Intervention de Jean-Yves le Drian

Réunion du 10 avril 2013 à 18h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Jean-Yves le Drian, ministre de la Défense :

C'est avec plaisir que je retrouve votre Commission chaque semaine depuis le 11 janvier. Et d'ailleurs, lorsque je siégeais parmi vous, j'étais heureux que le ministre vienne rapporter devant la représentation nationale.

J'aurai sans doute moins de choses à vous dire cette semaine dans la mesure où nous sommes entrés dans une nouvelle phase : le sujet majeur est désormais la synchronisation des calendriers politiques et du calendrier sécuritaire. Autant, durant les trois premiers mois, le calendrier sécuritaire primait, autant la réussite de la sortie de crise dépend maintenant de cette synchronisation.

Ce changement s'accompagne du début du retrait de nos forces et d'une réorganisation de notre dispositif pour concentrer nos efforts sur les foyers d'insécurité et les lieux les plus sensibles.

Je commencerai par évoquer la situation sécuritaire.

Nous avons retiré une partie de nos forces de l'Adrar des Ifoghas. Depuis les attaques ponctuelles à Gao et à Tombouctou, dont je vous avais parlé la semaine dernière, les groupes terroristes se font plus discrets et évitent l'affrontement direct. Du fait de leur faiblesse capacitaire, ils mènent des attaques asymétriques jouant sur l'effet de surprise. Nous restons néanmoins très vigilants car nous n'ignorons pas la capacité du MUJAO et d'AQMI à se régénérer. L'émir du MUJAO a fait savoir, le 4 avril dernier, que les deux organisations avaient convenu d'une forme de partage des zones d'action : la région de Tombouctou pour ce qui reste d'AQMI, celle de Gao pour le MUJAO, qui s'insère dans la population.

L'objectif de nos forces, dans ces deux régions, est de maintenir une pression militaire suffisante pour interdire aux groupes djihadistes de se reconstituer, tout en poursuivant les actions visant à démanteler leurs infrastructures et leurs stocks de matériels.

Dans la semaine écoulée, nous avons continué à saisir des stocks importants d'armes et d'essence dans les deux zones. Notre stratégie porte donc ses fruits.

À Kidal, au sud de l'Adrar des Ifoghas, la situation est complexe. Le MNLA cherche à consolider son emprise territoriale afin de s'imposer comme un interlocuteur de premier plan tant du point de vue militaire que du point de vue politique. Pendant ce temps, les autorités de Bamako peinent à définir la manière d'ouvrir rapidement un dialogue avec l'ensemble des communautés du Nord. Des représentants de l'ONU ont rencontré cette semaine les chefs traditionnels de Kidal et les autorités du MNLA, qui entretiennent, à l'égard des forces armées maliennes et des autorités de Bamako, une méfiance réciproque. Il faudra trouver les voies et moyens d'un dialogue. Au bout du compte, on le sait, le MNLA devra se désarmer. Notre nouvel ambassadeur a pour tâche prioritaire de favoriser l'ouverture d'un dialogue efficace dans cette zone particulièrement sensible.

À Bamako, le climat est également assez tendu et le capitaine Sanogo fait de nouveau parler de lui.

Il faut cependant noter que la question du 3e RCP – celui des « bérets rouges » maliens, qui s'étaient opposés au putsch organisé par le capitaine Sanogo et que le chef d'état-major malien avait invités à quitter leur caserne pour s'intégrer dans l'armée malienne, ce qui avait provoqué des incidents en février – est en passe d'être réglée : ce régiment va rejoindre des militaires issus des peuples du Nord.

Ces forces sont expérimentées mais leur valeur opérationnelle n'est pas totalement garantie. L'évolution est néanmoins positive.

La tâche du gouvernement de transition, dont l'autorité n'est pas affermie, n'en reste pas moins délicate face aux tensions persistantes. Des conflits entre groupes policiers rivaux au sein d'un même groupement mobile de sécurité ont récemment fait un mort et plusieurs blessés. Plusieurs policiers ont été interpellés. C'est un fait nouveau et préoccupant pour le maintien de l'ordre à Bamako. Il nous incite à accélérer le processus d'élection et de réconciliation.

J'en viens à l'action des forces françaises.

À Tombouctou, nous avons riposté immédiatement, avec les forces armées maliennes, à la dernière attaque perpétrée par AQMI il y a quinze jours, puis nous avons mené une reconnaissance de l'axe reliant Tombouctou et Arouane, au nord, dans des conditions particulièrement éprouvantes pour nos hommes et nos matériels. Nous n'avons pas rencontré de terroristes durant cette opération mais nous avons découvert de nouvelles caches d'armes.

Comme je vous l'avais annoncé la semaine dernière, nous menons également des actions de reconnaissance plus au nord, à Taoudénit. Nous pensons en effet que des groupes armés djihadistes pourraient avoir trouvé refuge dans cette zone désertique, carrefour important de trafics entre le Mali, l'Algérie et la Mauritanie. Avec la prise de contrôle de la localité par nos forces, nous libérons la dernière partie du territoire malien qui n'avait pas été visitée. Le Mali a donc recouvré toute sa souveraineté, même si, en raison de l'étendue du territoire, il peut subsister çà et là des poches de résistance menant, comme je l'ai dit, des opérations asymétriques et réduites.

À cet égard, nous avons mené autour de Gao des opérations de démantèlement des réseaux djihadistes et des opérations en appui de forces maliennes pour sécuriser les abords de la ville. L'importante opération à laquelle vous avez fait allusion, Monsieur le président, a débuté il y a trois jours dans la vallée du Tilemsi, à l'est de Gao. Elle a d'ores et déjà permis de découvrir de très nombreuses caches et des stocks de munitions de gros calibre utilisées habituellement pour confectionner des engins explosifs improvisés (IED). À l'évidence, ces armes étaient destinées à des actions terroristes sur le territoire malien ou ailleurs.

Bref, nous maintenons notre pression dans ces zones et nous conservons l'initiative afin de garantir au mieux la prise en main des espaces libérés par les forces de la MISMA et les forces maliennes.

Par ailleurs, notre désengagement a commencé de manière modeste. Une centaine de militaires – de ceux qui ont combattu remarquablement dans la bataille de l'Adrar des Ifoghas – ont quitté le sol malien pour gagner Chypre, où nous disposons d'un « sas de décompression » utilisé principalement, jusqu'à présent, pour les troupes revenant d'Afghanistan. Ils retourneront ensuite dans leur garnison.

C'est le premier acte d'un retrait qui sera, je le répète devant votre Commission, pragmatique, progressif et prudent. Il était de toute façon normal que ces forces, qui ont beaucoup donné, puissent se reposer.

Le calendrier de désengagement suivra les orientations fixées par le Président de la République : il y aura au Mali 4 000 soldats français à la fin du mois d'avril, 2 000 au cours de l'été, puis 1 000 à la fin de cette année.

Par rapport à la semaine dernière, les effectifs de la MISMA sont toujours de 6 300 hommes mais leur déploiement, en dépit de quelques difficultés, progresse vers le nord. Les Sénégalais sont montés jusqu'à Gao, où des Nigériens sont déjà présents. Les forces burkanibées ont pour leur part quitté leur stationnement au sud pour faire la jonction avec les Maliens et les Français à Tombouctou.

Ainsi, la mise en place de la MISMA se précise. Elle permettra de mailler le territoire reconquis et d'assurer progressivement notre retrait dans les conditions indiquées.

Ce processus prélude à la constitution de la MINUSMA, la mission de stabilisation initiée par les Nations unies. Les documents préparatoires prévoient l'installation d'une force de plus de 10 000 hommes. Sur le plan diplomatique, les discussions se poursuivront toute la semaine. Même si ce sujet n'est pas directement de ma compétence mais de celle du ministre des Affaires étrangères, je puis vous indiquer que ces discussions, d'abord menées avec les Britanniques et les Américains, se déroulent maintenant entre les cinq membres permanents du Conseil de sécurité. Je confirme que l'évolution est positive et qu'une résolution du Conseil de sécurité devrait intervenir avant la fin du mois. Une centaine de soldats français sous casque bleu seront présents dans l'état-major et dans les équipes de liaison de la MINUSMA.

Les troupes que nous maintiendrons au Mali et dans les pays voisins, principalement à Ouagadougou, N'Djamena et Niamey, permettront d'appuyer l'engagement de cette force internationale.

Par ailleurs, EUTM-Mali – European union training mission –, sous l'autorité du général Lecointre, a lancé la formation du premier bataillon malien. Se trouve ainsi engagé le processus de reconstitution de l'armée malienne. Les Belges et les Espagnols rejoindront les Tchèques pour la sécurisation des formateurs lors de la deuxième rotation, prévue pour la fin de juin ou le début de juillet.

S'agissant des perspectives politiques, le ministre des Affaires étrangères estime, après sa mission à Bamako, que l'élection présidentielle est techniquement possible et devrait pouvoir se dérouler normalement à la fin du mois de juillet. Il a veillé, lors de ses entretiens avec le président Traoré et le Premier ministre Cissoko, à ce que cette prise de conscience soit réelle.

Par contre, le processus de réconciliation ne progresse que très lentement. Le président et les deux vice-présidents de la commission nationale de dialogue et de réconciliation ont été nommés, comme je vous l'avais annoncé la semaine dernière, mais les trente membres ne sont toujours pas désignés, si bien que la commission ne s'est toujours pas réunie. Notre ambassadeur s'emploiera à stimuler cette démarche qui est également importante pour la future résolution des Nations unies.

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