Effectivement, les ménages paient pour la compétitivité des entreprises allemandes. Pourtant, lorsqu'on regarde précisément les données Eurostat, l'électricité reste moins chère pour les entreprises françaises que pour les entreprises allemandes. Des accords de branche particuliers, ne figurant pas dans ces données, viennent peut-être s'ajouter et permettre à certaines industries électro-intensives de payer contractuellement leur électricité moins chère. Mais l'écart entre le tarif « entreprises » et le tarif « ménages » est plus élevé en France qu'en Allemagne : notre voisin accepte davantage de faire payer les ménages pour la santé de ses entreprises.
S'agissant de la politique et de la fiscalité foncières dans notre pays, notre littoral doit affronter une poussée urbanistique sur tous ses segments – pour des raisons d'héliotropisme, de préférences des personnes retraitées, d'attractivité locale, etc. La « loi littoral » est donc attaquée de toutes parts. Cela ne signifie pas qu'il faille s'abstenir de construire à tout endroit du littoral : il me semble notamment que les communes d'arrière-littoral bénéficient d'un report d'urbanisation – et donc de recettes supplémentaires de fiscalité sur le bâti – du fait des contraintes de constructibilité limitée pesant sur les communes littorales. Ne pourrait-on pas, dès lors, imaginer une solidarité financière entre ces communes ? L'un des articles de la loi prévoit d'ailleurs bien que celle-ci s'applique non seulement aux communes littorales, mais également aux communes « qui participent aux équilibres économiques et écologiques » du littoral : le décret d'application de cette disposition n'a jamais été publié… Soit on étend, éventuellement de manière allégée, tout ou partie des dispositions de la « loi littoral » à ces communes – mais cela semble difficile ; soit on organise une forme de solidarité entre les unes et les autres.
Le récent référé de la Cour des comptes n'apporte rien de véritablement nouveau. La seule information qui m'ait parue intéressante, d'ailleurs peu relevée par la presse, tient à l'évaluation du montant des dépenses fiscales liées aux énergies fossiles. Dans les documents diffusés par le ministère des finances en annexe au projet de loi de finances, celui-ci évalue ces dépenses à 5 milliards d'euros. Dans mon ouvrage, j'avais abouti à un chiffrage de 22,5 milliards d'euros, considérant notamment qu'il fallait inclure dans la dépense la dispense de taxation du kérosène ou l'écart gasoil-essence. Dans son référé, la Cour me donne globalement raison.
Qu'attendre du Comité pour la fiscalité écologique (CFE) ? Ce n'est pas à moi d'y répondre, c'est plutôt le Président de la République qui attend des propositions… Je ne suis pas sûr, en revanche, d'avoir bien compris l'articulation de ses travaux avec ceux de la Conférence sur la transition énergétique : je pensais notamment que le sujet de la taxation de l'énergie, qui comporte des enjeux considérables, aurait été traité par celle-ci. Comment celle-ci pourra-t-elle se prononcer, par exemple, sur les obligations de rachat, alors que la question des tarifs de rachat sera prise en charge, quant à elle, par le Comité sur la fiscalité ? Beaucoup d'ONG s'inquiètent d'ailleurs que le CFE consacre l'essentiel de ses réflexions à la fiscalité de l'énergie, avec le risque de délaisser les autres sujets.
Comment assurer une cohérence interministérielle des politiques en faveur du développement durable ? Le rôle de la présente commission permanente de l'Assemblée nationale est d'ores et déjà très important. Mais je dois admettre que l'organisation ministérielle actuelle n'est pas satisfaisante sur ce point. En 2007, je n'étais pas favorable à la création d'un « grand ministère », eu égard au risque que se reproduise ce qui s'était déjà passé sous le ministère d'Ornano – c'est-à-dire que les grandes administrations du ministère de l'équipement (transports, routes, infrastructures) prennent facilement le dessus sur les autres. Quant au Commissariat général au développement durable, je ne crois pas qu'il soit judicieux de le positionner au sein du ministère chargé de l'écologie : il devrait être interministériel, être rattaché directement au Premier ministre et jouer un rôle similaire, dans son domaine, à celui joué par le secrétariat général aux affaires européennes (SGAE).
En réponse aux questions de Mme Laurence Abeille, je vous indique ma préférence pour une écofiscalité incitative, même s'il existe des cas où un mix est envisageable. C'est le cas notamment de la fiscalité des carburants, où l'élasticité-prix est croissante dans le temps : l'effet-rendement l'emporte dans un premier temps, avant que l'incitation ainsi introduite ne produise le changement attendu dans les comportements.
En matière d'immobilier, chacun sait qu'il manquerait huit cent mille logements en France et que le Gouvernement a fixé un objectif de cinq cent mille logements nouveaux par an – un objectif déjà affiché sous le précédent gouvernement. Ces chiffres sont répétés en boucle, alors que je n'ai jamais lu aucune étude sérieuse sur le sujet. La Fondation Abbé Pierre avait effectivement estimé en 2006 qu'il y avait entre sept cent et huit cent mille personnes mal logées en France ; ceci s'est transformé en un manque de huit cent mille logements, ce qui n'est pas du tout la même chose…
Par ailleurs, la France compte aujourd'hui 2,4 millions de logements vacants, dont 170 000 logements sociaux vacants. En dix ans, le nombre de logements vacants a augmenté de quatre cent mille. Le taux de logements vacants dans le parc social, qui était de 2,4 % en 2008, est passé à 3,7 % en 2011. Certains invoquent une augmentation des prix, due à l'absence de foncier. L'argument ne me convainc pas : l'augmentation des prix devrait en effet avoir pour conséquence une remise sur le marché de ces logements vacants, ce qui n'est pas le cas.
En d'autres termes, il ne faut pas se tromper de diagnostic : si la France manque de logements, il faut certainement en construire ; mais si les questions sont celles de l'adaptation du parc aux besoins, de la précarité énergétique, du manque de ressources de certains ménages, ce sont d'autres réponses et d'autres solutions qu'il faut apporter. Dans un cas, il faut des aides à la pierre ; dans l'autre, ce sont des aides à la personne. Dans un cas, il faut rénover l'ancien ; dans l'autre, il faut construire du neuf. Il me semble donc que nous sommes en train de nous engager, sous la pression d'un secteur professionnel qui a un intérêt objectif à soutenir la thèse de la nécessité de construire du neuf, dans une voie partiellement erronée – alors même que la rénovation de l'ancien est plus intensive en main d'oeuvre et plus intéressante d'un point de vue énergétique.
De surcroît, l'idée du choc d'offre foncière présente dans les mesures fiscales en faveur du logement annoncées récemment me semble réellement inquiétante. Si le mécanisme n'avait d'impact que sur la spéculation et les « dents creuses », j'y serais éminemment favorable. Mais comme il va également s'appliquer, dans 80 % des cas, à des terrains agricoles, et qu'il existe une forte tension foncière dans les régions PACA et Île-de-France, on risque de voir se développer les tentatives de déclassement de terres agricoles en terrains constructibles en vue de les faire échapper au nouvel impôt.
Ce qui se passe en province est que, pour échapper à ce nouvel impôt, certains propriétaires de terrains classés « AU », se battent pour leur faire retrouver leur statut d'espace agricole. Il y a donc là un vrai problème.
Jacques Krabal m'a interrogé sur le type de taxe à mettre en oeuvre pour obtenir les 3 milliards d'euros nécessaires au financement du CICE. Ma position est simple : il faut procéder en trois temps. Un : diminuer ou réformer les aides fiscales dommageables à la biodiversité, que j'évalue à 50 milliards d'euros par an, dont 22,5 milliards pour les énergies fossiles, pour des raisons d'efficacité, de baisse de la dépense et de simplification. Prenons un cas d'école. Dans l'hypothèse où le Gouvernement et les pouvoirs publics prenaient la décision de doter le secteur agricole de 10 milliards d'euros, il faudrait que cette manne se répartisse de la façon suivante : 60 % favorables à l'environnement, 20 % neutres et 20 % défavorables. Deux : il faut verdir les taxes existantes. Trois : il faudrait créer, si nécessaire, de nouvelles éco-taxes. Or la France s'entête depuis des années, à suivre une démarche rigoureusement inverse : elle ne réduit pas ses dépenses fiscales dommageables, elle ne verdit pas ses impôts existants, et elle crée, ou essaie de créer, avec plus ou moins de bonheur, de nouvelles éco-taxes. Cela complexifie le système.
Pour cette raison, et pour répondre à Philippe Plisson, je suis assez hostile à la création d'une taxe carbone. Chaque produit énergétique, sauf le kérosène, qui aurait de toute façon été exonéré, est déjà taxé. Les frappent en effet la TICPE, ex-TIPP, la TVA, et parfois d'autres taxes. Dans certains cas, notamment dans les zones urbaines où l'effet des polluants sur la santé est moins important, l'externalité négative est déjà internalisée dans le prix du litre de carburant sans plomb. Il est taxé à 250 euros la tonne de CO2. En revanche, pour le gaz naturel, le fioul lourd ou le charbon, cela n'est pas le cas. Rajouter une taxe nouvelle de 17 euros la tonne ne changera rien au problème : un produit, l'essence sans plomb, restera surtaxé, et les autres sous-taxés. Il faut donc que le prix soit différencié : si le prix de la tonne de carbone est de 35 euros, on est très au-dessus pour les supercarburants, et pas au niveau pour les autres sources d'énergie. Bien sûr, s'agissant du gazole, il faut intégrer les autres externalités négatives, en premier lieu les particules fines.
Je pense de plus qu'il reste politiquement plus aisé de manipuler le taux de taxes déjà existantes plutôt que d'en créer une nouvelle. Cela explique les trois échecs successifs de la taxe carbone : la tentative franco-allemande de 1998, celle du Gouvernement Jospin en 2000, et celle de 2009. Je suis frappé de constater, par ailleurs, que ce dernier échec a complètement occulté les cinquante mesures relatives à l'éco-fiscalité prises au cours du Grenelle de l'environnement, dont personne ne se souvient.
Charles-Ange Ginesy m'a interrogé sur l'éco-taxe poids lourds : je dirais qu'il ne s'agit pas d'une nouveauté, puisque le terrain a été préparé par une baisse considérable de la taxe à l'essieu, baisse à laquelle je n'étais pas favorable. A mon sens, il fallait en effet baisser la taxe à l'essieu au moment de la mise en oeuvre de l'éco-taxe poids lourds, afin d'éviter toute demande de contrepartie, inévitable si la baisse intervient dans un premier temps, avant l'introduction de la nouvelle taxe. Cet effet pervers a été renforcé par le délai de mise en place de celle-ci, qui a été bien plus long que prévu. Les poids-lourds ne payent pas leur coût externe : dégradation de la chaussée, pollution atmosphérique, bruit, congestion du trafic. De plus, ils bénéficient de rabais fiscaux importants sur le carburant.
Je vous rappelle que la route ne paye pas la taxe sur le foncier bâti, contrairement au rail. Renchérir le coût du transport routier revient donc à favoriser un report modal vers le fer, ce qui constitue précisément l'un des objectifs de notre politique des transports sur longue durée. Cela pose évidemment des problèmes sociaux, la structure productive des deux secteurs étant fort différente, avec d'un côté une grosse entreprise publique, et de l'autre une myriade de PME.
J'observe qu'un système comparable à l'éco-taxe poids-lourds fonctionne déjà, et bien, en Allemagne, en Suisse et en Autriche. Dans la Confédération helvétique, une augmentation de la productivité du secteur du transport routier a été constatée après la mise en place de la redevance sur le trafic des poids lourds liée aux prestations (RPLP) : les transporteurs ont obtenu en contrepartie l'autorisation de faire circuler des camions plus longs, et leur taux de chargement a été optimisé. Le secteur du transport routier en est en définitive sorti gagnant.
Pour répondre à Yannick Favennec, je dirai que, bien sûr, la question de la fiscalité pour la révolution énergétique est très importante : l'article 200 quater du Code général des impôts, relatif au crédit d'impôt, change tous les ans, et parfois plusieurs fois par an, avec des dispositions sur le toit, les fenêtres. Il reste très difficile à un particulier de savoir si la rénovation qu'il compte entreprendre va être rentable ou pas.
Mme Geneviève Gaillard a insisté sur les comparaisons européennes : je suis frappé de voir qu'elles sont parfois mal reçues, comme j'en ai fait l'expérience à l'occasion d'une intervention que j'ai faite très récemment devant le Conseil économique, social et environnemental, sur le thème « comment penser une fiscalité écologique qui puisse respecter, voire favoriser, la compétitivité des entreprises ? ». Alors que j'évoquais l'exemple allemand, plusieurs voix se sont élevées pour arguer qu'il n'était pas possible de comparer du point de vue de la fiscalité écologique nos deux pays, compte tenu du coût social considérable des réformes entreprises – et du nombre de travailleurs pauvres - sous le gouvernement Schröder outre-Rhin, réalité que par ailleurs je ne nie pas. Il me semble cependant difficile, dans une économie mondialisée, de raisonner dans un cadre franco-français.
Jacques Kossowski a relevé, et je partage son avis, les contradictions de la fiscalité écologique. On parle beaucoup de transition énergétique : or celle-ci suppose une augmentation du prix des énergies fossiles, afin de rendre rentables les travaux d'économie d'énergie ainsi que l'essor des énergies renouvelables. Mais cette augmentation porte en germe un problème social. On navigue donc constamment entre ces deux écueils, ce qui n'est pas le cas à l'étranger, puisque, lorsqu'on discute avec des anglais ou des allemands, ils considèrent qu'il y a deux politiques distinctes, la politique énergétique et la politique sociale. Le principe d'intégration du social dans l'ensemble des politiques publiques en France a été bien mieux respecté qu'en matière d'environnement. Vous parliez également de la péréquation qui existe en Ile-de-France. J'ai cité les zones littorales où elle pourrait s'appliquer, mais précisément, en région parisienne, elle pourrait s'appliquer à la taxe départementale sur les espaces naturels sensibles (TDENS), qui devrait à mon avis être régionalisée, compte tenu de l'existence du SDRIF et du fait que la moitié des départements qui en font partie sont extrêmement urbanisés. Cela permettrait à l'Agence des espaces verts d'agir dans ceux qui disposent encore d'espaces naturels. Je trouve par ailleurs regrettable que le département qui abrite la capitale n'ait pas décidé de lever cette taxe et fasse partie des deux ou trois au plan national qui ne l'ont pas fait. Une telle décision aurait valeur d'exemple. Mais je ne suis pas favorable à une obligation en la matière, la liberté des conseils généraux devant être respectée.
La question de Philippe Martin sur l'eau est pertinente. En effet, la directive européenne prévoit la récupération des coûts, mais en tenant compte - cette disposition ayant été introduite à la demande la France - des spécificités économiques et sociales des acteurs. Sa transposition en France n'a pas changé la donne : l'essentiel des contributions reste versé par les ménages, alors que le secteur qui en bénéficie le plus, l'agriculture, en verse proportionnellement beaucoup moins. Cette distorsion illustre le problème de la vérité du prix de l'eau, qui mériterait d'être regardé à la fois sur le plan quantitatif et qualitatif. Il est vrai que le sujet reste difficile, et les professions agricoles assez bloquées.
J'abonde dans le sens de Christophe Priou : nous assistons depuis dix ans - beaucoup plus tardivement qu'en Allemagne - à une prise de conscience générale sur les méfaits de l'étalement urbain, générateur de problèmes sociaux, environnementaux, et énergétiques. Les lois SRU, Grenelle et bientôt Duflot – j'en ai lu les orientations générales, que je trouve bonnes de ce point de vue là - fournissent plus d'outils pour densifier le tissu urbain, ce qui me paraît une excellente chose. En revanche, je ne comprends pas que subsistent des mesures fiscales qui vont dans un sens radicalement inverse. La mesure n° 5, parmi celles annoncées par le Président de la République, prévoit d'aider à la densification urbaine. Or il n'a pas été vu que la mesure n° 12 relative aux plus-values, dont j'ai déjà parlé, va dans le sens inverse. Peut-être qu'un Conseil général du développement durable (CGDD) interministériel pourrait relever ce type de contradiction.
S'agissant du SDRIF, qui va bientôt être publié, l'avis de l'Autorité environnementale, qui est public, a regretté que la consommation des espaces agricoles soit de 1 800 hectares par an. Or les récentes mesures annoncées vont aggraver cette consommation : à compter du 1er janvier 2014, 50 000 hectares de terrains non bâtis vont être assujettis au paiement de 50 000 euros de taxe sur le foncier. Impossible ! Les propriétaires vont immédiatement vendre.
Vous vous félicitez, Christophe Priou, du fonctionnement de la TDENS : mon jugement sera plus nuancé, compte tenu notamment des dérives, constatées par les chambres régionales des comptes, dans quelques départements, par exemple d'utilisation du produit pour financer des parkings. Les contrôles au cas par cas des chambres régionales des comptes devraient s'intensifier. Un autre problème naît de l'absence de définition de ces espaces naturels sensibles : il ne s'agit ni des espaces remarquables du littoral, ni ceux faisant l'objet d'arrêté de biotopes, ni des ZNIEFF, ce qui fait que certains conseils généraux favorisent ceux pertinents du point de vue de la biodiversité, d'autres du point de vue de leur intérêt paysager, d'autres, dans des départements fortement urbanisés, les espaces verts. L'ensemble manque de clarté. J'attire par ailleurs votre attention sur un arrêt du Conseil d'Etat peu connu qui marque clairement que l'ouverture au public est une nécessité seconde par rapport à la protection et au bon fonctionnement écologique de ces espaces naturels.
Je réponds à Jean-Jacques Cottel sur la taxe d'aménagement : la réforme de 2011 a été une bonne chose, même si l'inclusion de la TDENS brouille un peu le message. Je salue au passage l'instauration par cette même réforme du versement pour sous-densité que je considère comme extrêmement pertinent, même si son versement reste facultatif. Je crois que le Gouvernement de l'époque avait souhaité qu'il devienne obligatoire, au moins dans certains cas, mais qu'il avait reculé faute de disposer d'une majorité sur ce point. Je pense qu'il devrait devenir obligatoire, par exemple à proximité des transports collectifs en site propre (TCSP), afin de permettre à plus de personnes de disposer de transports en commun, ou dans les zones commerciales ou artisanales, où a lieu un véritable gâchis d'espace avec des constructions d'un seul niveau et des parkings en surface.
Jean-Pierre Vigier m'a interrogé sur la fiscalité européenne : comme vous le savez, l'Union dispose en la matière d'une compétence indirecte, comme la détermination du nombre de taux de TVA et des produits concernés, ce qui est loin d'être négligeable. J'attire votre intention sur deux directives : celle relative aux accises, et celle créant l'eurovignette, qui a été révisée en 2008, et qui permet d'inclure dans la tarification des infrastructures une partie des externalités (pollution de l'air, bruit et congestion). C'est une première, et l'action commune de la France et de l'Allemagne, qui sont des pays de transit routier, n'y est pas étrangère. Nous avons commencé à la transposer. Il faut avoir à l'esprit que 25 % de notre trafic routier est constitué de véhicules sous immatriculation étrangère qui ne payent de taxe à l'essieu et qui achètent leur carburant hors de nos frontières : nous subissons leurs externalités négatives sans qu'ils en supportent le moindre coût.
Mme Sophie Rohfritsch m'a interrogé sur les moyens d'agir contre la pollution de l'air. Le taux de la TGAP sur l'air reste extrêmement bas. L'exemple de la TGAP Nox est frappant : son taux a été fixé à 45 euros, puis le Grenelle a décidé, à juste titre, de son triplement, à 160 euros. Mais ce niveau ne permet pas de modifier les comportements : en Suède, la tonne de Nox est taxée à 5 200 euros, et cela ne pénalise pas les entreprises car cette manne leur est restituée selon une autre clé de répartition ! Il faudrait, pour qu'elle en intègre les externalités négatives, que son taux soit fixé en France à 7 700 euros. Cet exemple illustre notre choix d'une fiscalité de rendement en lieu et place d'une fiscalité incitative. Il n'en demeure pas moins que le produit de cette TGAP est affecté à l'ADEME afin de financer des actions de lutte contre la pollution atmosphérique.
Guillaume Chevrollier a pointé les défauts de l'éco-fiscalité et appelé de ses voeux sa révision dans le cadre d'une réforme fiscale globale : je ne peux que partager son avis. Je partage moins le qualificatif d'idéologique qu'il a décerné à cette fiscalité : agir par ce biais reste moins coûteux que d'agir par la réglementation, ce que les entreprises ont bien compris. On sait également que le coût de l'inaction en matière d'environnement est supérieur au coût de l'action : le rapport Stern, puis celui du Groupe d'étude économie des écosystèmes et de la biodiversité (TEEB) en 2010 sur la biodiversité, l'ont bien montré.
Je ferais une réponse nuancée à Yves Albarello : bien sûr, la mise en place d'une éco-fiscalité ne doit pas se faire au détriment de la compétitivité des entreprises. Si l'objectif est d'obtenir du rendement fiscal, il faut opter pour une assiette la plus large possible et pour un taux uniforme ; s'il est incitatif, il faut une assiette très précisément définie, et un produit de substitution. Cela explique la différence généralement constatée entre la fiscalité des carburants d'une part, et celle appliquée aux combustibles d'autre part. Pour les premiers on considère que la contrainte est moindre que pour les seconds, et qu'un substitut existe, même s'il n'est pas parfait : les transports collectifs, le vélo, etc. Aucun produit de substitution n'existe pour les combustibles. Par ailleurs, la fiscalité des combustibles, qui touche avant tout les catégories populaires, est davantage régressive socialement que celle des carburants, qui touche surtout les catégories moyennes.
Jean-Marie Sermier m'a posé la question de la modification des comportements je la pense possible. Je ne citerais qu'un exemple, issu d'une des réformes que j'ai eu à conduire, celui des lessives, sur lesquelles pèse une TGAP, qui était assez peu différenciée entre celles contenant moins de 5 % de phosphates, celles en contenant entre 5 et 30 %, et celles en contenant plus. On m'a présenté un dispositif d'actualisation qui ne prenait en compte qu'une variation tenant compte de l'inflation, que j'ai jugé tout à fait insuffisant. J'ai proposé une division par deux du taux pesant sur la première catégorie, une multiplication par deux pour la seconde, et un triplement pour la troisième. Evidemment, tout le monde, y compris au sein du ministère, m'a assuré à l'époque qu'un tel dispositif n'avait aucune chance de voir le jour, et une fois adopté, que son impact serait nul. En fait, les achats des deux catégories de lessive les plus phosphatées ont baissé de 80 % au terme d'un an de fonctionnement du nouveau barème. Comment expliquer un tel résultat ? Il existait un produit de substitution, c'est-à-dire des lessives peu ou pas phosphatées, et leur prix a baissé de façon significative, du fait du nouveau barème, de 50 %. Il s'agit là d'un mécanisme fiscal clairement incitatif : cela ne rapporte pas plus à l'Etat ex post. Un autre exemple est la TGAP sur les déchets, même si le système en vigueur est plus complexe.
A Martial Saddier, je répondrais qu'il existe plus de CO2 dans un litre de gazole que dans un litre de super, et que la puissance énergétique du premier est supérieur au second. En revanche, on émet moins de CO2 lorsqu'on roule dans un véhicule diesel, précisément parce qu'un litre de gazole permet de parcourir plus de kilomètres. Mais, lorsque vous allez à la station-service, vous n'achetez pas des kilomètres, mais des litres. Si on voulait taxer l'externalité carbone de la même manière pour les deux types de carburant, il faudrait que le diesel soit légèrement plus taxé que le super, ce qui n'est clairement pas le cas. Il existe des pays où les deux carburants sont taxés de la même manière : la Grande-Bretagne, la Suisse ; d'autres, comme les Etats-Unis, où le gazole est davantage taxé que l'essence.