Mme Catherine Lemorton, Présidente de la commission des Affaires sociales
La commission des Affaires sociales et la commission des Finances entendent conjointement M. Jean Pisani-Ferry, préalablement à sa nomination au Haut conseil des finances publiques par le Président de l'Assemblée nationale.
Nous auditionnons ce soir Jean Pisani-Ferry, brillant économiste qui a été choisi par le Président de l'Assemblée nationale pour siéger au Haut conseil des finances publiques – après que le tirage au sort lui a imposé de désigner un homme.
Je rappelle que le Haut Conseil des finances publiques, créé par la loi organique relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques du 17 décembre 2012, est placé auprès de la Cour des comptes. Présidé par le Premier président de la Cour des comptes, il compte en outre dix membres, dont quatre magistrats de la Cour et six personnalités qualifiées, dont quatre nommées respectivement par le Président de l'Assemblée nationale et le Président du Sénat, et par les présidents des commissions des Finances des deux assemblées, une nommée par le Président du Conseil économique, social et environnemental, le directeur général de l'INSEE en étant membre de droit – c'est à l'initiative parlementaire que nous devons l'association de ce dernier.
Nous attendons, monsieur Pisani-Ferry, que vous nous éclairiez sur les notions complexes de solde structurel, de solde effectif, et d'effort structurel que le Haut Conseil aura à manier.
Nous procédons à votre audition conjointe avec la commission des Affaires sociales vu le poids des comptes sociaux dans nos finances publiques.
L'ensemble des dépenses sociales représente un tiers du PIB. Elles ont servi et continuent de servir d'amortisseur dans la crise. Nous demeurons attachés au modèle social français qui a certes un coût – nous devons y être attentifs – mais permet aussi que le taux de pauvreté soit aujourd'hui de trois points inférieur en France à ce qu'il est en Allemagne.
Sans plus attendre, je vous laisse la parole, monsieur Pisani-Ferry.
Économiste, j'ai longtemps travaillé au Centre d'études prospectives et d'informations internationales – CEPII –. J'ai également été conseiller économique auprès du ministre de l'Économie et des finances au début des années 2000 puis président délégué du Conseil d'analyse économique – CAE. Depuis une dizaine d'années, je me consacre à une structure que j'ai contribué à créer à Bruxelles, l'institut Bruegel, centre de recherche et de débat sur les politiques économiques en Europe. Formé à la macro-économie – votre collègue Pierre-Alain Muet fut mon professeur –, j'ai par la suite élargi mes centres d'intérêt et ai notamment travaillé sur le sujet de la gouvernance des finances publiques.
La loi organique relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques et le Haut conseil des finances publiques qu'elle a créé constituent à mes yeux deux innovations majeures qui marqueront la politique économique de notre pays.
La France souffre en effet d'un déficit de résultats mais aussi d'un déficit de crédibilité qui s'est constitué au fil des années. Autant nos prévisions de court terme sont souvent de bonne qualité, autant la programmation à moyen terme de nos finances publiques laisse à désirer. Depuis qu'elle a été instituée en 1999, cette programmation s'apparente plutôt à une litanie de promesses non tenues. Ce déficit de crédibilité amoindrit notre autorité auprès de nos partenaires dans la discussion des orientations de la politique économique en Europe. Il a également un coût potentiel vis-à-vis des marchés, qui ne se fait certes pas sentir actuellement puisque notre pays continue d'emprunter dans de très bonnes conditions, mais n'est pas exclu dans l'avenir.
Le dispositif mis en place est assez étranger à notre culture. Nous sommes en effet davantage habitués à la pratique de la décision discrétionnaire qu'à l'édiction de règles dont le suivi est ensuite dévolu à une instance indépendante. Mais je suis convaincu que de la voie ouverte, il pourra être fait bon usage pour améliorer la politique budgétaire de notre pays.
C'est en 1997 que j'ai entendu pour la première fois parler par Dominique Strauss-Kahn de solde structurel. Et depuis lors, systématiquement, quand on est dans la majorité et que l'évolution du solde effectif n'est pas satisfaisante, on se réfère au solde structurel pour faire valoir que la situation est meilleure qu'il n'y paraît. Et on tient le discours inverse quand on est dans l'opposition ! Je me souviens de mon prédécesseur à la tête de la commission des Finances soulignant lors d'une audition du Premier président de la Cour des comptes il y a deux ans, que si le solde effectif s'améliorait, le solde structurel, lui, se dégradait.
Le groupe de travail présidé par Michel Camdessus, et auquel je participais, a finalement convenu que le concept le plus pertinent pour les responsables politiques était celui d'effort structurel. Il se définit comme « l'incidence des mesures nouvelles sur les recettes et des corrections apportées en fonction de la conjoncture sur les dépenses ». Pour autant, notre endettement, qui est l'un de nos problèmes majeurs, dépend bien, lui, du solde effectif.
Ces notions complexes de solde effectif, solde structurel et effort structurel allant être au coeur des préoccupations du Haut conseil des finances publiques, pourriez-vous nous les détailler ?
Vous mettez le doigt sur la plus grande des difficultés. Autant d'éventuelles erreurs sur les prévisions de court terme peuvent s'annuler les unes les autres, si bien qu'au final la prévision reste valide, autant elles peuvent se cumuler sur les prévisions de moyen terme et aboutir au final à d'importants écarts avec la réalisation. Ainsi le Bureau pour la responsabilité budgétaire – Office for Budget Responsability – OBR –, organisme indépendant mis en place par le gouvernement britannique, s'est-il lourdement trompé.
Dans le traité de Maastricht, il n'était question que de soldes nominaux. Cela avait le mérite de la simplicité mais l'inconvénient de conduire à des comportements procycliques, comme on en voit à l'oeuvre actuellement. Tout objectif de solde nominal exprimé en pourcentage du PIB étant profondément affecté par la conjoncture, il constitue une mauvaise cible. La solution trouvée a été de raisonner plutôt en termes structurels. Mais le solde structurel n'est pas une donnée observable…
Des travaux récents montrent que pour apprécier correctement l'impact d'une politique budgétaire, il faut le mesurer par l'effort structurel, c'est-à-dire à partir des mesures elles-mêmes, et non ex post à partir de variables agrégées. C'est l'approche désormais retenue dans le cadre européen.
Que le solde structurel ne soit pas une variable observable pose néanmoins problème car nécessairement son montant, évalué par une autorité, quelle qu'elle soit, sera contestable… et contesté. Aujourd'hui, c'est la Commission européenne qui apprécie le solde structurel, mais il importe de confronter ses évaluations avec celles réalisées par les pays eux-mêmes. Quand ce sont les gouvernements qui le calculent eux-mêmes, il y a un conflit d'intérêt évident car ils sont immanquablement tentés de retenir les hypothèses leur permettant d'atteindre plus facilement l'objectif visé.
J'aurais préféré que le traité budgétaire européen, plutôt que de privilégier le solde structurel fasse davantage référence à l'effort structurel. Mais il nous faut maintenant faire avec le traité tel qu'il est.
En effet. Cela dit, le même objectif figurait déjà dans la réforme du pacte de stabilité en 2005.
Confier à une instance indépendante le soin d'apprécier le solde structurel est une bonne solution, vu qu'il n'est pas en lui-même observable. Cette tâche difficile et cette lourde responsabilité ont été confiées dans notre pays au Haut conseil des finances publiques.
Il existe différents modes de calcul du déficit structurel. Quelle est votre approche personnelle ?
Le Haut conseil aura la responsabilité de constater d'éventuels écarts, d'alerter et d'appeler à leur correction automatique. Comment voyez-vous cet important pouvoir qui lui est confié ?
Il existe deux facteurs d'incertitude dans le calcul du solde structurel. Le premier tient à l'évaluation économique du potentiel de production – ainsi en Europe, a-t-on fortement révisé à la baisse le potentiel de production à la suite du choc de 2009, alors qu'aux États-Unis, la révision a été bien moindre. Le second tient à l'extrême élasticité des recettes qui est fonction de leur nature, mais aussi des phases du cycle. Or, aujourd'hui, le ministère des Finances détient un quasi-monopole de l'information sur ce sujet. Autant les prévisionnistes sont nombreux à pouvoir faire des prévisions de court terme supportant la confrontation avec celles du gouvernement, parfois même à leur avantage, autant en matière de prévisions de recettes, ils sont handicapés par l'asymétrie totale de l'information.
Si la loi qui a créé le Haut conseil des finances publiques met l'accent sur les aspects macro-économiques, ce qui touche aux finances publiques est au moins aussi important parmi les missions du Haut conseil – étant entendu que celui-ci doit se cantonner à évaluer, sans jamais aller jusqu'à prescrire.
Une autre responsabilité du Haut conseil sera de constater les écarts ex post et d'appeler à leur correction. Cette correction est indispensable car que vaudrait une programmation sans mémoire ? Pour autant, tout n'a pas à être corrigé, tout ne le peut d'ailleurs pas, ne serait-ce que parce que la prévision n'est pas une science exacte et que des écarts dans un sens ou dans l'autre sont inévitables. Mais il faut éviter que ceux-ci se cumulant, la distance ne se creuse entre la programmation et la réalisation. C'est d'ailleurs pourquoi il est si important d'identifier l'origine des écarts.
Il faudrait qu'un pouvoir d'expertise et d'analyse indépendant du ministère des Finances puisse apprécier l'élasticité des recettes notamment.
Bien qu'ayant été rapporteur général du budget durant dix ans, jamais je n'ai pu percer les « secrets de fabrication » des recettes ! Nous avons toujours eu beaucoup plus de mal avec Bercy s'agissant des recettes que des dépenses. À la décharge des gouvernements successifs, il faut reconnaître que certaines recettes, comme l'impôt sur les sociétés, sont très difficiles à prévoir. Les choses sont plus simples s'agissant des recettes des finances sociales puisqu'il suffit là d'évaluer la masse salariale prévisionnelle.
Il ne s'agit pas seulement d'un problème de monopole ou de rétention de l'information par le ministère. La prévision des recettes est un exercice en lui-même très complexe.
S'il est plus facile de prévoir l'effort structurel que le solde structurel, c'est parce qu'il est difficile d'apprécier le niveau du solde structurel, qui dépend de celui de la production potentielle. S'il peut exister des écarts importants s'agissant du niveau – le résultat des calculs de l'OFCE est ainsi très éloigné de celui de la Commission européenne –, ils sont moindres en revanche si on regarde la variation d'une année sur l'autre, dans la mesure où le solde structurel fait abstraction des variations conjoncturelles. Les deux concepts ont leur utilité.
Existe-t-il dans d'autres pays européens des instances analogues à notre Haut conseil des finances publiques ? Si oui, comment travaillent-elles ? Il existe depuis plus de trente ans en Allemagne un Conseil des experts économiques, dit Conseil des Sages de l'économie, qui s'efforce de parvenir à un consensus sur l'appréciation de la situation. Bien sûr, cette idée peut paraître étrange chez nous. J'ai, pour ma part, toujours défendu l'idée que la réflexion et les prévisions économiques devaient être pluralistes, l'expression d'une position unanime n'étant d'ailleurs de guère d'utilité aux politiques. Mais le Haut conseil des finances publiques ne s'inspire-t-il pas d'une certaine façon du Conseil des Sages allemand ?
Il existe déjà dans notre pays un Conseil des prélèvements obligatoires qui formule d'intéressants avis sur la fiscalité.
D'une année à l'autre, le coût de la même niche fiscale peut osciller entre un et trois milliards d'euros ! Bien des mystères demeurent à Bercy…
Le niveau élevé des taux marginaux d'imposition dans notre pays fait que la fiscalité n'est pas neutre sur le potentiel de croissance, ce qui a d'ailleurs un redoutable effet endogène sur le plan de l'analyse qui peut être faite et du conseil qui peut être apporté aux politiques puisque, eux, interviennent sur la fiscalité.
Chacun sait que les taux d'intérêt actuels sont anormalement bas. Le Haut conseil des finances publiques pourrait-il considérer dans son évaluation du solde structurel que notre pays bénéficie aujourd'hui d'un excédent conjoncturel virtuel sur le montant des intérêts dont il s'acquitte, lequel masque une petite partie du déficit ?
Il est des mesures qui ont intrinsèquement un effet structurel ou conjoncturel. Toute mesure d'indexation prévue par la loi, notamment dans le domaine social, a ainsi une incidence sur le solde structurel futur. Pourriez-vous analyser aussi ce type de mesures ?
La notion de solde structurel est plus subtile que celle de solde nominal, qui présentait l'avantage – ou l'inconvénient – que chacun comprenait ce dont il s'agissait ! Elle permet notamment d'expliquer que, bien que la situation soit mauvaise, le solde est satisfaisant !
Loin de moi l'idée de remettre en question ce travail nécessaire, mais je pense qu'il sera difficile de prendre appui dessus pour communiquer auprès de nos concitoyens. Si on avait eu le courage d'inscrire dans notre Constitution une règle d'or budgétaire, à savoir l'obligation de présenter des budgets en équilibre, invoquerait-on de la même façon le concept de solde structurel ? Avec tout le respect que je vous dois, monsieur, n'aurait-on pu se passer alors d'un Haut conseil des finances publiques et confier le travail d'évaluation à la Cour des comptes ? La multiplication des instances nous éloigne de nos concitoyens. Déjà, il serait plus parlant de dire que les dépenses sont supérieures de 15 % ou 20 % aux recettes plutôt que d'exprimer le déficit du budget en pourcentage du PIB. Bref, si la règle d'or était un jour adoptée en France, aurait-on besoin de se référer encore au solde structurel ?
Ce n'est ni le lieu ni le moment, cher collègue, de ces joutes politiques. Les déficits laissés par l'ancien gouvernement, structurels ou non, sont bel et bien réels, et fâcheux.
Parmi ses responsabilités, le Haut conseil des finances publiques aura celle de se prononcer sur les « circonstances exceptionnelles » que pourrait invoquer demain le pays. Quelles « circonstances exceptionnelles » pourrait, selon vous, entendre le Haut conseil ?
En septembre dernier, dans le cadre du think tank Bruegel, vous aviez plaidé pour que le délai fixé pour atteindre les objectifs fixés au sein de la zone euro soit allongé d'un an. Est-ce toujours d'actualité ?
La définition du solde structurel fait implicitement référence à la théorie des cycles. En pleine crise structurelle, croyez-vous encore à cette théorie ? La définition se fonde également sur le taux de croissance potentiel. Quel en est, selon vous, l'ordre de grandeur ? Est-on plus près de 1,1 %-1,2 %, comme le dit la Commission européenne, ou de 2,5 % comme le dit le Gouvernement dans la loi de programmation ?
La Cour des comptes, la Commission européenne, l'OCDE ne calculent pas le solde structurel de la même façon. Serait-il possible d'harmoniser les méthodes de calcul ?
Je vous remercie, chers collègues, de toutes ces questions sur des sujets complexes mais essentiels à une programmation lucide de la trajectoire de nos finances publiques.
Ce sont les Pays-Bas qui, les premiers en Europe, ont mis en place une structure du type de notre Haut conseil des finances publiques, avec le Centraal Plan Bureau – CPB –, suivis de la Belgique, qui a également créé un Bureau du Plan. Tous les pays sont désormais en train de mettre en place des structures analogues. Il est encore difficile de les comparer. Certains pays distinguent la mission de prévision de celle d'évaluation des finances publiques. Certains confient à la structure la tâche d'élaborer les hypothèses, d'autres celle de formuler un avis sur les hypothèses retenues par le gouvernement. Le rattachement institutionnel des structures diffère lui aussi selon les pays. L'OBR britannique est totalement autonome et fait directement travailler l'administration du Chancelier de l'échiquier sur ses propres hypothèses. Dans certains pays, la structure est rattachée à l'équivalent de notre Cour des comptes, dans d'autres au Parlement…
Si tous les pays se dotent d'une telle instance, une grande diversité de modèles demeure. Il faut d'ailleurs s'en féliciter, car d'une part, la diversité des expérimentations est source de richesse, d'autre part, il n'existe pas de bon modèle en soi. Tout dépend notamment du système institutionnel dans lequel prend place la nouvelle instance.
Des travaux récents ont montré que pour évaluer précisément l'impact de la politique budgétaire, mieux valait évaluer une à une les différentes mesures prises que de se fonder sur la variation du solde structurel, grandeur agrégée estimée avec des élasticités agrégées. D'autres travaux, américains notamment, montrent que l'impact de la politique budgétaire est extrêmement variable dans le temps et selon les circonstances. Ainsi au cours du cycle, un milliard de dépenses en plus ou moins peut dans certaines circonstances n'avoir qu'un effet nul ou très faible sur le PIB, mais dans d'autres l'impacter à hauteur de 1,5 %. C'est donc une question clé que celle du moment de l'effort. D'où le débat actuel sur le point de savoir s'il faut retarder l'ajustement budgétaire.
Le contenu des lois de finances, notamment leur volet fiscal, a-t-il une incidence sur le PIB potentiel ? Oui, plus ou moins. En théorie, la politique budgétaire a, au premier ordre, des effets sur le PIB effectif et des effets marginaux sur le PIB potentiel. Cela dit, dans une phase comme aujourd'hui avec des ajustements de grande ampleur, qu'ils concernent les recettes ou les dépenses, on ne peut pas ignorer l'incidence de la politique budgétaire sur le PIB potentiel. La taxation des facteurs immobiles a par définition moins d'incidence que celle des facteurs mobiles. De même, tailler dans les dépenses qui alimentent la consommation en a moins que dans celles qui sous-tendent l'investissement.
Le Haut conseil des finances publiques devra se pencher sur tout cela. Sa tâche sera délicate. Il devra notamment veiller à ne pas franchir la ligne rouge entre évaluation de la situation et prescription des mesures à prendre, et bien sûr s'interdire de formuler tout avis sur la politique économique suivie. Mais il n'y a pas d'un côté la prévision, de l'autre la politique budgétaire qui pourrait en être déconnectée. Les deux sont liées, à court comme à moyen terme.
Il est difficile de communiquer sur le solde structurel, qui est une notion théorique compliquée, je le reconnais. Et même lorsqu'on s'accorde sur le concept, demeurent les incertitudes nées du concret. Toute comptabilité, d'un État comme d'une entreprise, repose sur des conventions comptables, acceptées de tous à un moment donné, jusqu'à ce qu'elles soient remises en question parce qu'elles ne sont plus en adéquation avec la réalité. Il s'agit ici d'adopter une nouvelle convention pour apprécier la situation des finances publiques. Le concept de solde structurel représente un progrès car on ne peut pas faire abstraction de l'incidence de la conjoncture sur les finances publiques – sauf à accepter de se tromper.
Le Haut conseil des finances publiques aura une lourde responsabilité et sa tâche exigera d'infinies précautions. Il faudra autant que possible éviter les batailles de techniciens. Il y en aura pourtant nécessairement, avec la Commission européenne notamment. Disposer par lui-même d'évaluations non entachées de suspicion est aussi pour un pays un enjeu de souveraineté.
Faudrait-il n'avoir le droit de présenter un budget qu'en équilibre ? Voilà une question à laquelle, en tant que futur membre du Haut conseil des finances publiques, je ne dois pas répondre. Ce serait franchir la ligne rouge dont je parlais plus haut. Il en va de même pour la question sur l'opportunité d'allonger d'un an le délai fixé pour atteindre les objectifs. Si en tant que président de l'institut Bruegel, j'avais pris une position claire sur ce sujet, en tant que futur membre du Haut conseil, je ne peux m'exprimer.
L'appréciation des « circonstances exceptionnelles » pouvant expliquer un dérapage momentané relève, elle, en revanche pleinement des missions du Haut conseil. Pouvaient-elles être anticipées ? Quels sont les chocs induits ? Quels sont les effets sous-jacents à une variation du solde budgétaire ? Comment se décomposent-ils ? Autant de questions auxquelles le Haut conseil aura à répondre.
On a bien du mal à croire encore à la théorie des cycles, monsieur de Courson. Ce qui s'est passé ces dernières années est en effet d'un autre ordre de grandeur.
Le choc de 2009 a-t-il affecté de façon permanente notre potentiel de croissance ? La Commission européenne se montre pessimiste en considérant non seulement que le terrain perdu depuis lors ne sera pas rattrapé mais que le taux de croissance lui-même a été fatalement affecté. Les États-Unis ont une approche totalement différente. La décision de la Réserve fédérale de fixer un objectif en termes de taux de chômage montre que le pays considère que l'effet du choc sur le taux de chômage d'équilibre ne dépasse pas un point ou un point et demi. Sommes-nous trop pessimistes en Europe ? Peut-être, mais il faut bien constater que la productivité y patine depuis 2009, à l'exception de l'Espagne où jouent des facteurs spécifiques liés à l'effondrement du secteur immobilier et des secteurs à faible productivité, et que nous avons le plus grand mal à retrouver le chemin de la croissance. Le PIB de l'Italie est au même niveau qu'à la fin des années 90. Ni celui de la France ni celui du Royaume-Uni n'ont retrouvé leur niveau de 2007. Pourquoi les États-Unis font-ils comme s'ils n'avaient rien perdu en productivité et de fait n'ont rien perdu ? Pourquoi l'Europe fait-elle comme si elle avait beaucoup perdu et de fait a beaucoup perdu ? S'agit-il de causalité circulaire ? Chacun a-t-il une juste appréciation de sa situation ? Il faudra répondre à cette question.
Comment pourraient s'articuler les travaux du Haut conseil des finances publiques et ceux de la Cour des comptes ? On a fait le choix de ne pas confier à la Cour l'évaluation de la situation des finances publiques sans toutefois l'en écarter totalement, ce qui semble une solution intelligente. La Cour, tant dans son rapport sur l'exécution budgétaire que ses rapports sur la situation des finances publiques, est amenée à donner sa propre lecture de l'évolution du solde structurel mais aussi sa vision de ce que serait une bonne politique de redressement des finances publiques, ce qui est le cas lorsqu'elle dit que l'ajustement devrait se faire en priorité en jouant sur les dépenses plutôt que sur les recettes. Le Haut conseil des finances publiques, présidé par le Premier président de la Cour des comptes, comptera en son sein quatre magistrats de la Cour. Lequel, du Haut conseil et de la Cour, déteindra sur l'autre ?
Comment le Haut conseil parviendra-t-il à ne pas porter de jugement sur la politique suivie alors que la Cour, elle, n'hésite pas à le faire ?
C'est au premier président de la Cour qu'il faudrait poser cette question !
Il fallait choisir entre deux inconvénients. À créer une instance totalement indépendante, à l'instar de ce qu'ont fait les Britanniques avec l'OBR, le risque est que, sans soubassement institutionnel, son autorité n'en pâtisse. Le risque de la placer auprès d'une institution existante, comme le choix en a été fait en France, est qu'en résulte une confusion des rôles. L'évaluation ex ante et l'évaluation ex post sont en effet deux tâches différentes. On pouvait défendre un autre modèle que celui qui a été choisi, ce que j'avais d'ailleurs fait dans divers articles. Après le choix fait, l'objectif doit être de parvenir à un équilibre entre magistrats de la Cour des comptes et personnalités extérieures. Tout dépendra du poids respectif des uns et des autres, des règles de fonctionnement dont se dotera le Haut conseil… Il serait prématuré de porter un jugement.
Le Haut conseil des finances publiques tiendra sa première réunion le 21 mars pour un premier travail à remettre le 15 avril.
Ce délai très court fait d'ailleurs que les premières évaluations ne pourront être faites sur la base d'une méthodologie très nouvelle, mais seulement à partir des outils existants.
Membres présents ou excusés
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire
Réunion du mercredi 13 mars 2013 à 18 h 30
Présents. - M. Éric Alauzet, M. Laurent Baumel, M. Christophe Caresche, M. Olivier Carré, M. Gilles Carrez, M. Christophe Castaner, M. Charles de Courson, Mme Carole Delga, M. Christian Eckert, M. Olivier Faure, M. Alain Fauré, M. Jean-Pierre Gorges, M. Dominique Lefebvre, M. Pierre-Alain Muet, Mme Christine Pires Beaune, Mme Valérie Rabault, M. Alain Rodet, M. Thomas Thévenoud
Excusés. - M. Guillaume Bachelay, M. Dominique Baert, M. Étienne Blanc, M. Gaby Charroux, M. Pascal Cherki, M. Jean-Claude Fruteau, M. Jean-Louis Gagnaire, Mme Annick Girardin, Mme Arlette Grosskost, M. Jérôme Lambert, M. Jean Launay, M. Patrick Lebreton, M. Marc Le Fur, Mme Sandrine Mazetier, Mme Valérie Pecresse, Mme Monique Rabin, M. Thierry Robert, M. Nicolas Sansu
Assistaient également à la réunion. - M. Michel Issindou, Mme Catherine Lemorton, M. Arnaud Richard