Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, une grande loi sur la refondation de l'éducation nationale nous est proposée pour préparer l'avenir, tracer les perspectives du développement personnel et professionnel de notre jeunesse, et constituer le large socle sur lequel notre nation est appelée à bâtir son avenir. Du moins, telles devraient être les ambitions de ce texte. Or on est loin du compte, même très loin !
Partons, tout d'abord, du constat. Le système éducatif va mal : toutes les enquêtes le démontrent et toutes les études concordent pour établir un diagnostic de plus en plus alarmant. Nous sommes d'accord avec vous sur ce point précis. D'ailleurs, en 2005, François Fillon, alors ministre de l'éducation nationale, avait lancé une nouvelle dynamique en présentant une loi qui a permis de jeter des bases solides.
Par la suite, Nicolas Sarkozy a souhaité poursuivre cette modernisation. Le Gouvernement s'est attelé à cette tâche : de nombreux textes ont ainsi permis de poursuivre ce travail dans le même état d'esprit que la loi de 2005, pour esquisser les contours d'un enseignement plus juste, plus ouvert sur le monde et tenant mieux compte des défis que la France doit relever au XXIe siècle.
Tout a-t-il été réussi ? Bien sûr que non ! Nous devons avoir l'honnêteté intellectuelle de reconnaître que des erreurs ont sans doute été commises et que certains dispositifs n'ont pas produit les effets escomptés. Cependant, il est impossible de considérer que tout a été raté. Pourtant, monsieur le ministre, c'est ce que vous soutenez !
Le rapport annexé au projet de loi est, à ce titre, révélateur de votre état d'esprit. Passons sur l'utilité réelle de ce rapport, qui semble développer l'exposé des motifs, alors que les dispositions du projet de loi à proprement parler paraissent parfois en décalage avec les ambitions affichées. Son objet est purement politique : il sert de socle à un travail de remise en cause des actions conduites auparavant, en les disqualifiant au moyen des résultats des enquêtes internationales. Par un tour de passe-passe, vous voulez faire croire que 2002 est la frontière temporelle marquant le passage de la lumière aux ténèbres.
Les alinéas 7, 8, et 13 – je pourrais en citer d'autres – datent les difficultés de 2002. Votre analyse ne porte d'ailleurs que sur la période allant de 2002 à 2012 et sur le constat d'une dégradation des compétences acquises par les élèves. Si cette dégradation est réelle, votre volonté d'en rendre responsables les précédentes majorités a de quoi surprendre. Vous semblez oublier que les études réalisées à partir de 2002 concernent des élèves qui avaient commencé leur scolarité avant cette date. Ainsi, la dernière enquête PISA qui illustrait, en 2009, les failles de notre système éducatif, a été réalisée sur des élèves ayant intégré l'école en 1999 et 2000. À cette époque, qui était Premier ministre ? Lionel Jospin ! Et qui était ministre de l'éducation nationale ? Jack Lang !
Notre collègue socialiste Vincent Feltesse a parlé tout à l'heure de modestie. C'est bien de cela qu'il s'agit : je vous appelle moi aussi à un peu de modestie.
Monsieur le ministre, vous êtes un homme honnête et vous nous avez habitués à mieux. En l'espèce, votre approche est mauvaise. Elle ne vise qu'une chose : détruire ce qui a été fait avant vous. Mes collègues et moi l'avons souligné au cours des débats en commission. Ainsi, ce projet de loi supprime l'aide personnalisée et la remplace par un temps d'activité pédagogique aux contours mal définis et aux contenus évanescents. Dans le même ordre d'idées, vous insérez, à de nombreuses reprises, le mot : « culture » dans le bloc de connaissances et de compétences, pourtant clairement défini par le décret du 11 juillet 2006, et qui faisait l'objet d'un soutien unanime. Or si la notion de culture est belle, son contenu n'en est pas moins imprécis. Qui peut prétendre en donner une définition claire, précise et irréfutable ?
Le décret de 2006 évitait, quant à lui, de dire ce qui est culturellement acceptable, car il n'appartient pas au Gouvernement de dire si Bach vaut mieux que tel groupe de musique actuel ou si un texte de Verlaine doit être préféré à celui de tel ou tel chanteur comme sujet au baccalauréat. Vous revenez sur ce cloisonnement salutaire, pour introduire une forme d'insécurité juridique qui brouille la notion de socle des compétences et des connaissances.
Par ailleurs, permettez-moi de me faire l'avocat de toutes les collectivités territoriales qui se trouvent confrontées à la mise en oeuvre subite et hâtive de la réforme des rythmes scolaires. Cette réforme pèsera sur la vie familiale, sur les activités de loisir, sportives et culturelles, ainsi que sur la vie associative, et elle rendra plus difficile le travail des femmes. Tout ceci, pour un coût difficile à estimer. L'association des maires des grandes villes de France évoque une facture s'élevant à 630 millions d'euros alors que votre fond d'amorçage n'est doté que de 250 millions d'euros.