Monsieur le ministre, nous avons bien pris connaissance de votre amendement de dernière minute abandonnant le tunnel des plus ou moins 20 % pour celui des plus ou moins 30 %. Mais quelle est votre intention, quelle interprétation le juge administratif devra-t-il retenir de l'intention du législateur ? C'est là un élément particulièrement important de notre débat.
Sur ce point, il ne doit pas y avoir de doute. Il me semble que notre intention, celle du Sénat, celle exprimée en première lecture par des amendements de l'opposition, mais aussi par des amendements socialistes – notamment un amendement de Mme la présidente de l'ANEM, proposant d'élargir le tunnel à plus ou moins 40 % –, va dans le sens d'une interprétation large, souple, de ces bases « essentiellement démographiques » que vous nous proposez d'adopter. C'est un point sur lequel nous attendons évidemment des précisions de votre part, monsieur le ministre.
Le troisième péché capital de votre texte est la paresse. Vous qui n'avez qu'un seul argument pour justifier le découpage brutal de nos territoires, celui du principe d'égalité devant le suffrage, vous n'hésitez pas à inscrire de nouvelles inégalités dans cette loi. Votre texte fige, en effet, des écarts de ratio entre le nombre d'habitants et le nombre d'élus ou de cantons d'un département à l'autre, qui n'ont rigoureusement rien à voir, et que rien, absolument rien, ne justifie, si ce n'est l'héritage et le poids du passé. En Lozère, par exemple, il y aura un conseiller départemental pour 2 900 habitants, contre un pour 57 000 en Seine-et-Marne. C'est la conséquence mécanique des nouvelles règles de ce projet de loi. Nous ne pouvons pas comprendre et accepter de voir figer ces écarts dans le marbre de la loi. Au contraire, nous estimons que les Français ont le droit d'avoir le même nombre de conseillers généraux à leur écoute, à leur disposition, proche d'eux, quel que soit le département où ils habitent. Nous considérons aussi que le poids électoral des conseils départementaux dans le collège électoral sénatorial aurait dû être rééquilibré à l'occasion de la rédaction de ce texte. Or, il sera de 1,6 % dans les départements alsaciens et de 10 % dans les départements de Corse. C'est un point sur lequel vous ne nous avez donné aucune explication.
Pour plus de justice et d'équité – des thèmes qui vous sont chers, mes chers collègues – vous auriez dû faire le choix d'un tableau avec des effectifs par strates, comme il en existe un pour les effectifs des conseils municipaux, et comme il en existe des tas dans le code électoral ou dans le code général des collectivités locales, notamment dans les conseils généraux.
Le quatrième péché, c'est le mépris qu'exprime votre texte envers les élus locaux : sous couvert de parité, ce sont probablement 3 000 conseillers généraux qui vont être renvoyés dans leurs chaumières. Ce sont des élus bien identifiés par les citoyens – on ne peut pas en dire autant des conseillers régionaux, par exemple –, dévoués à la chose publique et dont la vocation est d'administrer en proximité des territoires auxquels ils sont profondément attachés.
Si cette décision s'inscrivait dans un effort de rationalisation des effectifs d'élus locaux, nous pourrions comprendre ce qui serait un geste courageux, mais il n'en est rien puisque, dans le même temps, vous recréez plus de 1 800 conseillers régionaux qui, au terme de la réforme territoriale, avaient disparu, mais qui trouvent grâce à vos yeux parce qu'ils sont désignés par les partis politiques.
Vous donnez au passage une magnifique illustration de ce que doit être un élu à vos yeux : un apparatchik représentant un parti politique avant de représenter un territoire. C'est cette vision que vous voulez promouvoir avec la proportionnelle ou votre projet de réforme du cumul des mandats. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Vous commettez votre cinquième péché capital en cassant ce lien simple et compréhensible entre le conseiller général et ses électeurs, que permet le scrutin majoritaire uninominal à un tour, pour le remplacer par un système électoral illisible : le scrutin binominal. Un homme et une femme, solidaires dans leur campagne électorale, pouvant siéger, en revanche, sur des bancs différents après leur élection et susceptibles d'être candidats l'un contre l'autre au terme de leur mandat. Comment l'électeur peut-il comprendre quelque chose à ce système parfaitement inintelligible ?