La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a procédé à l'audition de Mme Nicole Ameline, présidente du Comité de lutte de l'ONU contre les discriminations faites aux femmes (CEDAW).
La séance est ouverte à 17 heures 40.
C'est avec plaisir et fierté que nous recevons notre collègue Mme Nicole Ameline, présidente du CEDAW – le comité pour l'élimination des discriminations faites aux femmes – et par ailleurs membre de la Commission consultative des droits de l'homme.
Nous vous adressons toutes nos félicitations pour votre élection à la tête du comité en mars dernier et vous remercions d'avoir répondu à notre invitation.
Le CEDAW, malgré une existence déjà ancienne, est peu connu en France. Nous aimerions donc en savoir davantage sur sa mission, son fonctionnement et son action passée. En effet, comme nous l'avons constaté récemment, lors de la 57ème réunion de la commission des Nations unies sur la condition de la femme, il y a lieu de s'inquiéter de l'évolution des droits des femmes à travers le monde.
Déjà, en 2012, il n'avait pas été possible de se mettre d'accord sur un texte relatif aux droits des femmes en milieu rural. De fortes tensions s'exercent et, dans certains pays, les droits des femmes régressent. Pensez-vous que les conférences internationales programmées dans les années à venir auront bien lieu ? Je pense notamment au vingtième anniversaire de la conférence du Caire en 2014, et au vingtième anniversaire de la conférence de Pékin en 2015. Si oui, dans quelles conditions et sur quelles bases ? Michelle Bachelet, que nous avons rencontrée à New York avec Mme la ministre Vallaud-Belkacem, s'interrogeait elle aussi.
La convention CEDAW est un traité de droit international qui s'impose naturellement dans la hiérarchie des normes, au même titre que n'importe quel traité, bien qu'elle soit assez peu connue – et même insuffisamment connue – et qu'elle n'interfère pas suffisamment dans la vie politique et parlementaire. Mais je connais le travail accompli par votre Délégation, que je salue, et je pense que nous pourrions réfléchir ensemble à la façon d'« optimiser » cette convention.
C'est par ailleurs une convention des Nations unies. Aux Nations unies, il y a deux sortes d'organes : les organes de la Charte des Nations, comme le Conseil des droits de l'homme et la Commission des droits de l'homme, et les dix organes des traités, comme le Comité des droits de l'homme, le Comité des droits de l'enfant, le Comité des droits sociaux et culturels…. et le Comité pour l'élimination des discriminations faites aux femmes.
Il s'agit d'un comité de 23 experts mondiaux, élus par les 186 États qui ont signé la convention CEDAW. Leur désignation est une opération très lourde. De façon paradoxale, les candidats, présentés par les pays, une fois élus, sont indépendants. Il n'y a que 11 postes à pourvoir tous les quatre ans, et parfois six ou sept candidats sont présentés par les pays européens. La France a néanmoins réussi, non seulement à garder un poste d'expert, mais, depuis le mois de mars, à occuper la présidence de ce comité.
Le comité est chargé d'appliquer la convention CEDAW par le biais de diverses procédures – auditions, débats, dialogues constructifs. Nous sommes censés, tous les quatre ans, avoir expertisé l'ensemble des pays – soit environ 45 par an. C'est beaucoup, d'autant qu'un dialogue constructif s'étend sur une journée. Dans la pratique, nous avons un léger retard dans l'examen périodique des rapports des différents pays.
La France, qui devrait présenter son rapport cette année, est particulièrement attendue. Notre pays, tout comme l'Europe d'ailleurs, doit faire preuve d'exemplarité. Même aujourd'hui, il faut continuer d'être en initiative. Pourquoi ? Parce que, comme la présidente l'a très bien dit tout à l'heure, le progrès n'est pas inéluctable, en ce domaine comme dans d'autres. Je vous en donnerai trois exemples.
D'abord, l'Europe n'est pas exempte de critiques ou de risques de recul. La crise économique rend des catégories entières de femmes beaucoup plus vulnérables. La création d'un observatoire économique sur ce type de vulnérabilité pourrait être utile. Nous nous sommes aperçus qu'en Grèce, la précarisation économique était un facteur de régression sociale, de régression en termes de santé, et d'aggravation des violences. Il serait particulièrement important que nous analysions précisément l'impact de la crise économique sur la situation des femmes en Europe.
Ensuite, dans les pays en transition politique, les femmes connaissent des situations extrêmement précaires. En Afghanistan notamment, les femmes qui ont payé le tribut de la guerre paient aujourd'hui le tribut de la paix.
Enfin, même si les progrès sont réels partout, des violences absolument inacceptables sont encore perpétrées contre les femmes. Ce n'est pas le cas dans tous les pays du monde. Reste que des millions de femmes sont agressées, violées, victimes de mariages précoces, écrasées sous le poids des représentations culturelles ou religieuses.
La France doit être non seulement exemplaire, mais aussi solidaire. Nous devrions chercher comment notre parlement pourrait, avec d'autres parlements, faire prendre conscience aux élus de leurs responsabilités face à de telles situations. Il est clair en effet que les parlements constituent des acteurs premiers de l'évolution des droits des femmes. La loi participe, nous le savons tous, à la modernisation des sociétés. Mais, au-delà, il faut assurer une veille législative et mesurer l'impact des lois sur l'évolution des droits des femmes.
Par ailleurs, la France a malheureusement formulé des réserves, qu'elle n'a pas encore levées, à la convention CEDAW. Celles-ci, qui touchent au nom de famille, sont un peu anachroniques et devraient tomber d'elles-mêmes. Il serait heureux que nous puissions y travailler, d'autant que la France pourrait fêter en décembre prochain le trentième anniversaire de la ratification de cette convention.
Je tiens absolument à insister sur le fait que cette convention relève d'une approche holistique : elle concerne l'ensemble des secteurs qui peuvent permettre aux femmes d'acquérir une égalité de fait, et pas seulement une égalité formelle. Ce qui nous intéresse en effet, c'est la mise en oeuvre concrète du concept d'égalité.
D'abord, nous examinons l'architecture constitutionnelle et législative, c'est-à-dire l'organisation et les moyens qu'un État se donne pour garantir concrètement cette égalité : un gouvernement paritaire, une délégation aux droits des femmes au sein du parlement, la prise en compte systématique des inégalités persistantes dont les femmes sont victimes. Cela vaut dans tous les domaines, comme l'éducation et l'économie, et pour tous les sujets.
Cette architecture constitutionnelle et législative ne suffit cependant pas. Il faut mettre en place une « machinerie institutionnelle ». Voilà pourquoi nous interrogeons les pays sur leurs politiques publiques et leur financement, comme sur l'accès à la justice dont les femmes disposent. Lorsque je me suis présentée devant le CEDAW en tant que ministre, on m'avait fait deux observations. La première portait sur l'accès à la justice. J'ai alors immédiatement fait prendre par Dominique Perben une instruction pénale enjoignant aux procureurs de faire en sorte que les questions intéressant les femmes soient prioritaires au niveau des parquets ; ensuite, nous avons entamé un tour de France pour expliquer cette nécessité. La seconde concernait les jeunes femmes immigrées. J'ai d'ailleurs financé, à l'époque, le Guide du Respect, avec Fadela Amara. Le CEDAW interpelle donc réellement les pays sur leurs points faibles, et son expertise est assez poussée.
Je voudrais maintenant m'attarder sur les mesures spéciales temporaires. Attendre l'évolution normale des moeurs reviendrait à attendre des années. La responsabilité de tout gouvernement est d'accélérer les changements et de faire en sorte que la loi soit le vecteur de ces changements. D'où l'intérêt de telles mesures – quotas, campagnes, mesures très spécifiques.
Et puis, il y a la lutte contre les représentations et stéréotypes, qui est fondamentale. Personnellement, je me réjouis que la France ait engagé cette lutte d'une manière déterminée dans le cadre de l'école. En effet, nous ne pouvons plus assigner tel ou tel destin aux filles parce qu'elles sont des filles. Cette construction sociale liée à la fille, à la jeune fille, à la jeune femme est une oppression culturelle qui se retrouve dans tous les pays du monde, y compris, malheureusement, dans nos pays dits développés. Certains pays reprennent ces représentations sociales, en s'appuyant éventuellement sur la religion, pour « ré enfermer » culturellement les femmes.
Nous demandons également très concrètement aux États quelles avancées ils ont réalisées en matière législative.
L'accès à la décision est un élément tout aussi fondamental. Il n'y aura pas de changement majeur dans le monde si les femmes ne décident pas. Tout ce qui peut concerner la décision, et donc la représentation politique des femmes, est primordial. Je vais vous livrer cette anecdote, qui me semble très parlante : un ministre a reconnu l'autre jour que son pays n'avait pas fait suffisamment pour les femmes. Je lui ai fait remarquer qu'il ne fallait pas le faire « pour » elles, mais « avec » elles. Et il m'a répondu : vraiment, je n'aurais jamais pensé à cela ! Il était sincère, mais je vois bien d'où vient cette idée que les droits doivent être donnés aux femmes, mais sans qu'elles en décident elles-mêmes.
De la même manière, nous nous préoccupons de l'accès aux droits – éducation, santé, santé reproductive, sujet qui a fait l'objet d'un rapport très important, et emploi – et, plus généralement, à tout ce qui peut aujourd'hui servir les femmes.
Il y a des inversions dans l'histoire. Aujourd'hui, les femmes du monde rural occupent une place tout à fait essentielle – c'est l'un des points sur lesquels la France a exprimé des réserves, qui me paraissent d'ailleurs infondées. Avec le développement durable, ces femmes peuvent être des acteurs du changement.
Nous tenons trois séances annuelles, pendant lesquelles nous expertisons l'ensemble des pays. Il est très positif que 186 pays viennent, quelle que soit leur situation, nous expliquer où ils en sont, de même qu'il est réconfortant de voir les progrès accomplis. La force de la convention est d'être universelle et de représenter l'apogée des droits des femmes – même si je ne suis pas sûre que nous pourrions encore la signer aujourd'hui.
Nous constatons en effet que les droits des femmes reculent dans certains domaines. C'est pourquoi je viens de faire voter, en mars dernier, une recommandation générale au sein de notre comité sur les conséquences économiques du divorce et du mariage. Ma fierté est d'avoir réussi à faire en sorte que les représentantes du monde arabe, en particulier, signent ce texte. Nous avons veillé à ce que celui-ci soit inclusif. En effet, la convention renvoie à ce que Boutros Boutros Ghali appelait l'irréductible humain, c'est-à-dire le non négociable, le socle des valeurs universelles. Nous respectons tous les pays que nous avons en face de nous, nous comprenons les traditions, les cultures, mais nous considérons qu'il y a un socle absolument non négociable.
En tant que présidente, mes trois priorités sont les suivantes :
En premier lieu, faire en sorte que l'Europe continue à agir de façon exemplaire. Le monde a besoin de l'engagement européen. Au fond de l'Afghanistan, par exemple, des femmes se disent que si l'Europe conserve sa capacité d'initiative, il reste de l'espoir. L'Europe doit notamment être attentive à l'impact économique de la crise.
En second lieu, intégrer un segment prioritaire concernant le droit des femmes dans les politiques de développement. On ne peut plus conduire de politiques de développement si elles ne servent pas ce socle non négociable des droits des femmes. Sinon, l'opinion publique finira, à juste titre, par ne plus suivre.
En troisième lieu, assurer les transitions politiques. Il faut qu'à chaque occasion qui vous est donnée, vous invitiez des femmes de Libye, de Tunisie et d'Égypte. C'est leur rendre un service immense. De cette manière, vous leur donnez davantage de visibilité et, de ce fait, davantage de force. Je le dis à tous nos ambassadeurs. Je vous incite également à travailler en ce sens avec d'autres parlements. Sur ces questions, la solidarité s'impose.
Pour terminer, la convention CEDAW est un traité international qui a été reconnu par ces 186 pays. Les aider par tous les moyens, y compris par le biais d'une conditionnalité intelligente, à appliquer la convention CEDAW n'est rien d'autre que les aider à respecter leurs propres engagements. Il n'y a pas un modèle qui s'impose à un autre. Il y a des valeurs qui sont partagées et qui ont été acceptées.
Je pense qu'aujourd'hui le rôle de la France et de l'Europe pourrait être de conduire une action. C'est ce que nous allons faire prochainement, dans le cadre d'une réunion qui se tiendra à Bruxelles. Je me rendrai par ailleurs aux Etats-Unis pour y rencontrer Hillary Clinton, parce qu'elle porte un certain nombre d'actions en ce sens.
Nous allons essayer de mobiliser nos efforts pour aider les pays à faire en sorte qu'aujourd'hui les femmes ne soient plus ce qu'elles ont encore tendance à être trop souvent, c'est-à-dire les premières victimes de toutes les violences. Mais n'oublions pas qu'elles sont aussi, et heureusement, les forces de progrès et de démocratie que nous connaissons bien.
Belle conclusion ! Je suis très sensible au fait que votre comité soit là pour contribuer à mettre en place l'égalité réelle. Car on peut faire toutes les annonces et toutes les lois que l'on veut, cela ne suffit pas. C'est ainsi que, malgré les textes que l'on a votés en France pour garantir l'égalité professionnelle ou lutter contre les violences, les inégalités et les situations d'injustice subsistent.
Par ailleurs, à ma demande, sera créé à l'Assemblée nationale un groupe d'étude intitulé « Genre et droits des femmes à l'international ». Le groupe socialiste en aura la présidence, mais je soutiendrai, bien évidemment, un appel à candidature pour que de nombreux députés participent à ce groupe d'étude.
Dans cette perspective, j'ai interrogé à plusieurs reprises M. Pascal Canfin, le ministre délégué chargé du développement. En effet, une des missions des parlementaires est de contrôler les budgets. Or les budgets du développement gagneraient à être fléchés vers l'égalité et l'accès aux droits des femmes, les deux ODM (objectifs du Millénaire) qui ont le moins progressé. À nous d'aiguiller et d'aiguillonner ces budgets de développement, aussi bien en bilatéral qu'en multilatéral, vers les femmes, le développement, l'éducation, les droits reproductifs, notamment. Les femmes doivent être davantage encore des acteurs du développement.
Je vous encourage en ce sens.
L'agenda post 2015 des Nations unies constitue un enjeu majeur. J'ai personnellement rencontré M. Ban Ki-moon, le secrétaire général de l'Organisation des nations unies, et lui ai dit que nous étions déterminés à faire en sorte que le CEDAW pilote une nouvelle approche du développement par et avec les femmes. Sinon, quel sens aurait le développement ? Or vous avez raison : les objectifs du millénaire n'ont pas répondu à cette exigence.
M. Jean-Michel Severino, l'ancien directeur général de l'Agence française de développement, fait partie du panel de 26 personnes chargé de préparer l'agenda pour le développement de l'après 2015. Il connaît bien ces sujets. Il faut impérativement que la France garde sa capacité d'initiative, pour que la question des droits redevienne un peu l'ADN des Nations unies.
Enfin, madame la présidente, vous avez raison : nous nous interrogeons sur l'avenir de la conférence et de la convention de Pékin. Pour ma part, je propose que cette conférence soit plutôt dédiée aux bonnes pratiques et à sa mise en oeuvre qu'à des discussions sur les principes, qui pourraient s'avérer très complexes.
Madame Ameline, je tiens tout d'abord à vous remercier. Nos connaissons suffisamment votre engagement pour savoir que vous mènerez à bien tout ce qu'il faudra entreprendre en matière de droits des femmes.
Mais vous avez parlé de l'ADN. Je suppose que vous ne faisiez pas allusion aux propos de la présidente sur le groupe « Genre et droits des femmes à l'international » Pourquoi ce titre, d'ailleurs ?
Nous pensons qu'il n'y a pas de rôle assigné aux femmes. Il y a bien deux sexes, masculin et féminin, mais si on veut lutter contre les stéréotypes…
Mais si ! Qu'est-ce qu'un stéréotype ? Le fait qu'on considère qu'il y a des rôles assignés aux filles et aux garçons, notamment au sein de la famille, qu'il y a des métiers de filles, des métiers de garçons, etc. Mais si ce terme vous heurte, ne répondez pas à l'appel à candidatures. D'ailleurs, l'objectif de ce groupe de travail n'est pas de débattre sur le genre…
Le fait de l'inscrire, c'est déjà l'annoncer. Mais j'insiste : je suis une femme et je suis incapable de faire certaines choses que les hommes font, et les hommes ne pourront jamais faire ce que je fais. Notre différence est justement notre force.
Mais genre n'est pas négation de la différence. Simplement, on ne doit pas assigner, dès la naissance…
Bien sûr que si ! Comment se fait-il que certains métiers soient féminins à 90 % ? Est-ce naturel ou génétique ?
Mais ce n'est pas cela, le genre…J'aimerais que Mme Ameline me dise si l'action du CEDOW pour la défense des droits des femmes et pour la protection des femmes passera par le genre.
On parle aussi bien des violences faites aux femmes que des violences de genre. Dans ce dernier cas, on part de l'idée qu'un groupe social, humain, a été placé dans une situation d'infériorité par rapport à l'autre, en l'occurrence le groupe des femmes par rapport au groupe des hommes et qu'il conviendrait de recréer une égalité entre ces groupes. À cette fin, il faut absolument éviter toute construction sociale sur les filles et les garçons. Donner tel destin à une fille parce qu'elle est une fille, comme ce fut le cas pendant des centaines d'années, peut s'assimiler à une forme de violence – violence d'ailleurs légale, dans la mesure où le code napoléon a fait des femmes des mineures incapables. Pour en sortir, il faut arrêter de penser filles et garçons, avec les conséquences que cela peut avoir, notamment, sur leur éducation. C'est une façon de casser les codes. Pour moi, c'est cela la théorie du genre. Cela ne va pas au-delà.
On utilise le terme de « genre » à la place du terme de « sexe » dans les institutions internationales, sans que cela ne pose de problème.
Notre ambassadeur, qui défendait l'autre jour la prise en compte de la violence faite aux femmes dans le cadre du trafic d'armes, a utilisé le terme gender. C'est un mot que j'utilise tous les jours…
Il faut tout de même veiller à l'idéologie qu'il véhicule. En disant cela, je pense à certaines crèches de Suède ou à la crèche Bourdarias, qui a été conçue en France sur le même modèle. Personnellement, je suis tout à fait d'accord pour qu'on lutte contre les stéréotypes dès le plus jeune âge, mais je crois qu'il faut tout de même faire attention où l'on va.
Mais c'est fondamentalement différent !
Selon moi, le droit des femmes ne pourra progresser qu'à partir du moment où, comme vous l'avez dit, madame Ameline, on arrêtera de « catégoriser » les femmes dans tel ou tel secteur au prétexte qu'elles sont femmes. Cela sous-entend qu'elles ne peuvent pas choisir de faire autre chose parce qu'étant femmes, elles n'en sont pas capables.
C'est totalement différent des propos de la présidente de la Délégation aux droits des femmes, qui aboutiraient à supprimer une identité sous prétexte d'égalité. L'égalité ne peut pas s'obtenir de cette façon.
Je n'ai jamais dit cela, et je tiens à apporter la précision suivante à propos de ce groupe d'études « genre et droits des femmes à l'international » : au nom du groupe socialiste, j'ai demandé au Bureau de l'Assemblée nationale que l'on crée un tel groupe d'études, dont les débats rejoindront ceux de la Délégation. Ce n'est pas un groupe de la Délégation et c'est le Bureau qui, en dernier lieu, a décidé de sa création.
J'aimerais que Mme Ameline évoque la conditionnalité qui, selon moi, est un élément intéressant mais demande certainement du doigté dans sa mise en oeuvre.
L'échange que nous venons d'avoir sur le genre a eu le mérite de marquer des limites par rapport à l'utilisation un peu « vaporeuse » qui en a été faite ces derniers temps et dans certains milieux.
Si nous sommes d'accord pour ne pas considérer que la théorie du gender est la base à partir de laquelle nous construisons nos réflexions pour travailler à une véritable égalité entre les femmes et les hommes, je pense que nous serons d'accord sur tout. En effet, certaines interprétations risquent de semer la confusion dans nos réflexions, au point de nous priver d'un bien rare : notre capacité à aboutir à un consensus sur ces questions.
Je voudrais appuyer les propos de Mme Ameline sur l'énorme attente que nourrit l'ensemble des pays de la communauté internationale par rapport à l'Europe, et plus particulièrement par rapport à la France. Je l'avais déjà remarqué lorsque nous avons travaillé avec Danielle Bousquet et la Mission d'information sur la prostitution en France. En l'occurrence, les pays européens désirent que la France exprime clairement sa position sur l'abolitionnisme et aide certains d'entre eux à mettre au point une stratégie de lutte contre la prostitution. Les États qui se sont enfoncés dans l'impasse de la prostitution pourraient peut-être s'en sortir grâce à une action collective.
Nous avons ressenti la même chose, Claude Greff et moi-même, au cours de notre déplacement au Pérou et en Bolivie. Certes, les questions abordées étaient différentes – santé reproductive, lutte contre les violences dès le plus jeune âge, etc. Mais le fait qu'une délégation européenne noue des contacts avec les pays qui souhaitent s'impliquer dans l'étude de ces questions était important.
Cela m'amène à interroger Mme Ameline sur les points suivants : comment l'Assemblée nationale pourrait-elle consolider la position de la France, à laquelle votre présidence a contribué ? Comment pourrions-nous faire en sorte que la reconnaissance de l'universalité des valeurs que nous portons perdure et ne risque pas de « s'évaporer » dans les sphères de l'international ?
Nous avons eu le sentiment, Claude Greff et moi-même, que le volontarisme restait très fragile. Il est toujours soumis aux incertitudes d'autres priorités, d'autres retours vers un passé finalement plus confortable.
La théorie du genre mérite d'être explicitée. L'idée fondamentale est que les femmes sont des êtres humains avant que d'être des femmes. En outre, l'identité de « femme » s'est parfois accompagnée d'une forme d'enfermement. Il convient donc de libérer les femmes de cette identité, sans nier pour autant leur différence.
Je ne vous dirai pas que le combat est perdu. Sinon, je ne serais pas ici. Mais je déplore que les femmes n'aient pas été suffisamment subversives dans leur démarche. Nous vivons toujours dans un système inégalitaire, que ce soit dans la sphère privée ou dans la sphère publique.
Merci, monsieur Geoffroy, pour vos propos. Je précise que le CEDAW condamne l'exploitation de la prostitution. Je connais la volonté qu'ont de nombreux députés, en France et dans le monde entier, de continuer à essayer d'abolir cette pratique. Je me permets de vous suggérer de la relier au trafic d'êtres humains.
Aujourd'hui, le trafic des êtres humains est plus important que le trafic des armes et de la drogue. Or nous nous sommes aperçus que les opinions publiques étaient de plus en plus enclines à condamner toute forme d'exploitation.
L'Europe doit jouer un rôle absolument considérable, parce qu'elle a les moyens d'agir sur ce sujet comme sur beaucoup d'autres. Mais surtout, elle ne peut pas s'arrêter en chemin dans la conquête de l'égalité.
Je vais vous donner l'exemple du Mali. Il faut tout faire pour que ce pays engage sa reconstruction avec les femmes. Je me suis inquiétée de la situation et me rendrai dans ce pays dans dix jours. Nous avons déjà la chance d'avoir, dans la Commission de vérité et de réconciliation, une vice-présidente ! Essayons de faire en sorte que la Délégation, le Parlement français et l'Europe agissent les uns et les autres avec le Mali, comme avec les autres pays qui ont tant besoin de nous.
Je vais vous donner l'exemple du Liban, qui organisera très bientôt des élections législatives. J'ai reçu tout à l'heure une jeune femme libanaise qui a demandé l'aide de la France à cette occasion. Nous devrons profiter de l'ouverture d'esprit dont le gouvernement libanais semble faire preuve pour éviter que ces élections ne se traduisent pas l'élection d'un nombre de femmes trop limité.
Je crois à l'engagement des parlements, à l'engagement de l'Europe, dans son périmètre d'action et au-delà, notamment en Afghanistan. Geneviève Lévy, qui connaît bien la situation de ce pays, sait comme c'est important.
Le terme de conditionnalité n'est pas « politiquement correct ». Pour ma part, je préfère parler de conditionnalité intelligente. Le terme anglais est accountability. Les pays doivent être redevables, comptables. C'est ce que nous leur demandons au cours de nos dialogues constructifs.
Les pays doivent être, notamment, comptables de l'aide publique internationale. Encore une fois, il ne s'agit pas de porter de jugements ni de faire de l'ingérence, mais simplement de faire en sorte que les droits universels reconnus par tous trouvent une application. Et si un pays perçoit une aide publique au développement, il doit avoir l'obligation de rendre des comptes sur la situation des femmes. Aujourd'hui, certains pays qui sont des concentrés de violence sur tous les plans, perçoivent des aides. Il faut que nous procédions progressivement, tout en faisant preuve d'exigence.
Un projet de loi portant transposition de la directive européenne du 5 avril 2011 concernant la prévention de la traite des êtres humains est en cours d'examen par l'Assemblée nationale. Les membres de la Délégation souhaitent y apporter des amendements. La définition de la traite retenue par la France est plus large que celle retenue par l'Europe. La Délégation travaille par ailleurs à une proposition de loi relative à la prostitution.
La France comme l'Europe sont en effet très attendues par la communauté internationale. Nous nous en rendons compte dans les conférences internationales – à l'ONU notamment – ou lors de nos déplacements à l'étranger. Nous avons d'autant plus déploré que l'Europe n'ait pas parlé d'une seule voix lors de la dernière conférence, à New York ; l'opposition est venue de Malte et de la Pologne, alors que tous les autres pays étaient tombés d'accord, y compris sur les droits sexuels et reproductifs.
Au sein de la Délégation, le travail est pluriel, et tout le monde a sa place. Nous y travaillons pour faire progresser en France les droits des femmes. Certes, nous avançons, et nous avons même un ministère des droits des femmes. Mais le chemin à parcourir reste long, notamment pour lutter contre les violences. Si France est attendue, elle n'en doit pas moins progresser.
Madame Ameline, je vous remercie pour votre exposé et pour l'ambition dont vous faites preuve pour les droits des femmes à travers le monde.
Puis la Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a entendu le compte-rendu de M. Guy Geoffroy et de Mme Claude Greff sur leur participation au voyage d'études du Forum parlementaire européen au Pérou et en Bolivie, sur le thème de la santé reproductive et de la planification familiale.
Des représentants de six parlements ont participé à cette mission d'étude du Forum parlementaire européen au Pérou et en Bolivie. Dans ces deux pays, les gouvernements sont démocratiques avec un PIB en croissance. La lutte contre les violences faites aux femmes n'apparaît pas comme une priorité gouvernementale même si notre expérience intéresse ces pays.
Le taux de pauvreté est énorme. Beaucoup de jeunes filles de 12 à 15 ans sont enceintes, les rapports sexuels avant 20 ans augmentent. La situation des familles est difficile et on constate une hausse des taux de suicide, des décès de parturientes. Les médecins font tout ce qu'ils peuvent et le travail des ONG est remarquable malgré des moyens limités.
Je me suis interrogée sur l'utilité de notre venue. Au Pérou, nous n'avons été reçus par aucun ministre et très peu de parlementaires. Le voyage était en tout cas physiquement très éprouvant.
Nous étions sept représentants de Parlements provenant de six pays. La France était le seul pays à compter deux représentants, qui plus est, un homme et une femme. On comptait seulement deux hommes dans ce groupe. Tous les courants politiques étaient représentés. Les repas de travail ont permis le partage de réflexions.
Le constat majeur, c'est la disparité des situations et les contrastes économiques et sociaux énormes entre les villes et les villages situés loin des centres. Au Pérou, qui connaît un fort niveau de développement, quel contraste entre Lima, dont les perspectives sont prometteuses, et l'Amazonie !
La Bolivie est un État plus petit dont le taux de croissance s'élève à 5 %, mais dont on peut dire qu'il compte plusieurs nations dans un État. Historiquement, il a été marqué par la lutte perdue pour un accès à la mer.
Ce qui est vrai partout, c'est la vitalité des actions locales des associations travaillant au contact des populations sur toutes les thématiques. Beaucoup de jeunes hommes y sont d'ailleurs présents et actifs, montrant un grand sens civique. Certaines ONG sont très critiques sur l'action des pouvoirs publics qui, selon elles, se contenteraient de distribuer de l'argent aux familles sans mettre en place de véritables services publics, alors que l'accès à l'eau et à la santé, par exemple, est très limité.
Le poids de l'Église comme institution, très conservatrice et même réactionnaire, est palpable, ce qui donne lieu à des tensions avec l'action des organisations locales pleines de vitalité.
L'Église adopte-t-elle une position homogène ou est-elle plus ou moins pragmatique selon les régions ?
Elle est homogène, et le développement démocratique est peut-être encore insuffisant pour influencer la position de l'Église.
Au Pérou, nous n'avons pas eu de contact avec les représentants politiques mais seulement par les responsables de programmes. Nous avons été reçus en revanche au Parlement bolivien par trois présidents de commission.
Ce qui donne de l'espoir, c'est que dans la jungle amazonienne, l'investissement des élus locaux est admirable : les représentants sont présents auprès des populations pauvres. Les politiques locales sont construites avec les ONG. Il y a un volontarisme, une grande qualité de la réflexion et une exigence des acteurs de terrain. La qualité des actions est là, mais tout cela demeure fragile. Il m'a semblé que le développement démocratique n'était pas encore à la hauteur du développement sociétal. Enfin, je mentionnerai le rôle important joué par la Représentation européenne à La Paz, dont la présence est très volontariste et exigeante.
La séance est levée à 19 heures.