Audition, ouverte à la presse, de Mme Valérie Niquet, responsable Asie à la Fondation de la recherche stratégique, et de M. Pascal Dayez-Burgeon, directeur-adjoint de l'Institut des sciences de la communication du CNRS, sur la Corée du Nord
La séance est ouverte à seize heures trente.
Nous recevons cet après-midi Mme Valérie Niquet, responsable du pôle Asie à la Fondation pour la recherche stratégique et M. Pascal Dayez-Burgeon, directeur adjoint de l'Institut des sciences de la communication du CNRS, pour une réunion consacrée à la Corée du Nord. Ces dernières semaines ont en effet été marquées par une multiplication des provocations et des menaces de la part du nouveau dirigeant, Kim Jong-Un, qui a succédé à son père il y a à peine un an. Cette montée des tensions a fait l'objet d'une grande attention médiatique, en particulier aux États-Unis mais pas seulement.
Je rappellerai brièvement l'enchaînement des faits. Après un tir de missile en décembre 2012 puis un troisième essai nucléaire le 12 février 2013, des sanctions internationales ont été adoptées, avec le soutien de la Chine. En réaction, Pyongyang a multiplié les déclarations agressives : évocation d'une guerre thermonucléaire le 9 mars, menaces adressées aux États-Unis de frappes préventives sur leurs bases au Japon et à Guam le 21 mars, déclaration de l'état de guerre avec la Corée du Sud le 30 mars, enfin installation d'un missile le 5 avril ainsi que de lanceurs.
La Corée du Nord nous a bien sûr habitués à une rhétorique guerrière, mais son nouveau dirigeant s'adonne aussi, fait nouveau, à l'invective. Il est difficile de savoir si le régime est irrationnel, imprévisible et incontrôlable comme certains le pensent, ou s'il poursuit une stratégie trop connue consistant à se placer au centre du jeu pour assurer sa survie politique et monnayer une aide économique.
La France n'entretient pas de relations diplomatiques avec la Corée du Nord et peu d'informations filtrent permettant d'avoir d'une vision claire de la situation intérieure comme des risques pour la sécurité internationale. Le calme observé dans la région, notamment en Corée du Sud, est certes rassurant. Un acte belliqueux localisé déclenchant une riposte n'est toutefois pas exclu, et la capacité nucléaire du pays représente toujours une menace.
Alors que nous assistons, semble-t-il, ces derniers jours, à une certaine désescalade, la question se pose à moyen terme de la volonté et de la capacité du régime nord-coréen à s'ouvrir, au moins sur le plan économique, ce qui fragiliserait sans doute le clan au pouvoir, et des conséquences d'un tel bouleversement pour l'ensemble de la région, à commencer par la péninsule coréenne, le Japon et la Chine.
Dans ce contexte, la position de la Chine apparaît toujours aussi ambiguë, entre engagement à réduire les tensions et intérêt au maintien du régime. La Chine doit aussi composer avec le pivot stratégique américain en direction de l'Asie-Pacifique et réaffirme ses revendications en mer de Chine, suscitant de vives tensions avec la Corée du Sud et le Japon.
C'est pour nous aider à y voir plus clair sur l'état de la situation que nous vous avons conviés, madame, monsieur. Je donnerai d'abord la parole à Mme Niquet, qui interviendra sur les enjeux stratégiques de cette nouvelle crise, puis M. Dayez-Burgeon présentera un point de vue « de l'intérieur », c'est-à-dire la perception qu'ont les acteurs régionaux de la situation et les évolutions possibles de la péninsule nord-coréenne.
Vous avez excellemment brossé l'état des lieux, madame la présidente. On a beaucoup parlé ces derniers mois de la crise nord-coréenne aux États-Unis, mais aussi, ce qui est plus nouveau, en Europe et en France. Cette crise frappe par sa durée : rien ne semblait pouvoir calmer la rhétorique extrêmement agressive du dirigeant nord-coréen, pratique à laquelle son pays nous a habitués. Mais ces menaces n'ont été suivies d'aucune action militaire, d'où le calme dont a fait preuve la Corée du Sud. La nouveauté est que la Corée du Nord, ayant procédé à trois essais nucléaires et bien que l'on puisse douter de la réalité de ses capacités, peut désormais brandir la menace d'une guerre thermonucléaire avec un peu plus de crédibilité qu'il y a quelques années. Ayant également réussi un tir de missile balistique à longue portée, elle peut menacer le territoire des États-Unis.
Depuis le 15 avril, date du centième anniversaire de la naissance de Kim Il-Sung, grand-père du dirigeant actuel, la tension semble retomber et on observe une effervescence diplomatique avec la Chine et les États-Unis. Tout d'abord, la Corée du Nord, qui avait refusé tout dialogue, y compris avec Pékin, va recevoir un émissaire chinois. Au même moment, Wu Dawei, ancien chef de la délégation chinoise dans les dialogues à six, entre la Chine, les États-Unis, la Russie, le Japon et les deux Corée, où était abordée la question nucléaire et qui ont été interrompus en 2008, se rend aux États-Unis. Et il y a quelques jours, le secrétaire d'État américain, John Kerry, terminait une tournée en Asie qui l'a vu se rendre en Corée du Sud, au Japon et en Chine. Selon les termes mêmes du Quotidien du peuple et du ministère chinois des affaires étrangères, l'objectif est « de procéder à un échange de vues en profondeur sur la question nord-coréenne ».
C'est dans le cadre de ce rapport de forces entre Pékin et Washington qu'il faut analyser la question nord-coréenne. Bien que l'on ait douté de sa capacité d'agir en Corée du Nord, la Chine souhaite se montrer indispensable, en pesant « au bon moment » sur la situation dans ce pays. Son émissaire arrive aux États-Unis alors que la situation se calme et qu'il y a eu des contacts entre Pyongyang et Pékin. En échange, comme l'ont souligné plusieurs articles publiés dans le pays, Pékin espère des concessions de la part des États-Unis, peut-être la reprise du dialogue avec la Corée du Nord, mais surtout une baisse de la tension dans la région. Pour Pékin, la tension ne provient pas d'abord de la crise nord-coréenne, mais de la présence de plus en plus affirmée, considérée comme agressive, des États-Unis et de leurs alliés dans la région, avec notamment les manoeuvres qu'ils organisent avec la Corée du Sud depuis 2010. Chaque année depuis lors, la Chine comme la Corée du Nord les dénoncent vigoureusement.
La Chine aimerait aussi que les États-Unis modèrent leur soutien au Japon. Si la crise sino-japonaise actuelle venait à déraper, les conséquences en seraient encore bien plus importantes que celles de la crise coréenne. Hier, la Chine a envoyé dans la zone que le Japon revendique comme eaux territoriales des îles Senkaku, la plus importante flottille de bâtiments des forces de surveillance océanographique qu'elle n'y ait jamais envoyée. Le Premier ministre japonais a déclaré qu'en cas de tentative de débarquement de forces chinoises, même civiles, le Japon se trouverait dans l'obligation de riposter. L'un des objectifs de Pékin, dont il n'est pas certain qu'il puisse l'atteindre, est bien que les États-Unis modèrent leur soutien à leur allié japonais, et idéalement, qu'ils remettent en cause la stratégie du pivot qu'ils ont adoptée en Asie depuis 2009-2010 face à la montée en puissance d'une Chine perçue comme beaucoup plus agressive.
Pour en revenir à la péninsule nord-coréenne, les risques de conflit ouvert sont aujourd'hui très limités. Même si la Corée du Nord a procédé à des essais nucléaires et lancé avec succès des missiles balistiques, même s'il a fuité de rapports américains que le pays disposait peut-être des moyens de miniaturiser une tête nucléaire pour l'installer sur un missile, peu de spécialistes s'accordent à considérer cette capacité effective. Il n'existerait donc pas de menace grave. Et surtout le pari stratégique d'un conflit ouvert avec la Corée du Sud et les États-Unis serait extrêmement hasardeux pour le régime nord-coréen. Face à la Corée du Nord, plus que face à l'Iran, la dissuasion joue encore à plein, dans la mesure où le régime, obsédé par sa survie, n'est pas prêt à se lancer dans une stratégie suicidaire face aux États-Unis.
Cela étant, l'histoire récente a montré que des dérapages étaient toujours possibles. En 2010, le régime a coulé un bâtiment sud-coréen, provoquant une cinquantaine de morts, puis a bombardé des îlots, faisant là encore des victimes. Et selon un militaire chinois auteur d'un article sur le sujet, un quatrième essai nucléaire nord-coréen n'est pas exclu.
Je ne m'étendrai pas sur les raisons de la tension actuelle. La jeunesse bien sûr du dirigeant nord-coréen actuel qui cherche à s'affirmer ; les élections en Corée du Sud et l'arrivée d'une nouvelle dirigeante qui n'est pas favorable à un dialogue sans conditions avec le voisin du Nord ; l'intransigeance de l'administration Obama qui, selon la doctrine de la « patience stratégique », n'acceptera de reprendre le dialogue avec la Corée du Nord que si celle-ci donne de vrais gages en matière de dénucléarisation ; enfin un jeu extrêmement trouble avec la Chine autour d'une menace de déstabilisation régionale. Aux Nations-unies, la Chine a voté les sanctions à l'encontre de la Corée du Nord mais on s'interroge sur leur application effective, tant la frontière entre les deux pays est peu contrôlée. Elle ne l'est en tout cas pas de manière internationale. S'il est évident que la Chine préférerait un régime nord-coréen plus « normal », avec lequel elle pourrait intensifier ses échanges économiques, elle n'est pas prête à lâcher le régime actuel et risquer une réunification de la péninsule sous l'autorité de la Corée du Sud, qui s'accompagnerait de la remontée d'une présence américaine jusqu'à ses frontières.
Comme on peut le déduire de divers articles parus récemment dans le pays, l'une des solutions préconisées par Pékin serait que la communauté internationale accepte le fait nucléaire nord-coréen actuel en contrepartie d'une nouvelle promesse de la Corée du Nord de ne pas aller au-delà. Cette position, qui reviendrait à accepter une prolifération, est inacceptable pour les États-Unis comme pour les voisins de Pyongyang.
Je terminerai en évoquant brièvement les enjeux stratégiques pour la France autour de la péninsule nord-coréenne, et d'une manière plus générale en Asie du Nord-Est. Présente dans le Pacifique, membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies et puissance nucléaire, la France, qui conserve des ambitions de puissance globale, ne peut rester indifférente à la situation dans cette région du monde. Elle est également impliquée, ne l'oublions pas, dans la surveillance des accords d'armistice de 1953, qui ont été dénoncés par la Corée du Nord. Enfin, toute crise majeure ou même seulement la perception d'une crise par les puissances régionales dans cette zone de fort dynamisme économique, où transite une large part du commerce mondial, et où se font face les trois premières puissances économiques du monde – les États-Unis, la Chine et le Japon –, pourrait avoir des répercussions majeures très au-delà de cette région du monde.
La crise actuelle me paraît correspondre à un dilemme interne à la Corée du Nord et traduire un paradoxe de communication.
La Corée du Nord est un régime militaire. Comme on le disait de la Prusse au 19èmesiècle, on ne sait pas bien si c'est un État qui a une armée ou une armée qui a un État. La confusion entre les deux est totale. Cet état de fait est d'ailleurs antérieur à la naissance de la Corée du Nord. La création de l'armée populaire de Corée date du 24 avril 1932, durant la résistance contre le Japon.
Le régime nord-coréen tient essentiellement par l'armée et une idéologie militariste – le juche –, concept confucéen mâtiné de marxisme-léninisme, qui vise à proclamer la souveraineté absolue de la Corée – je dis la Corée, puisque la Corée du Nord se considère comme la seule vraie Corée, son voisin du Sud n'étant à ses yeux qu'une colonie américaine. Le régime repose d'autant plus sur l'armée que l'économie du pays s'est effondrée. Depuis les années 1990, le régime a fait du « tout pour l'armée » son mot d'ordre, et en remerciement de son soutien, a donné à l'armée de vastes domaines agricoles et même des usines qu'elle exploite. Elle constitue un État dans l'État.
L'économie de type stalinien fondée sur l'industrie lourde, que le régime avait adoptée dans les années 1950, s'est effondrée dans les années 1970 avec la crise énergétique. Le pays a progressivement perdu ses clients à cause de l'inadaptation de ses produits. Et l'économie s'est trouvée à l'arrêt total dans les années 1990, l'industrialisation massive ayant de surcroît provoqué de très graves dommages écologiques. Après les inondations catastrophiques de 1995-1997 et une famine épouvantable, le régime se trouvait au bord du gouffre.
La solution alors préconisée par Pékin a été une ouverture économique « à la chinoise », avec une certaine dose de marché, afin de permettre à la population, qui n'était plus aidée par l'État, de s'en sortir par elle-même. C'est ce qu'a modérément essayé de faire Kim Jong-Il à son arrivée au pouvoir en 1994. À partir de 2002, les entreprises nord-coréennes ont été autorisées à investir, à faire des bénéfices et à fixer en partie librement le salaire de leur personnel. Le pays a connu un embryon d'économie de marché qui a conduit, notamment dans la région de Pyongyang, à la naissance d'une bourgeoisie d'affaires qui s'est enrichie, tant d'ailleurs par ses trafics multiples que par la gestion de ses entreprises. Cette bourgeoisie ne tire sa légitimité ni de sa fidélité à la dynastie Kim ni de son allégeance à l'armée.
Le régime est aujourd'hui face à un dilemme : ou bien continuer de s'appuyer sur l'armée et les grandes propriétés que celle-ci exploite de manière traditionnelle, ou bien accepter un début d'économie plus libre autorisant les profits. Ainsi à qui le célèbre M. Pak Gyu-hong, qui dirige depuis 2005 la grande usine de cosmétiques de Pyongyang, qui emploie 10 000 personnes et réalise plusieurs millions d'euros de chiffre d'affaires, également député à l'Assemblée du peuple, doit-il son succès : l'allégeance au clan Kim, son respect de l'armée ou sa capacité à gagner de l'argent ?
C'est à ce dilemme que s'est trouvé confronté Kim Jong-un à son arrivée au pouvoir en 2011. Très jeune, peu formé, il n'a pas la légitimité de ses ancêtres. Kim Il-sung avait été un très grand résistant, dont la légitimité était reconnue même au Sud. Son fils, Kim Jong-il, né durant la Résistance, avait reçu une longue formation et avait encore un semblant de légitimité. Son troisième fils, Kim Jong-un, choisi pour lui succéder au terme de manoeuvres byzantines de palais – le fils de la première épouse de Kim Jong-il a été écarté au profit de ceux de la seconde – n'a que peu de légitimité. À son arrivée au pouvoir, il promet donc ce qui plaît à la bourgeoisie de Pyongyang, seule population du pays qu'il connaît, à savoir renforcer l'économie. Il parle de « bâtir un pays puissant et prospère », ce qui laisse penser que l'on va s'orienter vers une économie à la chinoise. Le problème est qu'il tient sa seule légitimité de l'armée : président du comité de la défense nationale, titre qui correspond de fait à celui de chef de l'État, promu maréchal, comme son grand-père et son père avant lui, il doit donner des gages à l'armée. Et c'est ce qu'il fait depuis plusieurs mois en menaçant le monde. Celui qui promettait l'ouverture économique promet désormais l'apocalypse nucléaire dans l'espoir d'apparaître ensuite comme un général victorieux, ce qu'il n'est pas.
Il est soutenu par son oncle – le mari de la soeur de son père –, Jang Song-thaek. Celui-ci semble proche de la Chine, et même avoir des liens avec Xi Jinping. Quand Jang Song-thaek apparaît parmi les dignitaires du régime, c'est qu'on s'oriente vers plus d'ouverture économique et lorsqu'il en disparaît, c'est au contraire qu'on revient à l'agressivité militaire. Il n'est pas anodin qu'il ait soudain réapparu début avril, après avoir disparu durant deux mois depuis février. Le régime joue de tels signes. C'est une partie de bluff, les menaces visant à obtenir une aide alimentaire.
Kim Jong-Il était passé maître dans l'art de jongler ainsi entre menace et ouverture. La crise actuelle ressemble à celle de 1994 – souvenons-nous qu'en juillet de cette année-là, le président Clinton avait envoyé l'ex-président Carter pour une mission de la dernière chance à Pyongyang. À ceci que près Kim Jong-il ayant ainsi « fait le coup » pendant dix-huit ans, on n'y croit plus vraiment. D'où la nécessité pour Kim Jong-un d'atteindre un degré supplémentaire dans l'escalade en ajoutant l'invective à la menace. Jusqu'à présent, Pyongyang menaçait son voisin du Sud par exemple de « noyer Séoul dans un océan de feu ». Ces envolées littéraires ont aujourd'hui cédé place à l'insulte : le premier ministre et le ministre de la défense sud-coréens ont ainsi été traités de « fils de chiennes ».
La crise actuelle est aussi un paradoxe de communication. Certains en Corée du Sud se demandent si les récents attentats de Boston ne sont pas une chance pour Kim Jong-un, qui ne savait pas trop comment mettre un terme à l'escalade verbale. Tous les médias se concentrent désormais sur cette actualité et plus aucun ne parle de la Corée du Nord. La presse sud-coréenne s'en amuse. Ainsi la presse a-t-elle publié un dessin où on voit, côte à côte, une ogive nucléaire de plusieurs milliards de dollars et une cocotte-minute de quelques dizaines de dollars pour se moquer du fait qu'il est plus simple de faire du terrorisme international avec une bombe artisanale qu'avec une bombe nucléaire ! C'est bien la preuve que les Coréens du Sud ne croient pas trop à la menace du Nord.
Ce qui est nouveau aussi dans la crise actuelle, c'est l'écho qui lui a été donné. Certes, tout ce qui touche au nucléaire est porteur de dangers, mais force est de constater que ce large écho en arrange beaucoup. C'est le cas aux États-Unis où le budget militaire a pu être sanctuarisé du fait de la menace nord-coréenne, et où l'on entend bien vendre à la Corée du Sud un nouvel avion de chasse qu'en dépit de ses défauts de fabrication, elle devrait préférer à l'Eurofighter. La Corée du Sud aussi tire profit de la crise actuelle. La nouvelle présidente de la République, Mme Park Geun-hye, fille du général qui a dirigé d'une main de fer le pays de 1961 à 1979, a été élue par les conservateurs, lesquels réalisent toujours de bons scores électoraux quand menace le voisin du Nord. Le lancement du missile a sans nul doute avantagé la campagne de Mme Park. Un scandale est également en train de naître autour des conditions mêmes de son élection, à laquelle les services de renseignement semblent avoir été mêlés de près, scandale que la menace nord-coréenne aide à faire passer au second plan, de même que ses difficultés à former son gouvernement. Les deux premiers ministres qu'elle a proposés n'ont pas été acceptés par le Parlement. Plusieurs des candidats ministres ont été contraints de démissionner parce qu'ils possédaient des comptes aux États-Unis.
C'est précisément là ce que la presse sud-coréenne reproche au traitement de la crise actuelle. Elle s'étonne que la presse américaine, à laquelle la presse européenne a emboîté le pas, fasse un tel cas de l'affaire présente. Pour les Coréens du Sud, il s'agit là de menaces habituelles. C'est quotidiennement que la présentatrice de la Télévision nord-coréenne, Mme Ri Chun-hi, ancienne chanteuse d'opéra, âgée de 75 ans, vêtue du costume traditionnel, hurle des slogans de victoire pour la Corée du Nord, proclamant notamment que « tous ses ennemis seront écrasés ». La menace de rompre les accords de Panmunjeom de 1953 a déjà été utilisée à deux reprises ; la suspension des accords inter-coréens de coopération de 1991 a déjà été annoncée trois fois. Il n'y a donc là rien de neuf et les Coréens du Sud, tout en comprenant les raisons de l'écho de la crise actuelle, s'en étonnent et le regrettent en raison de son impact potentiel sur la politique intérieure de leur pays.
Cet écho est aussi lié à la nouvelle résonance qu'Internet et les réseaux sociaux donnent aux relations internationales. Cette crise est en effet devenue objet de gossip : on en parle, on en plaisante aux États-Unis, en Corée du Sud, peut-être même jusqu'en Corée du Nord mais cela est plus difficile à savoir. En réalité, la Corée du Nord tire profit des réseaux sociaux pour faire parler d'elle. Les problèmes globaux que pose le pays ne sont pas traités seulement dans les enceintes diplomatiques et politiques. L'opinion aussi s'en empare. Ainsi aux États-Unis, Homefront un jeu vidéo narrant la conquête du territoire américain par Kim Jong-un en 2025 s'est-il vendu à six millions d'exemplaires. Le film, sans grand intérêt, La chute de la Maison Blanche, dans lequel la Corée du Nord s'empare de la Maison Blanche, y remporte un très vif succès. L'opinion américaine semble avoir fait du Nord-Coréen son « ennemi absolu ». Dans les premiers instants qui ont suivi les attentats de Boston, on a pensé que les responsables pouvaient en être des Nord-Coréens. La Corée du Nord joue de tout cela.
Après que Kim Jong-un a assuré que tout était prêt pour la guerre nucléaire et qu'il suffisait « d'appuyer sur le bouton », un grand quotidien du Sud titrait : « Appuie et qu'on n'en parle plus ! ». C'est dire l'humour avec lequel est traitée la situation. Lassés des menaces peu crédibles de leur voisin du Nord, les Sud-Coréens voudraient surtout qu'on parle moins des coups de bluff auxquels se livre Kim Jong-un, en bon élève ayant appris de son père comment manier le chantage nucléaire.
L'attitude du régime nord-coréen fait de la force nucléaire de dissuasion le vecteur de sa sécurité extérieure mais aussi le garant de sa cohésion intérieure. La possession de l'arme nucléaire est un élément structurant du régime et il paraît vain d'espérer son abandon. Il n'est donc de choix qu'entre deux attitudes. La première est d'accepter de négocier, au risque de nouvelles fausses promesses. La seconde est de refuser la négociation, au risque d'aviver les tensions et de faire se multiplier les démonstrations de force. Cette deuxième solution, choisie par les gouvernements américain et sud-coréen, conduit à une impasse diplomatique. Face aux sanctions appliquées par Washington et Séoul, le régime nord-coréen a multiplié les provocations et aujourd'hui, même son allié chinois désapprouve ses menaces. Avec la Chine aussi, le dialogue semble rompu et les espoirs de le rétablir semblent minces. Quel nouvel intermédiaire pourrait, selon vous, permettre de sortir de l'impasse ? Avec quelles perspectives de négociation ?
Au-delà du bluff actuel, à quelle échéance la Corée du Nord serait-elle en mesure de détenir une véritable arme nucléaire ? Quelles en seraient les conséquences ?
Une contestation interne du pouvoir en place est-elle possible ? Avec quelles chances de le renverser ?
La situation intérieure de la Corée du Nord semble très tendue et fragile. Avec les souffrances actuelles qu'endure la population, jusqu'à quand le régime actuel peut-il tenir ? Une révolte intérieure est-elle imaginable ? Deux voies sont possibles : soit une évolution à la chinoise en matière d'organisation économique, soit une emprise renforcée de la Corée du Sud sur son voisin du Nord. Les deux scénarios sont dangereux, mais l'un ne le serait-il pas moins que l'autre ?
Comme vous l'avez excellemment rappelé dans un article du Monde en date du 9 avril dernier, monsieur Dayez-Burgeon, la Corée du Nord sait que ni la Chine, ni le Japon ni la Corée du Sud ne souhaitent sa disparition à court terme. Qu'en est-il de la Russie ? Quel regard porte-t-elle sur la péninsule coréenne et quelle est sa position vis-à-vis de la Corée du Nord ?
Un nouvel intermédiaire pourrait-il aider à résoudre la crise coréenne ? On en voit peu en-dehors de ceux qui existent déjà. L'Union européenne a assez longtemps été dans le jeu par sa contribution financière à l'Organisation pour le développement énergétique de la péninsule coréenne – dont l'acronyme anglais est KEDO. Mais ce que les pays de la région attendent, c'est un engagement de sécurité. Cela limite le rôle de l'Europe perçue comme une puissance « douce ». La stratégie d'aide, au travers notamment de ce programme KEDO, n'a pas permis de stopper le développement des capacités nucléaires et balistiques de la Corée du Nord. L'Union européenne avait par ailleurs la désagréable impression qu'on attendait seulement d'elle son aide financière.
La Russie participait aux fameux dialogues à six, aujourd'hui interrompus. Elle était notamment à la tête d'un groupe de travail au moment où on pensait que ce dialogue pourrait évoluer vers une sorte d'organisation régionale de sécurité en Asie du Nord-Est. Elle reste aujourd'hui en retrait sur la question nord-coréenne. Si la situation s'apaisait et si, comme il en avait été question un temps, pouvaient s'ouvrir des voies de chemin de fer entre le Nord et le Sud de la péninsule, elle serait intéressée d'y relier son propre réseau ferroviaire et de pipe-lines et de disposer ainsi d'un débouché direct sur l'Océan Pacifique. On est loin de ce projet aujourd'hui. Impliquée dans la crise coréenne actuelle comme l'est tout membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, sensible à tout ce qui touche à l'ingérence, la Russie semble attendre aujourd'hui que la situation se décante.
À quelle échéance la Corée du Nord pourrait-elle disposer de véritables armes nucléaires ? Je ne saurais le dire. En effet, la plus totale opacité règne sur le sujet. Il est sûr en revanche que ce pays est beaucoup plus en avance que l'Iran en matière de capacités nucléaires et balistiques. S'il parvenait à se doter d'armes nucléaires, la menace devrait être prise très au sérieux. Les États-Unis ont d'ailleurs déjà déployé des batteries de missiles anti-missile à Guam et au Japon.
Aux yeux de Pékin comme de Pyongyang, même s'ils l'expriment différemment, la principale menace est celle d'un changement de régime, après usage éventuel de la force. Ils songent au cas de l'Irak et la Libye. Pékin fait valoir que si l'Irak avait disposé de l'arme atomique, Saddam Hussein serait toujours en place. C'est aussi ce que pense Pyongyang pour qui l'arme nucléaire représente à terme comme une garantie de survie.
Je laisserai M. Dayez-Burgeon vous répondre pour ce qui concerne la contestation interne. Pékin a-t-il les moyens de soutenir un clan ou une faction plus favorable à l'ouverture économique ? Le régime étant très opaque, on en est réduit à s'interroger sans obtenir vraiment de réponse. En dépit d'une situation économique très difficile depuis longtemps, le régime se maintient car d'une part, il n'a aucun souci du bien-être de la population – son seul objectif est de satisfaire l'armée et le clan au pouvoir –, d'autre part c'est la Chine qui lui permet de survivre. Elle a certes voté les sanctions internationales mais depuis le vote des premières sanctions en 2006, après le premier essai nucléaire, elle est devenue, et de loin, le premier partenaire commercial du pays. Les échanges entre la Chine et la Corée du Nord atteignent aujourd'hui six milliards de dollars par an. Elle est aussi le premier investisseur dans le pays. Elle prend des intérêts dans ses mines, ses ports, ses infrastructures… Elle est en outre son seul fournisseur de pétrole. Contrairement à ce qu'elle laisse parfois entendre, elle a vraiment les moyens d'exercer une pression sur la Corée du Nord.
La Chine porte-t-elle un regard différent sur la Corée du Nord depuis l'accession au pouvoir de Kim Jong-un ? Son attitude vis-à-vis du pays a-t-elle changé ?
Il existe aujourd'hui un débat en Chine qui s'exprime dans la presse mais ne se traduit pas par une évolution majeure de la position chinoise sur la Corée du Nord. Un professeur à l'École centrale du parti communiste chinois auteur d'un article dans lequel il expliquait qu'il était temps pour la Chine, dans son propre intérêt, d'abandonner le régime nord-coréen, toute cette agitation focalisant l'attention des États-Unis sur une zone que Pékin aimerait voir libre de toute ingérence extérieure, a été immédiatement sanctionné et a perdu son poste. Comme on le constate en discutant avec des militaires chinois ou des spécialistes des questions stratégiques en Chine, Pékin n'a pas renoncé à l'idée qu'en dépit des problèmes complexes qu'elle pose, la Corée du Nord est un atout stratégique pour elle, qu'elle peut monnayer ou de manipuler. La Chine n'est donc pas prête à lâcher la Corée du Nord. Même si dans les instances officielles, elle s'oppose à ce que celle-ci possède une capacité nucléaire, elle est elle aussi convaincue que c'est une garantie de survie pour le régime, menacé par des puissances extérieures, au premier rang desquelles les États-Unis.
On a dit qu'il était favorable à l'ouverture économique et proche de Pékin. Mais il est très difficile de connaître les allégeances des uns et des autres à l'égard de la Chine. Il existe des liens étroits entre l'Armée populaire de libération (APL) chinoise et l'armée nord-coréenne, fondés sur l'ancienne fraternité d'armes des volontaires chinois. Quelle que soit sa proximité avec tel ou tel clan, Pékin fait toujours de froids calculs d'intérêt, cherchant à apprécier ce qui lui est le plus favorable. Et aujourd'hui, en dépit des crises, c'est clairement le maintien du statu quo dans la péninsule coréenne.
Quelques mots de la situation intérieure. Le régime nord-coréen n'est plus un régime communiste depuis longtemps. Il a d'ailleurs renoncé à toute référence marxiste-léniniste. C'est une monarchie confucéenne.
On s'est longtemps défié et gardé en Corée des évolutions de l'empire chinois. Lorsqu'au 17ème siècle, les Mandchous ont succédé à la dynastie des Ming, la Corée a prétendu être le conservatoire de la culture chinoise, considérant que la Chine trahissait sa propre culture. Elle a la même position aujourd'hui, estimant que la Chine trahit son passé communiste.
Dans la Résistance contre le Japon, la dynastie coréenne des Kim a évincé celle des Li, qui s'était disqualifiée en collaborant avec l'occupant japonais. Pour asseoir encore davantage la légitimité des Kim, on est allé jusqu'à dire que l'arrière grand-père de Kim Il-sung était celui qui, au 19ème siècle, avait repoussé le premier navire russe ayant remonté le fleuve Daedong jusqu'à Pyongyang. Ancestrale, la légitimité de la dynastie Kim aujourd'hui est d'essence monarchique. Kim Jong-un ne peut pas être remis en cause : nul autre que lui ou un membre de sa famille ne pourrait diriger le pays. À moins d'un assassinat – en avril 2004, Kim Jong-il a échappé de peu à un attentat dans un train près de la frontière chinoise ayant fait quatre-vingts morts –, il est assuré de rester au pouvoir. Globalement la population adhère au régime. Personne ne s'est rebellé lors de la succession de Kim Jong-il. Les larmes des vieux généraux à l'arrivée au pouvoir de Kim Jong-un n'étaient pas feintes, qui voient en lui la réincarnation de Kim Il-sung. Kim Jong-un règne aujourd'hui sur la Corée du Nord tel un monarque. Gouverne-t-il ? C'est une autre question.
Quelles marges de négociation existe-t-il ? La politique du « rayon de soleil » (sunshine policy), lancée en 2000 par le président sud-coréen Kim Dae-jung et visant au rapprochement entre les deux Corée, était fondée sur l'idée que, quoi qu'il advienne, il fallait découpler le discours de la Corée du Nord des faits. L'idée était de voir le voisin du Nord tel qu'il était, et non tel qu'il se prétendait ou tel que la Corée du Sud aurait voulu qu'il soit, et d'accepter la négociation en dépit de ses menaces récurrentes. Cette politique a produit des résultats. Ce sont les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis qui y ont mis un terme, le président Bush ayant alors décidé que la Corée du Nord faisait partie des pays de « l'axe du mal ». Il devenait difficile pour la Corée du Sud, allié des États-Unis, de continuer de tendre ainsi la main au voisin nord-coréen. Pourtant, cette sunshine policy, élargie à la région, pourrait être une voie de dialogue. En effet, alors que les dialogues à six étaient strictement diplomatiques, elle avait, elle, une dimension plus large, culturelle notamment. C'est dans ce cadre qu'aux Jeux olympiques de Sydney, Athènes et Turin, les deux délégations coréennes ont défilé ensemble sous un autre drapeau que celui des deux États, que des échanges de jeunes ont eu lieu entre les deux pays, que des festivals culturels ont été organisés, que des familles éclatées entre les deux pays après 1953 ou séparées depuis 1945 ont pu se retrouver…
Pour ce qui est de la Russie, je suis d'accord avec vous, Madame. Mais n'oublions pas quand même que la Corée du Nord lui loue ses prisonniers politiques pour exploiter ses forêts. La Russie s'intéresse bien sûr à la sécurité dans cette région du monde mais elle est peu regardante sur la situation des droits de l'homme en Corée du Nord et peu sensible à la situation du peuple nord-coréen. La Russie, qui avait essayé de coloniser la Corée à la fin du 19ème siècle, n'y renonçant qu'après sa défaite terrible de 1905 contre le Japon, n'a jamais cessé de s'en méfier. Pour Staline encore, « un Coréen, c'était un Japonais déguisé ». Et cette défiance perdure. Les Russes ne croient pas à la réalité de la nation coréenne.
Il est très difficile de s'appuyer sur des données fiables. Ni le Fonds monétaire international ni la Banque mondiale n'en disposent. En effet, toutes celles publiées par les autorités nationales sont fausses. Les taux de croissance annoncés sont-ils réels ou relèvent-ils de l'idéologie ? Le pays prétend que depuis 2000, sa croissance est repartie et aurait même dépassé celle de la Corée du Sud en 2008, renouant avec la réalité d'avant 1974, date à laquelle les courbes de croissance des deux pays se sont inversées pour ne plus jamais se recouper. Est-ce crédible ? On n'en sait rien. Pour obtenir des informations, nous sommes tributaires des témoignages de ceux qui se rendent dans le pays, Français – nous avons des échanges commerciaux avec la Corée du Nord – ou Sud-Coréens. Beaucoup de Sud-Coréens se rendent au Nord dans le cadre d'échanges universitaires notamment. Des échanges de journalistes ont également eu lieu : en 2006, dix journalistes sud-coréens sont restés huit mois en Corée du Nord et ont d'ailleurs décrit une Pyongyang surprenante. Leur témoignage est précieux dans la mesure où il faut une autorisation spéciale pour se rendre dans la capitale. Pyongyang et Nampo, le port qui donne sur la mer Jaune, apparaissent comme une zone privilégiée par rapport à la côte Est, qui serait laissée à l'abandon. Autour de Pyongyang, on ne vivrait pas trop mal. Il y aurait des petits commerces, des commerces de semi-luxe, des cybercafés… D'après des sources différentes qui toutes concordent, près de la moitié des habitants de la capitale posséderaient un téléphone portable. Or, le pays n'en fabrique pas. Les appareils proviennent donc de Corée du Sud en transitant par les zones économiques spéciales à la frontière chinoise.
Au total, il semble que la situation soit moins catastrophique que la Corée du Nord ne le prétend pour obtenir de l'aide par son double chantage nucléaire et humanitaire. Nul doute que le pays cherche à émouvoir en invoquant sa pauvreté. Est-il vraiment si pauvre qu'il le prétend ? La Corée du Sud estime que dans la région-capitale en tout cas, le pays a le niveau de développement qu'elle-même avait atteint dans les années 1970.
Il se trouve que lorsque je servais à l'ambassade de France à Séoul, celle-ci avait lancé un programme de coopération culturelle avec le Nord, dans le cadre duquel des étudiants nord-coréens avaient reçu des bourses pour étudier dans des établissements français, dont Sciences Po. Les étudiants sud-coréens de Sciences Po étaient d'ailleurs affolés, une loi de leur pays interdisant, sous peine de prison, à tout Sud-Coréen d'avoir des contacts avec un Nord-Coréen. J'ai à cette époque pu m'entretenir avec ces étudiants nord-coréens, qui parlaient d'ailleurs très bien le français. Ils m'expliquaient très spontanément que les Nord-Coréens aimaient à plaisanter et étaient capables de se moquer de leurs dirigeants, ajoutant toutefois que celui qui avait le plus d'humour dans leur pays, c'était Kim Jong-Il ! Cela montre bien les limites de l'exercice.
La Corée du Nord aurait connu des émeutes dans les années 1980. L'armée a été obligée d'intervenir à Chongjin. Une partie de la population ne supporte ni la misère ni le manque de liberté. Mais le régime tient quand même, grâce à l'armée. Il faut bien voir que si ses effectifs sont d'un million d'hommes, elle représente, avec les familles des militaires, près de deux millions et demi de personnes, soit quelque 10% de la population. C'est une véritable aristocratie et la Corée du Nord est aujourd'hui en pleine réaction aristocratique.
Tant que la Chine la soutient, la Corée du Nord ne serait donc pas réformable. La situation peut-elle tenir longtemps ainsi ?
Aussi longtemps que la Chine elle-même tiendra ! La question de la transition politique est posée en Chine. L'une des plus mauvaises analyses que l'on pourrait faire de la situation dans la région serait de penser que rien n'évolue en Chine. À l'instar de qui s'est passé en Europe de l'Est avec l'URSS, dès que la Chine bougera, dans quelque direction que ce soit, le régime nord-coréen ne pourra pas survivre seul.
Je suis plus sceptique que mon collègue sur le soutien de la population au régime. Les scènes de larmes à la mort de Kim Jong-Il ne dupent personne. Des scènes d'hystérie semblables avaient eu lieu à Pékin à l'annonce de Mao Tse-Toung. Pourtant, dès que la Chine s'est ouverte aux réformes, personne n'a regretté la période précédente – même si on peut aujourd'hui avoir parfois la nostalgie de l'égalitarisme maoïste. Je ne suis pas certaine qu'en Corée du Nord, hormis la frange de population privilégiée, certes importante puisqu'elle regroupe tous les militaires et leurs familles, la population pleurerait beaucoup si le régime actuel s'effondrait.
Celui-ci est aussi extrêmement corrompu. Comme en Chine d'ailleurs, il faut tenir compte d'importantes ressources « grises » ou « noires ». Et les trafics, précisément entre la Chine et la Corée du Nord, sont nombreux. Je me suis rendue une fois dans les provinces méridionales de Corée du Nord. Alors que n'y circulait aucun véhicule – les gens cheminaient à pied, au milieu de gros chiens errants –, n'était-il pas étrange d'apercevoir, dans une zone de restaurants ouverts aux étrangers, un gros 44 de marque américaine, immatriculé à Pyongyang ? À l'évidence, des affairistes de la capitale venaient là rencontrer des gens du Sud.
J'ai aussi eu l'occasion de m'entretenir à l'étranger avec des diplomates nord-coréens fort bien éduqués et s'exprimant dans un anglais parfait. Les enfants de l'élite sont formés à l'étranger – cela a été le cas de Kim Jong-Un – et y vivent une bonne partie du temps. Ils savent donc parfaitement ce qui s'y passe et profitent des avantages que cela leur procure. Ce sont les réformes en Chine qui ont entraîné l'effondrement du clan de Mao et le retour en grâce de Deng Xiaoping. C'est précisément ce que ne veut pas le clan Kim en Corée du Nord.
Merci, madame, monsieur, des éclairages très intéressants que vous nous avez apportés sur ce pays.
La séance est levée à dix-sept heures quarante.