Intervention de Guy Geoffroy

Réunion du 17 avril 2013 à 9h45
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGuy Geoffroy, rapporteur :

Nous examinons aujourd'hui en deuxième lecture – mais la première sous cette législature – deux textes, un projet de loi organique et un projet de loi, destinés à mettre en oeuvre la nouvelle rédaction de l'article 11 de la Constitution. Issue de la révision de 2008, celle-ci institue ce que l'on a laissé appeler, à tort, le référendum d'initiative populaire, alors qu'il s'agit en fait d'un référendum d'initiative partagée. Près de cinq ans après son adoption par le Congrès, cet important dispositif – même si certains, à l'époque, le jugeaient insuffisant – n'est en effet toujours pas entré en application.

Les deux textes ont été déposés décembre 2010. Ils ont été adoptés par l'Assemblée nationale en première lecture un an plus tard, le 21 décembre 2011, puis à l'unanimité par le Sénat, le 28 février dernier.

Je rappelle que cette innovation constitutionnelle permet à un cinquième des parlementaires, soit 185 députés ou sénateurs, d'inscrire à l'agenda politique une proposition de loi qui, après avoir été déclarée recevable par le Conseil constitutionnel, devra recueillir le soutien d'un dixième du corps électoral, soit environ 4,5 millions de citoyens. Ce texte sera ensuite soumis à référendum, sauf si, dans le délai prévu par la loi organique, il a fait l'objet d'un examen par chacune des deux assemblées.

Si peu de parlementaires, à l'époque, avaient voté contre la nouvelle disposition constitutionnelle, l'opposition s'était alors largement abstenue, après l'avoir vivement critiquée et jugée insuffisante.

Les sénateurs ont pourtant fait preuve d'un tout autre état d'esprit, puisque, s'ils ont assez largement modifié la rédaction adoptée par notre assemblée, ils ont manifesté, en adoptant les textes à l'unanimité avec l'accord du Gouvernement, une intention indiscutable, celle de permettre au nouveau dispositif d'entrer rapidement en application. Étant à nouveau rapporteur de ces deux textes, comme je l'avais été en première lecture, j'ai donc considéré que, à moins d'une erreur manifeste d'appréciation du Sénat sur la volonté du constituant, il conviendrait de se diriger vers un vote conforme, de façon à confirmer cette intention.

Le Parlement ne dispose pas d'une très grande marge de manoeuvre pour élaborer le contenu d'une loi organique, laquelle est largement déterminée par le texte constitutionnel. Pour autant, le Sénat a apporté des modifications substantielles à la rédaction que nous avions adoptée en première lecture : un seul article, l'article 20 du projet de loi organique, relatif à sa date d'entrée en vigueur, a été adopté dans les mêmes termes. Certaines de ces modifications sont de pure forme, nos collègues de la seconde chambre ayant tendance à se considérer comme les seuls véritables juristes dans l'univers parlementaire. Mais ce n'est pas le cas de la première, consistant à instituer, par un article introduit par le Sénat – l'article 1er A –, un nouveau type de proposition de loi, la proposition de loi référendaire.

Le troisième alinéa de l'article 11 de la Constitution dispose que l'initiative d'un cinquième des membres du Parlement, soutenue par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales, « prend la forme d'une proposition de loi ». En première lecture, nous avions maintenu la distinction opérée par le texte initial entre l'initiative référendaire elle-même et la proposition de loi sur laquelle elle porte. Cela revenait à considérer que l'initiative pouvait concerner une proposition de loi déjà déposée. Or la rédaction du Sénat remet en cause cette interprétation – pourtant plus proche de l'intention du constituant –, ce qui est curieux.

Le Sénat a par ailleurs apporté un certain nombre de propositions utiles et pertinentes sur le contrôle, par le Conseil constitutionnel, de la recevabilité de la proposition de loi présentée en application de l'article 11 de la Constitution.

Nos collègues ont également modifié la procédure de recueil des soutiens, qu'ils ont voulue plus longue, plus ouverte et mieux encadrée sur le plan du financement. L'article 2 précise que ce recueil est assuré sous la responsabilité du ministre de l'Intérieur, et l'article 3 porte de trois à six mois la durée de la procédure, les sénateurs ayant estimé qu'un tel délai ne serait pas trop long pour recueillir quatre millions et demi de signatures. Toutefois, pour ne pas rallonger l'ensemble de la procédure, ils ont aussi réduit de douze à neuf mois le délai pendant lequel les deux assemblées doivent examiner au moins une fois la proposition de loi, faute de quoi celle-ci est soumise au référendum.

S'agissant d'un dispositif aussi moderne, il nous avait paru logique que les soutiens soient recueillis exclusivement par voie électronique. Nous avions ainsi prévu la mise à disposition du matériel adéquat dans chaque chef-lieu de canton pour faciliter le recueil des soutiens. De leur côté, les sénateurs ont jugé indispensable, en l'absence d'une couverture intégrale de notre territoire par le réseau internet, de permettre le recueil d'un soutien sur papier, de façon à éviter tout risque d'inégalité.

Le Sénat a également posé le principe du droit de consultation de la liste des soutiens, mais aussi complété et codifié les règles de financement de la campagne.

Nous avions prévu la création d'une commission de contrôle destinée à assumer l'important travail de vérification de la régularité des opérations de collecte des soutiens. Mais en dépit des dispositions que nous avions adoptées pour en garantir l'indépendance, nos collègues du Sénat ont estimé que ses moyens d'action risquaient de dépendre de la bonne – ou de la mauvaise – volonté du Gouvernement. Ils ont donc confié cette tâche directement au Conseil constitutionnel.

Dans le cas où la proposition de loi n'aurait pas été examinée par les deux assemblées dans le délai fixé par la loi organique, nous avions également prévu de donner quatre mois au président de la République pour la soumettre au référendum. Les sénateurs ont supprimé cette disposition, au motif qu'un tel délai n'est pas prévu par la Constitution.

Que faut-il conclure du travail effectué par la haute assemblée ? Pour ma part, j'estime important de faire aboutir le processus parlementaire sur ces deux textes, de façon à permettre au référendum d'initiative partagé d'entrer en application. Même si on peut le juger encore insuffisant, ce dispositif est en effet inscrit dans notre Constitution depuis déjà près de cinq ans. Un délai supplémentaire pourrait être interprété comme le signe d'une réticence du Parlement à donner à nos concitoyens une nouvelle occasion de s'exprimer, voire de décider à la place de leurs représentants. C'est pourquoi l'article 11 de la Constitution, dans sa nouvelle rédaction, doit entrer rapidement en vigueur.

Sur certains points, les modifications apportées par le Sénat sont bienvenues. Il ne me paraît, par exemple, pas gênant de rééquilibrer les deux principales étapes de la procédure, en ramenant à neuf mois la durée d'examen par les deux chambres et en prolongeant jusqu'à six mois la période de recueil des soutiens. De même, il est sage de prévoir la possibilité d'apporter un soutien sur papier, sans pour autant remettre en question le principe selon lequel la plus grande part devra prendre la forme électronique. Enfin, les règles relatives au financement me paraissent tout aussi pertinentes. D'une façon générale, nous ne devons pas prendre ombrage du choix fait par le Sénat de réécrire pratiquement tout le texte du projet de loi organique. Il convient avant tout d'être efficace.

Certes, sur d'autres points, le Sénat s'est peut-être montré un peu audacieux, comme lorsqu'il crée un nouveau type de propositions de loi, la proposition de loi référendaire. De même, il peut paraître contestable de confier exclusivement au Conseil constitutionnel la tâche de vérifier les soutiens, compte tenu de la charge de travail à laquelle il est déjà soumis, surtout depuis l'introduction dans le droit français de la question prioritaire de constitutionnalité. Enfin, on peut se demander ce qui arriverait si un président de la République négligeait de soumettre à référendum une proposition de loi non examinée par les deux assemblées dans le délai prévu. Pour toutes ces raisons, j'avais d'abord envisagé de déposer des amendements, non pas pour revenir au texte adopté en première lecture, mais pour améliorer la rédaction du Sénat. Mais compte tenu de l'encombrement de l'ordre du jour parlementaire, un vote en termes identiques me paraît finalement préférable.

J'ai pourtant cru comprendre que la majorité ne souhaitait pas s'engager dans cette voie. Cela me laisse perplexe, s'agissant de textes qui ont été adoptés à l'unanimité par le Sénat avec le soutien du Gouvernement – d'autant qu'au même moment, on veut nous faire adopter « conforme » un autre projet de loi, celui sur le mariage pour tous, qui est loin de recueillir un assentiment aussi large, et dont beaucoup des partisans s'accordent à juger qu'il mériterait au moins quelques ajustements.

Il est temps de mettre en oeuvre cette nouvelle disposition constitutionnelle, quitte à revenir un jour sur la loi organique afin d'y apporter les modifications que l'expérience aura permis de juger nécessaires.

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