Intervention de Jean-Pierre Aubert

Réunion du 28 février 2013 à 11h00
Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Jean-Pierre Aubert, délégué à l'évolution des métiers et des emplois à la direction des ressources humaines de la SNCF :

C'est à partir d'une expérience multiple que j'évoquerai la question qui vous intéresse. Au-delà de mes fonctions actuelles au sein de la SNCF, qui est sans doute une entreprise un peu atypique de ce point de vue, mon expérience me permet d'avoir un recul de presque quarante ans sur ce sujet, et sous des angles très différents. J'ai débuté en tant que responsable syndical, à l'époque des premières crises pétrolières, qui ont rapidement fait naître une réflexion sur les restructurations liées à cette conjoncture nouvelle. J'ai ensuite été patron de PME, puis haut fonctionnaire – contrôleur général économique et financier jusqu'à ma retraite de fonctionnaire. J'ai par ailleurs été, durant huit ans, délégué interministériel aux restructurations de défense auprès des deux ministres qui ont conduit la transformation de notre système de défense. Enfin, j'ai été un temps responsable de la mission interministérielle pour les mutations économiques (MIME). J'ai accompagné de nombreuses mesures de restructuration et de plan sociaux – aujourd'hui plans de sauvegarde de l'emploi.

Une formule que j'ai employée dans un livre symbolise bien ce que j'ai essayé d'accomplir : « l'obligation de mettre des temps longs dans des temps courts ». Elle résumait mon constat de l'époque : nous étions pris dans le cadre des procédures engagées au moment des restructurations et de l'élaboration des PSE, qui ne permettaient pas toujours d'accompagner les salariés dans de bonnes conditions et de traiter correctement des questions exigeant beaucoup plus de temps. Je pense en particulier à la responsabilité sociale de l'entreprise, et des autres acteurs, sur le repositionnement professionnel des salariés concernés.

J'ai ainsi contribué à mettre en valeur la nécessité de l'anticipation et de la prévention – qui sont deux choses différentes. Même dans des conflits sévères que j'ai personnellement vécus, comme ceux de Chausson, de la fermeture de la centrale Superphénix, de la sidérurgie, de la construction navale ou encore de la mine de La Mure, bien des choses auraient pu être faites si l'on s'y était pris plus tôt. Anticiper, c'est se donner des marges de manoeuvre pour faire plus et mieux.

J'ai aussi toujours été préoccupé par l'implication de tous les acteurs et je suis un fervent défenseur de la négociation – y compris à chaud. Je peux me prévaloir d'être parvenu à quelques accords, même dans des situations difficiles. Il importe que les acteurs soient engagés dans une forme de responsabilité – qui doit bien sûr rester soucieuse des intérêts de chacun. Or une partie du droit des licenciements a fait fuir cette responsabilité vers d'autres pouvoirs, qu'il s'agisse de l'État, de l'administration, du pouvoir judiciaire ou de tout autre acteur extérieur à l'entreprise. Au vu de l'expérience d'autres pays, il est pourtant possible de parvenir à des accords. Lors d'une mission qui m'avait été confiée par le Premier ministre Lionel Jospin, j'avais réuni toutes les parties prenantes et osé aborder un sujet tabou : « peut-on négocier l'emploi ? » Pour ma part, je pense que oui.

J'ai donc deux convictions : la nécessité d'anticiper et celle de donner la priorité à la négociation interne à l'entreprise, même s'il convient d'y associer d'autres acteurs dans certaines phases. C'est ainsi que j'ai toujours tenu à promouvoir la revitalisation économique : j'ai par exemple créé SNCF Développement, filiale de la SNCF que je préside, pour accompagner les entreprises ayant des projets générateurs d'emploi sur les territoires en rebond.

Une question se pose plus particulièrement dans la période actuelle : celle de la légitimité des opérations de restructuration et de leurs conséquences. J'ai créé, à l'IAE de l'université de Paris-I Sorbonne, où je suis professeur associé, la chaire « mutations-anticipations-innovations » avec de grandes entreprises et des organisations syndicales. Dans ce cadre, nous avons organisé une conférence sur cette question de la légitimité. En effet, on ne sait plus qui est légitime pour engager les restructurations, et la contestation est diverse, ce qui délégitime les partenaires sociaux qui pourraient éventuellement négocier.

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