Intervention de Jean Pisani-Ferry

Réunion du 13 mars 2013 à 18h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Jean Pisani-Ferry :

Ce sont les Pays-Bas qui, les premiers en Europe, ont mis en place une structure du type de notre Haut conseil des finances publiques, avec le Centraal Plan Bureau – CPB –, suivis de la Belgique, qui a également créé un Bureau du Plan. Tous les pays sont désormais en train de mettre en place des structures analogues. Il est encore difficile de les comparer. Certains pays distinguent la mission de prévision de celle d'évaluation des finances publiques. Certains confient à la structure la tâche d'élaborer les hypothèses, d'autres celle de formuler un avis sur les hypothèses retenues par le gouvernement. Le rattachement institutionnel des structures diffère lui aussi selon les pays. L'OBR britannique est totalement autonome et fait directement travailler l'administration du Chancelier de l'échiquier sur ses propres hypothèses. Dans certains pays, la structure est rattachée à l'équivalent de notre Cour des comptes, dans d'autres au Parlement…

Si tous les pays se dotent d'une telle instance, une grande diversité de modèles demeure. Il faut d'ailleurs s'en féliciter, car d'une part, la diversité des expérimentations est source de richesse, d'autre part, il n'existe pas de bon modèle en soi. Tout dépend notamment du système institutionnel dans lequel prend place la nouvelle instance.

Des travaux récents ont montré que pour évaluer précisément l'impact de la politique budgétaire, mieux valait évaluer une à une les différentes mesures prises que de se fonder sur la variation du solde structurel, grandeur agrégée estimée avec des élasticités agrégées. D'autres travaux, américains notamment, montrent que l'impact de la politique budgétaire est extrêmement variable dans le temps et selon les circonstances. Ainsi au cours du cycle, un milliard de dépenses en plus ou moins peut dans certaines circonstances n'avoir qu'un effet nul ou très faible sur le PIB, mais dans d'autres l'impacter à hauteur de 1,5 %. C'est donc une question clé que celle du moment de l'effort. D'où le débat actuel sur le point de savoir s'il faut retarder l'ajustement budgétaire.

Le contenu des lois de finances, notamment leur volet fiscal, a-t-il une incidence sur le PIB potentiel ? Oui, plus ou moins. En théorie, la politique budgétaire a, au premier ordre, des effets sur le PIB effectif et des effets marginaux sur le PIB potentiel. Cela dit, dans une phase comme aujourd'hui avec des ajustements de grande ampleur, qu'ils concernent les recettes ou les dépenses, on ne peut pas ignorer l'incidence de la politique budgétaire sur le PIB potentiel. La taxation des facteurs immobiles a par définition moins d'incidence que celle des facteurs mobiles. De même, tailler dans les dépenses qui alimentent la consommation en a moins que dans celles qui sous-tendent l'investissement.

Le Haut conseil des finances publiques devra se pencher sur tout cela. Sa tâche sera délicate. Il devra notamment veiller à ne pas franchir la ligne rouge entre évaluation de la situation et prescription des mesures à prendre, et bien sûr s'interdire de formuler tout avis sur la politique économique suivie. Mais il n'y a pas d'un côté la prévision, de l'autre la politique budgétaire qui pourrait en être déconnectée. Les deux sont liées, à court comme à moyen terme.

Il est difficile de communiquer sur le solde structurel, qui est une notion théorique compliquée, je le reconnais. Et même lorsqu'on s'accorde sur le concept, demeurent les incertitudes nées du concret. Toute comptabilité, d'un État comme d'une entreprise, repose sur des conventions comptables, acceptées de tous à un moment donné, jusqu'à ce qu'elles soient remises en question parce qu'elles ne sont plus en adéquation avec la réalité. Il s'agit ici d'adopter une nouvelle convention pour apprécier la situation des finances publiques. Le concept de solde structurel représente un progrès car on ne peut pas faire abstraction de l'incidence de la conjoncture sur les finances publiques – sauf à accepter de se tromper.

Le Haut conseil des finances publiques aura une lourde responsabilité et sa tâche exigera d'infinies précautions. Il faudra autant que possible éviter les batailles de techniciens. Il y en aura pourtant nécessairement, avec la Commission européenne notamment. Disposer par lui-même d'évaluations non entachées de suspicion est aussi pour un pays un enjeu de souveraineté.

Faudrait-il n'avoir le droit de présenter un budget qu'en équilibre ? Voilà une question à laquelle, en tant que futur membre du Haut conseil des finances publiques, je ne dois pas répondre. Ce serait franchir la ligne rouge dont je parlais plus haut. Il en va de même pour la question sur l'opportunité d'allonger d'un an le délai fixé pour atteindre les objectifs. Si en tant que président de l'institut Bruegel, j'avais pris une position claire sur ce sujet, en tant que futur membre du Haut conseil, je ne peux m'exprimer.

L'appréciation des « circonstances exceptionnelles » pouvant expliquer un dérapage momentané relève, elle, en revanche pleinement des missions du Haut conseil. Pouvaient-elles être anticipées ? Quels sont les chocs induits ? Quels sont les effets sous-jacents à une variation du solde budgétaire ? Comment se décomposent-ils ? Autant de questions auxquelles le Haut conseil aura à répondre.

On a bien du mal à croire encore à la théorie des cycles, monsieur de Courson. Ce qui s'est passé ces dernières années est en effet d'un autre ordre de grandeur.

Le choc de 2009 a-t-il affecté de façon permanente notre potentiel de croissance ? La Commission européenne se montre pessimiste en considérant non seulement que le terrain perdu depuis lors ne sera pas rattrapé mais que le taux de croissance lui-même a été fatalement affecté. Les États-Unis ont une approche totalement différente. La décision de la Réserve fédérale de fixer un objectif en termes de taux de chômage montre que le pays considère que l'effet du choc sur le taux de chômage d'équilibre ne dépasse pas un point ou un point et demi. Sommes-nous trop pessimistes en Europe ? Peut-être, mais il faut bien constater que la productivité y patine depuis 2009, à l'exception de l'Espagne où jouent des facteurs spécifiques liés à l'effondrement du secteur immobilier et des secteurs à faible productivité, et que nous avons le plus grand mal à retrouver le chemin de la croissance. Le PIB de l'Italie est au même niveau qu'à la fin des années 90. Ni celui de la France ni celui du Royaume-Uni n'ont retrouvé leur niveau de 2007. Pourquoi les États-Unis font-ils comme s'ils n'avaient rien perdu en productivité et de fait n'ont rien perdu ? Pourquoi l'Europe fait-elle comme si elle avait beaucoup perdu et de fait a beaucoup perdu ? S'agit-il de causalité circulaire ? Chacun a-t-il une juste appréciation de sa situation ? Il faudra répondre à cette question.

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