Intervention de Michel Issindou

Séance en hémicycle du 25 avril 2013 à 21h30
Cumul de l'allocation de solidarité aux personnes âgées avec des revenus professionnels — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Issindou :

Rassurez-vous, je serai bref ; dans l'Isère, on sait faire court ! (Sourires.)

Madame la rapporteure, vous avez défendu avec une certaine conviction, je dois le dire, la proposition de loi de votre groupe, adoptée précédemment au Sénat sur un rapport présenté par Isabelle Debré.

Intervenant le dernier, à cette heure un peu tardive, je ne vous imposerai pas une description du dispositif. Chacun a bien compris qu'il s'agit d'autoriser les personnes bénéficiaires du minimum vieillesse – rebaptisé depuis 2006 « ASPA » ou allocation de solidarité aux personnes âgées – à reprendre un travail au-delà de 65 ans, sans perdre le bénéfice de l'allocation en question, dans la limite de 1,2 SMIC pour une personne seule ou 1,8 SMIC pour un couple.

La question que vous essayez de traiter ce soir avec cette proposition ne manque pas d'intérêt car, tout comme vous, nous sommes préoccupés par la situation des retraités pauvres, décrite tout à l'heure par Arnaud Richard.

C'est un véritable sujet, que nous avons pris et que nous continuerons à prendre à bras-le-corps à l'avenir, comme vous pourrez le constater dans quelques mois, je l'espère, lors de la présentation de la réforme des retraites.

Il est vrai que ce minimum vieillesse s'élève aujourd'hui à 787,26 euros, ce qui peut s'avérer insuffisant pour vivre dignement, j'en conviens. Cela dépend toutefois de la région et de ce que l'on peut obtenir en supplément : ainsi, certains bénéficient de l'allocation logement, tandis que d'autres bénéficient d'aides ou d'exonérations liées à la faiblesse de leurs revenus, qui augmentent leur pouvoir d'achat. Nous y sommes aujourd'hui très attentifs.

Vous avez rappelé également, ce que nous ne contestons pas, que vous avez revalorisé ce minimum vieillesse de 25 %. Le seul problème, c'est que vous l'avez revalorisé à crédit, avec de l'argent dont vous ne disposiez pas ! Vous nous avez laissé des comptes sociaux dans un état déplorable, notamment ceux du Fonds de solidarité vieillesse et des caisses de retraite, chargés de verser ces allocations.

Du reste, et comme par hasard, la revalorisation est intervenue quelques mois avant les élections majeures du précédent quinquennat, dans un but essentiellement électoraliste. Vous n'auriez pas dû nous laisser de pareilles dettes. Pour notre part, nous avons revalorisé l'allocation de 1,3 % au 1er avril, avec du vrai argent, si je puis dire, ce qui ne veut pas dire que nous n'y reviendrons pas à un moment ou un autre.

Je rappelle que ce dispositif n'est pas, loin s'en faut et fort heureusement, actionné par tous les bénéficiaires potentiels. Aujourd'hui, il n'est versé qu'à 600 000 personnes environ, ce qui est relativement beaucoup mais peu au regard des 15 millions de retraités, qui ont vu leur situation s'améliorer très fortement au cours des dernières décennies. On n'est plus dans l'extrême pauvreté que l'on a connue au sortir de la guerre où des femmes, qui n'avaient pas d'emplois, ont bénéficié de ce minimum vieillesse instauré en 1956.

Les retraités d'aujourd'hui ont un niveau comparable, à quelques nuances près, à celui des actifs, et c'est heureux. Et ce niveau continue à progresser, les carrières étant moins hachées qu'autrefois. Mais, avec la situation que l'on connaît actuellement, le risque existe de retrouver malheureusement des moments difficiles.

Cette allocation n'est pas actionnée pour deux raisons que la Cour des comptes a fort justement relevées. D'abord, les mécanismes de ce dispositif ne sont pas forcément connus par les personnes âgées qui sont trop isolées pour faire de telles demandes. Ensuite, comme il existe un recours sur succession, certains préfèrent vivre chichement ou grâce à l'aide de la solidarité familiale ou publique. Lors d'une visite que j'ai effectuée récemment, j'ai pu m'apercevoir que ces personnes-là étaient malheureusement clientes des Restos du coeur et de la Banque alimentaire. Elles préfèrent cela plutôt que de solliciter l'aide publique. En effet, si elles ont un patrimoine, au moment du décès les caisses de retraite gestionnaires des minima peuvent se retourner vers les héritiers pour récupérer une partie de l'allocation. Et certaines n'ont pas envie de grever l'héritage qu'elles ont accumulé pour leurs héritiers.

Pour autant, la question que soulève cette proposition de loi est réelle. C'est la réponse qui n'est pas forcément satisfaisante. Ces bénéficiaires vivent effectivement avec 787 euros, soit en dessous du seuil de pauvreté. Il nous faudra prendre en compte cette réalité à l'avenir. Ce constat pourrait nous conduire à examiner cette proposition de loi avec une certaine indulgence ou même un peu d'enthousiasme, mais nous avons des objections à formuler.

Sur le plan strictement financier, la reprise d'une activité génère des revenus supplémentaires permettant d'assurer une vie plus décente. Ce peut être aussi, pour ceux qui le souhaitent, un moyen de sortir de l'isolement social auquel peut conduire le vieillissement sans moyens financiers. Ce peut être encore un moyen d'éviter le travail au noir que font certains pour éviter de perdre ce complément d'allocation vieillesse.

Tous ces éléments ne sont pas négligeables et pourraient faire pencher la balance en faveur de l'adoption de la présente proposition de loi. Mais il nous faut être complets dans notre analyse et mesurer les éléments, moins positifs ou carrément négatifs, qui ont été relevés très largement par mes collègues avant moi.

En premier lieu, il faut rappeler que ce complément relève de la solidarité pure. Dès lors, il peut ne pas paraître complètement anormal que lorsqu'un bénéficiaire reprend une activité salariée – il en a le droit – ce complément disparaisse. Prenons l'exemple d'un retraité qui, lorsqu'il a liquidé toutes ses retraites – c'est l'une des conditions requise – perçoit 500 euros. L'allocation qui lui sera versée, à soixante-cinq ans – soixante ans pour les handicapés – sera de 287 euros, ce qui est censé lui procurer un revenu décent pour vivre. S'il reprend une activité qui lui procure un revenu, est-il normal qu'il perçoive ces 287 euros destinés à compenser la faiblesse de sa retraite ? On peut se poser la question. On n'est pas du tout dans le mécanisme du RSA qui a été défendu ici, et qui peut s'avérer utile pour inciter des jeunes à reprendre le travail. L'objectif visé ici n'est pas du tout de mettre ou remettre au travail des personnes. Vous faites un mauvais parallèle avec le RSA.

Si l'on peut comprendre la générosité de votre proposition, il ne faut pas oublier que le Fonds de solidarité vieillesse est très largement déficitaire, ce qui doit nous conduire à être prudents par rapport à la mesure que nous examinons.

Ce qui est plus grave, c'est le message qui est adressé à toutes ces personnes. En effet, on leur dit clairement que si elles veulent gagner plus, elles doivent travailler plus longtemps – on a déjà entendu ce discours. Est-ce bien raisonnable ? Ce n'est manifestement pas la société que nous voulons. Si pour certains le travail au-delà de soixante-cinq ans peut être bien vécu, pour beaucoup, hélas ! ce sera une nécessité. Il n'est qu'à regarder autour de soi ou dans les médias ces exemples assez tristes de personnes âgées, voire très âgées, qui reprennent un travail qui n'est manifestement plus en rapport avec leur état de santé. En la matière, vous avez été quelque peu ironique tout à l'heure à mon égard. Je me souviens d'un vieux monsieur de quatre-vingt-un ans triant et distribuant des prospectus pendant quarante heures par semaine, soit l'équivalent d'un temps plein, et disant qu'il n'était payé que vingt heures par son employeur. On peut donc d'ailleurs imaginer toutes les dérives auxquelles se livrent des employeurs peu scrupuleux qui exploitent des personnes âgées sans défense véritable. Voilà ce que nous redoutons à travers la mesure que vous proposez.

On le voit, si l'on peut trouver de bonnes raisons de soutenir ce texte, on peut aussi en citer d'aussi bonnes pour ne pas le faire. Le Sénat, même s'il a adopté cette proposition de loi de Mme Isabelle Debré, a exprimé des doutes avec l'abstention du groupe socialiste, ce qui montre que si la question existe, elle n'a pas forcément trouvé sa réponse à travers ce texte. C'est pourquoi je vous propose de renvoyer ce texte en commission.

Dans quelques mois, une très probable réforme des retraites aura à traiter des petites retraites. Le minimum vieillesse ne fait pas partie, à proprement parler, du système des retraites, mais il serait étonnant que, lors de cette réforme, le Gouvernement ne se penche pas sur ces petites retraites dues à des carrières incomplètes qui affectent trop souvent d'ailleurs les femmes. Le sujet posé par cette proposition mérite mieux qu'un traitement ponctuel, partiel, au détour d'une proposition de loi, si bien intentionnée soit-elle.

Une autre bonne raison de renvoyer à plus tard cette question a trait à la nécessité de revisiter le dispositif du cumul emploi-retraite. Un rapport de l'IGAS montre qu'il faut revoir le dispositif dans son ensemble, sans omettre la question que nous examinons aujourd'hui. Il est choquant de voir aujourd'hui des cadres qui prennent leur retraite percevoir ladite retraite et poursuivre, souvent dans la même entreprise, une activité salariée. On peut expliquer qu'ils ne prennent pas l'emploi d'un jeune, mais on peut aussi penser que cela peut se produire.

Je vous demande donc, madame la rapporteure, un peu de patience. Je sais que vous en avez. Je le répète, cette proposition traite d'un vrai sujet, celui de la grande précarité que subissent ceux qui sont passés au travers des mailles du système de retraite.

Pour vous rassurer, je vous livrerai un chiffre : 1 % seulement des 600 000 bénéficiaires de ces minima sont potentiellement dans la situation d'une reprise d'activité. C'est beaucoup et peu à la fois. Cela s'explique car il est assez utopique de penser que ces personnes qui ont souvent été affectées par la vie – quand on ne perçoit que des minima, c'est que l'on a eu une carrière difficile et incomplète, souvent liée à une invalidité, comme l'a rappelé M. Hutin – puissent reprendre un travail.

Pour toutes ces raisons qui, je l'espère, vous auront convaincus, madame la rapporteure, messieurs de l'opposition, je vous propose de renvoyer ce texte en commission…

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