Intervention de Laurent Fabius

Réunion du 11 septembre 2012 à 16h30
Commission des affaires étrangères

Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères :

S'agissant, madame la présidente, de l'aide que nous apportons aux zones libérées en Syrie, elle est matérielle et pratique : assistance aux hôpitaux, nourriture, argent. Lors de la réunion du Conseil de sécurité du 30 août, la France et d'autres pays ont dégagé quelques millions d'euros supplémentaires pour ces zones, qui préfigurent l'administration future de la Syrie. Nous allons poursuivre notre aide et la compléter par une assistance administrative et en matière de formation.

Il convient en effet, madame la présidente, d'améliorer le contrôle démocratique au sein de l'Union européenne, à mesure que l'union devient plus effective. Il s'agit notamment du contrôle réalisé par les parlements nationaux. Lorsque je présidais l'Assemblée nationale, j'avais déjà institué certains mécanismes à cette fin. Il faut désormais aller plus loin, en tenant compte toutefois d'une difficulté : il nous faut renforcer le contrôle démocratique sans pour autant instituer des procédures qui aboutiraient à bloquer le fonctionnement de l'institution. Ainsi, le Parlement allemand, vous le savez, exerce un pouvoir très important en matière européenne. S'il en allait de même dans les vingt-sept États membres de l'Union ou même dans les dix-sept États de la zone euro, nous ne pourrions pas prendre de décisions en temps utile. Nous devons trouver des procédures plus démocratiques, mais qui nous permettent d'être efficaces. Le Gouvernement formulera des propositions sur ce point et votre commission, si j'ai bien compris, fera de même.

La Turquie a en effet évoqué, monsieur Poniatowski, le concept de « zones libérées », mais c'était dans un esprit légèrement différent : il s'agissait de permettre que les réfugiés puissent s'arrêter dans certaines zones du territoire syrien sans avoir besoin d'entrer en territoire turc. La Turquie a alors proposé la notion de « zone tampon », qu'elle n'a d'ailleurs pas nécessairement reprise par la suite, y compris lors de la réunion du Conseil de sécurité que j'ai présidée le 30 août.

À cet égard, la presse a fait un commentaire inexact sur le niveau de participation à cette réunion. Plusieurs ministres étaient présents à mes côtés, notamment mes collègues britannique, marocain et colombien. Mme Clinton était absente, mais représentée par Mme Susan Rice, qui a rang de ministre. Le ministre russe n'y a pas participé non plus. En revanche, les ministres turc, libanais, jordanien et irakien, que j'avais invités, se sont joints à la réunion, de même que M. Lakhdar Brahimi et M. António Guterres.

M. Lellouche s'est livré, très aimablement, à un exercice de politique extérieure en chambre. La France est un grand pays, mais elle n'a pas le pouvoir de faire venir les Russes, les Chinois et les Américains à résipiscence en sifflant. C'est certes dommage, mais là réside la différence entre une politique étrangère apprise dans les livres et une politique étrangère réelle.

Pour revenir à la question de M. Poniatowski, on parle désormais beaucoup moins de « zone tampon ». Lorsque nous avons étudié la question, deux éléments nous sont apparus. Premièrement, la base légale internationale fait défaut : le Conseil de sécurité n'a pas, à ce jour, adopté de résolution sur la Syrie et l'article 5 du Traité de l'Atlantique Nord ne peut être invoqué, aucun pays de l'OTAN n'étant attaqué. Or la France a pour principe de n'intervenir que dans le cadre de la légalité internationale. Deuxièmement, instaurer une zone tampon impliquerait de disposer de capacités suffisantes pour assurer la protection de l'espace aérien, et il ressort des analyses militaires que ces capacités représenteraient quatre à cinq fois celles qui ont été déployées en Libye. De plus, les Américains et les Britanniques ne sont pas prêts à participer à une telle opération. La conclusion apparaît évidente à ce stade.

J'ai donc trouvé particulièrement pertinente la réaction de l'ancien Premier ministre, M. Fillon, déclarant, lorsqu'une personnalité a proposé que la France passe à l'offensive en Syrie, que ce serait une erreur stratégique majeure. Cela dit, une bonne politique étrangère doit s'adapter aux réalités et nous n'avons, je le répète, aucun tabou.

Avec la Russie et la Chine, nous avons des contacts fournis. Nous sommes en permanence en relation avec nos collègues russes, bien que nous soyons en désaccord : j'ai dépêché à Moscou le directeur d'Afrique du Nord et du Moyen Orient, qui a rencontré son homologue russe ; le vice-ministre russe compétent était présent à Paris cette semaine. Nous faisons notre possible. Nous avons également des discussions avec les Chinois.

M. Vauzelle a relevé avec raison notre présence en Jordanie. Nous y avons installé un hôpital destiné aux blessés très graves. Le roi de Jordanie nous en a remerciés. Les blessés nous sont également reconnaissants. Nous ne pouvons pas mettre en place de dispositif analogue dans d'autres pays. Pour sa part, la Turquie a déjà dépensé plus de 350 millions d'euros pour les réfugiés syriens, ce qui est hors de portée pour un pays comme la Jordanie, qui est sous le contrôle du FMI.

Il convient, pour éviter que le conflit ne se propage au Liban, de soutenir les efforts du Président Michel Sleiman et du Premier ministre Nagib Mikati dans le cadre du dialogue national. Étant donné la composition du Liban, la tâche est compliquée. De plus, le clan Assad fait tout pour favoriser cette contagion. Même si elle ne joue pas de rôle direct dans l'affaire syrienne, nous avons réaffirmé la présence de la FINUL, pour éviter des difficultés supplémentaires, entre le Hezbollah et Israël.

Mme Fort a cru déceler une baisse du crédit de la France sur la scène internationale. Je ne suis certainement pas le mieux placé pour en juger, mais ce n'est pas mon sentiment à la lumière des derniers développements à propos du dossier syrien. Observons l'attitude – mon propos n'est pas de la critiquer – des autres pays : les Britanniques sont, comme nous, actifs ; les Allemands aident sur le plan humanitaire, mais sont plus discrets sur les autres volets ; les Américains souhaitent, d'un côté, faire preuve de fermeté, mais, de l'autre, ne veulent pas s'engager en Syrie, y compris en matière de livraisons d'armes ; nous avons déjà parlé des Russes et des Chinois. Si vous considérez les cinq membres permanents du Conseil de sécurité, la France se distingue. Lorsque la Ligue arabe, de manière très opportune, nous demande de nous associer à ses efforts ou que M. Lakhdar Brahimi, le Conseil national syrien, le Président égyptien Mohamed Morsi nous sollicitent, je ne vois pas là la marque d'une perte de crédit de notre pays.

Je partage votre regret, monsieur Amirshahi, concernant l'échec de la mission de M. Kofi Annan. S'agissant des scénarios pour « l'après-Bachar », nous participons à une série de réunions à ce sujet : avec la Ligue arabe, avec nos amis allemands, aux États-Unis, ici même. Nous devons nous y préparer. Il nous faut répondre à l'argument souvent avancé par les Russes : Bachar el-Assad est certes un dictateur, mais qu'aurons-nous après lui ? Pour cette raison, il importe d'avoir des contacts avec l'ensemble des acteurs en Syrie. Or aucun pays ne dispose de ces contacts autant que nous.

Pour répondre à la question de M. Schneider, nous travaillons depuis un certain temps déjà avec les Afghans, même si cela n'a pas été rendu public. J'ai donné mon accord pour que se poursuive le processus engagé par le gouvernement précédent à Chantilly. En outre, vous avez autorisé la ratification du traité d'amitié entre la France et l'Afghanistan. Nous procédons actuellement au retrait de nos forces et la France sera l'un des pays qui contribueront, si c'est possible, à une pacification de l'Afghanistan. Toutefois, la tâche est ardue. D'une part, la situation en Afghanistan est en elle-même très complexe. D'autre part, comme vous le savez, la solution au problème afghan se trouve autant dans les pays voisins – Pakistan, Inde, Iran – qu'en Afghanistan même. Nous faisons tout notre possible, mais personne ne peut garantir le résultat.

Votre comparaison, monsieur Myard, entre la situation en Europe et la situation en Syrie surprend. Quant aux rebelles – que j'appelle pour ma part résistants –, ce sont, pour l'essentiel, des Syriens ordinaires, des patriotes qui veulent vivre librement, dont les proches sont assassinés, qui constatent le sort réservé aux médecins – 70 médecins tués, 700 portés disparus – et qui en ont assez. Cependant, on dénombre aussi parmi eux, en nombre croissant à mesure que le conflit s'installe dans la durée, des combattants moins recommandables : djihadistes, Iraniens et autres. Cela renforce la nécessité d'accélérer, autant que possible, la résolution du conflit. À défaut, les oppositions confessionnelles et sectaires risquent d'être exacerbées. Mais personne n'a de solution miracle.

Pour répondre à la question de M. Destans, nous avons également des contacts avec la Chine, moins directement engagée que la Russie, qui livre des armes. Les deux pays partagent cependant le sentiment d'avoir été floués dans l'affaire libyenne, par l'interprétation qui a été faite des résolutions du Conseil de sécurité. Ils estiment également que le Conseil de sécurité n'est pas fondé à intervenir pour résoudre un conflit interne – ce à quoi nous répondons qu'il ne s'agit plus d'un conflit interne. Nous faisons le maximum auprès des Chinois qui, de leur côté, n'en rajoutent pas, mais qui ont tout de même opposé leur veto, comme les Russes.

Concernant la coordination européenne, mon collègue italien et moi avons obtenu à Chypre, le week-end dernier, que les Européens décident d'augmenter assez sensiblement leur aide humanitaire. Les propositions que j'avais formulées avec quelques autres collègues et dont j'étais le rapporteur ont été adoptées par la totalité des vingt-sept États membres de l'Union, ce qui n'est pas la trace la plus manifeste de la perte de crédit de la France.

S'agissant de la taxe sur les transactions financières, il faut, vous le savez, réunir neuf États membres pour la mettre en place. Nous sommes en train d'obtenir, en liaison avec les autorités compétentes, les accords de nos collègues. Il y a encore des discussions sur l'assiette, mais nous pensons que la taxe verra le jour telle que nous la souhaitons.

Je crois déceler une rupture logique dans le propos de M. Dupont-Aignan : la situation de la Grèce ou de l'Italie n'est pas imputable au traité que nous allons vous demander de nous autoriser à ratifier ; c'est même le contraire s'agissant de l'Italie. La situation de cette dernière est paradoxale : elle est massivement endettée, en raison de la très mauvaise gestion de M. Berlusconi notamment, mais elle présente un solde primaire excédentaire. Or, si l'on considère la notion de déficit structurel et non la règle des 3 % qui concerne le déficit courant, la situation de l'Italie apparaît meilleure. C'est d'ailleurs également le cas pour la France.

En ce qui concerne la Cour de justice, je me permets de vous renvoyer, monsieur Dupont-Aignant, à l'article 8 du traité, qui stipule que la Cour est compétente pour contrôler le respect de l'obligation de transposer la règle de l'équilibre budgétaire. Ainsi, la Cour pourra, si elle est saisie, juger si l'inscription par la France de cette règle dans la loi organique était ou non adaptée. De ce point de vue, nous sommes d'une certaine manière couverts par la décision du Conseil constitutionnel. En revanche, la Cour n'est absolument pas compétente, contrairement à ce qui est parfois avancé, pour statuer sur la conformité des décisions budgétaires que vous allez prendre.

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