Pour apporter ma contribution à cette discussion générale, j'ai choisi de faire un détour par le cinéma, et c'est un regard extérieur sur l'école que je veux solliciter comme support à la réflexion.
Plusieurs films documentaires, ou films de fiction avec des effets de réalité, ont été réalisés ces dernières années qui en disent long sur notre école et sa capacité à capter les tensions de l'extérieur et à les restituer à vif.
Être et avoir, L'Esquive, Entre les murs, La journée de la jupe, ces quatre films disent la diversité des pratiques, des publics scolaires, des territoires. Deux d'entre eux ont pour cadre les banlieues, un autre un arrondissement populaire de Paris, le dernier, la ruralité du Massif central.
Le caractère éminemment divers de notre sujet explique évidemment la complexité de notre tâche. Quel lien y a-t-il en effet entre l'univers silencieux et rural d'Être et avoir et le bruit, et parfois la fureur, d'Entre les murs ? Quel lien entre cette enseignante jugée psychorigide, y compris par sa propre hiérarchie, parce qu'elle s'obstine, dans cette banlieue où règne le plus violent des sexismes, à vouloir porter une jupe, et la figure d'autorité bienveillante et respectée que représente cet instituteur de classe unique dans Être et avoir ?
Pourtant, c'est à toutes ces réalités concomitantes qu'il nous faut répondre.
Je voudrais explorer un premier sujet, le rôle du maître. Tous les films disent l'importance de la relation entre maître et élève et ses conséquences dans l'acquisition des savoirs. Il faut avoir l'âme chevillée au corps et du talent aussi pour que, comme dans L'Esquive, sous l'impulsion de leur professeur de français, des jeunes de banlieue s'approprient Le jeu de l'amour et du hasard de Marivaux, grâce à ce professeur qui exige, ne renonce pas, explore le théâtre dans sa fonction cathartique.
Vous avez raison de faire de l'éducation artistique et culturelle un axe fort de votre politique – vos prédécesseurs l'affirmaient également – même si, et nous y reviendrons, la notion de parcours mérite bien des clarifications.
Oui l'effet maître existe bien, ces films nous le montrent, la réalité qu'ils décrivent aussi bien sûr.
La question du geste éducatif, donc de la formation des enseignants, est capitale. Il est possible que les écoles supérieures soient meilleures que les IUFM. Nous le verrons bien.
Il faut à ce ministère une véritable politique de ressources humaines, dont la seule gestion des barèmes ne peut tenir lieu. Aujourd'hui, il faut changer le métier pour lutter contre l'échec scolaire, véritable cancer de notre école. Il faut se nourrir des expérimentations, des réussites des autres. Dans trois de ces films, on voit qu'un grand nombre d'enseignants déploient des trésors d'imagination et de patience, explorent, innovent, bref exercent leur liberté pédagogique. C'est l'honneur du métier. Pourquoi n'en parlez-vous pas ?
Les enseignants ne doivent pas être abandonnés à eux-mêmes, comme le professeur de français François Bégaudeau, dans Entre les murs, sanctionné pour un mot malheureux quand lui-même a enduré avec une patience admirable un quotidien scolaire fébrile et instable.
À mesure que le système décroît en efficacité, l'accompagnement de l'institution se fait de plus en plus par le poids de la contrainte bureaucratique et administrative, là où l'on aimerait davantage d'autonomie garantie par une solide évaluation.
Le second sujet que je voudrais évoquer est la violence. On sait que le bien-être des élèves est une condition de la réussite éducative. Sur ce point, là aussi, la vision est plus que contrastée. Le pourcentage d'enfants français déclarant aimer beaucoup l'école dans les pays de l'OCDE place la France au septième rang, mais avec seulement 32 % d'élèves heureux d'être à l'école. Quant au pourcentage des élèves déclarant avoir été agressés au moins deux fois à l'école dans les pays de l'OCDE, la France est au cinquième rang, ce qui n'est guère réjouissant.
Dans le film La journée de la jupe, où le caractère extrême de la violence renvoie bien à la fiction, le substrat sur lequel est bâtie cette histoire est bien réel, attesté par les faits divers qui émaillent régulièrement l'actualité : mépris pour l'autorité d'enseignants mal payés et déclassés, impossibilité d'aborder certains sujets parce qu'ils sont susceptibles de contrarier croyances religieuses et fonctionnement communautaire, antisémitisme en progression exponentielle, mépris affiché de l'égalité homme-femme, de l'excellence ou de la réussite. Il y a bien du réensauvagement dans certains lieux théoriquement dédiés à la civilité et à la civilisation.
Dans ce contexte, votre conception de la morale laïque interroge et étonne. L'éducation civique figure déjà dans les programmes. Il s'agit donc d'autre chose, mais de quoi exactement ? La laïcité forme-t-elle le contenu de cette morale ? Pourtant, la morale ne saurait se réduire à la laïcité.
Peut-on agir en lieu et place de la famille, ou parallèlement à elle, ou même contre elle, pour arracher l'élève à ses déterminismes – je reprends vos mots ?
Vous avez, monsieur le ministre, j'en suis persuadée, le désir de servir la cause de l'éducation, mais nous sommes nombreux à avoir le sentiment que c'est une loi qui pèche par tiédeur. Malheur à ceux qui ont voulu réformer trop fort le système. Le système a eu raison d'eux. De ce point de vue, votre situation est singulière. Dans cette négociation avec le corps enseignant, vous avez beaucoup donné, peut-être beaucoup trop tôt, et, en même temps, vous réformez peu. C'est une occasion manquée et c'est dommage. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)