générale de l'association de soutien au canal Seine-Nord Europe, cher monsieur Demilly ; vous y auriez entendu la réalité à laquelle l'ensemble des acteurs, en particulier les collectivités locales, sont confrontés.
Alors votre représentant doit vous faire part de cette réalité qui vous permettrait de dire la vérité et non de laisser planer un doute, de jeter le trouble dans certains territoires, voire d'inquiéter. Je n'énumérerai pas les projets soumis à la commission Mobilité 21 du SNIT ; or il se trouve que celui-ci ne l'est pas.
La question du canal Seine-Nord Europe illustre votre façon de travestir la vérité. Quelle est-elle ? Un projet fort ancien, une décision qui fut l'objet, à l'approche de l'élection présidentielle,…
…d'une mise en scène théâtrale à Nesle de la part de l'ancien président de la République, et qui aura permis de favoriser votre conversion au fluvial.
Il s'agit d'un débat et vous n'avez répondu à aucune de nos questions ; au lieu de cela, vous faites de la politique !
Or, depuis 2008, des montages financiers avaient été imaginés, l'un atteignant quelque 4,5 milliards d'euros. Un projet public-privé a été constitué au sein duquel le groupe Bouygues, qu'on ne peut pas soupçonner d'être un ami politique du Gouvernement (Murmures sur les bancs du groupe UMP), a annoncé que les partenaires privés ne pouvaient atteindre ce financement. Et nous sommes passés allégrement de 4,5 milliards d'euros, à 5,6 puis 6 voire 7 milliards sans avoir actualisé les recettes.
Dans le même temps, vous nous invitez à solliciter l'Europe. Mais qui était aux responsabilités quand il fallait demander que l'Europe se mobilise pour obtenir les financements, les subventions nécessaires à un grand projet, d'une envergure au moins européenne ? N'était-ce pas vous, vos amis ?
Qui a demandé – je dispose de ce courrier et je le communiquerai à ceux qui le souhaitent – que seulement 6 % de subventions européennes soient mobilisées sur le canal Seine-Nord ? Ce n'est ni ce Gouvernement, qui n'était pas aux responsabilités, ni les parlementaires de la majorité. C'est bien vous, votre gouvernement et le ministre responsable de ce projet qui avez limité la demande de financement à 6 % et qui nous avez conduits dans l'impasse où nous nous trouvons aujourd'hui…
La demande a donc bien été faite. Tout à l'heure, vous avez dit qu'elle ne l'avait pas été !
C'est vous qui avez pris le risque de fragiliser et même de voir chuter notre transport fluvial, dans un contexte extrêmement dégradé, marqué par la chute des recettes envisageables dans le secteur du transport fluvial, comme dans tous les types de transport.
C'est vous qui n'avez pas demandé les financements européens…
et c'est nous qui sommes obligés de faire en sorte que ce projet soit crédible, qu'il soit réorienté, qu'il soit financé à la fois par les collectivités et par l'Europe ; c'est nous qui sommes obligés de faire en sorte que ce projet ne soit pas seulement une idée ou un moyen de mobiliser et de promettre, mais qu'il devienne bien une réalité sur le territoire.
Dans quelques jours, nous ferons le bilan de la manière dont ce projet a été mené et nous exposerons comment le Gouvernement entend le poursuivre. Ce sera l'occasion pour moi de le présenter devant la représentation nationale. Il faudra que chacun assume ses responsabilités et le Gouvernement ne fuira pas les siennes : au contraire, il sera présent et fera en sorte que ce qui n'était que mirage et poudre de perlimpinpin (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) en matière de financement des infrastructures de transport devienne une réalité, crédible et solide, grâce à la parole de l'État.
Mesdames et messieurs les parlementaires, au-delà de cet exemple précis et des innombrables sujets qui ont été évoqués, auxquels je ne peux répondre point par point, je souhaiterais vous faire part de notre détermination à engager les réformes nécessaires. Bon nombre d'entre vous ont noté que la dégradation du ferroviaire devait nous amener à faire autrement et à faire autre chose.
Une lettre de mission a été adressée au président Guillaume Pépy, ainsi qu'au président Jacques Rapoport, dans la perspective d'une grande réforme ferroviaire. Dans les tout prochains mois, vous serez amenés à y prendre part – et je réponds par là à André Chassaigne. Il s'agira, par la consolidation du service public, par la création d'un pôle public unifié, par le rassemblement de l'infrastructure et des services, par l'instauration, enfin, d'un dialogue entre l'utilisateur des infrastructures et celui qui les gère, d'employer de manière compétitive, efficace et utile les financements publics.
Nous aurons aussi, dans un dialogue renouvelé, cela a été souligné par Gilles Savary, à faire en sorte que les 13,2 milliards d'euros qui seront mobilisables au niveau de l'Europe permettent un taux de retour suffisamment élevé. J'ai eu l'occasion de m'en entretenir avec Siim Kallas, commissaire chargé des transports : nous avons souhaité abandonner la stratégie que nos prédécesseurs avaient malheureusement adoptée dans de nombreux domaines de la politique européenne, celle de la chaise vide.
En ce qui nous concerne, nous souhaitons au contraire défendre nos projets au niveau européen, rencontrer les acteurs et voir les décideurs, afin de mobiliser un taux de retour qui permette de financer de grandes infrastructures.
Nous souhaitons également répondre aux innombrables enjeux sociétaux et environnementaux qui se posent – Eva Sas et Danielle Auroi en ont parlé –, aux enjeux de santé, et à ceux que posent les transferts modaux. Nous devons avoir une vision des transports au service de la société et de la population. Nous devons envisager les choses autrement et abandonner le « tout routier » et le « tout autoroutier ». (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Mais nous ne devons pas, pour autant, nous détourner des grands chantiers : il importe, de ce point de vue, qu'au-delà de nos appartenances politiques, ces grands chantiers apportent une réponse à l'aménagement du territoire, aux enjeux de société et aux enjeux environnementaux. Ils doivent nous permettre de construire les moyens de transport de l'Europe, à base de modalité et d'interopérabilité.
Vous le voyez, ce sont des défis qui vont de la réalité quotidienne aux grandes visions que l'on peut avoir d'un territoire. Ce sont des enjeux complexes et difficiles, qui ne doivent pas être abordés d'un point de vue strictement politique ou politicien, comme j'ai pu l'entendre. C'est seulement par une mobilisation au quotidien que nous rendrons réaliste et finançable la construction des infrastructures qui sont nécessaires sur notre territoire, et c'est seulement ainsi que nous obtiendrons des soutiens.
Jacques Krabal a évoqué, et je l'en remercie, l'enjeu que constituent les industries de transport : il a rappelé que l'emploi est conditionné par la nécessité de structurer et d'impulser qui vient de l'État. Oui, chère Suzanne Tallard, il importe que l'État stratège donne une direction structurante et que, par la demande publique, par les 400 millions d'euros destinés au renouvellement du matériel roulant, par les moyens mis à la disposition des régions, à hauteur de 2 à 3 milliards d'euros de commandes publiques, il soutienne les trains régionaux.
C'est important, car c'est précisément par cette impulsion que nous donnerons du sens et un avenir à nos filières et à nos structures et que nous nous doterons des moyens de la croissance et du développement de nos territoires.
Bon nombre de sujets ont été évoqués. Je ne reviendrai pas sur le Grand Paris, ni sur le plan de mobilisation de la région Île-de-France, au côté de laquelle nous sommes engagés. Avec le président Huchon, nous souhaitons faire l'annonce, dès les prochains jours, du plan de mobilisation autour de la régularité, mais aussi des investissements du quotidien. Nous y travaillons depuis maintenant plusieurs mois : la mobilisation de la région et du ministère au côté du grand chantier national qu'est le Grand Paris Express permettra, à n'en pas douter, d'assurer la régularité et l'efficacité des lignes : c'est vrai du RER, des extensions de lignes et d'Eole. Cela permettra de désenclaver un certain nombre de quartiers et de villes de la couronne parisienne.
Le 6 mars prochain, le Premier ministre annoncera les enjeux de cette politique de transport pour l'Île-de-France et nous accompagnerons la région dans son plan de modernisation.
S'agissant du volet de la décentralisation, André Chassaigne a exprimé son inquiétude. Il va de soi que le rendez-vous de la décentralisation occupera l'État et les collectivités, avec une nouvelle répartition des compétences.
On va faire payer les collectivités encore plus et baisser les aides qu'elles perçoivent !
À propos des TED et des TER – M. Chassaigne n'est plus là, mais vous pourrez lui transmettre ma réponse, ou je le lui dirai moi-même – il n'y a aucune raison de craindre que l'État puisse être tenté de s'alléger et de transmettre cette charge matérielle ou financière aux collectivités – si cela fut le cas, ce ne l'est plus aujourd'hui. Nous n'avons pas l'intention de procéder ainsi pour la hiérarchisation et la structuration des lignes TER et TED. Nous voulons un rapport équilibré entre les collectivités et l'État, un rapport de confiance, qui permette le meilleur développement possible du transport collectif et du transport quotidien régional.
Nous pourrions parler de la politique des appels à projet pour la mobilité durable dans les différentes villes. Vous avez évoqué, et c'est une réalité, la mobilisation de plusieurs centaines de millions d'euros : ce sont 400 à 500 millions d'euros qui ont été consacrés aux transports collectifs en site propre, les TCSP. Pour notre part, nous avons aussi la volonté de poursuivre…
…je viens d'indiquer que vous aviez pris un certain nombre d'initiatives qui permettaient de donner un sens à la mobilité durable. Encore faut-il que cela s'inscrive dans une politique d'ensemble, que cela permette de structurer et d'équilibrer les territoires, ou d'établir des liaisons entre les quartiers au sein des villes.
De ce point de vue, nous travaillerons, avec François Lamy, pour que les appels à projet de l'État servent au désenclavement et donnent une chance à l'ensemble des quartiers et des territoires. Par ce biais, nous aiderons bon nombre de collectivités à gommer la fracture territoriale et sociale.
Vous le voyez, mesdames et messieurs les députés, nous ne craignons pas la confrontation bilan contre bilan, même si nous ne sommes là que depuis huit ou neuf mois.
Nous ne craignons pas la confrontation projet contre projet…
…puisque nous avons, par le transport et la mobilité, une certaine vision de la chance qui doit être donnée et du respect qui doit être témoigné aux territoires.
Nous devons aussi permettre à tous les territoires, quels qu'ils soient, de bénéficier, par ces infrastructures de transport et par une mobilité assurée, d'une forme d'égalité sociale et républicaine. Nous devons également favoriser le développement économique, qui est entravé par l'asphyxie d'un certain nombre de territoires ou d'espaces, mais aussi faire en sorte que le désenclavement soit créateur de richesses, à la fois pour la nation et pour les collectivités.
Mesdames et messieurs les parlementaires, vous qui êtes les élus d'un territoire, vous savez combien ces enjeux dépassent le strict point de vue politicien. Il faut que chacune et chacun se mobilise, en vue d'échanger et de construire, de telle sorte que nous ayons pour seule volonté de servir les territoires et les populations, mais aussi de tracer de grandes ambitions et de grandes perspectives. C'est cela, l'État stratège, dans le domaine de l'aménagement du territoire, des infrastructures, de la mobilité et des transports.
Nous vous le démontrons au quotidien, et si vous n'êtes pas encore convaincus…
…vous en aurez la démonstration. Si vous êtes très nombreux à venir me voir à mon ministère, si vous êtes nombreux à m'inviter régulièrement dans vos territoires, c'est parce que vous êtes dans l'attente de la concrétisation de ce qui ne fut pas fait. Je répondrai à vos invitations, je me déplacerai dans vos territoires, et je vous démontrerai que nous sommes en situation de mobiliser. Je vous montrerai que vous pouvez avoir confiance en l'État, comme l'État souhaite pouvoir accompagner de sa confiance les territoires.
Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :
Proposition de résolution européenne sur l'instrument de réciprocité sur les marchés publics.
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt heures.)
Le Directeur du service du compte rendu de la séance de l'Assemblée nationale,
Nicolas Véron