Intervention de éric Trappier

Réunion du 13 avril 2013 à 17h00
Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

éric Trappier, président-directeur général du groupe Dassault Aviation :

Je centrerai mon propos sur l'avenir de la filière de l'aviation de combat, c'est-à-dire sur le nEUROn. J'aborderai également la méthodologie de développement des coopérations européennes, ainsi que les aspects positifs et négatifs de ces dernières.

Dans les années 2000, pour contribuer au développement des bureaux d'étude et de l'avion de combat américain, le Joint Strike Fighter (JSF) développé par Lockheed Martin, les budgets de développement européens ont été sollicités avec force. Cette contribution s'élevait, pour la seule phase de la recherche et développement et de pré-industrialisation, à près de 8 milliards de dollars courants. Selon Richard Aboulafia, analyste des questions aéronautiques, ce projet avait deux objectifs : équiper les forces américaines et tuer l'industrie européenne de l'avion de combat.

Face à cette menace, en 2003, nous avons fait part au ministère de la défense de notre souhait de lancer un programme portant des développements technologiques permettant de maintenir la capacité de la France à développer un avion de combat. La direction générale de l'armement (DGA) et le ministère de la défense nous ont demandé que sa réalisation s'inscrive dans le cadre d'une coopération européenne.

Le pays le plus favorable à une telle coopération était la Suède, qui possédait une industrie aéronautique nationale qui fabriquait alors le Gripen. L'Allemagne, a finalement décliné l'offre, car elle souhaitait une coopération à 50-50 avec la France, tandis que notre pays, qui entendait conserver le leadership du projet, tenait à y avoir une part de 50 %, le reste se partageant entre les autres partenaires. Le Royaume-Uni a également décliné la proposition, jugeant qu'il convenait de se placer sous le parapluie américain – proposition cohérente avec la contribution de 3,7 milliards de dollars qu'il a apporté au programme du JSF.

L'Italie, l'Espagne, la Suisse et la Grèce ont, en revanche, répondu favorablement.

Dassault a ainsi conclu des accords avec Saab pour la Suède, Finmeccanica-Alenia pour l'Italie, EADS CASA pour l'Espagne, Hellenic Aerospace Industries pour la Grèce et RUAG pour la Suisse.

Ce démonstrateur technologique avait plusieurs ambitions : développer les compétences technologiques critiques à l'aéronautique de combat futur notamment celles liées à la furtivité et au vol non habité ou à l'emport d'armement en soute et mettre en place un laboratoire de coopération européenne selon des méthodologies permettant de maîtriser les coûts. La France assumant le rôle de nation-cadre, la DGA a été désignée comme agence exécutive, pilote du programme, et Dassault reconnu par ses partenaires, en termes de légitimité et de compétences, comme devant être le maître d'oeuvre.

En résumé, le projet du nEUROn poursuivait donc un double objectif : le développement des technologies liées aux drones assurant, outre le pilotage depuis le sol, la discrétion et la capacité de tirer des armes à partir d'une soute intégrée, et la mise en place d'une coopération innovante, avec des partenaires choisis en fonction de leurs compétences et non pas selon des arbitrages politiques.

Le budget hors taxes de l'élaboration de ce démonstrateur technologique a été fixé à environ 400 millions d'euros, dont la moitié fournie par la France. On peut comparer ce chiffre aux 8 milliards de dollars correspondant à la contribution de quelques pays européens au bureau d'étude de Lockheed pour le développement d'un avion de combat américain.

Les Britanniques ont, du reste, été associés au programme nEUROn, pour lequel a été choisi un moteur issu d'une coopération entre le Français Turbomeca et le Britannique Rolls-Royce. Plusieurs sociétés de chaque pays ont été impliquées – Thales en France et Saab, Ericsson et Volvo en Suède –, mais un industriel chef de file devait être désigné pour chaque pays.

L'absence de l'Organisation conjointe de coopération en matière d'armement (OCCAR) et de l'Agence européenne de défense (AED) dans ce programme s'explique d'abord par le fait que le nEUROn est un programme de recherche et technologie (R&T), et non pas un programme de développement opérationnel. La France ayant décidé d'être leader, elle a en outre considéré que la DGA devait être l'agence exécutive du programme, ce qui a été accepté par les autres partenaires. Au demeurant, l'AED n'existait pas encore en 2003. Enfin, l'équipe française a considéré que, le programme n'étant pas réellement un programme de développement opérationnel, le coût du recours à l'OCCAR n'était pas justifié au regard des objectifs.

Dans l'hypothèse où un programme opérationnel serait engagé, il me semble que le rôle de l'AED consisterait à établir une synthèse des besoins – car il est fondamental que les militaires s'entendent sur un besoin unifié comportant, à la rigueur, une ou deux variantes, afin d'éviter la multiplication des versions. Rien ne s'oppose non plus à ce que l'on recoure à l'OCCAR : cette décision relève des pouvoirs publics des pays concernés, qui peuvent tout aussi bien préférer recourir à la DGA ou à ses homologues.

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