Monsieur le ministre délégué chargé des relations avec le Parlement, mes chers collègues, je dois au seul privilège de l'âge d'ouvrir aujourd'hui les travaux de notre assemblée. C'est un honneur, le plus grand peut-être de ma vie de parlementaire.
Vous comprendrez que je ressente une forte émotion à cet instant, comme sans doute nos 218 collègues qui se sont installés pour la première fois dans cet hémicycle. Cette émotion est d'autant plus forte qu'outre la présence de ma famille à la tribune je sais que ma maman, qui vient d'avoir cent ans, me regarde à la télévision. (Applaudissements.)
J'ose à peine parler d'elle, de crainte de désespérer, si je bénéficie des mêmes gênes, ceux qui attendent sûrement avec une certaine impatience de prendre ma place et qui pourraient se demander si je ne serais pas capable de renouveler l'exercice à la prochaine législature. (Rires et applaudissements.)
Cette présidence du doyen d'âge, par laquelle commence chaque législature, exprime ce miracle de la démocratie et de la république qui fait de chacun d'entre nous l'élu de ceux qui ont voté pour lui, mais aussi de ceux qui n'ont pas voté pour lui, le député de sa circonscription en même temps que celui de la nation et de notre assemblée. Avec ses sensibilités, ses clivages, ses partis pris, celle-ci est un être collectif soudé par une seule et même légitimité, parlant et décidant au nom du peuple français tout entier.
Car, au-delà de la majorité et de l'opposition, nous sommes tous ensemble l'Assemblée nationale et non l'assemblée des partis. Au-dessus de chacun d'entre nous et de nos différences, il y a la République une et indivisible, qui s'impose à nous comme une exigence non pas seulement politique, mais aussi morale.
C'est une cause que, dans les affrontements inhérents à toute démocratie, nous ne devons jamais perdre de vue, quelle que soit la passion légitime que nous mettons dans nos débats.
C'est un devoir plus grand encore dans les circonstances où se trouve notre pays, alors qu'il doit affronter des crises d'une gravité telle qu'elles peuvent mettre en danger, nous le pressentons tous, notre indépendance, voire notre démocratie.
Plus que jamais, mes chers collègues, nous devons montrer l'exemple par notre attachement aux valeurs de la République. Au sein de notre assemblée, nous devons tous veiller à ce que la liberté de chacun soit garantie, à ce que l'égalité des droits soit assurée et à ce que règne entre nous une forme de fraternité nous unissant dans la mission que nous avons à accomplir ensemble, en faisant toujours preuve de compréhension et de respect les uns vis-à-vis des autres. Dans les circonstances actuelles, je vous le dis, mes chers collègues, les Français ne nous pardonneraient pas une autre attitude que celle inspirée par une saine vertu républicaine.
Le temps des débats électoraux est désormais achevé. Réunis en Assemblée nationale, dans un paysage politique modifié, nous voilà tous au seuil d'une nouvelle mandature, prêts à remettre l'ouvrage sur le métier.
Quel métier, et quel ouvrage !
Le métier, tout d'abord.
L'Assemblée nationale est l'épicentre de notre démocratie. Moteur pour accompagner l'évolution de la société, nous devons être également des capteurs des battements du monde, avec l'idée que la loi produite doit être une réponse et non une complication ou un frein.
Dans cet hémicycle ou en commission, les discours parlementaires constituent des mines d'idées, où les cervelles se frottent les unes aux autres, comme le dit Montaigne, et la pensée chemine.
La revalorisation du rôle du Parlement est aujourd'hui un acquis et le travail de coproduction législative une méthode : faisons-les prospérer et continuons de progresser vers une démocratie modernisée où chaque Française, chaque Français, se sente protégé et, surtout, écouté.
Au fond, comme l'a si bien écrit Tocqueville au sujet de la Révolution française, faisons de notre assemblée législative une « patrie intellectuelle » où tous les arguments peuvent être entendus, où le sérieux des débats prévaut sur les effets de manche, où l'intérêt général structure notre action.
L'ouvrage, ensuite.
Cette crise, après laquelle rien ne sera plus jamais comme avant, nous place devant nos responsabilités. Sachons trouver le bon tempo de la réforme pour poursuivre l'oeuvre de modernisation et permettre à la France de tenir sa place dans la compétition internationale.
Notre tâche individuelle doit privilégier la « réalité » de la volonté populaire et les « vrais » intérêts du pays. Ce n'est que dans cette conscience-là que nous apporterons des réponses justes.
Soyons des éveilleurs de conscience, agissons dans une logique constructive pour permettre aux idées de s'épanouir et aboutir à des textes qui répondent aux enjeux de notre temps, dans le respect de nos valeurs républicaines. En ces temps difficiles, nous devons veiller à conserver le bon sens comme boussole et le bien commun comme horizon.
Soyons inventifs, transgressifs parfois et sérieux toujours pour impulser une dynamique de progrès et apporter des solutions. Jacqueline de Romilly évoquait la « fulgurance de la pensée antique » pour louer sa modernité et sa force. De la même manière, écrivons une loi solide qui, pour être efficace, doit être débarrassée des boursouflures technocratiques et des dernières chimères conceptuelles à la mode.
Mes chers collègues, ce petit exercice de prise de recul n'est pas une invitation à la contemplation. C'est bien davantage un exercice de salubrité intellectuelle pour se poser les bonnes questions : pourquoi, comment et pour qui nous sommes-nous engagés ?
Entré tard en politique, j'ai parcouru le trajet classique d'un élu de terrain, depuis la mairie de Saint-Gratien jusqu'à la présidence du conseil général du Val-d'Oise. Je dois avouer que ce n'est pas la plus mauvaise école.
Je vous ai parlé du privilège du doyen en commençant ce propos, mais je ne compte pas en abuser longtemps. Pour clore cette réflexion sur notre mission de parlementaire, je vous livre ces mots de Tzvetan Todorov : « L'existence humaine ressemble à ce jardin imparfait [...] Elle est ce lieu où nous apprenons à fabriquer de l'éternel avec du fugitif, où le hasard d'une rencontre se transforme en nécessité de vie. »
Cette sagesse, transposée au mandat que le peuple français nous a confié, nous commande d'être des jardiniers conscients que les tailles, les coupes, les semis auront plus ou moins d'effets, bénéfiques ou non, de court ou de long terme. En dépend la floraison ou son dépérissement.
C'est donc en jardiniers responsables que nous devons nous comporter, toujours soucieux de la prochaine récolte. (Applaudissements.)