Nous sommes aujourd'hui invités à débattre de l'avenir des projets d'infrastructures de transport. Ce sujet est important, car c'est une préoccupation majeure pour nos concitoyens. Il vous donne aussi l'occasion, monsieur le ministre, de faire un point d'étape approfondi sur les réflexions ministérielles actuellement menées.
Ce débat nous permet également, à nous, parlementaires, d'affirmer nos priorités. Ma priorité monsieur le ministre, partagée avec un grand nombre de mes collègues radicaux, républicains, démocrates et progressistes, c'est le transport ferroviaire. Mon intervention ne portera que sur cette question, à travers une réflexion européenne et nationale mais aussi avec des exemples locaux.
S'il est un sujet qui fait consensus dans notre pays, c'est bien la mise à disposition d'un service ferroviaire de qualité et à des prix abordables pour nos concitoyens. En revanche, des désaccords persistent quant à l'équilibre entre d'un côté le développement de nouvelles lignes, notamment à grande vitesse, et de l'autre la maintenance et le renouvellement du matériel sur les lignes existantes. Contrairement à ce qui a pu être fait dans le passé, il n'est pas tolérable de continuer à développer le réseau sans s'assurer de son financement et sans veiller à ce que le développement ne se fait pas au détriment de l'existant.
Selon la Cour des comptes, le coût total du schéma national des infrastructures de transport serait estimé à 260 milliards d'euros, dont plus de 60 % pour de nouvelles infrastructures. Permettez-moi de dire qu'on a beau jeu de crier aujourd'hui à l'abandon de nouvelles lignes dont la construction n'a pas débuté alors que ces projets ont été annoncés sans être financés !
Si la compétitivité de notre pays dépend aussi de ses infrastructures et de projets structurants, le bien-être de nos concitoyens dépend, lui, de la qualité des services ferroviaires qu'ils empruntent quotidiennement. L'augmentation de 5 % de la subvention attribuée à RFF en 2013 est un des signes du soutien direct de l'État à l'entretien des lignes. Vous affirmez ainsi votre priorité : l'amélioration du réseau existant. Ce n'est pas du renoncement, ça, c'est du volontarisme politique !
Je voudrais faire part ici des préoccupations de Dominique Orliac, députée du Lot, quant à la ligne ferroviaire Paris-Orléans-Limoges-Toulouse. Cet axe est d'une importance majeure pour le développement local. Il dessert 32 départements et plus de 5 millions d'habitants. Or, le 23 janvier dernier, le directeur général des infrastructures, des transports et de la mer a proposé aux élus membres du comité des financeurs des études du barreau Poitiers-Limoges de réduire de dix à quatre le nombre d'allers-retours quotidiens sur cette ligne, dans le seul but d'accroître la rentabilité du projet de la LGV Poitiers-Limoges. Il n'est pas tolérable que de telles décisions puissent être prises sans concertation. Comme d'autres, Dominique Orliac souhaite qu'un schéma directeur national de la ligne Paris-Orléans-Limoges-Toulouse soit établi dans le but de structurer la modernisation de la ligne.
C'est un premier exemple de la nécessité de porter une plus grande attention au réseau existant.
J'en prendrai un autre dans ma région, dans le département de l'Aisne. En tant que député mais aussi élu local, j'ai pu constater les conséquences de la construction d'une ligne à grande vitesse, la LGV Est européenne. Il ne s'agit pas de remettre en cause son utilité, puisqu'elle ne fait que traverser notre territoire sans s'arrêter, mais elle a entraîné une dégradation des services sur d'autres lignes, principalement pour la desserte Reims-Château-Thierry dans les deux sens.
En dépit des efforts d'une part de la région Picardie, pénalisée par de faibles moyens financiers, surtout depuis la suppression de la taxe professionnelle, et d'autre part de la SNCF, je suis très régulièrement interpellé à propos du manque d'entretien et de régénération du matériel sur certaines lignes de ma circonscription, desservant en particulier Château-Thierry et Villers-Cotterêts. Ces problèmes sont souvent particulièrement saillants en période de grand froid, mais pas nécessairement. Pas plus tard que ce mois-ci, la moitié des locomotives en service sont tombées en panne. Ce matin encore, le comité des usagers me signalait qu'il manquait des rames de train, ce qui oblige les usagers à se serrer dans les rames restantes. Des retards sont également constatés.
Il n'y a rien de plus exaspérant que de perdre du temps en raison d'un incident technique qui pourrait être évité si le réseau était correctement entretenu, il n'y a rien de plus exaspérant que de manquer d'informations en cas de retard ou d'annulation de train – tout cela sans oublier le coût du transport ! En dépit des efforts de la région Picardie, qui prend à sa charge près de 40 % des frais de transport, il faut compter 193 euros d'abonnement pour le pass TER Picardie en seconde classe et 350 euros pour ceux qui voyagent en première classe au départ de Château-Thierry. Les salaires, eux, n'augmentent pas.
Payer pour un service public de transport de qualité, c'est naturel. Mais payer toujours plus pour un service qui se dégrade, qui provoque des perturbations professionnelles et familiales, ce n'est plus acceptable.
Telle est la réalité, monsieur le ministre. Je sais que vous la connaissez, et je vous remercie de la prendre en compte. Je sais aussi que ce formidable chantier auquel vous vous attelez prendra du temps. Les efforts devront cependant s'intensifier tant que la qualité du service ne sera pas au rendez-vous.
Par ailleurs, la maintenance du réseau crée des emplois. Elle contribue à l'émergence de nouvelles techniques et donc de nouveaux métiers. Les formations dans les métiers des travaux ferroviaires se multiplient. Je souhaite donc que vous puissiez nous accompagner pour l'inauguration d'une école de ce type sur ma circonscription à Mézy-Moulins.
Je vous invite également à venir visiter l'entreprise Vossloh Cogifer à Fère-en-Tardenois, que vous connaissez – vous êtes déjà intervenu pour la remise en état de la ligne Reims-Fère-en-Tardenois-La Ferté-Milon-Paris. Cette entreprise innovante est positionnée sur le marché des infrastructures ferroviaires. Elle investit dans une machine ultraperformante et sollicite par l'intermédiaire d'OSEO le soutien des pouvoirs publics pour se développer sur un marché international porteur mais aussi très concurrentiel. Nous avons encore besoin de vous sur ce dossier.
Je l'ai dit, la hiérarchisation des priorités demeure une bonne approche car, même si la priorité des priorités est la maintenance et le renouvellement du matériel, nous n'oublions pas le développement des lignes les plus utiles. Les lignes dont la construction a débuté doivent être poursuivies. Vous avez mis en place une commission pour évaluer et hiérarchiser les projets contenus dans le SNIT. Il me semble qu'en l'état, il faut attendre ses conclusions. Cela ne doit pas nous empêcher d'identifier d'autres leviers d'actions pour à la fois étendre et améliorer la qualité du réseau ferroviaire de notre pays. La gouvernance du réseau et de son entretien constitue l'un de ces leviers.
L'organisation et les interactions entre SNCF et RFF peuvent encore être amplement améliorées. On ne peut que regretter, par exemple, qu'il n'y ait pas d'outil commun pour piloter la maintenance du réseau. C'est pourquoi les députés du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste vous invitent à persévérer dans cette direction.
La coordination européenne est elle aussi indispensable. Comme le souligne mon collègue radical Joël Giraud, la reconnaissance du transport transfrontalier doit aussi devenir l'une des priorités de l'action gouvernementale. Sans raccordements transfrontaliers collectifs efficaces, la saturation des infrastructures routières aux frontières s'aggravera encore. Parfois même, des territoires français ne sont accessibles facilement qu'en passant par leurs voisins. La situation la plus préoccupante est celle de Briançon, dans les Hautes-Alpes, l'une des principales régions touristiques françaises, dont l'accessibilité au réseau TGV dépend exclusivement de la création d'une ligne ferroviaire vers une gare italienne située à vingt kilomètres. C'est donc avec cette vision de la continuité par-delà nos frontières que nous devons penser nos réseaux et investissements ferroviaires.
Ainsi, monsieur le ministre, vous pouvez compter sur le soutien des députés du groupe RRDP pour l'approche que vous avez retenue : mettre la priorité sur le transport du quotidien et la maintenance du réseau existant, et hiérarchiser les projets de développement selon les performances écologiques et socio-économiques, et ce dans un cadre profondément européen.
Rappelons-nous Jean de la Fontaine et sa fable La grenouille qui veut se faire aussi grosse que le boeuf. Il ne faut pas avoir les yeux plus gros que le ventre ! Par ces temps de crise, s'il faut faire des investissements dans de nouvelles infrastructures, il ne s'agit pas que d'image, mais d'abord et avant tout la vie quotidienne de nos habitants. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)