Intervention de Danielle Auroi

Séance en hémicycle du 28 février 2013 à 15h00
Débat sur l'avenir des projets d'infrastructures de transport

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDanielle Auroi :

Il existe différentes manières d'aborder un débat sur l'avenir des infrastructures de transport : nous devons faire des choix pertinents et à la bonne échelle.

Dans ce domaine, en effet, chacun veut défendre ses projets, sans tenir compte de l'échelle européenne : aussi cette démarche au coup par coup est-elle encore, bien trop souvent, celle des gouvernements nationaux.

Certes, les arbitrages sont difficiles, car l'intérêt général, en terme de développement durable, ne coïncide pas toujours avec les réflexes traditionnels des partenaires concernés.

Nous devons replacer la réflexion sur les transports européens dans le contexte climatique actuel des « 3 fois 20 ». L'Union européenne souhaite financer des voies de chemin de fer, mais les politiques locaux, sous la pression des lobbies habituels, préfèrent parfois, voire souvent, multiplier les autoroutes.

Cette difficulté à mener une réflexion stratégique efficace est aussi liée à la question des financements. Aussi la Commission européenne, dans son livre blanc sur les transports, estime-t-elle qu'il nous faudrait, pour répondre aux besoins, dégager au niveau européen plus de 1 500 milliards d'euros sur vingt ans. En l'état actuel des finances publiques européennes, nationales et locales, on mesure d'autant plus la nécessité de faire des choix.

L'exemple de certains pays d'Europe du sud l'illustre : la création d'un réseau d'autoroutes ou d'une LGV n'est une condition ni nécessaire ni suffisante à un développement économique de long terme, qui doit d'abord reposer sur la recherche d'activités locales à forte valeur ajoutée et intégrer pleinement la transition écologique.

De ce point de vue, je voudrais souligner ici l'avis en référé de la Cour des comptes du 1er août 2012, relatif au projet Lyon-Turin : « Les investissements ferroviaires n'ont de sens que s'ils sont accompagnés d'une politique déterminée de report modal de la route vers le rail. Ces mesures doivent être mises en oeuvre dans un cadre européen plus large. L'expérience de la Suisse met en lumière que la politique d'offre ferroviaire et les mesures de taxation des poids lourds d'ores et déjà appliquées dans ce pays, et envisagées en France, ne devraient pas suffire pour atteindre les objectifs de report modal, et que de nouveaux outils sont indispensables pour maîtriser la croissance du trafic routier. » Nous devrions nous inspirer de ces observations très pertinentes !

De ce point de vue, je ne peux que regretter que la mise en oeuvre de l'écotaxe poids lourds soit une fois de plus retardée.

Nous devons viser en priorité un développement économique durable, qui renforcerait le dynamisme de l'Union européenne et de la France, tout en préservant la qualité de l'air et les ressources naturelles, en économisant les ressources non renouvelables et en favorisant les emplois non délocalisables.

Si la politique des transports ne devait pas changer, la part des transports dans les émissions de gaz à effet de serre continuerait d'augmenter pour atteindre, d'ici à 2050, près de 50 % du total des émissions ; les produits pétroliers couvriraient encore 89 % des besoins du secteur en 2050 ; et le trafic routier, avec ses encombrements, demeurerait un immense fardeau économique, environnemental et de santé publique.

N'oublions pas qu'en Europe, 350 000 décès prématurés par an sont dus à la pollution de l'air. L'OMS a estimé, via une étude réalisée en Suisse, en Autriche et en France, que le trafic automobile était responsable de la moitié des décès dus à cette pollution. Les chiffres sont éloquents : ils doivent nous inciter à agir, comme la ministre de l'écologie a commencé à le faire, pour que les plus fragiles ne voient pas leur espérance de vie raccourcie en raison des gaz toxiques et des particules fines qui se dispersent dans notre atmosphère, et pas seulement en ville.

L'action du Gouvernement met aujourd'hui en évidence une autre dimension : la délocalisation de notre industrie, rendue possible par l'effondrement du coût du fret maritime. De même, au niveau européen, l'effondrement du prix des transports routiers, reposant sur un dumping social masqué, a favorisé une industrie qui fonctionne de manière éclatée, en faisant venir les composants dont elle a besoin des quatre coins de l'Europe, voire du monde.

La politique d'infrastructures que nous devons mener ne peut être qu'un élément d'une stratégie globale des transports qui ne saurait se résumer au dogme du tout libéral.

Il est nécessaire de dégager des priorités pour le transport des marchandises, comme le ferroutage – chantier sur lequel nous avons perdu tant d'années –, plutôt que de vouloir financer des portions d'autoroute via les project bonds qui seraient ainsi bien mal utilisés.

Il faut également étudier le potentiel du secteur maritime et fluvial et développer des systèmes intelligents de transport.

En outre, le maintien en état, la rénovation et la modernisation des infrastructures existantes – même si nous ne coupons pas des rubans tous les jours – demeurent essentiels.

Par ailleurs, une nouvelle phase de décentralisation doit gérer l'articulation entre les échelles européenne et régionale.

Les politiques de transport sont indissociables d'un aménagement du territoire à même de préparer l'avenir : elles doivent résolument se tourner vers des solutions soutenables, socialement et écologiquement.

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