Madame la présidente, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les députés, après l'exposé de Mme la garde des sceaux, je voudrais commencer par la fin, et souligner l'importance de la convention d'Istanbul contre les violences faites aux femmes, à laquelle le chapitre XI du projet de loi fait référence.
Ce texte, que vient de présenter la garde des sceaux, adapte en effet notre droit pénal à cette convention, qui marque une étape importante dans l'histoire des droits des femmes.
Je présentais, ce matin, en conseil des ministres, le projet de loi de ratification de cette convention. Je sais combien cette ratification est attendue par les associations de lutte contre les violences faites aux femmes et par les parlementaires, en particulier les membres de la délégation aux droits des femmes, qui ont beaucoup travaillé sur ce sujet et que je salue.
Cette convention était attendue car elle aborde un ensemble très large de violences faites aux femmes : violences sexuelles, violences physiques et psychologiques, harcèlement, mariages forcés, mutilations sexuelles génitales ou encore ce que certains appellent les « crimes d'honneur ».
Signée par la France en 2011, elle prend acte d'une réalité fondamentale pour le mouvement de lutte contre les violences faites aux femmes. Il ne s'agit pas en effet d'une succession de faits divers, d'actes isolés : il y a un continuum, dans nos sociétés, des violences sexistes, qui commence avec les stéréotypes et les inégalités et qui se prolonge, dans les cas les plus tragiques, avec les violences et les crimes.
Ce continuum des violences appelle une réponse globale des pouvoirs publics. Cette convention y fait écho à travers trois principes : la prévention, la protection et l'aide apportées aux victimes, la poursuite, la sanction et le suivi des auteurs.
Le droit pénal français est déjà largement conforme aux dispositions qui figurent dans cette convention, mais nous avons considéré, avec Mme Taubira, que nous devions être exemplaires sur ce sujet qui tient à coeur au Gouvernement. Or, ce texte est un levier formidable pour faire encore mieux sur notre territoire mais aussi en termes de diplomatie. J'ai ainsi invité les pays francophones, à l'occasion du Forum mondial des femmes francophones organisé à Paris en mars dernier, à adhérer à cette convention qui fixe un socle de droits fondamentaux assez ambitieux.
Je voudrais insister en particulier sur deux causes que ce projet de loi fait avancer : la lutte contre les mariages forcés et la lutte contre les mutilations sexuelles.
Ce texte nous permet de renforcer la lutte contre les mariages forcés grâce à l'introduction d'un nouveau délit dans le code pénal, constitué par le fait de tromper quelqu'un pour l'emmener à l'étranger lui faire subir un mariage forcé. Le droit français nous donne toutes les armes utiles pour lutter efficacement contre les mariages forcés sur notre territoire, mais c'est à l'étranger que les femmes vivant en France subissent le plus souvent ces violences.
Du reste, avec la ministre déléguée chargée des Français de l'étranger, Hélène Conway-Mouret, nous avons mobilisé, ces derniers mois, les postes consulaires à l'étranger pour que nos ressortissantes soient beaucoup mieux protégées qu'elles ne l'étaient par le passé. Cette initiative a fait remonter beaucoup de bonnes pratiques mais aussi beaucoup d'interrogations. Nous nous sommes appuyés sur l'exemple britannique de la Forced Marriage Unit – nous reviendrons sur ce sujet devant vous pour en dresser le bilan. Parce que nos postes consulaires à l'étranger ne peuvent plus rester indifférents à la situation de ces femmes, nous devons leur donner les moyens de les prévenir et de les protéger.
Le mariage forcé est une réalité pour beaucoup de femmes en France. Les associations qui viennent à leur secours accomplissent un travail difficile et précieux. Je pense en particulier à l'association Voix de femmes, qui sait accompagner les femmes exposées à la violence de leur famille, avant d'être livrées à celle d'un conjoint. Nous avons décidé d'aller plus loin encore. C'est pourquoi j'ai saisi la Commission nationale consultative des droits de l'homme pour étudier les moyens de mieux protéger les droits des femmes qui vivent en France mais qui sont rattachées par leur nationalité à un droit qui reconnaît une inégalité entre les hommes et les femmes.
Je serai amenée, dans la prochaine discussion du projet de loi sur les droits des femmes, à vous proposer des dispositions en la matière, pour que jamais une femme ne soit prisonnière, en France, de l'application d'une loi étrangère qui lui accorde moins de droits qu'à son mari, à son frère ou à son père.
Ce texte nous permet également de progresser dans le combat que nous menons contre l'excision, contre les mutilations sexuelles génitales. Nous créons ainsi un nouveau délit, constitué par le fait d'inciter quelqu'un à subir une mutilation sexuelle. Un amendement a été déposé pour compléter le texte et sanctionner non seulement celui qui incite un mineur à subir une excision, mais aussi celui qui incite à faire subir une excision à un mineur. Nous y reviendrons dans la discussion.
Nous pouvons être fiers du combat que la France mène depuis quelques décennies contre les mutilations sexuelles. Notre pays a en effet été pionnier en ce domaine ; ce sont les grands procès menés en France qui ont encouragé, depuis les années 1980, les sociétés civiles des pays les plus concernés à réagir. La mobilisation de la société civile et de la communauté internationale a permis que l'assemblée générale des Nations unies se prononce, le 20 décembre dernier, par une résolution votée à l'unanimité, pour l'abolition des mutilations sexuelles génitales. Nous avons bien entendu accueilli cette résolution avec enthousiasme. Elle rappelle les chiffres : 100 à 140 millions de victimes dans le monde. L'ampleur du phénomène justifie cette mobilisation.
Les pratiques reculent, mais la France compterait encore 50 000 femmes victimes, ce qui justifie largement une nouvelle incrimination pénale.
Les mutilations sexuelles génitales, comme les violences d'une manière générale, posent la question de la place des femmes dans la société, de nos traditions, de nos représentations. Gardons-nous, en la matière, de tout raisonnement à l'emporte-pièce. Les mutilations sexuelles féminines sont trop souvent instrumentalisées, par ignorance ou malveillance, pour stigmatiser telle culture, telle histoire, telle religion. En vérité, la pratique de l'excision a précédé les religions monothéistes. Les amalgames ne servent pas la cause des femmes.
Cela étant dit, nous devons être au rendez-vous pour être encore plus efficaces et dissuasifs. Les procès sont une première réponse, mais la qualité de la prévention et de la détection en est une autre. Pour que les professionnels soient capables de prévenir et de détecter, en particulier les pédiatres du service public, dans les PMI, nous devons les former correctement. Nous avons lancé avec Christiane Taubira et d'autres collègues un grand plan de formation des professionnels, à l'attention de tous ceux qui sont au contact des victimes. Nous devons poursuivre dans cette voie. Au-delà, nous devons informer et sensibiliser les populations concernées ; nous y travaillons avec des associations comme le GAMS.
Enfin, nous voulons dire aux victimes que leur souffrance n'est pas nécessairement définitive. Le protocole chirurgical de réparation, élaboré grâce à des médecins engagés – je pense en particulier au Dr Pierre Foldes –, est désormais intégré dans la nomenclature de l'assurance maladie. C'est une nouvelle importante et un progrès considérable.
Un dernier mot, pour saluer les progrès que le projet de loi permet en matière de lutte contre la traite des êtres humains – Christiane Taubira s'y est longuement arrêtée – notamment en améliorant la définition de l'infraction. Il s'agit de se donner les moyens de mieux lutter contre la traite, une réalité dramatique qui évolue vite, au rythme des épisodes géopolitiques, et qui prend sur notre territoire des formes très différentes et souvent très difficiles à appréhender.
La majorité des victimes de la traite en France sont exploitées dans le cadre de réseaux de prostitution, essentiellement en provenance d'Europe de l'est, d'Afrique subsaharienne, du Maghreb, du Brésil ou de la Chine. C'est sans doute ce qui explique le dépôt de deux amendements portant sur la réponse pénale à apporter aux questions posées par la prostitution dans notre pays.
Le Gouvernement s'est récemment exprimé sur ce sujet, notamment dans le cadre du débat au Sénat sur l'abrogation du délit de racolage passif. Sans surprise, nous maintenons l'agenda que nous avions d'ores et déjà annoncé : un groupe de travail oeuvre depuis des mois déjà et prolonge, notamment à l'Assemblée nationale, les travaux engagés sous la précédente législature. Il devrait bientôt remettre ses conclusions. Nous ne voulons pas apporter à cette question une réponse précipitée.
Le chantier de la lutte contre la traite des êtres humains ne se limite pas, qui plus est, à la question de la prostitution. Il nécessite une mobilisation interministérielle et, au-delà, la contribution des partenaires associatifs et territoriaux.
C'est pour cela que la nouvelle Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains – MIPROF – s'y consacre d'ores et déjà pleinement. Elle est chargée d'élaborer pour le mois d'octobre prochain un plan gouvernemental de lutte contre la traite des êtres humains, en écho aux recommandations du GRETA, dont vous avez pu apprécier le diagnostic aigre-doux sur la France.
La création de cette MIPROF, qui réunit une équipe d'experts de haut niveau issus de différentes administrations, marque à cet égard un changement de rythme et de méthode fort bienvenu. Je sais que beaucoup des députés ici présents ont suivi ce programme de travail avec attention, et je n'ai donc guère besoin de m'étendre sur les progrès que cela nous a permis de réaliser.
Je tenais, pour conclure, à vous remercier une nouvelle fois pour votre engagement sur ces sujets. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)