Intervention de Pierre Pelouzet

Réunion du 3 avril 2013 à 10h00
Commission des affaires économiques

Pierre Pelouzet, médiateur des relations inter-entreprises :

Merci Monsieur le Président pour votre invitation. C'est ma fonction de président de la Compagnie des dirigeants et acheteurs de France qui m'a amené à m'intéresser de près aux relations entre les entreprises, que je considère être un facteur clef de compétitivité, singulièrement en temps de crise économique. C'est pourquoi j'ai accepté avec joie la mission que m'a confiée le Président de la République. J'essaie de la mener sur tous les fronts, car ces relations, difficiles, ne se sont pas réellement améliorées depuis que Jean-Claude Volot est venu vous en parler.

Depuis que la Médiation a été créée, en 2010, son objectif n'a pas varié : il s'agit, en améliorant les relations entre entreprises, de renforcer la compétitivité de notre économie. Nous sommes engagés dans une compétition internationale très âpre et nos entreprises doivent travailler les unes avec les autres, quelle que soit leur taille respective, et non les unes contre les autres. Nous devons impérativement en venir à un partenariat équilibré ; malheureusement, nous en sommes encore loin.

Le rapport Gallois a souligné l'utilité de la Médiation des relations interentreprises, dont l'action recouvre trois axes principaux. En premier lieu, nous entendons renforcer cet outil extraordinaire de résolution et même d'anticipation des conflits. Fer de lance d'une révolution des comportements, la médiation est une procédure nouvelle en France. Pourtant, de manière apparemment paradoxale, dans un monde dominé par la communication virtuelle, le fait de réunir des individus autour d'une table est toujours un moyen moderne et efficace de résoudre un conflit. Les chiffres le prouvent, puisque 80 % des médiations sont couronnées de succès. Huit entreprises sur dix qui ont ouvert une procédure de médiation parviennent ainsi à un accord, et le suivi que nous avons instauré montre que les relations entre les entreprises signataires de l'accord sont, par la suite, loin de se détériorer ; dans 70 % des cas, elles se sont même améliorées et les liens commerciaux se sont renforcés parce que les gens ont appris à se parler et à se comprendre.

La médiation des relations interentreprises est une procédure efficace, gratuite et confidentielle que je vous invite à promouvoir en dirigeant vers nous les entreprises victimes de mauvaises pratiques. Ce service public est à leur disposition sur l'ensemble du territoire, et accessible simplement : la saisine s'effectue en ligne et il suffit de remplir un très bref questionnaire pour être contacté dans les quelques jours qui suivent par un médiateur. Nous privilégions la médiation locale, ce pourquoi la Médiation interentreprises compte 30 médiateurs en régions ; à Paris, une dizaine de médiateurs nationaux, juges et entrepreneurs à la retraite, sont chargés de gérer les cas les plus compliqués.

Deux obstacles subsistent cependant. La médiation souffre tout d'abord d'un déficit de notoriété. En dépit des efforts de communication déployés par mon prédécesseur puis par moi-même, 40 % seulement des entrepreneurs déclarent connaître l'existence de la Médiation. Par ailleurs, les entreprises craignent des mesures de rétorsion telles qu'une mise sur liste noire ; cette crainte fait que seule la moitié des entrepreneurs qui ont entendu parler de la médiation sont prêts à nous saisir. Pourtant, je vous l'ai dit, cette crainte est infondée ; nous devons le faire savoir avec suffisamment de force pour vaincre cette peur. Pour la contrecarrer, nous avons mis au point une class mediation : nous poussons les syndicats professionnels, les fédérations, les associations de PME à regrouper ceux de leurs adhérents qui sont confrontés à un même problème avec un même donneur d'ordres et à nous saisir collectivement. Le taux de résolution des conflits pour ces saisines collectives est aussi de l'ordre de 80 %.

Notre deuxième axe de travail consiste bien entendu à continuer de combattre les trente-six mauvaises pratiques que nous avons recensées. Vous n'en serez pas surpris outre mesure : la première est le non-respect des délais de paiement, véritable fléau pour notre économie. Les retards de paiement représentent un tiers de nos saisines, mais ce sont les litiges les plus faciles à résoudre puisqu'il nous suffit généralement de rappeler à ceux qui sont en tort les dispositions légales pour que le paiement soit effectué. Je mentionnerai également la rupture brutale de contrat, le détournement de la propriété intellectuelle, les conditions contractuelles léonines, les modifications unilatérales de contrat, le contrat à prix ferme sans prise en compte des fluctuations des matières premières, les pénalités de retard abusives…

Bien entendu, la lutte contre les mauvaises pratiques s'appuie sur la loi. J'ai la chance de participer aux travaux de la mission confiée par le Président de la République au sénateur Bourquin et, dans le cadre de la révision de la loi de modernisation économique, il me paraît souhaitable de faire de la médiation des relations interentreprises une obligation, ou d'y encourager fortement. Il me paraît aussi nécessaire de pousser à la contractualisation ; à ce jour, beaucoup de marchés entre entreprises se font encore sans contrats – et quand il y en a, ils sont déséquilibrés. La mission Bourquin travaille sur ces pistes.

Notre troisième axe de travail vise à rééquilibrer les relations entre entreprises. À cette fin, nous avons créé des outils destinés à susciter l'indispensable « révolution douce » des comportements individuels : soit l'on adopte un comportement éthique et les choses s'amélioreront, soit on se limite à un comportement court-termiste et la situation économique se dégradera toujours davantage. Dans cette optique, nous avons défini la Charte des relations inter-entreprises, à la rédaction de laquelle j'ai participé il y a trois ans. Elle avait 22 signataires à l'origine ; ils sont 372 à ce jour et la Charte devient la véritable bible des bonnes pratiques en matière de relations entre entreprises en France. Nous continuerons de promouvoir ce texte, qui prône évidemment le respect de la loi ainsi que l'équilibre des relations, l'appel à la Médiation, et encore une réflexion sur le coût complet dans les appels d'offres, puisque l'on n'achète pas qu'un prix. Ainsi, pour acheter en Chine, il convient de réfléchir au coût de transport, à l'empreinte carbone, aux coûts de traduction, à l'impact « qualité » ; tout cela constitue le coût total qui, souvent, n'est pas très différent du coût de production en France ou à proximité. Il serait bon que toutes les entreprises de France signent la Charte ; c'est ce à quoi nous nous employons.

Nous sommes allés plus loin, en créant le label « Relations fournisseurs responsables » auquel les entreprises signataires de la Charte peuvent se porter candidates. Un audit est alors conduit en fonction d'une grille élaborée par Vigeo pour évaluer l'application des engagements souscrits, et c'est sur la base du rapport d'audit et du plan d'action de l'entreprise considérée que nous attribuons le label. Il a été lancé en décembre 2012. Depuis cette date, quatre entreprises - Legrand, Thales, Société générale et SNCF - ont été labellisées et six autres le seront dans les semaines à venir. Nous espérons ainsi créer un mouvement vertueux. Le label est le premier label RSE économique décerné par l'État, ce qui lui confère un poids particulier.

La Médiation travaille aussi au renforcement et à la structuration des filières par le biais de contrats de filières, en incitant entreprises et fédérations à soutenir la Charte et le label et en créant des instances de médiation spécifiques : le secteur ferroviaire fera une annonce à ce sujet cette semaine, les secteurs automobile, naval et numérique y travaillent également. L'objectif est de systématiser la médiation.

Enfin, la Médiation soutient toutes les initiatives qui tendent à ce que les grandes entreprises aident les PME innovantes à se développer, pour créer le tissu serré d'entreprises de taille intermédiaire qui fait défaut à l'économie française.

L'action de la Médiation est donc double. Elle a un volet curatif, par lequel elle tente de réparer des relations dégradées par de mauvaises pratiques ; par le biais de la Charte, du label, et autour de Pacte PME, elle a aussi créé des outils préventifs qui tendent à modifier les comportements.

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