Je commencerai mon propos en replaçant la France – et l'action que j'ai l'honneur de mener – dans le contexte des profondes mutations que nous connaissons aujourd'hui.
L'invitation de quinze chefs d'Etat au sommet des BRICS – Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud –, qui se tient en ce moment à Durban, montre tout d'abord qu'une forte coopération sud-sud se met en place. Même si l'on est encore loin d'accords de libre-échange, des liens pragmatiques se nouent autour de projets ponctuels. Les BRICS, qui représentent 43 % de la population mondiale et 25 % du PIB, ont ainsi affiché leur ambition de créer leurs propres institutions, dont une banque. D'après une dépêche tombée en début d'après-midi, un accord aurait été trouvé sur ce dernier point. Ils ambitionnent également de relancer l'Organisation mondiale du commerce (OMC) et le processus de Doha, tout en réformant le Conseil de sécurité des Nations Unies.
En Asie, on observe une multiplication des accords de libre-échange, qui sont soit déjà conclus, tels que l'ASEAN ou les accords entre, d'une part, la Corée du Sud et l'Inde et, d'autre part, entre ce dernier pays et le Japon, soit en cours de négociation, comme l'accord entre la Chinée, la Corée du Sud et le Japon, qui vient d'être relancé.
Quant aux Etats-Unis, ils s'efforcent très activement de structurer le TPP – le Partenariat trans-Pacifique –, qui pourrait regrouper douze pays : les Etats-Unis, l'Australie, Brunei, le Chili, la Malaisie, la Nouvelle-Zélande, le Pérou, Singapour, le Vietnam, la Corée, le Mexique, le Canada, auxquels le Japon devrait se joindre prochainement. Un nouveau bloc pourrait donc émerger.
En Afrique, le « continent de demain », on s'attend à une croissance du marché agro-alimentaire de 45 % d'ici à 2020. Les populations urbaines s'y développent aussi à grande vitesse : en 2016, 500 millions d'Africains vivront en ville. Aujourd'hui, 81 % de la consommation africaine se concentre dans un petit nombre de pays – Maroc, Algérie, Tunisie, Libye, Egypte, Angola, Ghana, Nigéria, Ethiopie et Ghana.
Cette recomposition du paysage s'accompagne d'une panne du multilatéralisme, après un regain consécutif à la chute du mur de Berlin. La volonté affirmée des BRICS de relancer les négociations à l'OMC se heurte en particulier à leur propre refus de prendre des responsabilités égales à leur puissance commerciale. Le nouveau round de négociations qui aura lieu lors de la conférence de Bali est peut-être l'une des dernières chances du multilatéralisme.
Partant de ce constant, l'Union européenne s'est engagée dans un cycle de négociations bilatérales. Plusieurs accords ont déjà été signés, avec la Corée ou encore avec la Colombie et le Pérou, et d'autres sont presque finalisés, notamment avec le Canada. Les discussions ont également commencé lundi avec le Japon, par voie téléphonique – un déplacement à Tokyo a dû être remis à plus tard en raison de la crise chypriote. Quant au projet d'accord avec les Etats-Unis, les discussions ont commencé sur le mandat de négociation.
Si l'Union européenne – et la France avec elle – peuvent tirer leur épingle du jeu dans ce monde multipolaire, c'est que nous sommes la première force de marché, devant les Etats-Unis. Avec une population de 500 millions d'habitants et un PIB de 12 600 milliards d'euros, l'Union européenne est le premier exportateur de biens et de services. Son excédent en matière de produits industriels a triplé en dix ans, et elle est aussi excédentaire en matière de services et de produits agricoles et agro-alimentaires.
L'Union européenne doit négocier avec les autres puissances, notamment la Chine, qui est devenue le deuxième exportateur mondial. Je me félicite de la création de votre mission d'information sur ce pays, où je me suis rendue au mois de janvier et où je retourne à la fin du mois dans le cadre du voyage d'Etat du Président de la République. Je suis prête à venir m'exprimer devant vous. L'Inde et le Brésil, qui sont des pays difficiles, doivent aussi ouvrir leurs marchés.
Ce que la France ne peut obtenir seule, l'Union européenne le peut. Tous veulent signer un accord de libre-échange avec elle, à l'instar du Japon. Nous avons âprement négocié le mandat donné à la Commission européenne pour les négociations avec ce pays. Si le mandat est fragile, en effet, les difficultés que l'on a voulu occulter au début des négociations refont surface à la fin. C'est ce que l'on constate aujourd'hui avec le Canada : la Commission souhaitait conclure les négociations à la fin de l'année dernière, mais cela n'a pas été possible pour diverses raisons – la nature fédérale du Canada, qui complique les négociations, ou encore des blocages persistants sur les indications géographiques. L'exemple du Canada est important, car cet accord préfigure en quelque sorte celui qui pourrait être conclu avec les Etats-Unis.
En ce qui concerne le Japon, la France a porté l'exigence d'une baisse des barrières réglementaires au même rythme que celle des barrières tarifaires. Les Japonais ont donné des signes positifs, en acceptant notamment l'ouverture de leur marché ferroviaire et la reprise des exportations européennes de viande bovine. Il reste beaucoup à faire, notamment en ce qui concerne les barrières dans le domaine sanitaire.
Les grands émergents, après avoir bousculé les règles du commerce, doivent maintenant contribuer au bien public mondial. Nous avons engagé une discussion sur ce sujet au sommet du G20 de Los Cabos, en juillet dernier. J'ajoute que les pays du Sud ne donnent plus l'impression de former un bloc homogène : il appartient maintenant aux grands émergents d'assumer leurs responsabilités, et des émergents de taille intermédiaire, les CIVETS – Colombie, Indonésie, Vietnam, Egypte, Turquie et Afrique du Sud – sont apparus.
Pour ce qui est de l'accord avec les Etats-Unis, j'ai rendu public hier la consultation avec les entreprises, qui a été un vrai succès – nous avons reçu cinq fois plus de réponses que pour l'accord avec le Japon, ce qui montre l'intérêt des entreprises françaises. Vingt ONG ont également apporté une réponse, et je rencontrerai bientôt la Confédération européenne des syndicats (CES). Nous savons que les syndicats américains sont plutôt favorables à cet accord, mais j'aimerais aussi connaître l'avis de leurs homologues européens.
Nous avons certainement intérêt à un accord avec les Etats-Unis, mais l'importance des échanges avec ce pays, qui représentent 40 % du commerce mondial, exige une attention toute particulière. Cet accord servira de référence au plan mondial. Nous devons donc donner un bon mandat à la Commission, à la fois clair, précis et ferme. Nos lignes rouges sont connues : l'exception culturelle et certaines préférences collectives, concernant par exemple le boeuf aux hormones et les OGM. On peut certes espérer un accord lors du sommet du 14 juin, comme la présidence irlandaise le souhaite, mais il n'y a pas lieu de se précipiter. La discussion doit s'engager sur de bonnes bases avec les Etats-Unis, qui ont encore beaucoup recours à des mesures protectionnistes. Il faut obtenir une baisse des barrières non tarifaires et un rapprochement des réglementations par le haut.
Du fait de l'importance des échanges avec les Etats-Unis, cet accord pourrait paradoxalement conduire à une relance du multilatéralisme. Afin de compenser l'axe Europe-Etats-Unis, de nombreux pays chercheront en effet à revitaliser l'OMC.
Pour ce qui est de la France en particulier, notre pays a une voix qui porte au sein de l'Union européenne. Elle doit l'utiliser, en formant des coalitions à géométrie variable en fonction de ses intérêts, afin d'aboutir à une politique commerciale européenne plus équilibrée. La France doit aussi tirer parti des atouts liés à son histoire. Nous devons profiter de notre relation particulière avec certains pays pour renforcer notre coopération économique, industrielle et commerciale avec eux. Je rappelle que nous conservons avec les pays méditerranéens des parts de marché situées entre 12 et 14 %, bien au-delà de notre moyenne mondiale de 3,1 %.
Il faut conforter cette relation en trouvant de nouveaux débouchés. Il faut notamment développer une Méditerranée des projets. On sait que les débouchés vont être importants dans les secteurs de l'agroalimentaire et de la ville durable. Il faut renforcer nos liens. Je suis allée déjà deux fois au Maroc et j'y retourne la semaine prochaine avec le Président de la République qui y effectue une visite d'Etat. J'ai mis en avant – après d'autres –le concept de co-localisation, c'est-à-dire l'intérêt bien compris du développement de ces pays comme de notre croissance et de nos emplois en France.
En Algérie, le bon climat instauré par le Président de la République lors de sa visite d'Etat se vérifiera, je le souhaite, lors du forum économique qui se tiendra à Paris le 2 avril et que je co-présiderai avec le ministre algérien de l'industrie et du commerce, M. Rahmani. Je pense que les relations d'autorité politique à autorité politique sont très importantes, mais, pour que les liens soient durables et réguliers, il est peut-être encore plus important que les communautés d'affaires se parlent et se voient, d'entreprise à entreprise, même lorsqu'il s'agit d'entreprises d'Etat.
Avec l'Afrique, notre relation doit être tournée vers l'avenir et redéfinie pour accompagner l'émergence du continent. Il faut nous mettre sur un pied d'égalité avec les pays africains et placer au premier plan nos relations économiques. Nous devons privilégier l'axe du développement économique partagé ; ce fut d'ailleurs le sens de l'allocution du Président de la République à Kinshasa en octobre dernier.
Je me suis rendue au Kenya et j'irai bientôt en Ethiopie. Le plan export que j'ai présenté le 3 décembre 2012 met en avant les relais de croissance sur ce continent. La croissance se concentre dans quelques pays d'Afrique, notamment en Afrique anglophone et en Afrique lusophone. Ces pays sont donc des priorités. Je pense notamment à l'Afrique du Sud, au Nigéria, où je me rendrai, et à la Côte d'Ivoire. Notre objectif est de consolider nos positions en Afrique francophone et de conquérir des parts de marchés en Afrique australe et en Afrique de l'Est, qui ne sont pas nos marchés habituels mais vers lesquels nos grandes entreprises se déplacent petit à petit, ce qui est plutôt bon signe –signe que le marché a été bien analysé et que derrière, des entreprises plus modestes peuvent suivre. J'ai vu que nous avions des entreprises conquérantes au Kenya, qui n'est pas notre jardin naturel. Je pense par exemple à L'Oréal.
Sur l'accord de libre-échange entre les Etats-Unis et l'Europe, le Parlement français a été saisi le 19 mars. Le projet de mandat a été transmis conformément à l'article 88-4 de la Constitution. Vous savez donc que vous pouvez vous saisir de cette négociation et donner votre avis au travers de propositions de résolutions.
L'Europe est notre marché de proximité – nous y faisions en 2012 encore 59 % de notre commerce extérieur –, mais nous commençons à voir nos entreprises se déplacer vers des pays plus lointains, notamment vers l'Asie. Compte-tenu de la mutation du monde, de ces pays en croissance qui s'organisent et sont des marchés pour nous – même s'ils sont parfois lointains –, et compte tenu également d'une certaine difficulté de croissance en Europe, j'ai réorganisé nos instruments de politique commerciale en confiant aux régions le soin de piloter l'internationalisation des entreprises depuis leurs territoires, parce que je pense qu'être bien organisé en France augmente les chances de l'être à l'étranger. Les régions vont ainsi piloter des plans régionaux d'internationalisation des entreprises – les premiers devraient commencer à m'arriver à partir de la fin du mois de mars. J'étais vendredi à Angers avec le Premier ministre ainsi qu'avec Nicolas Dufourcq, directeur général de la Banque publique d'investissement (BPI). Dans les pays de Loire, nous avons régionalisé pour la première fois la BPI, qui est un outil stratégique et va apporter tous les financements qui concourent au développement et à la croissance de nos entreprises.
J'avais confié il y a quelques mois une mission à l'Inspection générale des finances sur la réorganisation de nos financements à l'export ; j'en présenterai les conclusions très rapidement. Notre offre actuelle est en effet un peu confuse. La BPI va distribuer à la fois les produits Coface, l'accompagnement d'Ubifrance et les produits financiers d'exportation proprement dits. En même temps, nous avons lancé avec CDC-entreprise, qui va se retrouver au sein de la BPI, un appel à projet pour constituer des fonds pour l'apport de capitaux propres –parce que pour tenir le coup à l'export, il faut avoir des fonds propres solides. Nous avons ainsi déjà délégué 150 millions destinés à des fonds de cette nature. La place des régions comme pilotes de l'export devrait donc être consacrée dans le projet de loi de décentralisation que ma collègue Marylise Lebranchu présentera le 6 avril en conseil des ministres et dont vous aurez à débattre en séance plénière. L'attribution de cette compétence de pilotage aux régions est logique : les régions ont déjà la compétence pour le développement économique et elles seront confortées dans l'innovation – et M. Lellouche le sait bien, on exporte d'autant plus facilement que l'on innove.
Dans le Pacte national pour la compétitivité, la croissance et l'emploi que nous avons présenté en novembre, Ubifrance a reçu pour objectif de recentrer son action sur l'accompagnement des PME dans la durée. Son président est là et peut en témoigner : 1000 PME innovantes devront être accompagnées pendant au moins trois ans. Ubifrance va déployer son plan progressivement : 250 entreprises cette année, 600 l'année prochaine et 1000 en 2015. Dans le même temps, nous redéployons nos forces et ouvrons de nouveaux bureaux Ubifrance à l'étranger : au Kenya, en Birmanie… Cette zone, l'ASEAN, est d'ailleurs une priorité politique et économique du Gouvernement français. Je suis allée avec le Premier ministre à Singapour et en Thaïlande, en Inde, au Vietnam et en Indonésie. Nous avons beaucoup de choses à améliorer dans cette région qui n'est pas une zone d'influence naturelle de la France. Au Vietnam par exemple, nous sommes seulement à 1 % de part de marché alors que nous y avons beaucoup investi.
Dans le Pacte de compétitivité, nous avons également fixé un objectif concernant les volontaires internationaux en entreprise (VIE), qui sont très utiles aux entreprises. Il y a actuellement seulement 7400 VIE pour 40 000 demandes annuelles. Notre objectif est d'augmenter leur nombre de 25 %. Ce dispositif fonctionne bien, mais n'est pas assez connu et utilisé par les PME.
Compte-tenu de la demande mondiale, qui se concentre dans 47 pays, j'ai déterminé quatre familles de produits où nos entreprises sont bien placées : mieux se nourrir ; mieux vivre en ville – ce qui englobe toute la gamme ayant trait à la ville durable – ; mieux se soigner ; enfin mieux communiquer, qui englobe le secteur du numérique et des nouvelles technologies, où nous avons une offre assez intéressante. Je rappelle que dans ce secteur, nous disposons de pôles de compétitivité qui sont une réussite et qu'il faut porter à l'étranger. Nous savons que notre faiblesse, on le dit souvent, est d'être insuffisamment regroupés. Je pense que ces familles permettront aux entreprises de se regrouper au travers d'offres intelligentes. Je nommerai d'ailleurs en avril quatre grands fédérateurs – deux hommes et deux femmes – qui animeront ces familles et m'aideront à organiser les entreprises françaises afin qu'elles conquièrent de nouveaux marchés.
Nos entreprises sont performantes. On ne le sait pas assez et, en France, on pratique facilement l'autodénigrement. Je vois beaucoup d'entreprises qui se battent et s'en sortent. Quelquefois, je vois des entreprises être en difficulté sur leur marché de proximité mais réussir à l'export. L'un n'empêche pas l'autre. Pour mon équipe et moi, il n'y a absolument pas de contradiction entre défendre la compétitivité des entreprises à l'exportation et défendre l'attractivité du territoire. Nous avons en France 20 000 entreprises étrangères qui produisent sur notre territoire. Nous sommes le premier pays à accueillir des investissements étrangers dans des centres industriels. A partir de ces entreprises étrangères, nous réexportons des biens et nous sommes souvent très performants. De nombreux pays nous font confiance et il faut le dire.
Par ailleurs, ce n'est pas parce qu'une entreprise s'internationalise qu'elle oublie son territoire. En général, une entreprise qui exporte travaille pour l'emploi et la croissance en France. C'est pourquoi je m'efforce de dire à tous mes interlocuteurs, qu'il s'agisse de fonds souverains ou de fonds privés : « venez investir en France, vous y serez bien accueillis ».