Intervention de Violaine Touet-Seurat

Séance en hémicycle du 28 février 2013 à 15h00
Débat sur le fonctionnement des juridictions prud'homales après la réforme de la carte judiciaire — Table ronde

Violaine Touet-Seurat, présidente du conseil de prud'hommes de Nanterre :

Je remercie l'Assemblée nationale, et plus particulièrement les députés qui nous permettent de nous exprimer ici. Je regrette néanmoins que l'exercice soit aussi périlleux et difficile, car en huit à dix minutes, il est difficile de faire le tour de la question, si tant est que cela soit notre objectif.

Je passerai rapidement sur ce qui a été évoqué dans les interventions précédentes, notamment les conséquences de la réforme de la carte judiciaire de 2008 et les soixante-deux fermetures de conseils des prud'hommes qu'elle a entraînées. De ce fait, pour certains citoyens, aller contester une violation de leurs droits est devenu vraiment difficile.

Rappelons quelles étaient les motivations de cette réforme. Elle devait permettre aux magistrats d'acquérir ou de conserver un niveau de technicité nécessaire ; garantir la continuité du service public de la justice – on peut aujourd'hui constater que ce n'est pas le cas – ; améliorer les délais de traitement des contentieux ; faciliter l'accès du justiciable à la justice par la concentration des effectifs du greffe. Sur ce dernier point, si l'on a concentré les conseillers des conseils de prud'hommes, puisque dans certains endroits seuls deux conseils demeurent là où il y en avait cinq, il semble que l'on ait oublié de concentrer le personnel du greffe. Enfin, le regroupement de conseils devait permettre de mutualiser les ressources humaines et les moyens. Si tous ces objectifs avaient été atteints, nous ne serions pas là aujourd'hui.

La juge départitrice, intervenue avant moi, a évoqué la procédure des conseils de prud'hommes. Sans entrer dans les détails, car je souhaite me faire comprendre sans utiliser un jargon trop spécialisé, cette procédure repose sur quatre principes fondamentaux. Le premier est l'unicité ; le deuxième, la comparution personnelle des parties. Ce n'est pas un choix qui est laissé aux parties : elles doivent être présentes le jour de l'audience. Un employeur peut avoir une réunion professionnelle ou un conseil d'administration ce jour-là, mais ce n'est pas pour cela qu'il peut se permettre de ne pas se rendre à la convocation des juges. La plupart du temps, le demandeur est bien là, mais en face, il n'y a personne pour répondre aux questions éventuelles des juges. Il y a l'avocat, certes, mais celui-ci n'a pas toujours les réponses en main, et cela pose des soucis.

Le troisième principe est celui de l'oralité. Nous ne sommes pas toujours d'accord sur ce point, mais ce n'est pas l'objet de notre audition aujourd'hui.

Le dernier principe est celui du contradictoire.

Je ne pense pas qu'il y ait un problème de formation pure et dure, puisque nous avons déjà évoqué que la justice prud'homale fonctionne avec des conseillers qui sont issus de la société civile, et qui ont un autre emploi dans une entreprise ou qui sont représentants du collège patronal. Lorsqu'il n'est pas possible de trouver un accord pour trancher un litige, nous sommes épaulés par des juges de métier, des magistrats.

L'application des textes pose de nombreux problèmes, ce qui ralentit les procédures. Nous sommes issus de deux collèges différents, et nous avons des points de vue différents. Issus du collège salarial, nous sommes là pour défendre le salarié, mais pas uniquement, nous avons aussi pour rôle de déterminer si telle personne a droit à telle chose, ou si telle société a bien respecté la législation.

La difficulté est là : il faut faire respecter les textes, et non pas en retenir un aspect, celui qui nous arrange, ou qui arrange le collège patronal. Il n'est pas évident, dans les conseils de prud'hommes, de faire vivre la parité, et c'est un point d'achoppement très fort.

Il est de la responsabilité de tous, et notamment de la vôtre, mesdames et messieurs les députés, de faire appliquer la loi, toute la loi, et rien que la loi. Les points de vue, notamment du patronat, ne doivent pas passer au premier plan.

Les inquiétudes sont nombreuses. Afin de ne pas excéder le temps de parole qui m'est imparti, je ne reviendrai pas sur tous les points, mais l'accord qui a été signé en début d'année soulève de fortes inquiétudes, tant pour la citoyenne que je suis que pour l'actrice de la justice. S'agissant des conseillers des prud'hommes, nous n'avons toujours pas la date des prochaines élections. La dernière date de 2008. Le mandat a été prorogé. Si l'on appliquait les textes, les élections devraient avoir lieu à la fin de l'année, mais ce ne sera pas le cas. Nous en avons repris pour deux ans, si vous me passez l'expression. En fait, on ne sait même pas quand ces élections seront organisées : on sait seulement qu'elles le seront « au plus tard » d'ici deux ans. Il faudrait faire avancer les choses sur ce point, car il s'agit d'un déséquilibre de plus : pourquoi désigner un collège d'une certaine manière, et pas l'autre ?

L'autre inquiétude est que la justice ne soit définitivement plus au service des citoyens, pour toutes les raisons qui ont été évoquées précédemment.

Le projet de loi qui mettra en oeuvre l'accord interprofessionnel du début de l'année constituera une régression sans précédent. Le Syndicat des avocats, le Syndicat de la magistrature et même certains experts du monde civil qui oeuvrent auprès des instances représentatives du personnel dans les sociétés s'interrogent très fortement. Il est de votre responsabilité de consacrer le temps nécessaire à la réflexion. Oui, elle est chronophage, mais il faut la mener, car au-delà des intérêts de tous les acteurs de la justice, il ne faut pas perdre de vue le citoyen.

Lorsque les citoyens décident d'aller au tribunal, ce n'est pas pour y toucher le jackpot. Il faut arrêter avec ça ! Quand on a devant soi des délais de cinq ans, on ne s'engage pas dans une procédure pour toucher un jackpot. Il s'agit bien de créances alimentaires, de survie. Ceux qui viennent d'être licenciés, que ce soit pour raison personnelle ou pour motif économique, et Dieu sait que l'actualité nous en donne des exemples à la pelle, ce sont bien des gens aux abois, qui ont des familles à nourrir et des charges à payer. S'il semble que l'employeur n'a pas agi dans les règles, il n'est pas normal de culpabiliser tous les citoyens.

Finalement, on parle beaucoup de compétitivité des sociétés, mais si les gens n'ont pas un minimum d'argent pour survivre ou se payer des loisirs, comment voulez-vous relancer la consommation ? Nous risquons de vivre dans un pays totalement déséquilibré : certains seront très riches et deviendront encore plus riches, tandis que la grande majorité de nos concitoyens seront très pauvres et ne pourront plus rien contester.

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