Intervention de Jean-Yves le Drian

Réunion du 20 février 2013 à 16h15
Commission de la défense nationale et des forces armées

Jean-Yves le Drian, ministre de la défense :

Je vous avais annoncé, la semaine dernière, que les forces françaises avaient repris les villes d'Aguelhok et de Tessalit et que nous avions mis en place un dispositif permettant d'isoler l'Adrar des Ifoghas, que nous considérions comme la principale zone de refuge d'AQMI. Nous ne nous étions pas trompés.

Depuis mardi dernier, nous avons d'abord conduit de nombreuses missions de reconnaissance aérienne, au moyen de drones et d'avions français et étrangers, pour préparer notre engagement au sol. Dans le même temps, nous avons regroupé à Tessalit un important détachement interarmes avec des moyens d'appui et nous nous sommes coordonnés avec le détachement tchadien stationné à Kidal pour préparer une opération conjointe de bouclage de l'Adrar et de destruction des terroristes qui s'y trouvent.

Samedi dernier, nous avons pénétré dans l'Adrar avec les troupes tchadiennes, d'abord avec des moyens de renseignement au sol, puis avec des moyens de combat. Parallèlement, nous avons identifié et détruit plusieurs cibles – essentiellement des dépôts de munitions et des points de défense. Nous avons engagé le combat hier avec un groupe de djihadistes dans l'ouest du massif. C'est au cours de cet affrontement que le sergent-chef Harold Vormezeele – Belge naturalisé Français pour services rendus dans la légion étrangère, notamment au sein du 2e régiment étranger de parachutistes – a trouvé la mort. Du côté des terroristes, vingt-cinq combattants ont été tués.

L'Adrar constitue un lieu de regroupement important – plus encore que nous ne le pensions – des djihadistes, essentiellement ceux d'AQMI. Nous avons procédé à son bouclage : nos troupes sont présentes à Tessalit et, aux côtés du détachement tchadien, à Kidal ; au Nord, l'Algérie maintient sa frontière fermée. Notre objectif est de libérer cette zone, et de la sécuriser. Nous irons jusqu'au bout.

Je ne suis pas en mesure de vous indiquer à quel moment l'opération s'achèvera. Elle sera sans doute plus longue que celles que nous avons menées jusqu'à présent pour reprendre les villes. Elle est importante et difficile car nous atteignons le coeur du dispositif adverse. Elle se déroule, à ce stade, dans les meilleures conditions possibles. En tous les cas, notre stratégie de poursuivre vers le Nord était la bonne.

Au Sud, dans la boucle du Niger, les forces françaises, maliennes et nigériennes poursuivent leurs efforts de sécurisation et de stabilisation à partir des grandes villes, en particulier autour de Tombouctou et de Gao. Nous avons notamment mené des missions de grande envergure dans la région de Bourem, qui était susceptible d'abriter des éléments djihadistes, et avons à nouveau récupéré du matériel lourd – notamment des ceintures d'explosifs pour kamikazes – abandonné par les terroristes.

D'une manière générale, notre dispositif s'articule désormais autour de deux principaux points d'appui : Gao pour les missions dans la boucle du Niger et Tessalit pour les missions dans l'Adrar.

Nos effectifs tournent toujours autour de 4 000 hommes pour les forces situées au Mali. Ce chiffre est désormais stable et devrait le rester tant que dure l'opération dans l'Adrar, où nous faisons porter notre effort principal. Lorsqu'elle sera terminée, nous avons l'intention de réorganiser notre dispositif et de commencer à réduire nos effectifs.

Le comportement des djihadistes indique qu'ils commencent à souffrir d'un manque de moyens logistiques, en raison du bouclage auquel nous avons procédé et, surtout, de la fermeture – très efficace – de sa frontière par l'Algérie. Celle fermeture pose d'ailleurs un problème car elle gêne l'approvisionnement des marchés du nord du Mali. Nous nous efforçons de libérer rapidement l'ensemble de la zone, mais il convient de tenir compte de son étendue : l'Adrar des Ifoghas et le djebel Timétrine couvrent 250 000 kilomètres carrés, soit la moitié de la France.

Nous sommes en étroite relation avec le gouvernement algérien et constatons une grande convergence de vues sur le déroulement de l'opération.

Sur la boucle de Niger, notre principal adversaire est le Mujao. Ce sont plutôt des bandits de grand chemin, qui vivent là sur leurs terres et ont adopté le discours djihadiste. Ils appliquent manifestement une stratégie asymétrique : attentats-suicides, minage d'axes routiers, attaques ponctuelles. Nous restons donc très vigilants dans cette zone. Cependant, aucun événement notable ne s'y est produit depuis mardi dernier.

Le déploiement des forces africaines se poursuit. Elles comptent actuellement 5 000 hommes, si l'on inclut le détachement tchadien. Les unités du Togo se sont positionnées à San et à Sévaré ; celles du Burkina Faso dans la région de Markala. Nous devrons transformer la Mission internationale de soutien au Mali sous conduite africaine (MISMA) en une force de stabilisation sous l'égide de l'ONU, baptisée MINUMA.

Le ministre des affaires étrangères et moi-même avons rencontré hier le Premier ministre malien, M. Sissoko, pour discuter notamment du calendrier politique et des forces maliennes. Il nous a donné son accord à la transformation de la MISMA en opération des Nations unies. Nous lui avons également fait part de notre préoccupation quant aux exactions commises par les forces maliennes, même si toutes ne sont pas vérifiées. Il s'est engagé publiquement à les faire cesser et a chargé le ministre de la défense et le chef d'état-major général des armées de s'en assurer. Si tel n'était pas le cas, nous prendrions les dispositions nécessaires.

Le soutien international se poursuit dans les mêmes conditions. L'appui américain en matière de renseignement se révèle particulièrement utile à notre opération dans l'Adrar. Nos partenaires continuent à mettre des avions gros porteurs à disposition pour le transport des contingents africains.

Comme je l'avais annoncé, j'ai participé à une réunion des ministres de la défense de l'Union européenne à Dublin. La France a été félicitée pour son action. Surtout, j'ai demandé à mes collègues de se mobiliser, et vingt pays se sont engagés à fournir des formateurs à la Mission de formation de l'Union européenne – European Union training mission (EUTM) – au Mali. Celle-ci est en place depuis lundi : son commandement a été confié à un général français, François Lecointre, la France étant nation cadre ; soixante-dix à quatre-vingts précurseurs sont déjà arrivés au Mali et seront rapidement rejoints par le reste de l'effectif ; la formation des forces maliennes débutera dans les jours qui viennent. Nos partenaires européens y participent, y compris en fournissant des soldats chargés d'assurer la sécurité des formateurs, ce qui n'était pas acquis initialement.

Nous avons désormais trois préoccupations majeures. La première est de poursuivre notre opération dans l'Adrar.

La deuxième est de mettre en place une opération de stabilisation sous l'égide de l'ONU. Les discussions pour l'adoption d'une nouvelle résolution par le Conseil de sécurité ont commencé cette semaine. Nous bénéficions du soutien des Etats-Unis, du Royaume-Uni, de plusieurs partenaires européens et des pays africains. Nous anticipons une issue positive, même si cela prendra quelques semaines. D'ici là, nous continuerons à nous appuyer sur la MISMA, qui devra progressivement nous suppléer dès que l'opération dans l'Adrar sera achevée.

La troisième est la situation humanitaire : les réfugiés sont très nombreux et la fermeture de la frontière algérienne entraîne quelques complications. Le ministre délégué chargé du développement a pris l'initiative d'organiser avec l'Union européenne, en mai, une conférence internationale des donateurs pour le développement du Mali. L'Union européenne a d'ores et déjà débloqué 250 millions d'euros à cette fin.

Notre engagement n'a de sens que s'il aboutit à l'organisation d'élections qui légitiment un nouveau gouvernement malien. Nous continuons à nous inscrire – M. Cissoko nous l'a confirmé hier – dans le calendrier prévu : les élections doivent se tenir en juillet. Elles constitueront une étape cruciale du processus de réconciliation nationale.

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