Intervention de Monique Orphé

Séance en hémicycle du 27 mars 2013 à 15h00
Prohibition de la différence de taux de sucre outre-mer — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMonique Orphé :

Madame la présidente, messieurs les ministres, madame la rapporteure, chers collègues, le projet de loi que nous examinons cet après-midi s'inscrit dans la continuité d'une démarche engagée au cours de la précédente législature, une démarche qui vise à mettre fin à une inégalité de traitement entre les consommateurs de l'hexagone et ceux de l'outre-mer, une démarche engagée par M. le ministre des outre-mer, qui est sensibilisé à ce problème du taux de sucre plus élevé des produits importés dans nos régions. Vous l'avez dit, monsieur le ministre, un texte semblable a été rejeté au cours de la précédente législature, je ne sais pour quel motif. S'il avait été adopté, nous aurions pu gagner du temps dans la lutte que nous menons contre l'obésité.

L'écart entre le taux de sucre des produits outre-mer et celui des mêmes produits en métropole peut varier d'une région ultramarine à l'autre. Pour les boissons sucrées non rafraîchissantes, il varie de 1,2 % à plus de 48 %. Il en est de même pour les yaourts, avec un écart qui varie de 8 % à 15 %, voire 26 % lorsqu'ils sont fabriqués localement.

De nombreux industriels tentent de justifier cette réalité par notre appétence réelle ou supposée pour le sucre. Sans insister sur la pertinence scientifique de l'argument, il n'est bien entendu pas envisageable d'accepter cette justification quand on sait à quels risques une alimentation trop sucrée expose la santé.

La santé est un des trois indices pris en compte pour mesurer le niveau de développement humain d'un pays. Or, par son IDH, La Réunion est bien loin derrière l'hexagone mais aussi derrière la plupart des autres départements d'outre-mer, notamment la Martinique et la Guadeloupe. Si l'on considère ce seul indice santé, quand la France métropolitaine est classée au neuvième rang mondial, la Réunion arrive au soixante-quatorzième, derrière la quasi-totalité des pays ultramarins.

Admettre cette différence de taux de sucre, c'est nous rendre complices de la dégradation de l'état de santé de nombre de nos compatriotes, touchés par des pathologies liées aux surcharges pondérales.

Admettre cette différence, c'est aussi être complices des inégalités sociales de santé, dont tel ou tel individu est victime en fonction de sa catégorie sociale, de sa catégorie socio-économique ou encore du territoire où il vit. Notre responsabilité est de faire en sorte que ces inégalités se réduisent partout où c'est possible.

Messieurs les ministres, même si les liens entre consommation de sucre et obésité ne sont pas encore clairement établis au niveau scientifique, de nombreuses études validées par l'Organisation mondiale de la santé montrent qu'une alimentation riche en sucre contribue activement aux risques de surpoids et d'obésité. L'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail souligne par ailleurs qu'une consommation excessive de glucides, en particulier de glucides simples ajoutés, notamment sous forme de boissons, serait responsable du développement du surpoids et de l'obésité chez les enfants et les adolescents.

Outre-mer, c'est en effet plus d'une personne sur deux qui est obèse ou en surpoids, contre 41 % en métropole. À La Réunion, on estime que le diabète, l'hypertension et les accidents cardio-vasculaires sont à l'origine de plus d'un tiers des décès recensés chaque année. Pour le seul diabète, on compte 250 décès. En outre, les publics les plus exposés sont les enfants et les femmes.

Ces données ont conforté nombre de parlementaires socialistes dans leur volonté d'appliquer le principe de précaution et d'adopter une posture ferme en matière de teneur en sucre des produits vendus outre-mer.

La proposition de loi discutée aujourd'hui diffère cependant de celle présentée en 2011 car elle a été enrichie et complétée par de nouvelles dispositions visant à garantir plus largement la qualité des produits alimentaires vendus dans nos territoires.

Si, depuis 2011, il faut le reconnaître, certains industriels se sont engagés, à travers une charte, dans une démarche de réduction des taux de sucres de leurs produits – et je salue ici l'engagement de ces industriels qui ont su prendre leurs responsabilités –, l'objectif de ce texte de loi est de s'assurer que cet engagement soit partagé par tous les industriels, ceux qui importent les denrées alimentaires mais également ceux qui les produisent localement. En effet, cette proposition de loi serait inefficace si on avait continué d'exclure les boissons et les yaourts fabriqués localement et dont les teneurs en sucre sont extrêmement élevées. Une étude menée par la région Guadeloupe a ainsi montré un écart de plus de 23 % avec la boisson la plus sucrée fabriquée dans l'hexagone et un écart de plus de 97 % avec la moins sucrée. Il était donc nécessaire de légiférer également sur ces produits. Tel est l'esprit de l'article 1er de la loi, qui traduit cette préoccupation dans le code de la santé publique sous la forme de deux articles L. 3232-5 et L. 3232-6.

Bien sûr, il ne suffira pas d'une loi pour diminuer les taux d'obésité et de surpoids. Il faut aussi insister sur l'importance de développer des actions de sensibilisation et de prévention dès le plus jeune âge. Je souhaite donc que le traitement de l'obésité dans les territoires d'outre-mer puisse faire l'objet d'une déclinaison spécifique du plan national de prévention, comme c'était le cas sur la période 2010-2013. En effet, seules des actions efficaces et adaptées au contexte local auront des chances de faire changer les comportements. C'est le rôle des ARS, qui doivent développer des stratégies, en concertation avec des associations locales, pour éduquer et informer les populations quant aux pratiques d'une alimentation alimentaire équilibrée.

Mais, monsieur le ministre des outre-mer, vous l'avez dit, la différence de taux de sucre n'est pas la seule inégalité de traitement que subissent les ultramarins. Il est ainsi apparu que certains industriels hexagonaux avaient mis en place un dispositif de double étiquetage en matière de date limite de consommation des produits périssables.

Les industriels sont bien sûr libres d'apposer les dates limites de consommation qu'ils souhaitent sur les produits qu'ils mettent sur le marché, sous réserve néanmoins de respecter les règles générales d'hygiène et de sécurité alimentaires, et donc d'être en mesure de prouver que la qualité sanitaire de ces produits n'est pas altérée dans ces délais. Il n'en demeure pas moins que ces pratiques vont à l'encontre d'une bonne information tant du consommateur résidant outre-mer que de celui habitant en France hexagonale. Le premier ignore en effet que le yaourt venu de métropole qu'il achète a pu être fabriqué plus d'un mois et demi avant la date qui y est apposée, et que ce même produit, s'il avait été distribué en France métropolitaine, serait considéré comme périmé au-delà d'un délai de trente jours. C'est d'autant plus incompréhensible que les industriels produisant dans les départements d'outre-mer apposent quant à eux des mentions à trente jours et non à quarante-cinq ou cinquante-cinq jours, afin de tenir compte de différents facteurs susceptibles d'altérer la qualité des produits après leur mise en circulation, comme d'éventuelles ruptures de la chaîne de froid. Quant au consommateur résidant en France hexagonale, il ignore que le produit qu'il achète et qu'il jette, lorsqu'il ne l'a pas consommé dans le délai de trente jours, est considéré comme encore consommable pendant quinze ou vingt-cinq jours outre-mer. Cela laisse entrevoir l'ampleur du gaspillage organisé par les industriels. Oui, madame Lemorton, on sent derrière tout cela un lobbying très fort.

C'est la raison pour laquelle la proposition de loi a été enrichie d'un article 3 qui interdira désormais une telle inégalité de traitement entre l'hexagone et l'outre-mer. Cette situation nécessiterait une enquête approfondie des services de l'État pour établir si oui ou non un même produit peut être consommé sans risque pour la santé humaine jusqu'à trente ou soixante jours après sa fabrication, mais, quels que soient les résultats de cette enquête, il apparaît en tout état de cause inadmissible, du point de vue de l'égalité des droits des consommateurs sur le territoire français, que des délais différents de consommation, ne tenant pas aux qualités intrinsèques d'un produit, puissent être apposés sur les emballages en fonction du lieu de distribution de ces produits, a fortiori lorsque ces pratiques conduisent à fixer des durées plus longues.

Mes chers collègues, la loi que nous examinons aujourd'hui vise spécifiquement à effacer ces inégalités de traitement. Elle n'en fait pas pour autant une fin en soi. La réduction de la teneur en sucre et l'interdiction des dates limites de consommation supérieures relèvent d'une même démarche d'amélioration de la qualité de l'offre alimentaire proposée dans nos territoires.

Il s'agit également de mettre l'accent sur les bénéfices d'une alimentation saine et équilibré, qui passe par la consommation de produits frais et locaux. Parce que nous sommes soucieux de la qualité des denrées que nous consommons, nous voulons encourager l'utilisation de ces produits dans nos cantines scolaires et dans nos services de restauration collective. Tel est l'objet de l'amendement de Mme Vainqueur-Christophe, que je soutiendrai sans réserve.

En conclusion, l'ambition que traduit cette proposition de loi ne peut aboutir qu'à deux conditions. D'une part, l'application de la loi devra être associée à des campagnes d'information et de sensibilisation. L'ensemble des acteurs impliqués dans la réduction des inégalités de santé outre-mer – le ministère de la santé, le ministère de l'agriculture, les services de l'État en charge de la consommation et de l'agroalimentaire, les associations et l'ensemble des acteurs impliqués dans la lutte contre l'obésité – doivent se rassembler pour atteindre les objectifs fixés.

D'autre part, l'étiquetage des produits doit être plus transparent, qu'ils soient fabriqués localement ou viennent de pays situés hors de l'Union européenne. En effet, la composition de beaucoup des produits que nous consommons manque de transparence, en raison du caractère peu contraignant de la législation européenne.

J'ai bon espoir, si ces conditions sont remplies, que l'ensemble des pathologies dont j'ai parlé au début de mon intervention baisseront significativement. J'invite donc l'ensemble des députés de cet hémicycle à partager notre souci de la santé publique et à voter pour cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

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