Intervention de Jean-Claude Driant

Réunion du 27 mars 2013 à 17h00
Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Jean-Claude Driant :

Je vais traiter les sujets de gouvernance et de priorité d'allocation des aides.

En matière de gouvernance, le fait intercommunal prend un poids de plus en plus important. L'expérience des délégations des aides à la pierre montre que ce mouvement va dans la bonne direction, en dépit de certaines limites et de difficultés rencontrées par les délégataires. Il faut cependant continuer à travailler sur des points comme l'articulation des priorités des collectivités territoriales avec celles de l'État. Ces dernières sont souvent formulées en termes strictement quantitatifs et leur répartition géographique a peu de chances de coïncider avec les projections définies dans les programmes locaux de l'habitat (PLH). Le choc entre ces deux types d'objectifs est un des deux principaux problèmes. Le second vient de la difficulté de l'État à s'engager dans la durée sur les financements et donc à contractualiser sur plusieurs années avec les délégataires des aides à la pierre. Une piste pour faire évoluer l'articulation du local et du national pourrait être que ces aides relèvent des régions qui seraient les interlocuteurs de l'État. Une conférence de partenaires, ou un autre cadre de négociation à définir, déclinerait ensuite ces aides au niveau des intercommunalités. Il faut également trouver le moyen d'assurer un financement dans la durée pour éviter la répétition annuelle des avenants qui modifient constamment les règles du jeu.

Dernière observation sur la gouvernance : les réflexions sur la « remontée » des plans locaux d'urbanisme (PLU) au niveau intercommunal semblent avoir bien avancé. J'espère que cela se traduira bientôt dans les textes. En revanche, je suis plus perplexe sur la fusion des documents qui pourrait s'imposer lorsque le PLU est à la même échelle que le PLH. La fusion du PLU et du PLH - et même du plan de déplacement urbain (PDU) - risque de faire perdre de sa substance au plan local d'habitat (PLH). Un certain nombre d'acteurs craignent que cette fusion n'aboutisse à une concentration de problématiques traitées dans une logique strictement productiviste et que ce document n'y perde sa dimension stratégique. Il faudrait sans doute rouvrir la réflexion sur cette question.

Sur le sujet de la priorité d'allocation des aides, la grande question est le lieu de construction, surtout si on réaffirme l'objectif de logement social de 150 000 logements par an.

Aujourd'hui, on sort de la période binaire distinguant les zones tendues des zones non tendues, pour concentrer les efforts sur les premières. Cette vision était réductrice mais depuis, les points de vue ont évolué. Il faut arriver à prendre en compte les besoins de production qui sont différents des besoins en logement, eux-mêmes différents des niveaux de tension des marchés. Il s'agit de trois choses distinctes.

Il existe de multiples raisons de produire. Si je laisse de côté, même si c'est très important – quoique surtout au niveau local – la dimension économique de la production de logements, la première raison de produire résulte évidemment des déséquilibres entre l'offre et la demande : c'est là qu'on met en évidence les tensions ainsi que la priorité absolue pour l'agglomération parisienne. Mais il faut également éradiquer le « mal logement ». Les deux derniers rapports de la Fondation Abbé Pierre le démontrent clairement. Ce « mal logement » est présent partout sur le territoire avec des intensités et des modalités diverses qui pour certaines peuvent justifier – y compris dans des endroits où la tension du marché n'est pas aussi forte – des politiques de développement de logement social et des politiques de réhabilitation du parc social et privé en y injectant, pour une part, du logement social.

D'autres besoins de production sont liés à des enjeux de structuration ou de restructuration de l'offre sociale. J'ai travaillé sur des villes moyennes connaissant un contexte de faible croissance ou de crise économique mais dans lesquelles on ne peut parler de tension sur le marché du logement. Doit-on en conclure qu'il n'y a pas besoin d'y produire du logement social ?

Ce sont des villes dans lesquelles il y a des quartiers périphériques de logement social datant des années soixante-dix qui sont largement obsolètes même s'ils ont donné lieu, pour certains, à des actions de rénovation urbaine mais qui restent sans doute insuffisantes. On y trouve également des centres anciens abandonnés dans lesquels les dynamiques commerciales ont beaucoup reculé et où il serait nécessaire, en l'absence d'investissement privé, que le logement social joue un rôle. Cela ne signifie pas que dans ces villes on va vers un accroissement du nombre de logements sociaux. En revanche, produire pour remplacer et restructurer constitue un vrai enjeu. Et puis, dans un certain nombre de ces villes, y compris pour les plus grandes où le marché est faiblement tendu, l'investissement privé est absent. Cela engendre une absence ou une très mauvaise qualité de l'offre locative et de faibles capacités d'absorption des mobilités, des décohabitations des jeunes, des ruptures familiales qui trouvent plus facilement à se loger dans l'offre privée que dans l'offre sociale. Par ailleurs, cette absence d'investissement privé, du point de vue des politiques de l'urbanisme, entraîne mécaniquement, de l'étalement urbain. La production de logements devient uniquement le fait de ménages qui construisent leurs pavillons à la périphérie. Pour résumer, s'il n'y a pas de promoteurs immobiliers, il n'y a pas de densification, ni de production collective. Et s'il n'existe pas d'attractivité pour les investisseurs privés, il n'y aura strictement aucune production de logements. Cela exacerbe les problématiques urbaines : environnement, transports, place de la voiture. Dans ce contexte, le logement social peut se substituer à l'absence de dynamique de l'investissement privé.

Pour conclure, je dirais que je prêche pour un renouveau de l'acception, de l'analyse et de la connaissance des besoins en logement. Il faut sortir des approches strictement quantitatives de la plupart des programmes locaux de politique de l'habitat mais aussi dans des énoncés de politique nationale reposant sur des projections de l'accroissement du nombre de ménage. Les enjeux du logement vont bien au-delà : ce sont des enjeux urbains et des enjeux de résorption du « mal logement ». Cette rénovation de l'acception de la notion de besoin en logement tarde à s'imposer même si cela fait des années qu'on en parle.

Il devrait y avoir aussi une remise à plat des moyens de connaissances de la diversité des territoires pour définir les politiques nationales en matière de logement (via la mise en place, par exemple, d'Observatoire des loyers). L'État dans ses territoires déconcentrés a considérablement perdu en expertise depuis les années 1990, alors qu'elle y était très importante. Il ne faut pas oublier les collectivités locales et les intercommunalités. L'enjeu est donc une connaissance partagée, tant au niveau national qu'au niveau local et il y aurait, du point de vue de l'État, matière à inciter cette amélioration des outils de connaissance.

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