Intervention de Christine Lazerges

Réunion du 3 avril 2013 à 14h00
Délégation de l'assemblée nationale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Christine Lazerges, professeure de droit privé et de sciences criminelles à l'université Paris I Panthéon-Sorbonne, présidente de la Commission nationale consultative des droits de l'Homme, CNCDH :

S'agissant de la prescription de l'action publique, la directive (article 9, alinéa 2) exige « une période suffisamment longue après que la victime a atteint l'âge de la majorité » pour que les infractions de traite puissent donner lieu à des poursuites. Or la traite n'est pas la seule modalité d'exploitation, il y a aussi le travail forcé par exemple. La CNCDH recommande donc d'étendre à l'ensemble des faits d'exploitation le bénéfice du report du point de départ du délai de prescription à la majorité de la victime, mineure au moment des faits.

En outre, la directive (article 11, alinéa 3) interdit de subordonner « une assistance et une aide à une victime à sa volonté de coopérer dans le cadre de l'enquête, des poursuites ou du procès pénaux. » Or en vertu de l'article L. 316-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA), « sauf si sa présence constitue une menace à l'ordre public, une carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" peut être délivrée à l'étranger qui dépose plainte contre une personne qu'il accuse d'avoir commis à son encontre les infractions visées aux articles 225-4-1 à 225-4-6 et 225-5 à 225-10 du code pénal ou témoigne dans une procédure pénale concernant une personne poursuivie pour ces mêmes infractions. Cette carte de séjour temporaire ouvre droit à l'exercice d'une activité professionnelle. En cas de condamnation définitive de la personne mise en cause, une carte de résident peut être délivrée à l'étranger ayant déposé plainte ou témoigné. »

Dans la proposition de loi que nous avions déposée en janvier 2002, et qui avait été adoptée par l'ensemble des députés socialistes et quelques membres de l'opposition, le verbe « devoir » était utilisé pour les victimes qui témoignaient ou déposaient plainte. Néanmoins, à la demande du ministre de l'Intérieur Nicolas Sarkozy en 2003, le verbe « pouvoir » lui a été substitué. Ainsi, l'obtention d'un titre de séjour renouvelable est subordonnée à la décision de l'autorité compétente (préfectorale) et conditionnée par le dépôt d'une plainte ou un témoignage dans le cadre d'une procédure pénale. La CNCDH suggère donc de revenir à la rédaction antérieure. Faute de modification du CESEDA, la réinsertion des victimes de la traite ne se fera pas. Or si les victimes de la traite restent en situation irrégulière, pratiquement aucun des dispositifs français ne leur sera applicable, ne serait-ce que la demande d'indemnisation devant les commissions d'indemnisation des victimes d'infraction (CIVI). De plus, le dispositif national d'accueil des victimes de la traite des êtres humains et du proxénétisme (mentionné à l'article R.316-8 du code pénal), qui accueille également les victimes en situation irrégulière, ne comprend qu'une quarantaine de places, ce qui est largement insuffisant. Enfin, il faut savoir que la France n'a délivré que 58 cartes de séjour aux victimes de la traite en 2009. Cette faculté n'est donc que peu utilisée.

L'article L.316-1 du CESEDA et les dispositions réglementaires correspondantes doivent donc être révisés pour donner toute sa portée à la directive.

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