Intervention de Jean-Michel Clément

Réunion du 26 mars 2013 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Michel Clément, rapporteur pour avis :

Pour préparer nos travaux, j'ai noué contact avec la plupart des parties prenantes à la négociation qui a abouti, le 11 janvier 2013, à la conclusion de l'accord national interprofessionnel (ANI) dans lequel le projet de loi puise en partie ses origines : les représentants des organisations représentatives des employeurs – MEDEF et CGPME – et des salariés – CFDT, CFTC et CFE-CGC – signataires de l'accord, mais également ceux des syndicats qui, comme la CGT et Force ouvrière, ont exprimé leur opposition aux résultats de cette négociation.

Ces échanges m'ont convaincu que notre Commission ne pouvait se désintéresser de la transposition législative d'un tel dispositif, particulièrement des stipulations que reprend l'article 5 du projet. En effet, outre que cet article modifie et complète les dispositions du code de commerce, qui relève de notre compétence, il traite d'un sujet décisif auquel nous avons déjà consacré des travaux : la participation des salariés à la gouvernance des grandes entreprises.

Cette thématique ne nous est pas étrangère. Dans le cadre de la mission d'information sur la transparence de la gouvernance des grandes entreprises, Corinne Narassiguin, Philippe Houillon, d'autres collègues encore et moi-même avons souligné l'importance d'une meilleure association des salariés au processus décisionnel, afin de rendre nos entreprises plus compétitives. Dans cette optique, la proposition n° 10 du rapport, que la commission des Lois a fait sien, préconisait d'« instaurer, par la loi, une représentation obligatoire des salariés non actionnaires, avec voix délibérative, au sein des conseils d'administration et de surveillance des entreprises de plus de 5 000 salariés, y compris, dans les comités spécialisés de ces conseils » et fixait à deux le nombre de ces représentants. L'examen du présent projet de loi nous donne l'occasion de passer de la théorie à la pratique en apportant une réponse concrète à un besoin que d'aucuns jugent essentiel.

En l'état, l'article 5 offre un dispositif sur lequel nous pouvons nous appuyer afin de franchir, collectivement, une nouvelle étape importante dans l'affirmation du droit des salariés à prendre leur juste place dans la gestion des grandes entreprises. Il crée pour celles-ci l'obligation légale d'assurer la participation aux conseils d'administration ou de surveillance d'un ou de deux administrateurs élus ou désignés par les salariés. L'obligation vaut pour les entreprises qui remplissent un critère d'effectifs – elles doivent employer 5 000 salariés permanents dans la société et ses filiales directes ou indirectes situées sur le territoire français, ou au moins 10 000 salariés permanents dans la société et ses filiales directes situées sur le territoire français ou à l'étranger –, un critère relatif à la localisation du siège social sur le territoire français et un critère formel, qui concerne les entreprises tenues de mettre en place un comité d'entreprise dès lors que leurs effectifs dépassent cinquante salariés permanents.

Au terme d'un délai de vingt-six mois à compter de la publication de la loi, les entreprises entrant dans son champ d'application devront ainsi accorder un ou deux sièges à des administrateurs élus ou désignés par les salariés, suivant que le conseil d'administration ou de surveillance compte moins ou plus de douze administrateurs.

Ces administrateurs nouveaux disposeront d'un statut de plein exercice vis-à-vis de leurs homologues désignés par l'assemblée générale. Leur mandat sera de six ans renouvelable ; ils pourront participer pleinement aux décisions des conseils avec voix délibérative ; ils assumeront les mêmes obligations, notamment celle de préserver la confidentialité des informations dont ils pourraient prendre connaissance dans le cadre de ces enceintes. Devant nécessairement posséder un contrat de travail avec une société ou ses filiales directes ou indirectes, ils bénéficieront, grâce aux dispositions du projet de loi, des mêmes protections que les administrateurs salariés siégeant déjà dans les conseils d'administration ou de surveillance en ce qui concerne la révocation de leur mandat d'administrateur, la rupture de leur contrat de travail ou le niveau de leur rémunération. Du reste, comme dans le cadre actuellement applicable aux administrateurs représentant les salariés, leur mandat sera incompatible avec celui de membre du comité d'entreprise, de membre du comité d'hygiène, de sécurité, et des conditions de travail (CHSCT), ou de délégué syndical.

L'article 5 ne remet pas en cause les dispositifs qui permettent déjà d'assurer la présence de tels administrateurs aux conseils d'administration ou de surveillance. Le texte maintient en effet l'application des dispositifs établis par la loi du 26 juillet 1983 relative à la démocratisation du secteur public, par la loi du 6 août 1986 relative aux modalités des privatisations ou encore par l'article L. 225-27 du code de commerce. Le projet de loi ne s'applique pas dès lors que les conditions de participation des administrateurs élus par les salariés sont plus favorables en application de ces dispositifs particuliers.

En ce sens, l'article 5 me paraît respecter scrupuleusement les termes de l'accord auxquels sont parvenus les signataires de l'ANI du 11 janvier 2013. Cependant, il ne se réduit pas à une simple transposition, puisqu'il tire au plan législatif les conséquences nécessaires pour mettre en oeuvre un accord qui a d'abord pour vocation d'affirmer de grands principes et des objectifs généraux.

Ainsi, il précise les conditions d'élection ou de désignation des administrateurs représentant les salariés. Tout en reprenant des règles assez classiques en cas d'élection, il renouvelle sensiblement les conditions de leur représentation. D'une part, il prévoit des procédures distinctes de l'élection, qui font intervenir les organisations syndicales ainsi que les institutions représentatives du personnel, y compris dans le cadre de sociétés européennes. Il appartiendra aux entreprises d'user de la liberté que leur reconnaît la loi par une modification de leurs statuts et de choisir la procédure la plus adaptée parmi celles que propose le projet de loi. D'autre part, l'article 5 fixe les conditions du remplacement de ces administrateurs en des termes qui paraissent de nature à assurer la continuité de la participation des salariés aux organes de gouvernance des grandes entreprises.

Enfin, il organise les conditions de l'entrée en vigueur du nouveau dispositif. À cet effet, il fixe une échéance : « le premier jour du vingt-sixième mois suivant la publication de la loi », et prévoit, en « régime de croisière », un délai et des modalités destinées à inciter ou à conduire les entreprises à se conformer à leurs obligations. Sur cette partie du texte qui ne constitue pas une simple transposition de l'ANI, on peut sans doute concevoir la possibilité de correctifs, de précisions ou d'améliorations. Tel est d'ailleurs l'objet des quelques amendements que je vous proposerai.

Ce projet constitue un véritable levier, non seulement pour développer la participation des salariés à la gouvernance des grandes entreprises, mais aussi pour favoriser la rénovation du dialogue social que notre pays attend et qu'a esquissée la grande conférence sociale des 9 et 10 juillet 2012. Je note d'ailleurs qu'en dehors d'oppositions de principe à ce qui peut s'apparenter à un premier pas vers une cogestion, il suscite un assez large consensus.

Je vous propose par conséquent de donner un avis favorable à cet article 5, moyennant quelques ajustements que je vous soumettrai dans quelques instants.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion