Intervention de Gabriel Serville

Séance en hémicycle du 27 mars 2013 à 15h00
Prohibition de la différence de taux de sucre outre-mer — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGabriel Serville :

Madame la présidente, messieurs les ministres, madame la rapporteure, chers collègues, « ce n'est pas l'amour qui mène le monde et qui ne l'a jamais mené, c'est l'appétit. » C'est à l'aune de cette citation de Danièle Starenkyj que je souhaiterais souligner à quel point la proposition de loi qui nous est soumise aujourd'hui revêt des enjeux mobilisateurs.

Manger est un acte fondateur. Il participe en premier lieu, bien sûr, à notre équilibre et à notre développement personnels, mais c'est aussi un rite et il contribue en cela à nous définir collectivement. Pour nous, citoyens français des outre-mer, se nourrir n'est pas une action strictement pratique destinée à nous maintenir animés. Le député-poète guyanais maintes fois cité, récemment, par Mme la garde des sceaux ici même, disait : « un os se mange avec mesure et discrétion », mais aussi : « un estomac doit être sociable et tout estomac sociable se passe de rots. » Autrement dit, manger ne correspond pas seulement pour nous à un besoin individuel mais traduit, d'une certaine façon, notre volonté de vivre ensemble. C'est un acte social qui structure l'harmonie familiale autour du repas et qui nous identifie collectivement à travers une gastronomie dont nos territoires d'outre-mer ont enrichi le patrimoine au fil du temps.

Dans l'enthousiasme que suscite légitimement cette proposition de loi, j'intègre bien sûr la nécessité de répondre aux urgences et aux préoccupations de santé des individus, mais j'y vois aussi pour nos populations d'outre-mer la volonté de raffermir ce vivre ensemble, la marque d'une farouche envie commune de s'élever, d'abattre les différences, les difficultés et les inégalités de toute nature pour accéder à davantage de liberté partagée.

Garantir la qualité de l'offre alimentaire en outre-mer, c'est incontestablement combattre les facteurs essentiels du surpoids. La surconsommation de produits sucrés est le premier. Cet excès s'assimile à une addiction, provoquée par les propriétés du sucre, auxquelles les enfants sont plus sensibles et donc plus vulnérables. Ainsi, 25 % des enfants sont en surpoids dans l'ensemble des outre-mer, contre 18 % en France hexagonale et 20 % en Guyane. Ce dernier chiffre ne serait que peu décourageant s'il n'en cachait pas un autre, celui de l'obésité. Car 7 % des jeunes Guyanais sont en effet touchés par cette « épidémie mondiale », pour reprendre les termes de l'OMS, contre seulement 4 % en moyenne nationale.

Lorsque l'on connaît l'impact, maintes fois démontré par les médecins, que l'obésité peut avoir sur le moral, entraînant parfois dépressions et souvent échec scolaire, la nécessité d'agir au plus tôt sur ce fléau se fait impérieuse. C'est en effet dans les trois premières années de la vie que se forme le goût chez 1'enfant. À ce moment, ses papilles gustatives sont particulièrement réceptives aux saveurs et il peut, le cas échéant, développer une prédisposition aux produits sucrés.

En imposant par la loi nationale, seul instrument véritablement efficace pour le faire, un même taux de sucre ajouté dans les denrées alimentaires destinées au consommateur final, et surtout en harmonisant les délais de consommation, nous abolissons les discriminations entre territoires, nous permettons l'égalité entre individus dès le plus jeune âge, nous préservons leur santé et nous favorisons leur accès à la réussite.

Ensuite, il nous faudra accompagner ces mesures d'attentions particulières pour combler certaines difficultés que cette loi ne pourra résoudre à elle seule. Les repas à l'école, contrôlés et équilibrés, ne peuvent être pris par les enfants que si des cantines leur sont accessibles ; or, aujourd'hui, un tiers des établissements scolaires de Guyane n'en dispose pas. Vous comprendrez que la nécessité d'avoir des infrastructures qui répondent aux problématiques posées en Guyane se fait d'autant plus prégnante que la démographie est pressante, avec une moyenne de 3,5 enfants par femme.

Par ailleurs, il faut absolument renforcer les contrôles douaniers aux abords de l'Oyapock et du Maroni afin d'éviter la pénétration illégale sur le territoire guyanais de certains produits extrêmement sucrés qui font florès aux abords de nos écoles.

Enfin, aucune mesure ne sera efficace si nous ne sommes pas capables d'éduquer nos enfants dans le respect d'une alimentation saine et d'une hygiène bucco-dentaire de nature à esquiver les maux et à éviter certaines dépenses de santé. Ici encore, l'école sera le meilleur espace de prévention.

Madame la rapporteure, la mauvaise alimentation et toutes les conséquences qui en découlent touchent en premier lieu les populations les plus défavorisées, en même temps qu'elles affadissent l'art de vivre dans chacun de nos territoires. En soumettant cette loi à notre assemblée, à la fois vous proposez de faire vivre le principe d'égalité et vous permettez à nos cultures de rayonner à nouveau. Je ne puis qu'espérer, monsieur le ministre, que notre gouvernement se donnera les moyens financiers et humains pour que les dispositions adoptées soient rapidement opérationnelles et efficientes, et je tiens à vous en remercier. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, SRC et RRDP.)

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