Intervention de Laurent Fabius

Réunion du 11 septembre 2012 à 16h30
Commission des affaires étrangères

Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères :

Mon intervention sera en effet centrée sur la Syrie et le TSCG. Je sais que le très grave sujet du Mali et du Sahel vous intéresse particulièrement et je l'évoquerai donc à l'occasion de l'une de nos prochaines rencontres. La France est partie prenante dans la résolution de cette question préoccupante qui requiert beaucoup d'attention.

S'agissant de la Syrie, j'apporterai quelques coups de projecteur particuliers afin de ne pas répéter des éléments déjà connus.

Sur le terrain, comme vous l'avez souligné, madame la présidente, les résistants avancent, mais les forces du clan de M. Bachar el-Assad, soutenues par une force aérienne puissante de plus de cinq cents avions, ne reculent pas autant que nous le souhaiterions tous. Le territoire syrien est de plus en plus fragmenté : certaines zones, que nous appelons libérées, sont totalement sous le contrôle des résistants alors que d'autres restent sous la domination du clan de M. Bachar el-Assad, et le risque demeure que même les zones dites libérées subissent des attaques aériennes meurtrières. Il est terrible d'évoquer de telles statistiques, mais ce conflit cause la mort de cent à deux cents personnes chaque jour. Les parties en présence regroupent d'un côté le camp dirigé par M. Bachar el-Assad et composé de la partie alaouite de l'armée comprenant des forces spéciales mais ayant subi des défections plus nombreuses qu'avouées, de l'autre des personnes extraordinairement courageuses qui se battent avec un armement assez faible. Concernant les armes, les Russes et les Iraniens honorent les contrats d'armement passés avant le déclenchement des hostilités avec le régime. Les résistants réclament un armement plus puissant, notamment des missiles sol-air capables d'abattre des avions, dont ils ne disposent pas, malgré quelques aides encouragées par l'Arabie saoudite et le Qatar. La plupart de ces armes sont placées sous embargo.

Plus de trois millions de personnes sont touchées directement ou indirectement par ce conflit ; beaucoup, contraintes de changer de lieu d'habitation, sont maintenant des personnes déplacées en Syrie même. Quant à ceux qui ont franchi les frontières, ils forment une cohorte de plus de deux cent cinquante mille réfugiés. Certains sont entrés en Jordanie, ce qui pose des problèmes considérables à ce pays très pauvre qui a déjà dû accueillir de nombreux réfugiés dans le passé. Le camp jordanien principal, celui de Zaatari, a vocation à recevoir, à terme, cent mille personnes ; vous imaginez quelles peuvent être les conditions de vie dans un camp si vaste, installé dans le désert, en particulier pour les mères et les enfants en bas âge qui ne disposent que de très peu d'électricité, d'eau et de lait. Les réfugiés doivent, en outre, faire face à des infiltrations d'hommes de M. Bachar el-Assad.

Près de cent mille personnes se sont réfugiées en Turquie où elles sont accueillies dans de meilleures conditions. Cependant, la Turquie a fixé une limite au nombre de réfugiés qu'elle pouvait recevoir, arrêtant d'abord ce seuil à cinquante mille personnes avant de le porter à cent mille. Ce plafond ne doit pas s'entendre de manière rigide, mais son principe a été réaffirmé ; il explique l'idée, avancée par le gouvernement turc, de créer des zones tampon sur le territoire syrien, où seraient installées les personnes fuyant les combats. La proposition n'a pas eu de suite notamment parce que la question de savoir comment protéger de telles zones demeure irrésolue.

Au Liban, le gouvernement fait tout pour éviter la propagation de la « contagion » syrienne, car l'afflux de plusieurs milliers de réfugiés risquerait de déstabiliser un pays à la population composite – c'est d'ailleurs le dessein de M. Bachar el-Assad : ainsi un ancien ministre libanais de retour de Syrie a-t-il été arrêté alors qu'il transportait des explosifs. Certains éléments de l'armée syrienne nouvelle sont, par ailleurs, stationnés dans la région de Tripoli, au Nord du Liban, ce qui pose la question de l'intégrité du pays. En outre, ni la Jordanie ni le Liban ne pouvant accueillir les cinq cent mille Palestiniens de Syrie ; ils ont été encouragés à ne pas se déplacer, mais le problème est potentiellement considérable.

On trouve enfin, en nombre bien plus restreint, des réfugiés venus de Syrie en Irak et même à Chypre, en Grèce et en Italie. Le gouvernement chypriote a d'ailleurs amorcé une réflexion sur les conséquences qu'aurait un afflux plus important sur un territoire qui a déjà reçu des vagues d'immigration massives dans le passé. La situation des réfugiés est donc lourde de problèmes épineux en termes humanitaire, politique, de sécurité et d'équilibre des territoires qui les accueillent.

La France est au premier rang de l'action diplomatique et humanitaire. Ainsi, la conférence des Amis du peuple syrien, à laquelle ont pris part la moitié des pays du monde, s'est tenue le 6 juillet dernier à Paris. À la demande du Président de la République, je me suis rendu dans les camps de réfugiés à la mi-août. Alors qu'elle présidait en août le Conseil de sécurité des Nations unies, la France l'a convoqué, à raison me semble-t-il, pour aborder les questions humanitaires ; à cette occasion, des efforts financiers supplémentaires ont été demandés. Répondant à mon invitation, le Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, M. António Guterres, et quatre ministres représentant les gouvernements jordanien, libanais, turc et irakien sont venus témoigner, dans des termes extrêmement forts, de la situation des réfugiés. M. Lakhdar Brahimi a récemment été nommé représentant spécial conjoint pour la Syrie de l'ONU et de la Ligue arabe. Pleinement conscient de la difficulté de sa mission après l'échec de celle conduite par M. Kofi Annan, il souhaite agir sans préjugés. Cela étant, la Russie et la Chine ayant par trois fois opposé leur veto à des projets de résolution, le blocage du Conseil de sécurité demeure.

La France entretient des contacts diplomatiques avec l'ensemble des parties à l'exception des gouvernements syrien et iranien. Je suis en particulier fréquemment en relations avec mon homologue russe, Sergueï Lavrov, que je rencontrerai la semaine prochaine à New-York, à l'occasion de la session de l'Assemblée générale des Nations Unies, afin d'étudier les avancées qui peuvent être réalisées dans l'esprit de ce qui avait été entrepris à Genève, où un projet de texte qui avait reçu l'approbation des cinq membres permanents du Conseil de sécurité n'avait pas pu être voté en raison de divergences d'interprétation. Je me rendrai les 17 et 18 septembre en Égypte afin d'évoquer la création récente d'un groupe de contact sur la Syrie composé de l'Égypte, de l'Arabie saoudite, de la Turquie et de l'Iran. Nous sommes évidemment en contact avec nos amis britanniques et américains pour réfléchir à de prochaines étapes.

Le Président de la République a encouragé le rassemblement de toutes les forces de l'opposition au régime de M. Bachar el-Assad. Dans cette optique, nous travaillons avec le Conseil national syrien, l'armée nouvelle et d'autres organisations, en n'ignorant rien des difficultés d'un tel rapprochement, compliqué par le fait qu'aux dissensions entre les mouvements de l'intérieur s'ajoutent celles qui existent entre les éléments de l'intérieur et ceux de l'extérieur. La Ligue arabe - notamment le Qatar et l'Arabie saoudite - joue également un rôle très important. Si l'opposition parvient à se rassembler de la manière la plus large et à constituer un gouvernement provisoire représentatif garantissant le respect de de toutes les communautés, la France le reconnaîtra le moment venu – mais la difficulté de la tâche fait que l'on n'en est pas là.

Parallèlement à ces initiatives, un travail de prospective sur la transition, la nature des actions à mener une fois la Syrie libérée du joug de M. Bachar el-Assad, est conduit en Allemagne, au Royaume-Uni, aux États-Unis et en France. La France s'attache également à conforter la situation des zones libérées, notamment sur le plan administratif ; notre remarquable ancien ambassadeur en Syrie, Eric Chevallier, s'y emploie. À la demande de livraison de missiles permettant de détruire des avions qui nous a été adressée, nous avons répondu que nous respecterions l'embargo décrété par l'Union européenne ; en revanche, nous avons fourni des instruments de communication cryptée, des jumelles permettant de voir dans l'obscurité et d'autres matériels de ce type. Notre position sur les armements s'explique par le respect de l'embargo, mais aussi par la difficulté éprouvée à s'assurer qu'ils ne tomberont pas entre des mains qui les utiliseront, quelques semaines ou quelques mois plus tard, pour abattre un avion français.

Enfin, nos services ont favorisé certaines défections.

Pour résumer, nous tentons de travailler dans les zones libérées, de rassembler l'opposition et de rapprocher les différentes positions sur le plan diplomatique. Mais, de notre point de vue, aucune solution n'est possible si M. Bachar el-Assad reste en place.

J'en viens au traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l'Union économique et monétaire - le TSCG. J'aimerais, pour commencer, rappeler le contexte dans lequel vous allez examiner ce texte. La semaine dernière, la Banque centrale européenne a pris une décision, annoncée par son président, Mario Draghi, fort intéressante. Demain, le 12 septembre 2012, le Tribunal constitutionnel allemand rendra son jugement, crucial, sur la conformité du TSCG à la loi fondamentale. Le travail conduit par la troïka en Grèce, qui semble demander plus de temps qu'il n'était prévu, débouchera sur un rapport qui est un préalable à la prise de nouvelles décisions par l'Union européenne. M. Herman Van Rompuy, président du Conseil européen, publiera sous peu son rapport d'étape sur l'architecture future de l'Union européenne. L'Espagne connaît de grandes difficultés financières mais n'a pas encore émis de demande de soutien auprès de l'Union européenne. Même si l'Italie a vu sa situation s'améliorer, celle-ci demeure fragile face aux marchés financiers. Enfin, la République de Chypre, dont la situation économique n'était pas mauvaise, se trouve dans une situation abracadabrante : parce que les banques allemandes, alors que la crise grecque était déjà déclenchée, ont vendu plusieurs milliards d'euros d'obligations grecques aux banques chypriotes, ce qui a précipité leur faillite. Le Gouvernement chypriote a dû les nationaliser, et cela a entraîné une telle dégradation des finances publiques que Chypre a dû se résoudre à demander l'aide de l'Union européenne.

Au milieu du mois d'octobre, un Conseil européen pourrait régler la question de la Grèce, à la condition que le rapport de la troïka lui ait été remis – ce qui semble peu probable à ce stade. Ce Conseil se penchera aussi sur la question de l'union bancaire, sur la base du rapport du commissaire européen Michel Barnier. Ensuite, un Conseil européen spécial pourrait être organisé en novembre afin de trancher les questions grecque et espagnole avant que les perspectives financières pour la période 2014-2020 ne soient étudiées au mois de décembre.

Dans ce contexte européen troublé, que l'on estime le texte du TSCG admirable ou critiquable, son rejet aurait pour conséquence de tout faire voler en éclats. J'insiste sur ce point à l'attention des parlementaires qui émettent des réserves sur le traité : un texte vaut certes par lui-même mais il doit également être apprécié en fonction du contexte dans lequel il est présenté.

L'accord budgétaire qui a été trouvé est équilibré par un volet sur la croissance qui, grâce aux effets induits, s'élève à 250 milliards d'euros et non, seulement, à 120 milliards. Autant dire que l'effet récessif du traité évoqué par certains n'est pas à redouter. Par ailleurs, la question de savoir si les règles budgétaires devraient être inscrites dans la Constitution a été tranchée par le Conseil constitutionnel : c'est « non ». Dans le contexte extrêmement délicat que nous connaissons, un vote négatif sur le traité budgétaire ferait tout voler en éclats, alors même que le texte respecte les engagements du Président de la République, tant sur le plan constitutionnel que sur celui de la dynamique de croissance. Outre que le Conseil constitutionnel, en jugeant que la ratification du traité ne demande pas de révision constitutionnelle, a fait pièce à l'assertion selon laquelle le traité amoindrirait la souveraineté nationale, il faut se garder de toute confusion : si la France est amenée à faire des efforts de discipline budgétaire, ce n'est pas à cause du TSCG mais en raison de la situation objective dans laquelle elle se trouve. D'ailleurs, le traité n'est pas incompatible avec une politique de croissance. Contrairement à une idée reçue, la limite de 0,5 % de déficit public autorisé par le traité n'est pas plus exigeante que celle prévue dans le traité de Maastricht, puisqu'il s'agit cette fois de déficit structurel – corrigé, donc, du déficit conjoncturel. Le traité n'impose de contraintes ni sur le niveau de la dépense publique, ni sur sa répartition, ni sur la méthode à suivre pour revenir à l'équilibre. Enfin, la question du référendum n'a aucune pertinence, les Français ayant élu un Président qui avait clairement exprimé sa position à ce sujet durant la campagne électorale.

Je conclurai en résumant mon propos. S'agissant de la Syrie, j'ai constaté, en présidant le Conseil de sécurité des Nations Unies, que les États-Unis étant tout à la campagne électorale, c'est la France qui est aujourd'hui en pointe sur la question syrienne. Cette implication, parfois ignorée dans notre pays, est en revanche saluée par le président du Conseil national syrien et par les représentants des réfugiés. Et lorsque les ministres des affaires étrangères de l'Union européenne se sont retrouvés à Chypre la semaine dernière, c'est à la France que l'on a demandé de présenter le point de l'ordre du jour consacré à la situation syrienne. Il ne s'agit pas d'en tirer gloire, mais de reconnaître que la France fait ce qu'elle doit.

Pour ce qui est du traité budgétaire, la situation demeure délicate. La BCE a annoncé un plan de rachat illimité, sur le marché secondaire, des titres de la dette publique des États européens qui en feront la demande au Mécanisme européen de stabilité. Inenvisageable il y a quelques années, cette décision montre que le pragmatisme a prévalu. Il reste à savoir quel avis rendra, demain, la Cour constitutionnelle de Karlsruhe sur le mécanisme européen de stabilité et sur le pacte budgétaire, et si elle décide que la demande des États doit être assortie de conditions supplémentaires ; le dispositif et la réponse des marchés en seraient modifiés.

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