Intervention de Daniel Gibbes

Séance en hémicycle du 27 mars 2013 à 15h00
Prohibition de la différence de taux de sucre outre-mer — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDaniel Gibbes :

…sur le fléau sanitaire qui frappe de plein fouet les territoires ultramarins. Permettez-moi de prendre comme illustration – une fois n'est pas coutume – les chiffres qui concernent la collectivité d'outre-mer de Saint-Martin.

Oui, nous pouvons définir l'obésité et le surpoids comme un fléau, car ils touchent toutes les populations : les hommes, les femmes, les seniors comme les enfants. Le territoire de la collectivité de Saint-Martin est l'un des plus touchés, puisque 54 % de la population souffrent de surcharge pondérale, 28 % d'obésité. Ce sont 15 % des enfants de l'île qui sont en surpoids, 11 % qui sont obèses. Pourquoi ces chiffres ? Ils mettent en exergue que, si les Guadeloupéens, par exemple, sont touchés par ce fléau, les chiffres sont deux fois plus élevés à Saint-Martin.

Cette épidémie n'atteint pas uniquement les populations fragiles ou peu aisées ; elle frappe l'ensemble de la population, sans aucune distinction de niveau de vie ni de nationalité. Rien ne justifie qu'elle touche davantage les populations ultramarines.

Au-delà des difficultés quotidiennes et psychologiques que rencontrent les personnes qui vivent avec cette surcharge pondérale, je n'ai pas besoin de rappeler les risques et les conséquences irréversibles sur leur santé fragilisée : diabète, hypertension artérielle, infarctus, maladies cardio-vasculaires, apnée du sommeil… Là encore, sans surprise, les chiffres explosent en outre-mer. Cela implique inévitablement des soins, des accompagnements médicaux particuliers, un suivi accru d'une frange de plus en plus importante de la population. Il faudra alors mettre en place des structures spécifiques, médicales et d'accompagnement, mais aussi des équipes médicales plus nombreuses et spécialisées dans ce domaine de santé publique. Ce qui engagera automatiquement une augmentation des dépenses médicales dans les territoires ultramarins.

Nous maîtrisons mal le processus et les causes de ce fléau, mais il est certain qu'il est de notre devoir de prendre dès que possible les mesures indispensables qui enrayeront sa propagation.

C'est pourquoi nous devons nous pencher en priorité sur le cas des enfants, car il y a un réel risque de persistance et d'augmentation de l'obésité à l'âge adulte. Je me réjouis que les Agences régionales de santé fassent tout pour déployer des mesures et des programmes de prévention des risques de surcharge pondérale qui guettent les enfants. Nous devons redoubler nos efforts en soutenant sur les territoires d'outre-mer le Programme national nutrition santé, reconduit par la précédente majorité sur la période 2011-2015.

Toutefois, il nous faut dans l'immédiat remédier aux causes de cette calamité dont souffrent les populations ultramarines. Cela passe d'abord par une réelle équité entre les produits vendus dans les territoires ultramarins et ceux vendus dans l'hexagone. C'est l'objet de cette proposition de loi.

Les produits importés et consommés par les populations ultramarines ont en effet une teneur en sucre bien supérieure aux produits consommés dans l'hexagone. Cette proposition de loi vise à contraindre les industries agroalimentaires à réduire de la même façon, sans distinction et dans les mêmes délais, la teneur en sucre de tous les aliments à destination des territoires de l'outre-mer, de telle sorte que leur composition soit identique à celle des aliments à destination de l'hexagone. Cela concerne principalement les produits laitiers et les boissons du type des sodas. Rien ne justifie que les taux de sucre soient différents dans l'hexagone et dans les outre-mer ; sortons des poncifs qui voudraient que l'Antillais ait le « bec plus sucré » que le Normand !

Par ailleurs, au motif que le conditionnement et la commercialisation des produits à destination de l'outre-mer seraient plus complexes, les délais des dates limites de consommation qui apparaissent sur les denrées importées sont deux fois plus longs que ceux qui figurent sur les produits identiques vendus dans l'hexagone. Deux fois plus longs ! Ainsi, pour un yaourt vendu en France hexagonale, la pratique en vigueur des dates limites de consommation est de trente jours ; pour le même yaourt vendu en territoire ultramarin, le délai est de soixante jours. Il n'est pas normal que ce délai soit doublé, au regard des normes de consommation en vigueur. Cette disparité révèle le non-respect des règles de santé. On pourrait se demander : qu'en est-il des ruptures de la chaîne du froid pendant le transport ? Qu'en est-il des différences de climat, qui ne sont pas prises en compte ?

Évidemment, les productions locales sont soumises aux mêmes normes de santé strictes que les productions hexagonales, et les producteurs ultramarins sont attachés au respect de celles-ci. Mais cette différence de traitement occasionne une concurrence déloyale flagrante qui dessert outrageusement les économies de l'outre-mer. Vous savez combien il est capital d'encourager et de défendre les productions locales, qui sont fragiles. Il est primordial de les soutenir lors des attributions de marchés publics, dans la restauration collective, par exemple.

Permettez-moi un seul bémol, sur la forme : je doute, comme nombre de mes collègues, qu'une proposition de loi soit nécessaire. Un simple décret ministériel aurait pu suffire pour mettre en place les dispositions de ce texte, dans un délai rapide.

Toutefois, face à l'urgence et à la gravité de la situation, j'estime que la santé publique prévaut et que nous ne pouvons pas transiger plus longtemps sur des mesures indispensables pour nos concitoyens ultramarins.

Je regrette simplement que ce texte soit incomplet, au regard de l'ampleur des problématiques de santé publique auxquelles les territoires d'outre-mer sont confrontés. Ces territoires méritent qu'un véritable programme de prévention soit mis sur pied et déployé pour accompagner le travail entrepris par le biais du Programme national nutrition santé, qui apparaît comme insuffisant.

Il est des domaines – nombreux ! – pour lesquels, c'est vrai, les ultramarins demandent le respect et la prise en considération des spécificités de leurs territoires. L'ultramarin n'est pas, comme disait Aimé Césaire, « un Français entièrement à part, mais bel et bien un Français à part entière ».

Pour conclure, chers collègues de la majorité, au-delà des clivages politiques qui souvent nous opposent, et au risque de vous surprendre, je voterai en faveur de cette proposition de loi, que je trouve juste et nécessaire à l'équilibre alimentaire dont sont privées les populations de l'outre-mer. (Applaudissements et « Très bien ! » sur plusieurs bancs des groupes SRC et RRDP.)

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