Intervention de Pascal Dayez-Burgeon

Réunion du 24 avril 2013 à 16h30
Commission des affaires étrangères

Pascal Dayez-Burgeon, directeur adjoint de l'Institut des sciences de la communication du CNRS :

Il est très difficile de s'appuyer sur des données fiables. Ni le Fonds monétaire international ni la Banque mondiale n'en disposent. En effet, toutes celles publiées par les autorités nationales sont fausses. Les taux de croissance annoncés sont-ils réels ou relèvent-ils de l'idéologie ? Le pays prétend que depuis 2000, sa croissance est repartie et aurait même dépassé celle de la Corée du Sud en 2008, renouant avec la réalité d'avant 1974, date à laquelle les courbes de croissance des deux pays se sont inversées pour ne plus jamais se recouper. Est-ce crédible ? On n'en sait rien. Pour obtenir des informations, nous sommes tributaires des témoignages de ceux qui se rendent dans le pays, Français – nous avons des échanges commerciaux avec la Corée du Nord – ou Sud-Coréens. Beaucoup de Sud-Coréens se rendent au Nord dans le cadre d'échanges universitaires notamment. Des échanges de journalistes ont également eu lieu : en 2006, dix journalistes sud-coréens sont restés huit mois en Corée du Nord et ont d'ailleurs décrit une Pyongyang surprenante. Leur témoignage est précieux dans la mesure où il faut une autorisation spéciale pour se rendre dans la capitale. Pyongyang et Nampo, le port qui donne sur la mer Jaune, apparaissent comme une zone privilégiée par rapport à la côte Est, qui serait laissée à l'abandon. Autour de Pyongyang, on ne vivrait pas trop mal. Il y aurait des petits commerces, des commerces de semi-luxe, des cybercafés… D'après des sources différentes qui toutes concordent, près de la moitié des habitants de la capitale posséderaient un téléphone portable. Or, le pays n'en fabrique pas. Les appareils proviennent donc de Corée du Sud en transitant par les zones économiques spéciales à la frontière chinoise.

Au total, il semble que la situation soit moins catastrophique que la Corée du Nord ne le prétend pour obtenir de l'aide par son double chantage nucléaire et humanitaire. Nul doute que le pays cherche à émouvoir en invoquant sa pauvreté. Est-il vraiment si pauvre qu'il le prétend ? La Corée du Sud estime que dans la région-capitale en tout cas, le pays a le niveau de développement qu'elle-même avait atteint dans les années 1970.

Il se trouve que lorsque je servais à l'ambassade de France à Séoul, celle-ci avait lancé un programme de coopération culturelle avec le Nord, dans le cadre duquel des étudiants nord-coréens avaient reçu des bourses pour étudier dans des établissements français, dont Sciences Po. Les étudiants sud-coréens de Sciences Po étaient d'ailleurs affolés, une loi de leur pays interdisant, sous peine de prison, à tout Sud-Coréen d'avoir des contacts avec un Nord-Coréen. J'ai à cette époque pu m'entretenir avec ces étudiants nord-coréens, qui parlaient d'ailleurs très bien le français. Ils m'expliquaient très spontanément que les Nord-Coréens aimaient à plaisanter et étaient capables de se moquer de leurs dirigeants, ajoutant toutefois que celui qui avait le plus d'humour dans leur pays, c'était Kim Jong-Il ! Cela montre bien les limites de l'exercice.

La Corée du Nord aurait connu des émeutes dans les années 1980. L'armée a été obligée d'intervenir à Chongjin. Une partie de la population ne supporte ni la misère ni le manque de liberté. Mais le régime tient quand même, grâce à l'armée. Il faut bien voir que si ses effectifs sont d'un million d'hommes, elle représente, avec les familles des militaires, près de deux millions et demi de personnes, soit quelque 10% de la population. C'est une véritable aristocratie et la Corée du Nord est aujourd'hui en pleine réaction aristocratique.

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