…et je me retrouve donc doublement en famille aujourd'hui, avec notre collègue auvergnate, Mme Saugues.
Nous sommes conviés à examiner en deuxième lecture ce texte adopté par notre assemblée voici plus de deux ans, en novembre 2010, et que le Sénat n'a adopté que le 6 février dernier. Des raisons de calendriers sont sans doute à l'origine de ce long délai. Voici venu le jour de l'adoption : j'en suis d'autant plus heureux que je connais l'énergie, la rigueur et l'intelligence que ma voisine de circonscription a mises à cette élaboration législative. Elle y ajoute toujours la passion, mêlée d'une connaissance quasi encyclopédique, quand le sujet arrive dans la conversation.
Le transport aérien est sans conteste le mode de transport le plus sûr, devant le rail et la route. Nous prenons davantage de risques en montant dans notre voiture que dans un avion. Néanmoins, il faut bien rappeler que, même si le ratio est seulement d'un accident aérien pour 5,3 millions de vols, quand l'accident survient, quand la catastrophe aérienne se produit, les victimes sont extrêmement nombreuses. C'est, à chaque fois, un profond traumatisme et un drame insupportable.
La série d'accidents survenus en 2005 a entraîné une prise de conscience et conduit à s'interroger sur leurs causes. Le développement du transport aérien a été considérable au cours de ces dernières années, et ce mouvement est appelé à se poursuivre. Il s'est accompagné de la création de nombreuses compagnies, dont certaines pratiquent des tarifs de plus en plus bas. Les compagnies aériennes traditionnelles y viennent également, ce qui implique d'accroître le volume d'activité pour compenser la réduction des marges. Cela ne menace pas en soi la sécurité, dès lors que les compagnies concernées respectent les normes en vigueur.
Mais nous savons tous que dans un certain nombre de compagnies, on n'hésite pas à soumettre le personnel, et notamment les pilotes, à des rythmes de travail et à une diversification des tâches qui accroissent les risques de défaillance et d'accidents. Le rapport annuel de la DGAC de 2011 rappelait que 43 % des accidents avaient pour origine une erreur humaine. Le matériel lui-même, dans un certain nombre de pays, ne fait pas l'objet des contrôles qui devraient pourtant s'imposer.
De cette situation sont nées, en France et au niveau européen, des listes noires des compagnies aériennes, qui sont régulièrement mises à jour. Le règlement européen du 14 décembre 2005 et le décret français du 17 mars 2006 ont créé une obligation d'information des passagers. La proposition de loi qui nous est soumise vise à améliorer l'information des clients, dont le trajet utilise, dans son dernier tronçon, une compagnie « de bout de ligne », opérant des vols hors de l'Union européenne et figurant sur la liste noire européenne. Nous ne pouvons que nous féliciter de cette obligation d'information. Ce dispositif n'empêchera certes pas – nous en sommes tous conscients – des avions dangereux de voler et de transporter des centaines de passagers par jour.
En outre, dès lors qu'il s'agit des liaisons dites « de bout de ligne », il faut mesurer que les passagers n'ont souvent pas d'autre choix que d'emprunter des avions de compagnies figurant sur la liste noire faute d'alternatives fiables. De ce point de vue, si la responsabilité de la prise de risque pèse sur le passager, elle est limitée par l'absence d'alternative.
Le texte qui nous est soumis prévoit des sanctions pour défaut d'information. Cependant, ce ne sont pas les compagnies qui seront sanctionnées mais les tour operators et autres intermédiaires, ce qui réduit la portée de la dissuasion pour les compagnies peu scrupuleuses affrétant des avions dangereux et souhaitant plus que tout poursuivre leur business.
Le texte initial qui avait été présenté à l'Assemblée nationale prévoyait de sanctionner directement la commercialisation sur le sol français de billets d'avions « de bout de ligne » avec une compagnie figurant sur la liste noire. Rien ne nous interdit, dans l'exercice de notre souveraineté nationale, d'édicter une telle règle sur notre sol.
On nous rétorquera que cette mesure pourrait être contournée, via l'achat de billets par internet. Mais cela n'en aurait pas moins certains effets salutaires sur les choix des passagers et marquerait une volonté politique de ne pas céder à l'impuissance devant les effets de la mondialisation, au nom de laquelle tout serait permis.
Il conviendra aussi d'accompagner ce dispositif volontariste d'une démarche forte à l'échelle européenne, et je voudrais développer ce point.
Certes, une liste noire européenne des compagnies aériennes existe depuis 2006. Elle n'en demeure pas moins incomplète et de la complaisance existe à l'égard de certaines compagnies, comme ce fut par exemple le cas avec Yemenia.
Mais surtout, la libéralisation du secteur a été accompagnée d'une explosion de l'activité aérienne. Ainsi se multiplient les vols sur les mêmes itinéraires, dans une course aux tarifs bas qu'il faut bien compenser ailleurs, d'autant qu'on se doit maintenant presque partout de rémunérer des actionnaires qui en veulent sans cesse davantage. Si je n'avais pas évoqué la rémunération des actionnaires dans mon intervention, Mme Saugues aurait pensé que j'avais un problème aujourd'hui !
C'est pour l'essentiel par des économies sur la sécurité, les dépenses de maintenance et le personnel que se dégagent les marges. Cette tendance n'est pas présente uniquement dans les compagnies figurant sur la liste noire, mais également dans les compagnies low cost et les compagnies régulières.
Ces questions méritent d'être posées afin de trouver le cadre juridique approprié aux échelons européen et international de manière à contenir les dérives libérales et garantir un transport aérien sûr et de qualité.
Nous avons d'autant plus de raisons d'agir au niveau européen qu'à cette échelle-là le libéralisme est accompagné et relayé. Ainsi, l'agence européenne de la sécurité aérienne a publié le 1er octobre dernier sa proposition finale de réglementation sur le temps de vol des pilotes et navigants commerciaux. Selon plusieurs syndicats, ce texte met en danger la sécurité des vols et des passagers. La Fédération européenne des travailleurs des transports, qui représente plus de 100 000 navigants, a ainsi indiqué que les règles proposées : « vont forcer les équipages à voler plus de vingt heures sans repos approprié, et même sans une pause ».
La France s'honorerait de prendre des initiatives fortes afin d'exiger que soit mis un terme à cette libéralisation folle, en prenant les mesures qui s'imposent sur son territoire tout en portant le même message en Europe et dans le monde.
Bien évidemment, les députés du Front de gauche voteront sans hésitation cette proposition de loi. Tout ce qui contribue à renforcer la sécurité des vols et des passagers doit être pris en compte, notamment par une meilleure information.
Monsieur le ministre, madame la rapporteure, il reste toujours à faire. Il me faut bien terminer par une citation, et j'ai pensé à Paul Éluard : « L'oeuvre accomplie est oeuvre à faire car, le temps de se retourner, elle a changé. » Je ne doute pas que Mme Saugues reprendra cette citation à son compte, car je sais tout l'intérêt qu'elle porte à cette question de la sécurité dans les transports aériens. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)