Intervention de Jean-Pierre Aubert

Réunion du 28 février 2013 à 11h00
Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Jean-Pierre Aubert, délégué à l'évolution des métiers et des emplois à la direction des ressources humaines de la SNCF :

Permettez-moi d'abord de vous répondre sur la légitimité. Vous avez parfaitement résumé ma pensée, madame la rapporteure. La légitimité se construit : elle n'est pas donnée une fois pour toutes. Or il est plus difficile pour l'entreprise de convaincre de la légalité d'une opération que de sa légitimité. Pour prendre un exemple, M. Riboud s'est rendu célèbre par l'exemplarité du dialogue social conduit chez Danone. Au moment de la restructuration de la branche biscuits, on a pourtant assisté à une rupture dans la compréhension de la légitimité de cette opération, alors même que le groupe Danone avait procédé à des transformations autrement plus importantes. La légitimité se construit progressivement par la prise en considération des enjeux de l'entreprise et des intérêts particuliers de chacun, ce qui implique de conforter le champ de la négociation.

J'en viens à l'ANI, qui marque une étape importante à plusieurs égards. Tout d'abord, il conforte – au-delà même de la relance de la GPEC – la nécessité de l'anticipation dans la stratégie de l'entreprise, et comme démarche à construire. Ensuite, il permet de distinguer des situations différentes, avec – notamment – la possibilité de signer des accords de maintien de l'emploi. Cela légitime les accords sur ces sujets. Du reste, il y en a déjà eu. Je pense aux accords signés chez Thales ou chez Areva, qui permettent de construire la démarche que j'évoquais.

L'ANI donne également ses lettres de noblesse à la négociation de l'emploi en donnant acte que ces procédures peuvent être négociées. C'est un changement profond, qui nous met au diapason d'une partie de l'Europe. J'observe à cet égard que les directives européennes encouragent les discussions visant à obtenir un accord négocié, alors que nous aurions tendance en France à en rester aux discussions – consultation et information. L'ANI fait donc un pas important sur la légitimité de l'accord.

Reste à en réaliser les conditions sur le terrain. Il est essentiel que vous instauriez un suivi de la mise en oeuvre de l'accord. En effet, l'important est bien la manière dont les partenaires sociaux et les acteurs concernés vont s'en emparer pour l'appliquer concrètement. En plus des articles de loi et des arrêts de la chambre sociale de la Cour de cassation, on devrait intégrer à notre culture les accords majeurs qui ont contribué à façonner le droit social en France. Je suggérerais donc qu'une mission parlementaire soit constituée pour assurer le suivi et la valorisation de ce qui se réalisera à partir de l'accord.

Un troisième point important a retenu mon attention : la grande inégalité de traitement qui prévaut dans l'accompagnement des salariés. Jacques Chérèque, me rappelait souvent combien la Lorraine avait souffert en perdant 100 000 emplois dans la sidérurgie. Je lui répondais immanquablement que l'ouest de la France avait perdu 100 000 emplois, notamment dans le secteur textile, sans que nul ne s'en préoccupe vraiment…. Nous devons notamment penser à ce qui peut être fait dans les PME. C'est là que les territoires peuvent jouer un rôle.

L'ANI porte sur tous les types de contrat, ce qui tient compte des évolutions du marché du travail. Vous avez d'ailleurs noté que la notion de licenciement économique avait perdu de sa pertinence. Je ne conteste pas la nécessité d'une certaine flexibilité ; la difficulté est de prendre en considération toutes les formes de contrat dans les mesures d'accompagnement mises en oeuvre. Lors de la fermeture de la centrale Superphénix, les salariés d'EDF ont été très bien accompagnés par leur entreprise. Mais ce n'était pas le cas des centaines de salariés qui occupaient des emplois périphériques et n'étaient pas sous statut EDF, pour lesquels a été bâti un plan d'accompagnement spécifique, qui a été financé en partie par EDF. Bref, nous devons nous efforcer d'assurer un accompagnement plus égalitaire, qui ne se limite pas à certaines catégories de salariés.

L'approche territoriale est bien sûr essentielle, madame Le Callennec. Même pour les grandes entreprises et les multinationales, la plupart des solutions d'accompagnement ne peuvent être trouvées que dans un environnement local. Simplement, tous les territoires ne sont pas dotés des moyens pour y parvenir. Il faut en effet être à même de fédérer tous les acteurs concernés. Lorsque j'étais délégué interministériel aux restructurations de défense, nous avions créé pour les grandes restructurations, notamment celles de GIAT Industries, des « comités de site » réunissant tous les acteurs autour du préfet, afin de discuter des projets envisageables et des mesures permettant d'accompagner d'autres entreprises que celle concernée par la restructuration. C'est en Bretagne qu'est née l'idée que les territoires pouvaient avoir une démarche de gestion territoriale des emplois et des compétences. Je pense au bassin de Lannion, qui a été successivement touché par les mutations des télécoms et de l'agroalimentaire. Il faut donc soutenir la capacité du territoire à apporter sa contribution à l'accompagnement en anticipant les événements. À l'époque où j'étais responsable de la MIME, j'avais lancé les observatoires des mutations économiques régionales pour développer des capacités de dialogue entre les différents acteurs. Ce dispositif doit être distingué des systèmes de prévention des entreprises en difficulté, qui sont tout aussi nécessaires. On a par exemple débattu de l'hypothèse de la disparition de Citroën Rennes. Cela permet de marier une analyse sectorielle et une analyse locale, voire de mettre en évidence le décalage qui peut affecter une région par rapport aux moyennes sectorielles – nous savions par exemple depuis des années que le secteur de la volaille connaissait des difficultés en Bretagne. Reste à passer du constat à l'action. Le territoire peut ici être à géométrie variable : selon le moment et la problématique abordée, la communauté de communes, l'agglomération, le bassin d'emploi ou le département peuvent se mobiliser. Il est aujourd'hui important d'impliquer les régions, qui ont mis longtemps à s'engager dans ce champ d'action. Elles doivent devenir des acteurs à part entière dans l'accompagnement des restructurations, d'autant qu'elles sont compétentes en matière de formation. J'ai quelques exemples de cas où il a été très intéressant de les associer.

J'en viens à la définition du licenciement économique. Honnêtement, il est aujourd'hui difficile de la cerner pour qui n'est pas juriste. Les salariés ayant subi un licenciement économique ne constituent qu'une petite minorité apparente dans les statistiques des nouveaux inscrits à Pôle emploi. Ce ne sont pas les grands PSE qui créent le plus de chômeurs, mais les fins de mission et les mesures individuelles telles que les ruptures conventionnelles et autres plans volontaires de départ.

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