Monsieur le président, madame la présidente de la commission, mesdames les rapporteures, mesdames et messieurs les députés, permettez-moi tout d'abord de remercier les deux commissions compétentes de s'être saisies du sujet de la réciprocité dans les échanges commerciaux et de la politique de l'Union européenne, en charge de la politique commerciale vis-à-vis des pays tiers.
Je tiens tout particulièrement à saluer le travail de Mme Dagoma et de Mme Fort, qui ont présenté, dans le cadre de leur mission sur le juste échange au plan international, cette proposition de résolution européenne relative à l'instrument de réciprocité dans l'accès aux marchés publics.
Le soutien du Parlement français est très précieux. Si nous ne sommes pas isolés, nous Français, nous ne sommes pas pour autant majoritaires, cela se saurait.
Madame Dagoma, vous m'avez interrogée sur le tour des capitales européennes que j'ai entrepris voilà quelques mois. La semaine dernière, j'étais à Berlin et à Copenhague. À Berlin, j'ai rencontré le ministre Rösler. J'ai, une fois encore, essayé d'expliquer et de convaincre. J'ai eu le sentiment que ce n'était pas impossible, même si c'était difficile, dans la mesure où il m'a paru ouvert à un compromis. Mais, il faut le dire, la discussion aboutira positivement à partir du moment où les États s'en saisiront pleinement et où s'instaurera un débat franc entre les chefs d'État. François Hollande a montré qu'il ne redoutait pas ce genre de débat au sein du Conseil européen.
Mme la présidente de la commission des affaires européennes m'a demandé où nous en étions aujourd'hui. Neuf États membres se sont prononcés en faveur du projet de règlement sur la réciprocité : l'Italie, la France, le Portugal, la Hongrie, la Lituanie, la Roumanie, la Slovaquie, et la Bulgarie. Quinze États membres se sont prononcés contre la proposition : le Royaume-Uni, la Belgique, le Danemark, la Suède, l'Allemagne, les Pays-Bas, le Luxembourg, l'Autriche, l'Irlande, la Grèce, la Finlande, la Lettonie, la République tchèque et l'Espagne.
Je suis convaincue et j'essaie de convaincre mes homologues de la nécessité d'une législation européenne pour éviter des législations nationales très restrictives qui conduiraient à une fragmentation dommageable du marché intérieur européen. Le point de blocage est du côté de l'Allemagne. Si l'Allemagne était convaincue, je pense que, du côté des chefs d'État, on pourrait avancer. Et il faudrait avancer. La Commission estime à douze milliards d'euros le manque à gagner pour nos entreprises européennes en raison de la fermeture de marchés de la part de pays tiers. Nous avons donc intérêt à cette ouverture.
Au regard de l'ensemble des bilans des accords de libre-échange conclus par l'Union européenne, il est assez étonnant de ne pas faire fond sur la force de marché que nous représentons, nous Européens. Nous sommes tout de même cinq cents millions de consommateurs. L'Union européenne est la première force de marché du monde, le premier exportateur et le premier importateur. Pour un pays tiers, cela ne peut pas être facile de s'opposer à une telle force de marché. Il faudrait pouvoir s'en servir dans les négociations. Telle est ma conviction. Mais l'Europe se fait à vingt-sept.
Le 12 février dernier, l'examen du texte, article par article, s'est achevé au sein du Conseil sans que le texte ne soit ni rejeté, ni adopté. À notre demande et à celle de la Commission, la présidence irlandaise a annoncé que les discussions allaient se poursuivre. Nous pouvons encore faire évoluer la situation. Je compte beaucoup sur le Parlement européen qui, comme chacun sait, a depuis le traité de Lisbonne son mot à dire dans la politique commerciale.
Le Parlement s'est engagé dans l'examen du texte. La semaine dernière encore, la commission du commerce international tenait une audition publique à ce sujet. Les positions sont partagées, mais il existe un calendrier, madame la présidente de la commission. Daniel Caspary, le rapporteur allemand du projet, devrait présenter son rapport et ses amendements à l'automne prochain pour un examen du texte en première lecture début 2014, à l'approche du débat politique, puisque nous aurons bientôt des élections européennes. Il faut que ces élections tiennent compte des vrais enjeux, les enjeux européens, pas forcément les enjeux nationaux. Les peuples demandent, et pas seulement en France, une Europe plus exigeante. Je crois que nous pouvons avancer sur la voie de l'adoption. Comme vous, madame la présidente, j'ai la conviction que la politique commerciale doit être au service des entreprises et des industries de nos pays.
Je ne défends pas, pour autant, l'équivalent d'un Buy american act à l'échelle de l'Union européenne. La préférence protectionniste n'a rien à voir avec la réciprocité et je pense pour ma part que le protectionnisme est une impasse. Nos entreprises doivent s'insérer dans la mondialisation. Elles le peuvent ; elles en ont les atouts, car des relais de croissance importants y gisent. Les chiffres du commerce extérieur pour 2012 montrent que les entreprises françaises sont capables de se porter sur des marchés lointains, en Asie ou en Amérique du nord et du sud.
Ce n'est pas en refusant l'ouverture que nous aiderons nos entreprises, mais en leur donnant des armes égales. La réciprocité se niche ici. La réciprocité, je le rappelle, est un concept ancien. Ce sont les accords du GATT, signés en 1947, qui l'ont mis à l'honneur. À l'époque, il y avait une nécessité évidente de garantir une paix durable pour assurer la reconstruction et retrouver le chemin de la croissance et du progrès. Le projet de règlement vient donc de loin. Mais l'Europe des Vingt-sept n'est plus la Communauté européenne que nous avons connue lorsqu'elle ne comptait que six, douze ou quinze membres. Il devient plus difficile de se mettre d'accord.
Il faut faire confiance aux entreprises européennes, aux entreprises françaises particulièrement. Elles ont une grande capacité d'innovation, je le sais pour rencontrer leurs représentants tous les jours et cela a été le cas encore ce matin. La France n'en est pas toujours consciente mais elle est tout de même une grande puissance économique : la cinquième au monde.
Les uns et les autres, vous avez à plusieurs reprises évoqué les déclarations de Pascal Lamy, directeur général de l'OMC, lors de son audition hier par votre assemblée.
Sans avoir le compte rendu exact de ses propos, je sais qu'il a souligné que les échanges étaient aujourd'hui marqués du sceau de la multilocalisation. L'étude menée conjointement par l'OMC et l'OCDE montre que, dans le volume global des exportations mondiales, la part des importations représente 40 %. À l'échelle de la France, la part des importations dans les exportations représente 26 %. Autrement dit, il faut d'abord importer pour pouvoir exporter, tout dépend de la position que l'on occupe dans la chaîne de la valeur ajoutée. Nous le savons bien : c'est là que se joue la bataille de la compétitivité à l'export.
M. Lamy a également montré que la division entre flexibilité et réciprocité était beaucoup plus aisée à établir lorsqu'il y avait une nette séparation entre pays pauvres et pays riches : aux pays riches, la réciprocité ; aux pays pauvres la flexibilité. Le problème est que la montée des pays émergents – dont beaucoup sont aujourd'hui émergés – a totalement bouleversé la donne. Ce couple n'est plus opérant, surtout en matière de barrières non tarifaires. Et nous savons très bien que c'est là que résident les enjeux. C'est ce que l'on appelle les préférences collectives. Si l'on abaisse les droits de douane mais que l'on relève les taxes intérieures sur tel ou tel produit d'importation, le résultat est à peu près nul pour les échanges. Le juste échange, la réciprocité renvoient aux barrières non tarifaires.
Cela me donne aussi l'occasion d'évoquer devant vous les négociations des accords de libre-échange, qui constituent des leviers pour mettre en oeuvre la réciprocité.
John Kerry était hier à Paris. Vous avez bien noté que le président Obama a consacré un paragraphe de son discours sur l'état de l'Union à la volonté des États-Unis de signer un accord de libre-échange avec l'Union européenne. Cela renvoie bien sûr à des stratégies géopolitiques. Les États-Unis sont ainsi en train de négocier un grand accord de partenariat avec les pays du Pacifique, le Trans-Pacific Partnership Agreement.
Mais avant d'avancer dans la négociation d'un tel accord, il faut donner un mandat à la Commission. La France, au sein du Conseil de l'Union européenne, indiquera clairement ce qui devra être mis hors du mandat : l'exception culturelle, les OGM, la viande aux hormones. Nous ferons jouer nos avantages offensifs, notamment s'agissant des produits laitiers, pour lesquels nous avons un intérêt évident à la conclusion d'un tel accord. Nous ferons jouer aussi des intérêts défensifs. Nous savons bien que la bataille sera avant tout circonscrite aux services et à la propriété intellectuelle, pour lesquels nous n'avons pas la même définition de part et d'autre de l'Atlantique.
Globalement, nous avons intérêt à ce que cette négociation soit bien menée grâce à un bon mandat. L'Irlande veut que nous allions vite et que nous puissions donner un mandat à la Commission au mois de juin, à la fin de sa présidence de l'Union. Cette échéance nous paraît très ambitieuse. Le Conseil européen informel des ministres chargés du commerce extérieur qui aura lieu à Dublin les 17 et 18 avril prochains nous permettra de dire ce que nous voulons. Ce sera une date importante. Il n'est pas évident que nous donnions un mandat à la Commission dans les délais qui nous sont impartis. De toute façon, la négociation sera longue, de l'ordre de cinq à six ans. Et il faut bien voir que c'est dans la négociation que l'on peut exercer la réciprocité.
Je prendrai un autre exemple, celui du Japon. Le 29 novembre, lorsque le mandat de négociation a été adopté, nous avons, nous Français, demandé que certaines conditions soient établies. C'est là que se joue la réciprocité : il faut qu'au fur et à mesure de la négociation les barrières non tarifaires soient abaissées. Il ne faut pas être pressé et il faut pouvoir poser ce que l'on appelle des prérequis.
La France a ainsi exposé les raisons pour lesquelles il n'était pas possible d'engager une négociation avec le Japon. D'une part, ce pays refuse depuis 2000 notre boeuf, à la suite de la crise de la vache folle. D'autre part, il ferme totalement ses marchés publics, la dernière entreprise européenne à avoir pu soumettre une offre pour un marché ferroviaire ayant été Siemens en 1999. Cette méthode a payé. Tout d'abord, les Japonais ont accepté d'ouvrir les exportations pour le boeuf après avoir procédé aux inspections sanitaires qu'ils refusaient de faire depuis des années. Ensuite, nous avons appris que deux entreprises françaises, Thalès et Alstom, ont été sélectionnées pour un marché ferroviaire.
Je ne sais pas si l'Europe a fait jusqu'alors preuve de naïveté ; en tout cas, il est certain qu'elle ne doit pas aller aussi vite que certains le voudraient pour conclure des accords de libre-échange.
Vous m'avez également interrogée sur le Canada, qui est aussi un bon exemple. Il s'agit d'un accord dont la négociation est entamée depuis longtemps, j'arrive donc en fin de discussion. La Commission européenne pensait pouvoir l'achever à la fin de l'année dernière. Demain, nous serons le 1er mars et je constate que nous n'avons toujours pas levé les derniers points de blocage. Nous soutenons une approche très ferme, notamment pour ce qui touche aux questions de quotas agricoles.
Mme Fort a évoqué les conditions d'une adhésion acceptable de la Chine à l'Accord plurilatéral sur les marchés publics. Franchement, ces conditions ne sont pas encore remplies.