La convention CEDAW est un traité de droit international qui s'impose naturellement dans la hiérarchie des normes, au même titre que n'importe quel traité, bien qu'elle soit assez peu connue – et même insuffisamment connue – et qu'elle n'interfère pas suffisamment dans la vie politique et parlementaire. Mais je connais le travail accompli par votre Délégation, que je salue, et je pense que nous pourrions réfléchir ensemble à la façon d'« optimiser » cette convention.
C'est par ailleurs une convention des Nations unies. Aux Nations unies, il y a deux sortes d'organes : les organes de la Charte des Nations, comme le Conseil des droits de l'homme et la Commission des droits de l'homme, et les dix organes des traités, comme le Comité des droits de l'homme, le Comité des droits de l'enfant, le Comité des droits sociaux et culturels…. et le Comité pour l'élimination des discriminations faites aux femmes.
Il s'agit d'un comité de 23 experts mondiaux, élus par les 186 États qui ont signé la convention CEDAW. Leur désignation est une opération très lourde. De façon paradoxale, les candidats, présentés par les pays, une fois élus, sont indépendants. Il n'y a que 11 postes à pourvoir tous les quatre ans, et parfois six ou sept candidats sont présentés par les pays européens. La France a néanmoins réussi, non seulement à garder un poste d'expert, mais, depuis le mois de mars, à occuper la présidence de ce comité.
Le comité est chargé d'appliquer la convention CEDAW par le biais de diverses procédures – auditions, débats, dialogues constructifs. Nous sommes censés, tous les quatre ans, avoir expertisé l'ensemble des pays – soit environ 45 par an. C'est beaucoup, d'autant qu'un dialogue constructif s'étend sur une journée. Dans la pratique, nous avons un léger retard dans l'examen périodique des rapports des différents pays.
La France, qui devrait présenter son rapport cette année, est particulièrement attendue. Notre pays, tout comme l'Europe d'ailleurs, doit faire preuve d'exemplarité. Même aujourd'hui, il faut continuer d'être en initiative. Pourquoi ? Parce que, comme la présidente l'a très bien dit tout à l'heure, le progrès n'est pas inéluctable, en ce domaine comme dans d'autres. Je vous en donnerai trois exemples.
D'abord, l'Europe n'est pas exempte de critiques ou de risques de recul. La crise économique rend des catégories entières de femmes beaucoup plus vulnérables. La création d'un observatoire économique sur ce type de vulnérabilité pourrait être utile. Nous nous sommes aperçus qu'en Grèce, la précarisation économique était un facteur de régression sociale, de régression en termes de santé, et d'aggravation des violences. Il serait particulièrement important que nous analysions précisément l'impact de la crise économique sur la situation des femmes en Europe.
Ensuite, dans les pays en transition politique, les femmes connaissent des situations extrêmement précaires. En Afghanistan notamment, les femmes qui ont payé le tribut de la guerre paient aujourd'hui le tribut de la paix.
Enfin, même si les progrès sont réels partout, des violences absolument inacceptables sont encore perpétrées contre les femmes. Ce n'est pas le cas dans tous les pays du monde. Reste que des millions de femmes sont agressées, violées, victimes de mariages précoces, écrasées sous le poids des représentations culturelles ou religieuses.
La France doit être non seulement exemplaire, mais aussi solidaire. Nous devrions chercher comment notre parlement pourrait, avec d'autres parlements, faire prendre conscience aux élus de leurs responsabilités face à de telles situations. Il est clair en effet que les parlements constituent des acteurs premiers de l'évolution des droits des femmes. La loi participe, nous le savons tous, à la modernisation des sociétés. Mais, au-delà, il faut assurer une veille législative et mesurer l'impact des lois sur l'évolution des droits des femmes.
Par ailleurs, la France a malheureusement formulé des réserves, qu'elle n'a pas encore levées, à la convention CEDAW. Celles-ci, qui touchent au nom de famille, sont un peu anachroniques et devraient tomber d'elles-mêmes. Il serait heureux que nous puissions y travailler, d'autant que la France pourrait fêter en décembre prochain le trentième anniversaire de la ratification de cette convention.
Je tiens absolument à insister sur le fait que cette convention relève d'une approche holistique : elle concerne l'ensemble des secteurs qui peuvent permettre aux femmes d'acquérir une égalité de fait, et pas seulement une égalité formelle. Ce qui nous intéresse en effet, c'est la mise en oeuvre concrète du concept d'égalité.
D'abord, nous examinons l'architecture constitutionnelle et législative, c'est-à-dire l'organisation et les moyens qu'un État se donne pour garantir concrètement cette égalité : un gouvernement paritaire, une délégation aux droits des femmes au sein du parlement, la prise en compte systématique des inégalités persistantes dont les femmes sont victimes. Cela vaut dans tous les domaines, comme l'éducation et l'économie, et pour tous les sujets.
Cette architecture constitutionnelle et législative ne suffit cependant pas. Il faut mettre en place une « machinerie institutionnelle ». Voilà pourquoi nous interrogeons les pays sur leurs politiques publiques et leur financement, comme sur l'accès à la justice dont les femmes disposent. Lorsque je me suis présentée devant le CEDAW en tant que ministre, on m'avait fait deux observations. La première portait sur l'accès à la justice. J'ai alors immédiatement fait prendre par Dominique Perben une instruction pénale enjoignant aux procureurs de faire en sorte que les questions intéressant les femmes soient prioritaires au niveau des parquets ; ensuite, nous avons entamé un tour de France pour expliquer cette nécessité. La seconde concernait les jeunes femmes immigrées. J'ai d'ailleurs financé, à l'époque, le Guide du Respect, avec Fadela Amara. Le CEDAW interpelle donc réellement les pays sur leurs points faibles, et son expertise est assez poussée.
Je voudrais maintenant m'attarder sur les mesures spéciales temporaires. Attendre l'évolution normale des moeurs reviendrait à attendre des années. La responsabilité de tout gouvernement est d'accélérer les changements et de faire en sorte que la loi soit le vecteur de ces changements. D'où l'intérêt de telles mesures – quotas, campagnes, mesures très spécifiques.
Et puis, il y a la lutte contre les représentations et stéréotypes, qui est fondamentale. Personnellement, je me réjouis que la France ait engagé cette lutte d'une manière déterminée dans le cadre de l'école. En effet, nous ne pouvons plus assigner tel ou tel destin aux filles parce qu'elles sont des filles. Cette construction sociale liée à la fille, à la jeune fille, à la jeune femme est une oppression culturelle qui se retrouve dans tous les pays du monde, y compris, malheureusement, dans nos pays dits développés. Certains pays reprennent ces représentations sociales, en s'appuyant éventuellement sur la religion, pour « ré enfermer » culturellement les femmes.
Nous demandons également très concrètement aux États quelles avancées ils ont réalisées en matière législative.
L'accès à la décision est un élément tout aussi fondamental. Il n'y aura pas de changement majeur dans le monde si les femmes ne décident pas. Tout ce qui peut concerner la décision, et donc la représentation politique des femmes, est primordial. Je vais vous livrer cette anecdote, qui me semble très parlante : un ministre a reconnu l'autre jour que son pays n'avait pas fait suffisamment pour les femmes. Je lui ai fait remarquer qu'il ne fallait pas le faire « pour » elles, mais « avec » elles. Et il m'a répondu : vraiment, je n'aurais jamais pensé à cela ! Il était sincère, mais je vois bien d'où vient cette idée que les droits doivent être donnés aux femmes, mais sans qu'elles en décident elles-mêmes.
De la même manière, nous nous préoccupons de l'accès aux droits – éducation, santé, santé reproductive, sujet qui a fait l'objet d'un rapport très important, et emploi – et, plus généralement, à tout ce qui peut aujourd'hui servir les femmes.
Il y a des inversions dans l'histoire. Aujourd'hui, les femmes du monde rural occupent une place tout à fait essentielle – c'est l'un des points sur lesquels la France a exprimé des réserves, qui me paraissent d'ailleurs infondées. Avec le développement durable, ces femmes peuvent être des acteurs du changement.
Nous tenons trois séances annuelles, pendant lesquelles nous expertisons l'ensemble des pays. Il est très positif que 186 pays viennent, quelle que soit leur situation, nous expliquer où ils en sont, de même qu'il est réconfortant de voir les progrès accomplis. La force de la convention est d'être universelle et de représenter l'apogée des droits des femmes – même si je ne suis pas sûre que nous pourrions encore la signer aujourd'hui.
Nous constatons en effet que les droits des femmes reculent dans certains domaines. C'est pourquoi je viens de faire voter, en mars dernier, une recommandation générale au sein de notre comité sur les conséquences économiques du divorce et du mariage. Ma fierté est d'avoir réussi à faire en sorte que les représentantes du monde arabe, en particulier, signent ce texte. Nous avons veillé à ce que celui-ci soit inclusif. En effet, la convention renvoie à ce que Boutros Boutros Ghali appelait l'irréductible humain, c'est-à-dire le non négociable, le socle des valeurs universelles. Nous respectons tous les pays que nous avons en face de nous, nous comprenons les traditions, les cultures, mais nous considérons qu'il y a un socle absolument non négociable.
En tant que présidente, mes trois priorités sont les suivantes :
En premier lieu, faire en sorte que l'Europe continue à agir de façon exemplaire. Le monde a besoin de l'engagement européen. Au fond de l'Afghanistan, par exemple, des femmes se disent que si l'Europe conserve sa capacité d'initiative, il reste de l'espoir. L'Europe doit notamment être attentive à l'impact économique de la crise.
En second lieu, intégrer un segment prioritaire concernant le droit des femmes dans les politiques de développement. On ne peut plus conduire de politiques de développement si elles ne servent pas ce socle non négociable des droits des femmes. Sinon, l'opinion publique finira, à juste titre, par ne plus suivre.
En troisième lieu, assurer les transitions politiques. Il faut qu'à chaque occasion qui vous est donnée, vous invitiez des femmes de Libye, de Tunisie et d'Égypte. C'est leur rendre un service immense. De cette manière, vous leur donnez davantage de visibilité et, de ce fait, davantage de force. Je le dis à tous nos ambassadeurs. Je vous incite également à travailler en ce sens avec d'autres parlements. Sur ces questions, la solidarité s'impose.
Pour terminer, la convention CEDAW est un traité international qui a été reconnu par ces 186 pays. Les aider par tous les moyens, y compris par le biais d'une conditionnalité intelligente, à appliquer la convention CEDAW n'est rien d'autre que les aider à respecter leurs propres engagements. Il n'y a pas un modèle qui s'impose à un autre. Il y a des valeurs qui sont partagées et qui ont été acceptées.
Je pense qu'aujourd'hui le rôle de la France et de l'Europe pourrait être de conduire une action. C'est ce que nous allons faire prochainement, dans le cadre d'une réunion qui se tiendra à Bruxelles. Je me rendrai par ailleurs aux Etats-Unis pour y rencontrer Hillary Clinton, parce qu'elle porte un certain nombre d'actions en ce sens.
Nous allons essayer de mobiliser nos efforts pour aider les pays à faire en sorte qu'aujourd'hui les femmes ne soient plus ce qu'elles ont encore tendance à être trop souvent, c'est-à-dire les premières victimes de toutes les violences. Mais n'oublions pas qu'elles sont aussi, et heureusement, les forces de progrès et de démocratie que nous connaissons bien.