Intervention de Christian Kert

Réunion du 12 mars 2013 à 18h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristian Kert :

Une question est souvent revenue, tant ici qu'au Sénat : saurai-je faire preuve d'indépendance, compte tenu de mon passé de directeur des routes et de préfet ?

Depuis près de trois ans, je suis vice-président du Conseil général de l'environnement et du développement durable. Il s'agit non pas d'une administration centrale, mais d'un organisme dont la mission consiste à conseiller le Gouvernement – non seulement la ministre de l'environnement, du développement durable et de l'énergie, mais chacun des ministres – et à promouvoir le développement durable. De plus, la composition du CGEDD est marquée par la pluridisciplinarité : ingénieurs des mines ou des ponts, vétérinaires, spécialistes de l'environnement, de la sphère sociale ou de la communication.

J'ai, depuis ma nomination au CGEDD, développé une approche beaucoup plus collégiale et mis l'accent sur la déontologie. La culture des services de l'environnement différait sensiblement de celle du Conseil général des ponts et chaussées, où les rapports individuels primaient. À mon arrivée, j'ai constaté avec étonnement que le CGEDD fonctionnait de manière beaucoup moins collégiale que l'Inspection générale des finances ou l'Inspection générale des affaires sociales, alors qu'il devait en principe prendre en compte de la même manière les trois dimensions du développement durable : environnementale, économique et sociale. En outre, si la compétence du CGEDD et la richesse de son expérience ne faisaient pas de doute, je souhaitais connaître sa véritable valeur ajoutée.

J'ai donc immédiatement mis en place un comité d'évaluation du CGEDD, présidé par un ancien ministre et comprenant des personnalités très diverses : un ancien premier président de la Cour des comptes, la présidente de la section des travaux publics du Conseil d'État, des élus, des experts étrangers, des spécialistes de l'écologie, des défenseurs de l'environnement – dont la vice-présidente de France nature environnement (FNE). Le comité d'évaluation a également relevé un manque de collégialité, auquel nous avons remédié.

Certes, le CGEDD est présidé par la ministre de l'environnement, du développement durable et de l'énergie, mais il jouit néanmoins d'une relative indépendance par rapport aux directions générales. En outre, le CGEDD comprend en son sein l'Autorité environnementale, qui émet des avis lorsque le ministre ou un établissement public comme Réseau ferré de France (RFF) est décideur. Depuis sa création, celle-ci n'a jamais fait l'objet de critiques concernant son indépendance, laquelle est garantie par ses méthodes de travail. Elle comprend tant des membres du CGEDD que des personnalités extérieures, notamment des conseillers d'État ou des élus, parfois des parlementaires. Elle publie ses avis sous forme de communiqués de presse, sans la moindre interférence préalable d'un opérateur ou d'une autorité politique.

S'agissant de la CNDP, la collégialité – le nombre de ses membres est passé de vingt et un à vingt-cinq – et la déontologie constituent également des garanties d'indépendance. De plus, le président de la CNDP n'anime jamais lui-même les débats publics. Pour ma part, il ne me viendrait pas à l'idée d'en présider un, ni sur des projets routiers ni sur aucun autre projet. Comme je l'ai fait valoir à vos collègues sénateurs, j'ai achevé ma carrière administrative, ce qui me confère une certaine indépendance. Quant à mes fonctions de directeur des routes, je les ai quittées depuis quatorze ans. À cet égard, je rappelle que les règles de déontologie n'imposent qu'un délai de trois ans aux fonctionnaires qui souhaitent exercer, dans le secteur privé, une activité professionnelle ayant un lien avec leurs fonctions précédentes.

La CNDP doit remplir deux tâches fondamentales. Premièrement, elle doit s'assurer que les dossiers soumis par les maîtres d'ouvrage sont de qualité. M. Badré, président de l'Autorité environnementale, et moi-même, au CGEDD, avons souvent reçu des dossiers destinés à informer le public parfaitement incompréhensibles pour nous. Dès lors, comment voulez-vous que les citoyens les comprennent ? Dans de tels cas, la CNDP peut demander au maître d'ouvrage de revoir son dossier. Deuxièmement, la CNDP choisit les membres des commissions particulières du débat public (CPDP). À cet égard, il est essentiel que les présidents de CPDP ne soient pas perçus comme proches de l'administration.

Plusieurs d'entre vous ont soulevé la question – complexe – du moment auquel doit intervenir le débat public par rapport à l'enquête publique et de l'opportunité de l'organiser encore plus en amont. À ce jour, sur les soixante-trois débats organisés par la CNDP, soixante ont porté sur des projets d'infrastructures et trois sur des « options générales », dont celui sur le développement et la régulation des nanotechnologies. Si la méthodologie de la première catégorie de débats est aujourd'hui bien établie, celle de la seconde catégorie reste à inventer.

Au début des années 90, lors de l'élaboration de la circulaire Bianco relative à la conduite des grands projets nationaux d'infrastructures, le Conseil d'État avait estimé nécessaire d'organiser le débat public en amont de l'enquête publique, à un moment où il était encore possible de faire des choix. Mais il est toujours difficile de déterminer le moment opportun : pour pouvoir mesurer les éventuelles conséquences négatives d'un projet et organiser un débat public fructueux, au cours duquel les citoyens puissent se prononcer, encore faut-il disposer d'éléments suffisamment précis sur les caractéristiques du projet. Je n'ai pas de réponse toute faite à ce sujet. J'ai d'ailleurs eu une discussion de cet ordre avec l'Autorité environnementale à propos de la ligne rouge du Grand Paris Express.

Organiser le débat public très en amont revient à discuter des « options générales », comme l'a fait la CNDP sur les nanotechnologies. C'est alors un débat d'une autre nature. D'ailleurs, si nous avons pu tenir le débat sur les nanotechnologies en Basse-Normandie, tel n'a pas été le cas partout en France, en raison de l'opposition de groupes très organisés.

Comme certains d'entre vous l'ont relevé, notamment Mme Catherine Quéré, il arrive qu'un intervalle assez long – deux à huit ans – sépare le débat public de l'enquête publique. La loi dite « Grenelle 2 » a apporté une amélioration : le maître d'ouvrage doit désormais informer la CNDP des modalités d'information et de participation du public qu'il met en oeuvre pendant la phase postérieure au débat public jusqu'à l'enquête publique ; le CNDP peut émettre des avis et recommandations sur ces modalités.

À cet égard, je me permets de suggérer une nouvelle avancée législative : il serait très utile que la CNDP puisse, pendant cette phase, imposer d'elle-même une concertation et désigner un garant, et que les élus ou les associations puissent également la saisir à cette fin. Cela constituerait un réel progrès et éviterait peut-être les difficultés que nous connaissons aujourd'hui sur certains projets qui ont pourtant fait l'objet d'un débat public. De telles difficultés apparaissent notamment lorsque les maîtres d'ouvrage cessent de s'intéresser à l'information et à la participation du public. En outre, au bout d'un certain nombre d'années, la pertinence d'un projet n'est plus nécessairement la même et les conditions peuvent se révéler moins favorables à sa réalisation.

S'agissant du renouvellement des membres de la CNDP, je n'ai bien sûr pas d'éléments à apporter concernant les nominations qui ne dépendent pas de moi. J'espère néanmoins que l'un des deux vice-présidents sera une femme.

J'ai évoqué la nécessité de redonner de la légitimité à la CNDP. Je précise ma pensée : il convient d'éviter que les débats publics ne deviennent une pratique routinière. Chaque débat doit constituer une phase importante du projet considéré et amener le maître d'ouvrage à se poser des questions nouvelles. La CNDP doit y veiller et dispose, à cet égard, d'une arme puissante : elle peut refuser de lancer un débat lorsqu'un projet n'est pas suffisamment clair.

Redonner de la légitimité passe sans doute également par le recours aux nouveaux outils de communication. Pour autant, l'organisation d'un forum sur internet ne peut remplacer à lui seul un débat public.

Quoi qu'il en soit, un très bon connaisseur des débats publics a écrit dans un ouvrage paru récemment que « le public sait déceler l'honnêteté intellectuelle, le sérieux du travail, le caractère “langue de bois” ou non des réponses, les arguments qui cachent des intérêts particuliers ou les ordres reçus ». Je partage pleinement ce point de vue : les citoyens sont de mieux en mieux informés et disposent de compétences nombreuses ; ils sont en mesure de faire la part des choses et de repérer les éventuels messages délivrés à la demande des maîtres d'ouvrage. J'ai pu constater plus d'une fois que des experts dans leur domaine se sont posés des questions nouvelles, voire ont vu leurs certitudes ébranlées, à l'issue d'un débat public. C'est là un point essentiel.

Monsieur Bertrand Pancher, vous êtes plutôt opposé à la nomination d'un préfet au poste de président de la CNDP. Si j'ai exercé ces fonctions pendant onze ans, j'ai néanmoins été un préfet un peu atypique.

Il convient d'accorder une très grande attention au choix des cinq à sept membres qui composent chaque CPDP, ainsi qu'à leur formation. Il est essentiel, d'une part, que le président de la CPDP ait de réelles qualités d'animateur et, d'autre part, que l'équipe soit pluridisciplinaire. S'il n'est pas nécessaire, ni même souhaitable, que les experts les plus pointus du domaine considéré siègent au sein de la CPDP – ils sont auditionnés par ailleurs, à la demande des associations ou des maîtres d'ouvrage –, les membres de la CPDP doivent néanmoins disposer d'une connaissance suffisante des technologies en cause pour être en mesure d'interpréter les expertises à l'attention du grand public. Enfin, même si plusieurs anciens président ou vice-présidents de CPDP y ont été hostiles, il me paraît indispensable d'évaluer le travail des CPDP – certaines fonctionnent très bien, d'autres moins –, ainsi que le déroulement des débats publics.

Le coût d'un débat public est en moyenne de 800 000 euros à 1 million d'euros, ce qui est relativement modeste au regard du montant des projets considérés : en tout état de cause plus de 300 millions d'euros et, souvent, plusieurs milliards. Ce coût ne me paraît pas devoir être un obstacle à l'organisation du débat public, qui seul permet l'expression de tous les citoyens. Le budget de la CNDP est, pour sa part, très modeste : 2,396 millions d'euros en 2012, dont 1,582 millions ont été effectivement dépensés.

Le coût des débats publics est à la charge des maîtres d'ouvrage…

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