Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de résolution que nous examinons aujourd'hui vise à apporter notre plein et entier soutien au projet de règlement européen instaurant le principe de réciprocité dans l'ouverture des marchés publics au sein de l'Union européenne. Je ne peux que souscrire à l'appel en provenance de tous les bancs de cette Assemblée pour que, dans les mois et les années qui viennent, un nombre croissant de résolutions allant dans ce sens puissent venir de la commission des affaires européennes, dont je salue la présidente Danielle Auroi.
Ce projet de règlement européen prévoit d'exclure des procédures d'appel d'offres au sein de l'Union européenne les entreprises des pays tiers dont les marchés publics resteraient fermés aux entreprises européennes.
Lors des négociations avec les pays tiers, l'Union européenne, sous une impulsion fortement libérale, inspirée par l'ancien commissaire au commerce extérieur, Peter Mandelson, a toujours défendu une ouverture ambitieuse, pour ne pas dire quelquefois ruineuse, des marchés publics internationaux. Or les chiffres parlent d'eux-mêmes : l'application de cette doctrine libérale ne fonctionne pas. Un quart seulement des marchés publics dans le monde est ouvert à la concurrence internationale. En retour de l'ouverture généreuse de nos marchés publics, les entreprises européennes se voient opposer des pratiques discriminatoires, lorsqu'il ne s'agit pas – quelques-uns l'ont dit du bout des lèvres – de pratiques mafieuses qui les prennent en otage.
Cette situation ne peut plus durer. Avant d'aller plus avant, deux premières raisons peuvent être évoquées.
La première est dictée par l'enjeu essentiel dont il est question ici. Les acteurs publics représentent une part très importante du commerce mondial : 1 000 milliards d'euros par an. Les produits et services achetés par les pouvoirs publics représentent environ 17 % du PIB de l'Union européenne. Selon la Commission européenne, vingt-deux marchés clés de produits et de services seraient concernés par les marchés publics. Les marchés clés, ce n'est pas seulement la compétitivité-coût ou le dumping ; c'est aussi le patrimoine technologique, le savoir-faire, choses pour lesquelles il a fallu parfois des siècles de construction pour parvenir à une expertise et une excellence reconnues sur tous les continents.
Le chiffre d'affaires des entreprises actives sur ces marchés pourrait dépasser 25 % du PIB de l'Union européenne et représenter 31 millions d'emplois.
La seconde raison tient au fait que certains États, dont les États-Unis, le Japon et la Corée, ne respectent pas leur engagement d'ouverture mutuelle de leurs marchés alors même qu'ils sont parties avec l'Union européenne à l'accord AMP, l'accord de l'OMC sur les marchés publics.
Les chiffres sont, là encore, explicites : 85 % des marchés publics de l'Union européenne sont ouverts aux pays tiers alors que seuls 32 % des marchés américains et 28 % des marchés japonais le sont pour les entreprises européennes. Quant aux BRICS, les pays émergents comme le Brésil, l'Inde et la Chine, ils sont tout simplement complètement fermés, ou bien ils suspendent à la négociation, au libre arbitre, l'accord favorable en cas de candidature.
D'aucuns nous diront qu'il s'agit de mesures d'un siècle passé, visant à fermer nos frontières. Cette objection est fausse. Ce serait mal comprendre le double objectif poursuivi par l'exigence de réciprocité.
En premier lieu, cet objectif est d'apporter davantage d'ouverture des échanges. Oui à l'Europe ouverte mais non à l'Europe offerte. L'affirmation du principe de réciprocité vise à inciter nos partenaires commerciaux à abandonner les obstacles de libre concurrence, de juste concurrence et de non arbitraire dans les relations commerciales.
Il ne s'agit donc pas de remettre en cause le principe d'ouverture des marchés publics européens. C'est d'ailleurs pourquoi le projet de règlement ne prévoit d'exclure un marché européen qu'à la condition d'une absence de réciprocité substantielle.
L'objectif de la Commission européenne est bien de se ménager des marges de manoeuvre en matière de politique commerciale et de se doter des moyens d'une politique commerciale, car il y a ce que nous discutons ici, il y a les textes, il y a souvent les couloirs feutrés des négociations internationales dans lesquels se niche le diable du détail, comme vous le disiez précédemment. Puis, il y a la pratique et ces milliers d'entreprises françaises livrées à l'arbitraire, à la partialité, que dissimulent des règles claires et transparentes et notamment cette réciprocité qui doit être, par définition, substantielle.
L'objectif de la Commission européenne est bien de se ménager des marges de manoeuvre. Naturellement, la réponse ne sera pas la même selon les pays concernés. Les pays les plus en difficulté ne verront pas leurs rapports commerciaux avec l'Union directement remis en cause. Il s'agira de dialoguer, de discuter, de collaborer avec eux. Quant aux pays les moins avancés, il est bien évident qu'ils seront peu touchés ou pas du tout.
En second lieu, il s'agit d'accroître la sécurité juridique – quand ce n'est pas leur sécurité tout court – pour les entreprises européennes, qui aujourd'hui ne savent pas en fonction de quels critères les marchés publics étrangers leur sont ouverts ou fermés simplement en raison de leur nationalité. Les règles à cet égard sont susceptibles de changer d'un pays à l'autre et parfois, au sein d'un même pays, d'une région à l'autre. Certains pays n'ont pris aucun engagement tandis que d'autres ne respectent pas ceux qu'ils ont pris.
Enfin, il faut garder à l'esprit que l'absence d'accès réciproque pénalise gravement les entreprises européennes. Elles subissent non seulement les restrictions d'accès aux marchés des pays tiers mais font également l'objet de la concurrence déloyale d'entreprises qui bénéficient chez elles de mesures protectionnistes, et qui peuvent, par le jeu du dumping tant fiscal qu'environnemental, réglementaire ou social, proposer des offres anormalement basses. C'est le cas des offres des entreprises chinoises qui, dégageant des marges sur leurs marchés intérieurs grâce à la commande publique, se permettent ensuite de venir rogner celles des nôtres au sein du territoire communautaire.
N'oublions pas que le manque à gagner ici pour les exportateurs européens s'élèverait, selon les chiffres de la Commission européenne, à 12 milliards d'euros. Nous ne pouvons plus nous satisfaire de ce déséquilibre, d'autant que, chacun le sait, le déficit de la balance commerciale de la France atteint 70 milliards chaque année – c'est l'état dans lequel nous avons trouvé le pays, et qui devrait dissuader certains de donner trop de leçons.
Les entreprises européennes pourront bénéficier, grâce à l'exigence de réciprocité, d'une ouverture mieux sécurisée, comparable à celle dont leurs concurrents bénéficient sur le territoire européen.
Il faut inciter ces pays fermés à rejoindre l'accord plurilatéral sur les marchés publics, comme dans le cas de la Chine. Comme vous l'avez fort bien dit, madame la ministre, l'adoption de ce règlement permettra à nos entreprises de jouer à armes égales dans la compétition internationale.
Il est grand temps que l'Union cesse d'être naïve. Les relations commerciales avec nos partenaires sont manifestement déséquilibrées et nous ne pouvons plus continuer à nous offrir au monde sans aucune contrepartie.
Moindre naïveté, mais aussi rationalité. Les chiffres présentés ici, et utilisés comme arguments par la quasi-totalité des orateurs, attestent que, derrière le refus obstiné de certains d'appliquer ce type de règles, il y a non pas une logique cohérente mais tout simplement une nouvelle forme d'obscurantisme, la croyance que l'absence totale de règles fondera un eldorado nouveau, qui se traduit en réalité pour les peuples par toujours plus de régression.
Ne nous voilons pas la face sur de tels sujets : ces réticences sont aussi liées aux échanges bilatéraux qu'entretiennent certains pays de l'Union, comme l'Allemagne et le Royaume-Uni, avec des pays émergents. Ces échanges bilatéraux sont facilités par des politiques fiscales ou sociales avantageuses.
Ce dont il est question ici, et c'est selon moi le coeur du problème, c'est d'une cohérence au sein même de l'Union sur la mise en oeuvre de la réciprocité. Il faut déterminer, à l'échelle européenne, la nature du commerce international que ses membres veulent mettre en place. Je sais que ce n'est pas aisé et que l'on se bat au quotidien pour porter la voix de la France – mais pas d'elle seule, et à cet égard l'exemple du Danemark est significatif. Il s'agit là non de choisir entre libre-échange et protectionnisme mais d'opérer un dosage pertinent de développement, ce que l'on appelle le juste échange. Je conseille d'ailleurs à chacun de lire le bel ouvrage À qui profite le protectionnisme ?, qui réédite certains discours de Jaurès.
Le juste échange dépasse cette alternative entre libre-échange et protectionnisme, en poursuivant trois objectifs : maintenir le haut niveau de vie, le modèle social, le développement des pays du sud et préserver notre écosystème.
Je terminerai sur un point important, ce qui me permettra de saluer le travail des rapporteures, et plus particulièrement celui de Seybah Dagoma, parce que j'ai été personnellement le témoin de son engagement dès le début de cette législature sur les questions du juste échange, avec rigueur, objectivité et sans considérer que sur ce thème les slogans et les caricatures servaient d'argument. Nous avançons aujourd'hui sur ces questions de réciprocité : je suis sûr que demain – et je regarde la présidente de la commission des affaires européennes – nous pourrons peut-être le faire aussi sur la question du taux de change. Je vous remercie. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)