Intervention de Didier le Bret

Réunion du 3 avril 2013 à 16h30
Commission des affaires étrangères

Didier le Bret, directeur du centre de crise du ministère des affaires étrangères :

Je vous remercie de votre invitation.

Le centre de crise que je dirige est l'enfant du Livre blanc de 2007, qui avait constaté que le coeur de métier du Quai d'Orsay que constitue la protection de nos compatriotes partout dans le monde faisait l'objet d'un traitement atomisé au sein du ministère, et suggéré de rassembler les morceaux épars du « puzzle » et de professionnaliser ce métier.

La réforme engagée à partir de 2008 a permis de réunir trois compétences : celle du secrétariat d'État à l'action humanitaire, devenu un service dédié à cette action et intervenant à la demande de pays victimes de catastrophes naturelles ou politiques ; celle de la direction des Français de l'étranger – qui existe toujours – touchant au suivi des dossiers individuels ; et celle de la cellule de crise chargée d'intervenir en appui de nos ambassades au moment où un événement pouvait mettre en danger la sécurité de nos compatriotes.

Au sein du centre de crise, le centre de situation constitue la tour de contrôle permettant d'avoir une vision globale de l'ensemble des pays, qu'il s'agisse de notre perception de la menace, de ses caractéristiques ou de sa localisation cartographique. Il donne aussi des informations à nos compatriotes partant à l'étranger, sachant que le flux annuel de ceux-ci a pratiquement doublé au cours des dix dernières années et que le nombre de Français expatriés s'est aussi considérablement accru, dépassant nettement le chiffre officiel de 1,5 à 2 millions que vous rappeliez.

Le deuxième pôle de notre action est constitué par le centre d'opération d'urgence, qui comporte deux branches. La première traite des affaires individuelles, qui sont souvent les plus sensibles et médiatisées – disparitions inquiétantes, morts subites ou otages. La seconde est consacrée aux réactions aux crises : elle me permet de dépêcher, en appui de nos ambassades, des personnes travaillant dans mon service ou faisant partie d'un « vivier » d'agents formés toute l'année. J'ai ainsi récemment envoyé en Centrafrique un petit groupe à cet effet.

Enfin, le troisième pôle de notre activité repose sur l'action humanitaire, qui permet, dans la limite des moyens disponibles, de mettre un certain nombre d'outils à la disposition des pays qui en font la demande. J'en ai été largement bénéficiaire dans mes fonctions d'ambassadeur à Haïti et ai pu mesurer à l'époque leur efficacité en termes de déploiement et de réactivité.

Pour que le centre de crise fonctionne, il faut qu'il soit ouvert aux autres acteurs de l'action d'urgence, à commencer par le ministère de la défense – nous sommes ainsi obligés de travailler en étroite liaison avec le centre de planification et de conduite des opérations (CPCO), nos plans d'évacuation pouvant parfois se confondre avec les plans d'évacuation militaire. De même, nous coopérons étroitement, pour la protection civile, avec le centre opérationnel de gestion interministérielle des crises (COGIC) du ministère de l'intérieur.

Mon ambition à terme est de poursuivre cette logique de façon plus institutionnelle, en ayant au centre de crise des agents de liaison pour chaque ministère.

Plusieurs réformes sont en cours.

La première concerne les fiches conseils aux voyageurs, qui constituent le seul service du Quai d'Orsay ayant obtenu une certification ISO 9001 – laquelle garantit les informations que nous rendons accessibles sur le site diplomatie. gouv. fr sur notre perception du risque dans le monde à l'appui d'une carte et d'un commentaire. 6,5 millions de visiteurs le consultent chaque année, dont 87 % se disent satisfaits.

Mais nous sommes victimes de notre succès, car cet instrument est un peu devenu un étalon à plusieurs usages : la Coface s'en sert par exemple pour savoir si elle va prendre en garantie tel ou tel projet et les assureurs pour graduer le montant des primes. Il est de ce fait surexposé et souvent considéré par les chefs d'État de pays avec lesquels nous avons des relations comme un instrument de mesure de la qualité de la relation bilatérale, ce qui suscite des pressions très fortes.

Ainsi, au lendemain de la prise d'otage de nos compatriotes au nord du Cameroun, nous avons été amenés à revoir notre appréciation sur le Bénin, ce qui a provoqué l'irritation du président Boni Yayi.

J'ai donc suggéré au ministre d'avoir une cartographie des menaces plus fine afin d'éviter le choix entre la zone jaune, où il n'y a pas de risque déterminé, et la zone orange, déconseillée sauf raison impérative. On voit l'impact qu'un tel choix peut avoir sur certains pays dont la sécurité est liée au développement, lui-même tributaire de leur capacité à attirer les flux touristiques.

Nous avons proposé de substituer aux trois couleurs existantes – jaune, orange, rouge – un code météo en quatre couleurs : le vert, pour les zones où le danger est maîtrisé ; le jaune, pour celles impliquant une posture de vigilance renforcée, mais où les flux touristiques ne doivent pas être empêchés ; l'orange, pour les zones déconseillées ; et le rouge pour celles qui le sont formellement et où il ne faut pas aller. Cela va nous aider à sortir de la « seringue » dans laquelle on s'est retrouvé – où soit on ne dit rien, soit on dit quelque chose et le pays concerné se retrouve d'emblée dans la liste noire – sans qu'il soit d'ailleurs aisé ensuite de l'en faire sortir.

Or nos ambassadeurs ont tendance à s'autocensurer pour atteindre leurs objectifs d'excellence dans la relation avec le pays où ils se trouvent. Il faut que le nouvel instrument proposé soit flexible de manière à éviter cette autocensure et qu'il reflète l'état réel de la menace.

La deuxième réforme a trait à Ariane, autre outil développé il y a trois ans, qui devrait être le principal, même s'il continue à ne concerner que 50 000 usagers sur les 14 millions de compatriotes voyageant chaque année. Nous avons inventé à ce sujet un nouveau slogan dans le cadre d'une campagne de publicité prévue pour cet été : « Pour votre sécurité, soyez connecté ». En effet, cet instrument n'est pas très ergonomique et ne fonctionne pas bien avec les smartphones : je vais donc le simplifier, de manière à ce que l'usager puisse être connecté tout de suite après trois ou quatre questions portant sur des informations de base : qui êtes-vous ? Où allez-vous ? Quelle est votre adresse et qui contacter le cas échéant ? Ainsi, en cas de crise dans un pays, on saura à peu près le nombre de touristes français qui s'y trouvent.

Mais pour que cet outil soit attractif, il faut aussi qu'il rende un service à l'usager : nous allons donc faire en sorte que dès que celui-ci sera inscrit, il ait une information. Si c'est un pays à risque, on lui communiquera les quelques risques identifiés ainsi que quelques coordonnées utiles en cas de problème. Par ailleurs, nous allons passer un contrat avec la mutuelle du Quai d'Orsay, qui a un réseau de 250 médecins dans le monde : ceux-ci nous donneront une liste objective actualisée d'établissements hospitaliers ou de cliniques privées.

Mon objectif pour fin 2013 est de passer de 50 000 à 500 000, voire un million d'utilisateurs.

Troisièmement, je suis en train de mettre en place un système de missions de terrain. Nous avons identifié une vingtaine de pays susceptibles d'être à risque. Il y a trois mois, par exemple, j'ai envoyé une équipe en Centrafrique, avant que la crise n'éclate, pour aider notre ambassadeur sur place à se préparer en cas de coup dur. Même si on n'a pu éviter les critiques – les Français estimant qu'ils ne sont jamais assez couverts –, il n'y a eu aucun mort ni aucun blessé. Mon objectif est d'avoir pu envoyer mes équipes dans l'ensemble de ces pays dans les deux ans qui viennent pour aider les postes à préparer leur réponse sécuritaire et vérifier la viabilité et la solidité de leur dispositif, les points de regroupement, ainsi que leur capacité à se transformer en centre de crise.

La quatrième réforme porte sur les entreprises, qui réclament un véritable partenariat avec l'État. Un gros travail a été fait dans le passé pour essayer de collaborer plus étroitement avec elles. Il ne s'agit pas naturellement qu'elles se défaussent : il existe, depuis l'attentat de Karachi, une jurisprudence constante sur leur responsabilité première concernant la sécurité de leurs employés. Nous souhaitons les aider à élaborer les meilleures réponses en la matière de manière qu'en cas de crise, tout se passe de façon coordonnée et harmonieuse.

Elles évoquent ainsi toujours la question des personnels qui ne sont pas de nationalité française : les difficultés, en cas d'évacuation, à les faire monter à bord des avions ou à obtenir les laissez-passer consulaires. Or, rien n'empêche, en amont d'une crise, de passer un accord avec les consulats pour qu'ils puissent avoir des visas de circulation.

Nous avons aussi signé des conventions avec le Club des directeurs de sécurité des entreprises (CDSE), le Centre inter-entreprises de l'expatriation (CINDEX) et le club de Magellan, qui fédèrent les directions de sûreté et sécurité des grandes entreprises et des PME.

Le cinquième chantier en cours concerne les collectivités territoriales. Il a été lancé par la réunion organisée à Lyon par les ministres Laurent Fabius et Pascal Canfin pour enclencher l'action de coopération des collectivités locales françaises en réponse à la crise malienne, avec la création du Fonds d'action extérieure des collectivités locales (Faceco).

L'idée est de constituer un fonds dédié pour éviter l'effet – parfois difficile à gérer pour une petite ou moyenne ambassade – de la coopération par l'offre. Les collectivités pourront ainsi tirer des chèques sur ce fonds, siéger dans un comité de pilotage décidant des projets, et bénéficier d'un effet de mutualisation et de masse pour privilégier l'achat de biens sur place quand cela est possible et la définition d'une politique d'ensemble.

Le dernier chantier fait suite à un questionnaire adressé à notre réseau diplomatique, au lendemain de notre intervention du 11 janvier dernier au Mali, sur la perception qu'ont les ambassades de leur dispositif de sécurité par rapport à la menace nouvelle que suscite une intervention militaire dans un pays sensible – certains blogs islamistes ayant notamment expliqué que les croisés étaient de retour et qu'il fallait lutter contre la France par tous les moyens. 70 ambassadeurs, soit presque la moitié d'entre eux, ont considéré qu'ils avaient à un titre ou un autre de bonnes raisons de renforcer leur dispositif sécuritaire.

Cela m'a conduit, à la demande du ministre des affaires étrangères, à proposer au directeur général de l'administration de réaliser un audit transversal de l'ensemble des directions concourant à la sécurité de nos compatriotes, qu'il s'agisse de la direction générale de l'administration, de la direction des ressources humaines, de la direction de la sécurité – qui a fait de gros progrès sur la sécurité des emprises –, mais aussi de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE) – le réseau des établissements scolaires étant très sensible – ou des alliances et instituts français, qui sont encore plus ouverts.

Je ne réponds chaque année qu'à 40 % des besoins exprimés par nos ambassadeurs dans ce domaine. Le coût d'une réponse à tous ces besoins sera prochainement présenté au ministre des affaires étrangères, qui, je l'espère, trouvera auprès du Parlement un allié de poids pour faire en sorte que le budget de sécurité puisse être préservé.

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