Madame la présidente, mesdames, messieurs les députés, vous travaillez depuis une heure sur le sujet. Il est toujours inconfortable d'entrer dans un jeu de quilles et de prendre un débat en route, mais je propose, puisque vous souhaitez avant tout avoir un échange avec le Gouvernement, de m'en tenir à un court propos liminaire.
Je remercie le groupe GDR et le félicite d'avoir pris l'initiative d'organiser un débat sur la juridiction prud'homale. C'est la juridiction de la détresse. C'est aussi celle de l'espoir, puisque les personnes qui s'y présentent espèrent bien que justice leur sera rendue. Cette juridiction n'étant pas suffisamment mise en lumière, ce débat est tout à fait bienvenu.
Les conseils de prud'hommes tels que nous les connaissons aujourd'hui sont issus de la loi de 1905, même si la toute première juridiction, lyonnaise, date de 1806. Ces juridictions ont été étendues et modifiées au fur et à mesure. Le modèle que nous connaissons aujourd'hui, modèle paritaire, date de 1905. Il a changé depuis, bien entendu, et surtout du fait de la réforme de la carte judiciaire, dont vous venez de débattre. Pour les conseils des prud'hommes, elle a été conduite de la même manière que pour les autres juridictions : une consultation insuffisante et une application par trop comptable de la révision générale des politiques publiques.
La conséquence en fut la suppression de soixante-deux conseils de prud'hommes sur deux cent soixante et onze – un conseil a néanmoins été créé –, soit une baisse de 22 % du nombre de ces juridictions. Conformément au code du travail, un conseil de prud'hommes par tribunal de grande instance a été maintenu. C'est une disposition législative.
Les conseils de prud'hommes ont constitué un bassin d'emplois : cent vingt emplois ont été transférés de ces juridictions vers d'autres juridictions. Même s'il y a des divergences d'appréciation quant aux effectifs, notamment de greffiers, et même si les délais et les stocks prouvent que le fonctionnement des CPH n'est pas satisfaisant, le transfert de cent vingt greffiers ne semble pas avoir bloqué leur fonctionnement. La fermeture des juridictions a été fondée sur une estimation de trois cents nouvelles affaires par an. Sur les soixante-deux CPH qui ont été fermés, quarante-trois traitaient un peu moins de deux cents affaires par an. Il faut retenir que, même aujourd'hui, cent quarante CPH sont composés de cinq agents ou moins. La situation est donc assez disparate sur le territoire.
S'agissant des délais, ils ne sont pas satisfaisants, d'autant qu'il s'agit d'un contentieux particulier, concernant le conflit du travail. Demander d'attendre douze à quinze mois est une vraie difficulté pour les personnes qui ont besoin d'une décision rapide, notamment sur leur licenciement. Au bout d'un certain temps, ce licenciement n'a plus tellement de sens, surtout si le contentieux est très conflictuel.
Depuis la réforme de 2008, nous observons un allongement des délais, de 2,5 mois à partir de 2009. Le délai moyen est passé de 12,8 mois à 15,5 mois. Il y a évidemment des stocks, lesquels ont augmenté de 29 % entre 2007 et 2010. Quant à leur délai de résorption, il est passé de 13 mois à 15,5 mois.
La situation s'est indiscutablement aggravée depuis la réforme de la carte judiciaire. Il y a là une évolution qui interroge. La situation s'est aggravée jusqu'en 2009. À partir de 2010, le nombre de saisines a diminué. L'explication qui m'a été fournie dans un premier temps est que l'instauration des 35 euros induit des inégalités et limite l'accès au juge. Néanmoins, les 35 euros sont applicables depuis 2011 : cela n'expliquerait donc pas exactement pourquoi, malgré la crise économique, le nombre de saisines a commencé à baisser en 2010. Il nous faut approfondir la question et regarder s'il n'y aurait pas une désaffection vis-à-vis de ces juridictions, si ce ne serait pas, éventuellement, une désespérance qui entraînerait un renoncement, une espère d'autocensure conduisant les salariés à ne pas appeler au secours les conseils de prud'hommes.
S'agissant de la taxe de 35 euros, j'avais espéré pouvoir la supprimer dans le budget 2013, et pour le triennal. Je n'y suis pas parvenue ; j'ai juste réussi à empêcher qu'elle passe à 50 euros. L'état des finances publiques était tel que dans les toutes premières semaines, le ministère du budget était à la recherche de ressources supplémentaires, ce que je peux comprendre. Cela étant, j'ai obtenu assez facilement de la part du Premier ministre un arbitrage pour rester à 35 euros, alors que mon rêve était de supprimer cette taxe, parce que je pense que, dans une période de difficultés économiques et sociales, la justice, qui est un service public, doit être encore plus attentive aux personnes vulnérables et doit organiser, avec encore plus d'efficacité, l'accès au juge et à la justice. Or, il est incontestable que la taxe de 35 euros est un frein pour l'accès au juge, de même que la taxe de 150 euros pour l'appel constitue une difficulté d'accès à la justice.
Je me suis engagée à trouver la compensation de ces 35 euros pour l'année 2014. Je suis en train de faire accélérer la réflexion du groupe de travail. Je m'y suis engagée tout en sachant que supprimer la taxe de 35 euros me contraint à trouver l'équivalent de la recette, puisque cette taxe alimente le budget de l'aide juridictionnelle à hauteur de 55 millions d'euros. Il me faut donc trouver 55 millions d'euros, ce qui ne se trouve pas sous le pas d'un cheval, et c'est bien dommage ! (Sourires .)
J'ai très tôt mis en place un groupe de travail, qui suit trois pistes différentes. Nous avons vu, ces derniers mois, surgir des résistances. Les différentes pistes consistent à introduire des taxes sur certaines catégories de contrats d'assurance, ainsi qu'une taxe additionnelle sur certains actes notariés. Considérant qu'ils produisent assez peu de contentieux, les notaires trouveraient injuste que l'on vienne taxer leurs actes. C'est une piste à laquelle je n'ai pas renoncé. Nous travaillons avec le Conseil national du notariat de façon à trouver une solution amiable.
Il nous faut trouver cette ressource en sachant que l'aide juridictionnelle est un vrai problème. Elle fait cependant partie des politiques publiques que nous devons évaluer. Dans cette évaluation, nous mobilisons toutes les forces possibles. Nous consultons des représentants des professions libérales, et au premier chef les avocats, dans la mesure où c'est à eux que l'aide juridictionnelle est versée pour la prise en charge de la défense de personnes dont le revenu mensuel est inférieur à 929 euros par personne, ce revenu étant pondéré s'il y a deux revenus dans la famille et s'il y a des enfants.
Nous travaillons également avec la mission qu'a constituée le Sénat autour de l'aide juridictionnelle – je ne sais pas si l'Assemblée nationale a mis en place un groupe de travail analogue.
Il s'agit pour nous d'évaluer cette politique publique, de réfléchir aux façons de la réformer et de la moderniser et de prendre en compte la dégradation générale de la situation économique. Le seuil de 929 euros de revenus pour l'accès à l'aide juridictionnelle se situe en effet en deçà du seuil de pauvreté, fixé à 964 euros. Parmi les 8,5 millions de personnes qui vivent en dessous de ce seuil de pauvreté, certaines ne peuvent donc pas accéder à l'aide juridictionnelle. Or, avec la dégradation de la situation économique et sociale, il est à prévoir que certaines personnes se situant encore, aujourd'hui, dans la catégorie des revenus moyens, n'auront pas les moyens d'accéder à la justice, sans pour autant pouvoir prétendre au bénéfice de l'aide juridictionnelle.
Cette question, nous devons la traiter ensemble, car elle appelle une réflexion à caractère politique, une réflexion exigeante sur ce que doit être le service public de la justice.
Les conseils de prud'hommes ont été confrontés à une difficulté constante, une difficulté ancienne, qui s'est manifestée dès les années cinquante. Il a été envisagé un temps de mettre en place l'échevinage. Cette idée provoque toujours l'énervement des juridictions qui sont spécialisées. Elle a aussi énervé les conseils de prud'hommes. Ce projet a toutefois été abandonné en 1974, sous la présidence de Valéry Giscard d'Estaing.
Je propose que nos échanges portent sur des points liés aux questions que je viens d'évoquer tout en nous permettant d'élargir la réflexion sur la viabilité des conseils de prud'hommes.
Je pense, tout d'abord, à la question de l'indemnisation des conseillers, qui a fait débat ces dernières années : faut-il une indemnisation au forfait ou une indemnisation au réel sur la base d'un régime déclaratif ?
Se pose aussi la question de la formation des conseillers prud'homaux. Le droit du travail devient complexe. Or la formation n'est pas obligatoire. On observe que seul un tiers des conseillers suivent une formation, et cette formation n'est pas longue : six semaines pour toute la durée de leur mandat, et deux semaines par an.
Nous pourrions en outre évoquer le très faible taux de conciliation. Historiquement, l'objectif premier des conseils de prud'hommes était de parvenir à la conciliation. Or le taux de conciliation est très faible. Il est passé de 60 % en 1960 à 7 %, en 2010, selon les derniers chiffres dont nous disposons. La conciliation est pourtant une phase obligatoire. Avec le Conseil supérieur de la prud'homie, qui s'est réuni hier alors qu'il n'avait pas siégé depuis dix-huit mois, nous allons réfléchir à la question. Ses membres se sont montrés tout à fait favorables à ce que la conciliation soit maintenue, mais ont émis le souhait qu'elle soit mieux préparée et que les conseillers y soient mieux formés.
Nous pourrions nous pencher sur la question de la durée du jugement, qui s'étale actuellement en moyenne sur dix-huit mois.
Le fort taux d'appel – de 65 % – suscite également des interrogations sur la confiance placée dans les jugements prononcés par le conseil de prud'hommes en première instance.
Par ailleurs, nous pourrions discuter de la présence du ministère public, parce qu'il y a quand même une politique sociale. Toute une série d'incriminations traitées par ces juridictions du travail intéressent le ministère de la justice par leur aspect social : travail dissimulé, harcèlement, protection du salarié en cas de licenciement.
Nous pourrions enfin revenir sur la situation des greffes.
Pour conclure, je vous informe que j'ai mis en place des groupes de travail. L'un d'eux, présidé par le premier président Marshall, est consacré aux juridictions du XXIe siècle. Animés par la direction des services judiciaires, ils font pendant à des études sur la mission du juge au XXIe siècle et sur les juridictions du XXIe siècle que j'ai commandées à l'Institut des hautes études sur la justice. L'IHEJ et ce groupe de travail aborderont très certainement dans leurs réflexions les questions liées aux conseils des prud'hommes. Nous verrons avec le Conseil supérieur de la prud'homie quel sort devra être réservé à leurs préconisations éventuelles.
Mesdames, messieurs les députés, je me tiens maintenant à votre disposition pour toute question, en espérant que je serai capable d'y répondre.